Cour d'appel d'Orléans, Chambre commerciale, 8 juin 2017, n° 16/02660

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Orléans, ch. com., 8 juin 2017, n° 16/02660
Juridiction : Cour d'appel d'Orléans
Numéro(s) : 16/02660
Décision précédente : Tribunal de commerce de Blois, 16 juin 2016
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’ORLÉANS CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE GROSSES + EXPÉDITIONS : le 08/06/2017

Me Jean-François MORTELETTE

la SELARL CABINET GENDRE & ASSOCIES

ARRÊT du : 08 JUIN 2017 N° : 250 – 17 N° RG : 16/02660 DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de BLOIS en date du 17 Juin 2016

PARTIES EN CAUSE APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 191263985112

Monsieur Z X

né le XXX à HONAINE

XXX

XXX

représenté par Me Jean-François MORTELETTE, avocat au barreau de BLOIS

D’UNE PART INTIMÉES : – Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 188431724986

SAS COGEP AUDIT

Agissant en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège

XXX

XXX

SA COGEP

XXX

XXX

SA Y

XXX

XXX représentées par Me Flora OLIVEREAU de la SELARL CABINET GENDRE & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de BLOIS

assistées de Me Marcel PORCHER de la SELAS PORCHER ET ASSOCIES du barreau de PARIS

D’AUTRE PART DÉCLARATION D’APPEL en date du : 28 Juillet 2016.

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 16 MARS 2017

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, du délibéré :

• Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de chambre, • Madame Elisabeth HOURS, Conseiller, • Monsieur Thierry MONGE, Conseiller.

Greffier :

. Madame Elisabeth PIERRAT, Greffier lors des débats

. Madame Marie-Hélène ROULLET, Greffier lors du prononcé.

DÉBATS :

A l’audience publique du 27 AVRIL 2017, à laquelle ont été entendus Monsieur Thierry MONGE, Conseiller, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

Prononcé le 08 JUIN 2017 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSÉ :

M. A X, qui se livrait au négoce d’automobiles d’occasion sous l’enseigne 'Car Occas’ ', a fait l’objet en 2010 d’un contrôle fiscal qui a abouti, après rectification de sa comptabilité sur la période de 2007 à 2008, 2009 outre l’année 2010 en cours, à la mise en recouvrement, en juillet 2011, d’une somme de 373.594 euros -dont 94.099 euros de pénalités- au titre de la substitution du régime général de TVA au régime sur la marge qu’il avait appliqué aux achats de véhicules réalisés à l’étranger auprès de professionnels.

M. X a obtenu en référé le 4 juillet 2011 du président du tribunal de grande instance de Bourges, au contradictoire de son expert-comptable la société COGEP, et de l’assureur de celle-ci la compagnie Y, la désignation d’un expert notamment chargé de rechercher si l’expert-comptable avait commis des manquements à ses obligations en lien direct avec le redressement opéré.

Le technicien commis, M. B, a déposé son rapport en date du 8 octobre 2013.

M. X a fait assigner devant la juridiction consulaire du Loir et Cher les sociétés COGEP, COGEP Audit et Y, par actes du 16 janvier 2016, en sollicitant, à titre principal, l’annulation de l’expertise judiciaire motif pris d’une absence d’impartialité objective du technicien eu égard à son appartenance à la société Grant Thornton qui avait cédé deux cabinets d’experts-comptables à la COGEP en 2006, avec condamnation des défenderesses à lui rembourser les frais taxés de l’expertise, et en réclamant la désignation d’un nouvel expert. À titre subsidiaire, sur le fond, le demandeur demandait au tribunal de juger que la S.A. COGEP avait commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle en manquant à son devoir de conseil et de mise en garde du chef du régime de TVA qu’il appliquait, et il sollicitait la condamnation in solidum des défenderesses à lui payer 398.594 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral.

Par jugement du 17 juin 2016, le tribunal de commerce de Blois, après avoir dit dans les motifs de sa décision qu’il n’était pas de son ressort de se prononcer sur la demande d’annulation d’une expertise ordonnée par une autre juridiction, a dit que M. X avait qualité à agir, qu’il n’apportait pas la preuve du lien de causalité entre une éventuelle faute et son préjudice ni celle de la réalité d’un préjudice, et il l’a débouté de tous ses chefs de prétentions en le condamnant aux dépens avec indemnité de procédure.

