Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 5 juillet 2019, n° 18/01365

  • Sociétés·
  • Hambourg·
  • Reconnaissance·
  • Ordre public·
  • Ordonnance·
  • Voies de recours·
  • Compétence·
  • Etats membres·
  • Public·
  • Violation

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Nancy, 1re ch., 5 juill. 2019, n° 18/01365
Juridiction : Cour d'appel de Nancy
Numéro(s) : 18/01365
Décision précédente : Tribunal de grande instance d'Épinal, 23 mai 2018, N° 16/01701
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D’APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2019 DU 5 JUILLET 2019

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/01365 – N° Portalis DBVR-V-B7C-EFMV

Décision déférée à la Cour : jugement du Tribunal de Grande Instance d’EPINAL,

R.G.n° 16/01701, en date du 24 mai 2018,

APPELANTE :

SASU DSTORAGE, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social sis […]

Représentée par Me Emeline AQUINO, avocat au barreau d’EPINAL, avocat postulant

Plaidant par Me Ronan HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Société ChessBase Schachprogramme Schachdatenbank Verlagsgesellschaft mbH, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social sis […]

Représentée par Me Laurence BOURDEAUX substituée par Me Adeline MARCHETTI de la SCP BOURDEAUX-MARCHETTI, avocats au barreau d’EPINAL

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 29 Avril 2019, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,

Monsieur Yannick FERRON, Conseiller,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, chargé du rapport,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Isabelle FOURNIER ;

A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 Juin 2019, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

puis à cette date, le délibéré a été prorogé au 5 Juillet 2019.

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 5 Juillet 2019, par Madame FOURNIER, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame FOURNIER, Greffier ;


Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à


EXPOSÉ DU LITIGE :

La SASU Dstorage [ci-dessous 'la société Dstorage'], exerçant l’activité d’hébergeur sur Internet, met à disposition de ses clients des espaces de stockage de contenus. La société ChessBase Schachprogramme Schachdatenbank Verlagsgesellschaft mbH [ci-dessous 'la société ChessBase'] édite et commercialise des programmes de jeux d’échecs, ainsi que des logiciels de gestion de bases de données de parties d’échecs et gère un site de jeux en ligne.

Ayant constaté qu’il était possible de télécharger le jeu 'Fritz Trainer Andrew Martin Catastrophe in the Opening’ à partir de l’espace de stockage fourni par la société Dstorage à ses clients, la société ChessBase, par courrier en date du 13 janvier 2016, puis par courrier valant mise en demeure en date du 20 janvier 2016, a demandé à la société Dstorage de supprimer le lien permettant d’accéder à ce logiciel pour le 20 janvier 2016, puis pour le 25 janvier 2016.

Par courrier en date du 24 janvier 2016, la société Dstorage a informé la société ChessBase qu’elle devait respecter la procédure de retrait du site. Elle y indiquait notamment que, en sa qualité d’hébergeur, elle ne pouvait être responsable civilement ou pénalement que si la société Chessbase lui fournissait une ordonnance sur requête en provenance du juge allemand, constatant l’illicéité du contenu.

Saisi par la société ChessBase, le Landgericht d’Hambourg, par ordonnance en date du 8 mars 2016, a interdit à la société Dstorage et à son dirigeant, M. X Y, de mettre à la disposition de tiers sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne le jeu 'Andrew Martin Catastrophe in the opening', sous peine d’une amende ou d’une contrainte par corps en cas de non-respect de l’interdiction.

Avant la signification formelle de l’ordonnance, la société Chessbase a communiqué cette décision à la société Dstorage par courriel du 23 mars 2016. Par courriel du même jour, la société Dstorage a informé la société Chessbase que, l’illicéité du contenu étant constatée par cette ordonnance, le contenu avait été supprimé.

Contestant la mise à sa charge des frais de procédure, la société Dstorage a, par acte signifié le 15 juillet 2016, fait assigner la société ChessBase devant le tribunal de grande instance d’Épinal, sur le fondement des articles 7, 27, 28 et 45 du règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, des articles 14 et 15 de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, des articles 6-1-2 et 6-1-7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, aux fins de voir prononcer la non-reconnaissance de la décision du Landgericht de Hambourg du 8 mars 2016 sur le territoire français, et de voir condamner la société ChessBase au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par jugement contradictoire du 24 mai 2018, non assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance d’Épinal a :

— débouté la société Dstorage de sa demande de refus de reconnaissance de l’ordonnance rendue par le Landgericht de Hambourg le 8 mars 2016,

— condamné la société Dstorage aux dépens et à payer à la société ChessBase la somme de 4204,81 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses motifs, le tribunal a rappelé que, en vertu de l’article 45 du règlement du 12 décembre 2012, les causes de refus de reconnaissance d’une décision étrangère sont la contrariété à l’ordre public, la violation du principe du contradictoire, la contrariété avec une autre décision, le défaut de compétence dans certains cas du juge étranger, la reconnaissance d’une décision étant refusée dans le cas où elle est rendue par défaut si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été notifié ou signifié au défendeur en temps utile de manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire.

