ADLC, Décision du 30 novembre 1993 relative à des pratiques relevées dans le secteur des généalogistes successoraux, 93-D-55

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Cons. conc., déc. n° 93-D-55 du 30 nov. 1993
Numéro(s) : 93-D-55
Identifiant ADLC : 93-D-55
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Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Décision n° 93-D-55 du 30 novembre 1993 relative à des pratiques relevées dans le secteur des généalogistes successoraux

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 27 juin 1991 sous le numéro F 420, par laquelle le ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence de certaines pratiques de la Chambre des généalogistes de France;

Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application;

Vu la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives;

Vu la lettre du président du Conseil de la concurrence en date du 14 septembre 1993 notifiant à la partie intéressée et au commissaire du Gouvernement sa décision de porter l’affaire devant la commission permanente, en application de l’article 22 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée;

Vu les observations présentées par la Chambre des généalogistes de France;

Vu les autres pièces du dossier;

Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la Chambre des généalogistes de France entendus;

Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés:

I. – CONSTATATIONS

A. – Le marché et le rôle de la Chambre des généalogistes de France

1. Le marché

Le marché sur lequel les pratiques dénoncées par le ministre chargé de l’économie ont été relevées est celui de la recherche d’héritiers en vue de l’attribution de successions demeurées vacantes. Le généalogiste successoral intervient dans une succession dont les héritiers sont inconnus en totalité ou en partie. Il recherche l’adresse d’ayants-droit dont l’existence est présumée et justifie la qualité héréditaire de ceux qui n’arrivent pas à établir le lien de parenté avec le défunt.

Il convient tout d’abord de souligner que la profession n’est pas réglementée : l’ouverture d’un cabinet de généalogiste successoral n’est soumise à aucune condition.

La profession dispose cependant d’outils juridiques pour mener à bien ses missions qui sont le mandat et le contrat de révélation.

Le mandat est confié au généalogiste soit par un notaire chargé du règlement d’une succession aux fins de rechercher ses éventuels bénéficiaires, soit par un héritier présomptif pour établir définitivement sa qualité.

Le contrat de révélation engage le généalogiste à révéler à l’héritier un droit ouvert à son profit mais à son insu et à en apporter les justifications. En contrepartie, si le généalogiste parvient à ses fins, l’héritier lui abandonnera une quote-part de la succession ; s’il n’y parvient pas, l’ensemble des frais avancés par le généalogiste restera à sa charge.

Pour mener à bien ses recherches, le généalogiste peut avoir accès aux archives publiques.

Le directeur général des Archives de France a rappelé dans des circulaires en date des 4 novembre 1977 et 16 janvier 1987 et dans différents courriers adressés à des généalogistes les règles d’accès à ces documents:

— les listes nominatives de recensement peuvent être librement consultées au bout de trente ans, mais ce délai a été porté à cent ans pour l’état civil, les actes transcrits aux hypothèques ou à l’enregistrement et à cent cinquante ans pour les registres matricules du recrutement militaire aux termes des articles 6 et 7 de la loi du 3 janvier 1979 susvisée;

- le ministre chargé de la culture peut toutefois accorder des dérogations générales ou ponctuelles conformément aux dispositions de l’article 2 du décret n° 79-1038 du 3 décembre 1979. C’est ainsi que, par délégation et reprenant une mesure déjà appliquée par le ministre de la justice pour l’accès aux greffes des tribunaux de grande instance, le directeur général des Archives de France a accordé, dès novembre 1977, aux membres de la Chambre des généalogistes de France (Paris) une dérogation générale à l’interdiction frappant la consultation de ces actes moins que centenaires;

- cette autorisation ne peut en principe intervenir qu’après accord du procureur de la République.

2. La chambre des généalogistes de France

Elle regroupait en 1992 treize cabinets et, en 1991, a collecté des cotisations pour un montant de 92 191 francs.

L’ensemble des adhérents de la chambre des généalogistes de France réalisent 90 p. 100 environ du chiffre d’affaires de la profession, qui est estimé, en 1990, à environ 170 millions de francs.

Dans le cadre de ses activités, la chambre a:

- adopté à la date du 16 décembre 1988 une charte déontologique précisant les obligations de ses membres envers les notaires, les services d’archives, les héritiers et les confrères;

- instauré un système de signalisation des affaires communes ; aux termes de la charte susmentionnée : 'Dès qu’il aura connaissance d’un dossier déjà ouvert par un confrère, le

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deuxième inscrit prendra, avant toute autre démarche, l’attache de celui-ci, pour convenir de la mise en commun du travail de recherche et du suivi de la liquidation';

- recommandé un tarif maximum.

Pour être admis comme membres de la chambre, les postulants doivent justifier de cinq ans d’exercice de la profession et recevoir le parrainage d’un membre de cette chambre. Le bureau de la chambre statue sur la demande d’adhésion.

B. – Les pratiques reprochées

1. La restriction à l’entrée sur le marché de la profession de généalogiste successoral

Le ministre de la justice et celui de la culture ont donné aux membres de la chambre des généalogistes de France des facilités d’accès aux documents d’état civil sous forme d’une autorisation permanente qui leur permet d’avoir accès aux greffes des tribunaux de grande instance sur la simple présentation de leur carte professionnelle. Les autres généalogistes ne disposent pas des mêmes facilités et doivent demander des autorisations au coup par coup.

Dès lors, l’accès à la chambre des généalogistes de France revêt une grande importance puisqu’elle permet une activité sans obstacle pour ses membres. Cet accès est subordonné depuis 1988 aux conditions mentionnées au A-2 ci-dessus.