M. X a relevé appel.

Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l’article 954 du code de procédure civile, ont été déposées :

— le 23 février 2017 par M. X

— le 8 décembre 2016 par les sociétés COGEP, COGEP Audit et Y.

M. X reprend devant la cour ses prétentions de première instance. Il indique avoir découvert après le dépôt du rapport que M. B anime et codirige le Cabinet Grant Thornton, structure qui avait cédé à la COGEP en novembre 2006 deux cabinets d’expertise respectivement situés à Gien et Sully sur Loire, et il considère que l’expert judiciaire, quelles que soient ses qualités personnelles et professionnelles, avérées, ne disposait plus, de ce fait, envers la société COGEP, de la même entière liberté intellectuelle et de critique qu’à l’égard de tout autre tiers. Il maintient sa demande de nouvelle expertise, et de condamnation de la COGEP à supporter les frais de la première expertise au motif qu’elle a dissimulé les liens qui l’unissaient au technicien.

Il sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a rejeté le moyen tiré de sa prétendue irrecevabilité à agir, en indiquant que c’est bien lui-même, à titre personnel, qui avait contracté avec la COGEP et qui a subi le redressement fiscal et le préjudice dont il est demandé réparation, Car Occas n’étant, en tout cas, à l’époque, que le nom commercial sous lequel il exerçait son activité individuelle.

Sur le fond, il affirme que la COGEP avait une mission élargie dépassant celle dite de présentation des comptes, et qu’en tout état de cause, même du seul chef de cette tâche, elle était tenue envers lui, de par ses normes professionnelles et déontologiques, d’un devoir d’assistance et de conseil auquel elle a manqué en n’attirant pas son attention sur l’irrégularité, voire seulement même sur les risques, du régime de TVA qu’il appliquait. Il indique être totalement ignorant en matière de négoce et de fiscalité en précisant qu’il était ouvrier carreleur avant de se lancer dans ce commerce. En réponse aux contestations adverses, il soutient que la COGEP avait tous les éléments pour déceler la difficulté puisqu’elle voyait ses factures et assumait le rapprochement entre sa comptabilité et les bases déclarées, et il nie avoir jamais été alerté, en objectant que les intimées ne rapportent ni preuve ni indice de cette affirmation. Il affirme que son préjudice est bien en relation directe de causalité avec la faute commise car le redressement aurait été évité si son expert-comptable l’avait mis en garde dès ses premières facturations de véhicules ayant fait l’objet d’achats intracommunautaires, car il n’aurait jamais renouvelé son erreur. Il soutient que son préjudice s’établit au montant même du redressement soit 373.594 euros grossi de 25.000 euros de préjudice moral, et il demande donc à la cour de condamner in solidum les trois sociétés défenderesses à lui verser 398.594 euros ainsi que 5.000 euros d’indemnité de procédure.

XXX et Y s’opposent à la demande d’annulation de l’expertise et de remboursement des frais en soutenant que l’indépendance d’esprit de M. B était totale, et qu’elle ne peut être suspectée en raison d’une opération intervenue cinq ans avant sa désignation, et à laquelle il était étranger.

La société COGEP Audit sollicite sa mise hors de cause en objectant qu’elle n’a jamais été l’expert-comptable de M. X et que l’expertise ne lui est pas opposable.

Les intimées maintiennent que M. X n’a pas qualité à agir, au motif qu’il se plaint d’un redressement fiscal qui ne le concerne pas puisqu’il s’applique à la société Car Occas'.

Sur le fond, la COGEP maintient n’avoir pas engagé sa responsabilité, en soutenant, en substance, qu’elle avait une simple mission de présentation des comptes annuels ; qu’elle a satisfait à son devoir de conseil en signalant à M. X des anomalies qui l’empêchaient de formuler des attestations positives ; que le choix du régime de TVA ne lui incombait pas et qu’elle n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de son client, selon elle parfaitement conscient de ce qu’il faisait, comme en persuadent sa déclaration aux services fiscaux selon laquelle ce régime de TVA lui permettait d’être 20% moins cher que ses concurrents, et les majorations qui lui ont été infligées pour manquement délibéré. Elle en déduit qu’en toute hypothèse, même s’il était retenu qu’elle a manqué à son devoir de conseil, il n’y aurait aucun préjudice en lien de causalité avec cette faute car M. X n’aurait jamais adopté un régime moins favorable. Elle conteste plus subsidiairement que le préjudice indemnisable puisse être équivalent au montant du redressement, au motif que cette somme correspond aux taxes qui étaient dues, et que le préjudice pourrait tout au plus consister en la perte de chance, pour le commerçant, d’avoir pu augmenter le prix TTC de ses véhicules tout en conservant son chiffre d’affaires, ce qui justifierait une indemnisation ramenée à de plus justes proportions.