Les premiers juges ont également rappelé que le critère de l’ordre public ne pouvait pas être appliqué aux règles de compétence.

Le tribunal a expliqué que l’ordonnance du 8 mars 2016 est une décision prise sur requête et sans convocation, susceptible de devenir contradictoire par le biais d’une contestation après signification et que, en vertu des dispositions de l’article 45, le caractère non contradictoire de la procédure est indifférent si la personne visée par la condamnation a été mise en mesure d’exercer un recours et qu’elle ne l’a pas fait.

Les premiers juges ont relevé que l’ordonnance du 8 mars 2016 avait été signifiée le 12 mai 2016, que la signification comprenait une traduction de l’ordonnance et des voies de recours et que la société Dstorage avait procédé au retrait du lien litigieux le 23 mars 2016, soit selon ses termes 'moins d’une heure et demie après la réception de la décision de la juridiction allemande et avant même sa signification'. Le tribunal en a conclu que la société Dstorage avait été en mesure de contester l’ordonnance du 8 mars 2016, mais qu’elle n’avait exercé aucune voie de recours et que sa demande de non reconnaissance de cette ordonnance devait donc être rejetée.

Pour condamner la société Dstorage à payer à la société ChessBase la somme de 4204,80 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, les premiers juges se sont référés au calcul de la rémunération des avocats selon la loi allemande.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 6 juin 2018, la société Dstorage a relevé appel de ce jugement.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 12 février 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Dstorage demande à la cour, sur le fondement des articles 7, 27, 28 et 45 du règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, des articles 14 et 15 de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique et ses considérants, de l’article 6 de la CEDH et des articles 6-I-2 et 6-I-7 de la LCEN du 21 juin 2004, de :

— annuler le jugement dont appel dans l’ensemble de ses motifs et de son dispositif,

— prononcer la non-reconnaissance de la décision du Landgericht de Hambourg, dossier 310 0 70/16 du 8 mars 2016 sur le territoire français à son égard et de M. Z X Y,

— condamner la société ChessBase aux dépens et au paiement de la somme de 15000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 25 mars 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société ChessBase demande à la cour, sur le fondement de l’article 45 du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, de :

— dire que, conformément à l’article 45.3 du règlement n° 1215/2012, le juge de l’État membre requis ne peut procéder au contrôle de la compétence de la juridiction d’origine et que le critère de l’ordre public visé à l’article 45.1 ne peut être appliqué aux règles de compétence,

— dire que selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le défaut d’exercice des voies de recours prive le demandeur au refus de reconnaissance de la décision de la possibilité d’invoquer utilement la violation de l’ordre public par le juge de l’État membre d’origine,

— dire qu’en toute hypothèse, aucun des reproches formulés par la société Dstorage à l’encontre de la décision rendue par le Landgericht de Hambourg ne constitue une contrariété à l’ordre public selon l’article 45.1 a) du règlement,

— rejeter en conséquence la demande de refus de reconnaissance de l’ordonnance rendue par le Landgericht de Hambourg le 8 mars 2016,

— confirmer le jugement du tribunal de grande instance d’Épinal du 6 juin 2018 en toutes ses dispositions,

— condamner la société Dstorage aux dépens et à lui payer la somme de 4089,32 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 2 avril 2019.

L’audience de plaidoirie a été fixée au 29 avril 2019 et le délibéré au 24 juin 2019, délibéré prorogé au 5 juillet 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LA DEMANDE DE REFUS DE RECONNAISSANCE DE L’ORDONNANCE DU 8 MARS 2016

L’article 45 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose :

'1. À la demande de toute partie intéressée, la reconnaissance d’une décision est refusée :

a) si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis ;

b) dans le cas où la décision a été rendue par défaut, si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été notifié ou signifié au défendeur en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ; […]'.