Il résulte de l’instruction que les refus d’adhésion que la chambre des généalogistes de France a pu opposer à des candidatures n’étaient pas motivés.

2. La diffusion d’un barème professionnel

La chambre des généalogistes de France a diffusé à ses membres un barème que l’administration fiscale avait publié dans une monographie consacrée à la profession de généalogiste successoral établie en 1979.

Ce barème semble avoir été élaboré en 1955 et ne pas avoir été modifié avant 1988. Il comporte l’indication du taux maximum (50 p. 100) applicable au montant de l’héritage qui sert d’assiette à la rémunération des généalogistes.

La difficulté que pouvaient créer l’existence et la diffusion d’un tel barème n’a pas échappé à la chambre puisque le procès-verbal de l’assemblée générale du 16 décembre 1988 rapporte que:

'M. le président demande si le Conseil de la concurrence et des prix ne pourrait émettre des critiques sur notre barème d’honoraires étant donné que certains organismes professionnels ont été condamnés pour avoir diffusé un barème forfaitaire de prix'.

L’existence du barème et sa diffusion n’apparaissent donc pas contestées, pas plus que sa révision en 1988 pour une application commençant en 1989.

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3. L’existence d’un fichier télématique qui permettrait une répartition du travail entre professionnels

La chambre des généalogistes de France a mis en place un fichier télématique des affaires suivies par les membres de la profession afin d’éviter que deux cabinets ne traitent le même dossier et pour faire en sorte que, le cas échéant, ces cabinets joignent leurs efforts.

Aux termes mêmes de la charte élaborée par la chambre le 16 juin 1988 : 'Dès qu’il [chacun de ses membres] aura connaissance d’un dossier déjà ouvert par un confrère, le deuxième inscrit prendra, avant toute autre démarche, l’attache de celui-ci pour convenir de la mise en commun du travail de recherche et du suivi de la liquidation.'

II. – SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur les pratiques constatées:

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que l’adhésion d’un généalogiste successoral à la Chambre des généalogistes de France lui procurait un avantage par rapport aux généalogistes qui ne sont pas membres de cette organisation, dans la mesure où cette adhésion conditionnait l’accès permanent aux documents d’archives ; que le fait de subordonner l’acceptation d’un nouveau candidat à la présentation de celui-ci par un membre de la chambre, qui est son concurrent, et de ne pas avoir à motiver les refus éventuels d’adhésion peuvent conduire la chambre à des pratiques discriminatoires de nature à fausser le jeu de la concurrence entre les généalogistes successoraux;

Considérant, en second lieu, qu’il n’est pas contesté que la Chambre des généalogistes de France a diffusé auprès de ses adhérents un barème de prix applicable à partir de l’année 1989 et établi en fonction du degré de parenté de l’héritier avec le défunt et du montant de la succession et indiquant le taux à appliquer au montant de l’héritage pour déterminer le montant des sommes dues au généalogiste par l’héritier ; que, si cette organisation soutient que ce barème n’avait pour but que de limiter le montant des prestations payées par les héritiers, il n’en reste pas moins que ces pratiques pouvaient avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence être les généalogistes membres de la Chambre des généalogistes de France en les incitant à aligner leurs tarifs sur ceux ainsi diffusés;

Considérant, enfin, qu’il résulte de l’instruction que la Chambre des généalogistes de France a, jusqu’en avril 1992, tenu un fichier télématique recensant les affaires en cours traitées par des membres de la profession ; qu’en application de la charte de cette organisation adoptée le 16 décembre 1988, chaque adhérent sollicité pour traiter un dossier déterminé devait, dès qu’il avait connaissance qu’un confrère traitait déjà ce dossier et avant toute autre démarche, prendre l’attache de ce confrère 'pour convenir de la mise en commun du travail de recherche et du suivi de la liquidation’ ; que l’application de cette disposition à l’aide du fichier télématique pouvait avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les généalogistes membres de la Chambre des généalogistes de France;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, par les pratiques susmentionnées, la Chambre des généalogistes de France a enfreint les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986;

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Sur la sanction:

Considérant qu’aux termes de l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 le Conseil de la concurrence 'peut infliger une sanction applicable soit immédiatement, soit en cas d’inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie et à la situation de l’entreprise ou de l’organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction… Si le contrevenant n’est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs…';

Considérant que les pratiques relevées à l’encontre de la Chambre des généalogistes de France affectent de façon importante le fonctionnement du marché puisque le chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des adhérents de cette organisation représente 90 p. 100 environ du chiffre d’affaires total de la profession ; que la gravité de ces pratiques résulte du fait que, combinées entre elles, elles visent à assurer aux membres de la Chambre des généalogistes de France le contrôle de l’accès au marché et du fonctionnement de celui-ci;

Considérant que les ressources de la Chambre des généalogistes de France se sont élevées, en 1992, à 92 191 F;

Considérant que, compte tenu de l’ensemble de ces éléments d’appréciation, il y a lieu d’infliger à la Chambre des généalogistes de France une sanction pécuniaire de 100 000 F,

Décide:

Art. 1er. – Il est infligé à la Chambre des généalogistes de France une sanction pécuniaire de 100 000 F.

Art. 2. – La présente décision sera publiée, dans le délai de trois mois suivant sa notification, aux frais de la Chambre des généalogistes de France, dans la revue Généalogie Magazine et dans la revue du Conseil supérieur du notariat V.I.P.

Délibéré, sur le rapport de M. Henri-Jean Coudy, par MM. Barbeau, président, Cortesse et Jenny, vice-présidents.

Le rapporteur général, Le président, Marc Sadaoui

Charles Barbeau

© Conseil de la concurrence

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