La société Y indique que si la cour entrait en voie de condamnation à l’encontre de son assurée COGEP, elle-même ne pourrait être tenue que dans les limites fixées par le plafond de garantie après application de la franchise contractuelle.

En toute hypothèse, les trois intimées sollicitent chacune 5.000 euros d’indemnité de procédure en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est référé pour le surplus aux conclusions des plaideurs.

L’instruction a été clôturée par une ordonnance du 16 mars 2017 dont les conseils des parties ont été avisés.

MOTIFS DE L’ARRÊT :

* sur la recevabilité à agir de M. X

Attendu qu’à l’époque concernée par la vérification de comptabilité qui a donné lieu à la rectification litigieuse, soit la période du 1er juillet 2007 au 30 juin 2009, M. X exploitait son activité de négoce en automobiles à titre individuel, sous le nom 'Car-Occas’ ' qui n’était qu’une enseigne commerciale (ainsi : sa pièce n°18), l’attestation du témoin C D faisant état d’une transformation de l’entreprise individuelle en Eurl après 2011 ;

Attendu que le redressement a été notifié à M. X à titre personnel ; la mise en demeure a été émise à son nom ; et il est seul débiteur des sommes appelées ; Et attendu qu’en tant que commerçant exerçant à titre individuel, il était personnellement le cocontractant de la société COGEP pour les missions confiées à celle-ci, et elle émettait au demeurant ses factures au nom de 'Monsieur X’ (cf pièces n°14, 15, 28 et 29);

Qu’il est donc recevable à rechercher la responsabilité de la COGEP dans le redressement qu’il subit ;

* sur la demande de mise hors de cause de la société Cogep Audit

Attendu qu’il ressort des productions (cf pièces n°5 à 8 de l’appelant) comme de l’expertise judiciaire, que c’est avec que la S.A. COGEP que M. X avait contracté et que c’est elle seule qui a exécuté les prestations litigieuses d’expertise comptable ;

Attendu que l’appelant ne justifie d’aucune prestation ou intervention de la société COGEP Audit, et en réponse à la prétention de celle-ci d’être mise hors de cause, il n’a pas expliqué à quel titre il recherchait sa responsabilité aux côtés de celle de la S.A. COGEP ;

Attendu que la société COGEP Audit sera donc mise hors de cause, l’équité justifiant de ne pas lui allouer d’indemnité de procédure ;

* sur la demande d’annulation de l’expertise judiciaire et de remboursement des frais liés

Attendu que contrairement à ce qu’ont considéré les premiers juges, le fait que l’expertise avait été ordonnée par une juridiction d’un autre ressort territorial, et en référé, ne crée pas d’obstacle à ce que la juridiction saisie du fond du litige statue sur la demande d’annulation des opérations d’expertise ;

Attendu que l’article 237 du code de procédure civile dispose que le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ;

Attendu qu’au soutien de sa demande en nullité du rapport d’expertise déposé le 8 octobre 2013 par M. B, expert désigné par le juge des référés du tribunal de grande instance de Bourges, M. X fait valoir que l’impartialité du technicien n’est pas assurée, dès lors qu’il est un associé de la société Grant Thornton, laquelle a cédé en 2006 deux cabinets d’experts-comptables à la COGEP, ce qui caractérise un lien d’intérêts entre lui et une partie ;

Attendu que M. X établit certes, par ses pièces n°23 et 24, que cette société Grant Thornton avait conclu en novembre 2006 avec la COGEP deux conventions en vertu desquelles elle s’engageait en contrepartie du versement d’une certaine somme à présenter la COGEP à la clientèle de deux cabinets d’expertise-comptable qu’elle exploitait, respectivement, à Gien et à Sully-sur-Loire ;

Et attendu que la qualité de M. B d’associé dans la société Grant Thornton est établie par la pièce n°25 de l’appelant, constituée d’un extrait du site internet de cette société;