En l’espèce, la société Dstorage prétend que la décision du juge allemand viole plusieurs principes

essentiels de l’ordre public français. Tout d’abord, s’agissant de la procédure, elle allègue une violation des règles du procès équitable du fait de l’absence de contradictoire. Elle prétend que l’absence de vérification de sa compétence par le juge allemand a entraîné une violation du droit au procès équitable.

Ensuite, la société Dstorage invoque une violation de l’ordre public touchant au fond de la décision. Elle conteste l’application de la loi allemande en l’absence d’atteinte caractérisée sur le territoire allemand. Elle ajoute que l’interdiction de réapparition de toute copie du jeu met à sa charge une obligation de surveillance qui ne peut lui être imposée et fait valoir une atteinte à la liberté d’entreprendre, à la liberté d’expression et d’information, ainsi qu’ au principe d’égalité devant les charges publiques.

La société Dstorage conteste enfin la mise à sa charge des frais de procédure au motif qu’elle n’a commis aucune faute, ni avant le prononcé de l’injonction contenue dans l’ordonnance allemande, ni après le prononcé de cette injonction, puisqu’elle a retiré le contenu jugé illicite moins d’une heure et demie après avoir pris connaissance de cette décision.

En réplique, la société ChessBase fait valoir que le défaut d’exercice des voies de recours par la société Dstorage à l’encontre de l’ordonnance du 8 mars 2016 prive l’appelante, sollicitant le refus de reconnaissance, de la possibilité d’invoquer utilement la violation de l’ordre public.

La société Dstorage rétorque que l’absence de recours devant les juridictions allemandes (cas envisagé par le 'b') est indifférente lorsque la demande de non reconnaissance est fondée sur un cas de violation de l’ordre public (cas envisagé par le 'a') et qu’elle n’a donc pas pour effet de rendre son action irrecevable.

Cependant, il résulte de l’interprétation donnée de ce texte que, lorsqu’il vérifie l’existence éventuelle d’une violation manifeste de l’ordre public de l’État requis, le juge de cet État doit tenir compte du fait que, sauf circonstances particulières rendant trop difficile ou impossible l’exercice des voies de recours dans l’État membre d’origine, les justiciables doivent faire usage dans cet État membre de toutes les voies de recours disponibles afin de prévenir en amont une telle violation.

En l’espèce, l’ordonnance rendue par le Landgericht de Hambourg le 8 mars 2016 a été régulièrement signifiée à la société Dstorage, accompagnée d’une traduction en langue française, cette ordonnance mentionnant les voies de recours possibles.

Dès lors, la société Dstorage avait la possibilité effective de former un recours contre l’ordonnance du 8 mars 2016, ce qu’elle ne conteste d’ailleurs pas.

Or, l’exercice d’un tel recours aurait permis à la société Dstorage, dans le cadre d’une procédure contradictoire, de faire valoir les critiques qu’elle formule dans la présente procédure pour s’opposer à la reconnaissance de l’ordonnance litigieuse en France, notamment la compétence de la juridiction allemande, la déclaration de sa responsabilité et la mise à sa charge des dépens.

En conséquence, faute d’avoir exercé un tel recours, la demande de la société Dstorage tendant à la non-reconnaissance de l’ordonnance pour violation de l’ordre public français doit être rejetée et le jugement sera confirmé sur ce point.

Enfin, il n’appartient pas à la cour de statuer sur les demandes de 'constatation’ ou de 'donner acte’ qui ne sont pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile.

SUR LES DÉPENS ET L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

La société Dstorage succombant dans ses prétentions, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a

condamnée aux dépens et à payer à la société ChessBase la somme de 4204,81 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant, la société Dstorage sera condamnée aux dépens d’appel.

Il résulte de l’équité que la demande présentée par la société ChessBase au titre de l’article 700 du code de procédure civile est en partie fondée. Dès lors, il convient de condamner la société Dstorage à lui payer la somme de 2000 euros à ce titre.

Pour les mêmes raisons, la société Dstorage sera déboutée de sa demande formée sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Épinal le 24 mai 2018 ;

Y ajoutant,

Condamne la SASU Dstorage à payer à la société ChessBase Schachprogramme Schachdatenbank Verlagsgesellschaft mbH la somme de 2000 euros (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel ;

Déboute la SASU Dstorage de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SASU Dstorage aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame FOURNIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : I. FOURNIER.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-

Minute en six pages.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 5 juillet 2019, n° 18/01365