Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 22 janvier 2020, n° 18/02305

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 3, 22 janv. 2020, n° 18/02305
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/02305
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Créteil, 3 décembre 2017, N° 15/00404
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRÊT DU 22 JANVIER 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/02305 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B45QZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Décembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL – RG n° 15/00404

APPELANTS

Monsieur A Y

né le […] à PARIS

[…]

[…]

Représenté par Me N-O P, avocat au barreau de PARIS, toque : D0409

Monsieur C Y

né le […] à PARIS

[…]

[…]

Représenté par Me N-O P, avocat au barreau de PARIS, toque : D0409

INTIMÉES

Madame X-G Y-H

née le […] à […]

[…]

[…]

Représentée par Me Guillaume BAI, avocat au barreau de PARIS, toque : G0109

SARL IDEERAMA CGE AFFAIRES TOUT POUR LA MAISON agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de CRETEIL sous le numéro 444 866 164

[…]

[…]

Représentée par Me I K, avocat au barreau de PARIS, toque : D0905

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 26 Novembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre

Madame Sandrine GIL, conseillère

Madame Elisabeth GOURY, conseillère

qui en ont délibéré,

un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame X-Gabrielle de La REYNERIE

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre et par Madame X-Gabrielle de La REYNERIE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié des 24 et 27 décembre 2002, M. D Y et ses deux fils, M. A Y et M. C Y ont donné à bail à la SARL IDEERAMA CGE AFFAIRES TOUT POUR LA MAISON (ci-après dénommée IDEERAMA) représentée par son gérant, M. E F Z, des locaux commerciaux sis […], […], […], composés d’un corps de bâtiment comprenant un magasin d’exposition et de vente sur trois niveaux, savoir :

— deux niveaux d’une superficie de 220 mètres carrés environ,

— un niveau d’une superficie de 220 mètres carrés environ à usage de réserve,

pour une durée de 9 années à compter du 1er janvier 2003 moyennant un loyer annuel total de 36.000,00 euros (taxes et charges incluses), soit la somme mensuelle de 3.000,00 euros.

Cette société exerce dans les lieux loués une activité de commerce de détail sous l’enseigne 'AFFAIRES – TOUT POUR LA MAISON'.

Les premières années de la signature du bail, l’exécution du bail s’est déroulée sans difficultés.

Un premier litige est survenu courant 2006, M. D Y ayant conclu avec la société SFR, opérateur de téléphonie mobile, un contrat de location d’emplacement prévoyant l’installation d’une antenne radiotéléphonique mobile (antenne-relais) sur le toit-terrasse des locaux donnés à bail à la société IDEERAMA, qui s’est plainte de ce que son accord préalable n’avait pas été recueilli et s’est opposée à cette installation ; ce litige a donné lieu à la signature d’un protocole d’accord le 1er janvier 2007, aux termes duquel M. D Y a consenti à la société IDEERAMA la remise d’un mois de loyer par an pendant toute la durée du contrat d’installation de l’antenne-relais SFR.

M. D Y est décédé le […], laissant pour héritiers MM. A Y et C Y, ses fils, ainsi que Mme X-G Y H, sa seconde épouse.

Par acte sous seing privé du 26 décembre 2012, le bail commercial a été renouvelé entre la société IDEERAMA, M. A Y, M. C Y et Mme X-G Y H, pour une durée de 9 ans à compter du 1er octobre 2012 jusqu’au 30 septembre 2021, pour un loyer annuel de 33.000,00 euros en principal, hors taxes et hors charges.

Courant juillet 2013, les consorts Y ont consenti à la société FREE l’installation d’une antenne-relais sur le toit-terrasse des locaux loués.

La société IDEERAMA, par lettre recommandée avec avis de réception envoyée le 22 juillet 2013, s’est opposée à l’installation de cette deuxième antenne en arguant d’un trouble de jouissance important, en raison des effets néfastes de ces antennes pour la santé et d’une dévalorisation de son fonds de commerce liée à cette installation. Elle a ensuite déposé une main courante le 14 octobre 2013, auprès des services de police de VILLENEUVE SAINT-GEORGES (94).