Mais attendu que ce document ne comporte d’autre date que celle de sa date d’édition, le 14 septembre 2015, et en l’absence d’éléments complémentaires, il n’est pas possible de déterminer si M. B avait déjà cette qualité d’associé et de directeur national Expertise Conseil de Grant Thornton en 2006 lors de la cession de clientèles dont l’appelant tire argument, ni en 2011 lorsqu’il fut commis ;

Que la lecture des deux conventions de cession de clientèle ne révèle pas qu’il y ait personnellement participé ;

Que cette cession, intervenue à effet du 1er octobre 2006 avec paiement immédiat du prix et reprise immédiate des contrats de travail et du matériel, avait assurément fini de sortir ses effets lorsque M. B fut nommé en décembre 2011, cinq ans plus tard, et il n’est ni démontré, ni plausible, qu’elle ait par elle-même laissé subsister des liens entre les deux sociétés, étant observé d’une part, que la clause de non-concurrence stipulée dans chacun de ces actes était d’une durée de trois années, et d’autre part que l’intimée n’est pas réfutée lorsqu’elle écrit que Grant Thornton est une entreprise de très grande taille, comptant plus de 40.000 collaborateurs dans le monde, ce qui ne milite pas non plus en faveur de la persistance durable de relations entre la cédante et la cessionnaire une fois conclue cette opération ;

Attendu que c’est à titre personnel que M. B a réalisé sa mission d’expertise, et sa qualité d’associé de la société Grant Thornton n’est pas de nature à caractériser une situation de conflit d’intérêts ni une atteinte à l’exigence d’impartialité appréciée objectivement ;

Qu’enfin, la lecture du rapport déposé par M. B ne révèle pas de manquement à l’exigence d’impartialité appréciée subjectivement ;

Qu’ainsi, M. X ne justifie d’aucun élément de nature à faire peser un doute légitime sur l’impartialité de l’expert ;

Qu’il sera donc débouté de ses demandes d’annulation de l’expertise, remboursement des honoraires d’expertise et désignation d’un nouveau technicien ;

* sur la responsabilité de la société COGEP

Attendu que la rectification opérée par les services fiscaux tient à ce que M. X a vendu en n’acquittant de TVA que sur sa marge des véhicules automobiles d’occasion qu’il avait achetés en Belgique et en Allemagne auprès de sociétés de location assujetties à la TVA qui l’avaient déduite pour les besoins de leur activité et ne lui livraient pas les marchandises dans le cadre du régime particulier de la marge, de sorte qu’ayant réalisé une acquisition intra-communautaire taxable en France, il ne pouvait prétendre lui-même au régime de la taxation sur la marge mais était redevable de la TVA sur le montant intégral de la transaction, en application de l’article 256 bis-I du code général des impôts ;

Attendu que la responsabilité civile de l’expert-comptable à l’égard de son cocontractant s’apprécie au regard des limites de la mission que lui a confiée son client, et son devoir de conseil est apprécié en fonction de la nature et de l’étendue de sa mission (Cass. Civ. 1re 30/05/2013 P n°12-18515) ;

Qu’il est constant qu’aucune lettre de mission n’avait été établie entre les parties (cf annexe 5 au rapport d’expertise) ;

Attendu qu’au vu des prestations remises et des honoraires facturés, l’expert judiciaire conclut de façon argumentée et convaincante, sans être réfuté, que la société COGEP effectuait pour M. X une mission de présentation des comptes annuels dans le cadre de laquelle elle assurait également une mission de tenue de la comptabilité ou à tout le moins d’aide à l’établissement des comptes annuels, ainsi qu’une mission d’établissement des déclarations fiscales et sociales (cf pages17, 18, 19, 22 et 28 du rapport) ;

Or attendu que l’expert-comptable qui accepte d’établir une déclaration fiscale pour le compte d’un client doit, compte-tenu des informations qu’il détient sur la situation de ce client, s’assurer que cette déclaration est en tous points conforme aux exigences légales (Cass. Com. 06/02/2007 P n°06-10109) ;

Qu’ainsi que l’expert judiciaire le rappelle, la norme 3320 énonce que l’expert-comptable doit acquérir une connaissance globale de l’entreprise, de son évolution récente et de son environnement afin de pouvoir s’assurer que les comptes annuels donnent une information cohérente et vraisemblable sur la situation de l’entreprise ;

Qu’à ce titre, il doit, préalablement à l’acceptation de sa mission, prendre connaissance des spécificités comptables, fiscales et sociales de l’entreprise telles que l’induit son activité ;

Que tout au long de l’accomplissement de sa mission, il doit faire preuve d’esprit critique, afin de déceler et de révéler d’éventuelles anomalies (cf rapport page 17) ;

Et attendu qu’au vu du grand Livre des comptes généraux, du journal des écritures d’achat et du journal des écritures de ventes qui lui ont été présentés, ainsi que de courriers échangés par les parties, l’expert judiciaire a conclu, là aussi de façon convaincante et sans être démenti, que dans le cadre de sa mission d’aide à l’établissement des comptes annuels et d’établissement des déclarations fiscales et sociales, la COGEP était conduite à contrôler les bases d’imposition par rapport aux données comptables ainsi que la bonne application des textes, dont les régimes fiscaux en vigueur (cf rapport page 18) ;

Attendu que même si le choix du régime de TVA appartient à l’entrepreneur, ainsi que l’a rappelé M. B, il revenait à la COGEP de contrôler les bases d’imposition par rapport aux données comptables, notamment les factures de vente et les certificats fiscaux -dits 'quitus'- que lui remettait son client (cf rapport page 28) ;

Qu’il ne pouvait, ou n’aurait pas dû, lui échapper que M. X appliquait un régime de TVA inapproprié à ses opérations de vente de véhicules automobiles, en procédant comme s’ils avaient fait l’objet d’une taxation sur la marge dans leur pays d’origine alors qu’il résultait très visiblement de ses factures d’achat que ses propres vendeurs avaient mentionné le régime de TVA sous lequel ils entendaient placer leurs livraisons intra-communautaires, et qu’il ne s’agissait pas du régime particulier dit 'de la marge', de sorte qu’il était manifeste que la revente, en France, de ces véhicules par M. X aurait dû être soumise au régime de la TVA sur l’intégralité du prix et non sur sa propre marge (cf rapport page 10 et procédure fiscale) ;

Attendu que la COGEP, qui avait su attirer l’attention de son client sur certaines anomalies et s’en prévaut d’ailleurs pour démontrer qu’elle était soucieuse de remplir son devoir de conseil, aurait dû, en vertu de ce même devoir, alerter son client sur l’irrégularité de sa pratique et sur les risques de redressement qu’elle impliquait ;

Que l’expert judiciaire ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit que la 'COGEP aurait été particulièrement fondée à interroger son client sur les conditions d’obtention de ce certificat fiscal et à lui rappeler les différentes règles applicables en matière d’acquisitions intra communautaires de véhicules d’occasion’ (cf rapport page 20), avant de conclure que 'dans ce contexte, il aurait probablement été prudent , au regard du devoir d’information et de conseil de l’expert-comptable, que la société COGEP fasse état, de manière formelle, à son client, des spécificités particulières du régime de TVA applicable aux acquisitions intracommunautaires de véhicules d’occasion et des conditions requises pour pouvoir bénéficier du régime de TVA sur la marge’ (cf rapport page 29) ;

Attendu que pour ne pas avoir alerté son client sur l’inadéquation du régime de TVA qu’il pratiquait, la société COGEP a manqué au devoir de conseil auquel elle était tenue du fait de la nature et de l’étendue de sa mission, et elle a engagé sa responsabilité contractuelle ;

Attendu qu’ainsi qu’elle le fait subsidiairement valoir avec pertinence, le préjudice qui en est résulté pour M. X a la nature d’une perte de chance, en l’occurrence celle de n’avoir pas subi le redressement dont il a fait l’objet ;

Attendu qu’une telle perte de chance s’apprécie concrètement, en considérant les éléments de la cause ; Qu’à cet égard, il ressort de la procédure fiscale, et particulièrement de l’audition de l’intéressé à la brigade de contrôle et de recherches de Blois le 6 octobre 2009, que M. X, qui travaillait seul sans personnel ni véritable installation, et avait pris le parti de n’acheter des véhicules qu’hors de France, par lots auprès de professionnels qu’il ne connaissait pas, en les payant en liquide sur ses propres deniers sans recourir au service d’un établissement financier, en acquittant une TVA réduite sur sa seule marge, et sans jamais pratiquer de reprise auprès de ses propres acheteurs, auxquels il réclamait un chèque de banque, avait délibérément mis en place un mode de fonctionnement sans commune mesure avec celui de ses concurrents, qui lui permettait de proposer à la vente des automobiles à un prix qu’il a déclaré inférieur de 20% à ses concurrents ;