Les 17 et 18 octobre 2013, les consorts Y ont fait délivrer à leur locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire pour non-paiement de loyers, dont la locataire a contesté le bien-fondé par lettre recommandée avec avis de réception de son conseil du 28 octobre 2013, en mettant en demeure les consorts Y de fournir un décompte régularisé des loyers et charges et de procéder au retrait de la seconde antenne-relais. Aucun accord amiable n’étant intervenu, elle a saisi le tribunal de grande instance de Créteil.

Par jugement en date du 4 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Créteil a :

Vu les écritures des parties signifiées par RPVA le 26 décembre 2016 par la SARL IDEERAMA CGE AFFAIRES TOUT POUR LA MAISON, le 17 juin 2015 par Mme X-G Y H et le 30 octobre 2015 par MM. A Y et C Y,

DECLARE irrecevable pour tardiveté la communication par MM. A Y et C Y d’une pièce numérotée 13 et intitulée : 'Facture n° F00386 SARL SEM en date du 30 septembre 2016" ;

ECARTE ladite pièce des débats ;

DECLARE la société IDEERAMA CGE AFFAIRES TOUT POUR LA MAISON irrecevable à demander l’enlèvement de l’antenne-relais FREE et l’interdiction d’installation d’une antenne-relais ORANGE ;

DECLARE la société IDEERAMA CGE AFFAIRES TOUT POUR LA MAISON recevable pour le

surplus de ses demandes ;

PRONONCE la mise hors de cause de Mme X-G Y H ;

CONDAMNE solidairement M. A Y et M. C Y à payer à la SARL IDEERAMA CGE AFFAIRES TOUT POUR LA MAISON la somme de 10.000,00 euros à titre d’indemnité pour perte de jouissance consécutive à l’installation d’une deuxième antenne-relais;

CONDAMNE solidairement M. A Y et M. C Y aux entiers dépens ;

CONDAMNE solidairement M. A Y et M. C Y à payer à la SARL IDEERAMA CGE AFFAIRES TOUT POUR LA MAISON la somme de 2.500,00 euros, par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l’exécution provisoire ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration en date du 23 janvier 2018, MM. A Y et C Y ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 21 février 2018, MM. A Y et C Y, appelants, demandent à la cour de :

Vu l’article 31 du code de procédure civile,

Vu les articles 1134, 1147, 1719, 1723 et 1382 du code civil,

Rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,

De constater que les éléments produits ne justifient ni d’une violation des obligations contractuelles entre les parties, ni d’un trouble de jouissance avéré, et encore moins d’atteintes à la santé du locataire par les ondes radioélectriques des antennes relais,

De constater qu’à aucun moment la société IDEERAMA n’a fait annuler la pose des antennes, ni attrait à la procédure les opérateurs SFR, FREE, ORANGE,

De constater que les premiers juges ne fondent ni dans les faits, ni en droit un trouble de jouissance avéré, et encore moins d’atteintes à la santé du locataire par les ondes radioélectriques des antennes relais,

Infirmer en tous ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 4 décembre 2017, RG 15/00404,

Déclarer en conséquence la Société à responsabilité limitée IDEERAMA irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l’en débouter, en raison d’une absence de démonstration de troubles de jouissance économiques ou de santé ;

Condamner la Société à responsabilité limitée IDEERAMA à payer la somme de 20 000 euros au titre d’une procédure abusive et dilatoire,

Condamner la Société à responsabilité limitée IDEERAMA à payer la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la Société à responsabilité limitée IDEERAMA aux entiers dépens ;

Et dire que, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile, Maître N-O P pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l’avance sans en avoir reçu provision.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 octobre 2019, la SARL IDEERAMA CGE AFFAIRES TOUT POUR LA MAISON, intimée, demande à la cour de :

Vu les articles 1134, 1156 et suivants, 1147, 1719 et 1723 du Code civil,

Vu les pièces produites aux débats,

— dire et juger que MM. A Y et C Y ont manifestement manqué à leurs obligations de bailleur en autorisant l’installation d’une deuxième antenne-relais FREE, puis d’une troisième antenne-relais ORANGE et enfin d’une quatrième antenne-relais BOUYGUES sur le toit-terrasse des locaux loués,