Que la rectification, accompagnée d’un dégrèvement consécutif de son impôt sur le revenu, a immédiatement eu pour effet de rendre son activité sensiblement déficitaire sur chacun des exercices concernés ;

Attendu que ces éléments persuadent que M. X avait délibérément choisi ce mode de fonctionnement artificiellement avantageux, et que la probabilité est très faible qu’il en ait changé si la COGEP lui avait conseillé d’acquitter la TVA sur l’entier prix de vente, ce qui ne lui aurait pas permis de maintenir son niveau de chiffre d’affaires et de résultats ;

Qu’ainsi, la chance perdue s’avère faible ;

Et attendu, s’agissant du préjudice qui est l’assiette d’évaluation de l’indemnité à allouer à M. X, que l’impôt ne constitue pas, en principe, un préjudice indemnisable, sauf lorsqu’il est établi que dûment informé par son conseil, le client contribuable n’aurait pas été exposé au paiement de l’impôt rappelé, ou aurait acquitté un impôt moindre, ou s’il a dû payer un surcroît d’impôt par la faute du professionnel ;

Attendu qu’en l’espèce, la TVA qui a fait l’objet d’un rappel constituait une taxe due, à laquelle M. X n’aurait pu se soustraire ;

Attendu que pour ce qui est des intérêts de retard, ils visent seulement à réparer le préjudice subi par le Trésor public et ne font que compenser l’avantage ayant consisté, pour M. X, dans le bénéfice de la trésorerie dont il n’aurait pas disposé s’il avait, en temps voulu, payé la TVA (cf Cass. Civ. 1re 15/02/2005 P n°03-12273) ;

Et attendu que s’agissant des majorations, les services fiscaux les ont infligées au taux de 40% sur le seul exercice 2009/2010 pour manquement délibéré du contribuable, après avoir retenu qu’à cette date à tout le moins, M. X ne pouvait nourrir le moindre doute sur le fait que les véhicules ne pouvaient ouvrir droit au régime de la TVA sur la marge pour l’acheteur français, dès lors qu’il se fournissait exclusivement auprès d’une société Fleet Service GE Capital qui mentionnait expressément sur ses factures 'véhicule d’occasion dont l’état est bien connu de l’acheteur, exportation exemptée de TVA en vertu de l’article 39§1 du code de TVA belge…';

Attendu qu’au vu de ces éléments, et des productions, le préjudice indemnisable pour cause de perte de chance sera évalué à 10.000 euros ;

Attendu que c’est donc au paiement de cette somme que seront condamnées in solidum la société COGEP et son assureur, la société Y -celle-ci dans les limites fixées par le plafond de garantie après application de la franchise contractuelle, qui est opposable aux tiers ;

Attendu que l’expertise ayant permis de mettre en lumière le manquement à son devoir de conseil commis par l’expert-comptable et ses conséquences, son coût sera supporté par la COGEP, qui succombe ; PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

MET hors de cause la S.A.S. COGEP Audit et DÉBOUTE en conséquence M. X de toutes les demandes qu’il dirige à son encontre

REJETTE la demande de M. X tendant à l’annulation de l’expertise judiciaire

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a dit que M. X avait qualité à agir

L’INFIRME pour le surplus,

et statuant à nouveau :

DIT que la société COGEP a manqué à son devoir de conseil en n’alertant pas M. X sur l’inadéquation du régime de TVA auquel il soumettait son activité de revente de véhicules d’occasion

CONDAMNE in solidum la société COGEP et la société Y -celle-ci dans les limites fixées par le plafond de garantie après application de la franchise contractuelle- à payer 10.000 euros à M. Z X à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice de perte de chance

DÉBOUTE les parties de leurs prétentions autres ou contraires

DÉBOUTE la société COGEP Audit de sa demande d’indemnité de procédure

CONDAMNE in solidum les sociétés COGEP et Y aux dépens de première instance -qui incluront les dépens de référé et le coût de l’expertise judiciaire- et aux dépens d’appel, ainsi qu’À PAYER 2.000 euros à M. X en application de l’article 700 du code de procédure civile

Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de chambre et Madame Marie-Hélène ROULLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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