— dire et juger que la société IDEERAMA a subi un trouble de jouissance lié, d’une part, au risque sanitaire, à la dépression nerveuse avec traitement médical, au suivi psychologique et au diabète dont fait l’objet Mme Z et enfin à l’accès aux lieux loués et l’encombrement du parking et d’autre part, à la perte de chiffre d’affaires et à la dévalorisation de son fonds de commerce,

Par conséquent,

— débouter MM. A Y, C Y de leur appel et de l’ensemble de leurs demandes, moyens, fins et conclusions,

— confirmer le jugement rendu le 4 décembre 2017 par le Tribunal de grande instance de Créteil en toutes ses dispositions sauf d’une part en ce qu’il a déclaré irrecevable la société IDEERAMA en sa demande sous astreinte de suppression des antennes-relais FREE et ORANGE et, d’autre part, en ce qu’il a limité à 10.000 € le préjudice résultant du risque sanitaire, de la dépression nerveuse avec un traitement médical, du suivi psychologique et du diabète dont fait l’objet Mme Z et enfin de l’accès aux lieux loués,

Et statuant à nouveau,

— condamner solidairement MM. A Y et C Y, sous astreinte de 200 € par jour de retard dans un délai de 30 jours suivants la signification de l’arrêt à intervenir, à faire supprimer la deuxième antenne-relais FREE, la troisième antenne-relais ORANGE et la quatrième antenne-relais BOUYGUES installées de manière illicite sur le toit-terrasse des locaux loués,

— condamner solidairement MM. A Y et C Y à la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au trouble de jouissance résultant du risque sanitaire, de la dépression nerveuse avec traitement médical, du suivi psychologique et du diabète dont fait l’objet Mme Z et enfin de l’accès aux lieux loués,

— compte tenu de la perte de chiffre d’affaires et de la dévalorisation du fonds de commerce :

o dire et juger que le montant du loyer des locaux en principal est réduit à hauteur de 20 % et ce à compter du 15 octobre 2013 et ce jusqu’à la suppression définitive de la deuxième antenne-relais FREE, de la troisième antenne-relais ORANGE et de la quatrième antenne-relais BOUYGUES installées de manière illicite sur le toit-terrasse des locaux loués,

o A titre subsidiaire si par impossible le loyer ne devait pas être réduit, condamner solidairement et en toute hypothèse MM. A Y et C Y au paiement d’une somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chiffre d’affaires et de la dévalorisation du fonds de commerce de la société IDEERAMA,

— condamner in solidum MM. A Y et C Y au paiement de la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

— les condamner in solidum aux entiers dépens et autoriser Maître I J K à les recouvrer, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 31 octobre 2019, Mme X-G Y H, intimée, demande à la cour de :

— Voir constater qu’il n’est formé aucune demande à l’encontre de Mme X-G Y H,

En conséquence,

— Confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de CRETEIL du 4 décembre 2017 en ce qu’il a prononcé la mise hors de cause de Mme X-G Y H,

— Condamner in solidum MM. A et C Y à payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile au profit de Mme X-G Y H, outre les dépens d’appel.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 7 novembre 2019.

La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre préliminaire, il sera rappelé que les demandes tendant à voir dire, juger et constater ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 454 du code de procédure civile de sorte qu’il n’y a pas lieu d’en faire mention dans le dispositif.

Sur la mise hors de cause de Mme X-G Y H :

Les appelants sollicitent l’infirmation du jugement entrepris sans pour autant former de demande à l’encontre de Mme X-G Y H mise hors de cause par ledit jugement.

La société IDEERAMA ne formule en cause d’appel aucune demande à l’encontre de cette dernière.

Dès lors, la cour n’étant saisie d’aucune demande à l’encontre de Mme X-G Y H, il n’y a pas lieu de statuer sur ce point en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, le jugement étant confirmé sur la mise hors de cause de cette dernière.

Sur la recevabilité de la demande de suppression des antennes-relais :

La société IDEERAMA sollicite la condamnation de MM. A et C Y à supprimer, sous astreinte, les antennes-relais installées par les sociétés FREE, ORANGE et BOUYGUES sur le toit terrasse des lieux loués. Elle reproche au premier juge d’avoir fait droit au moyen d’irrecevabilité opposé par les bailleurs en retenant l’absence de recours administratif à l’encontre des décisions

autorisant l’installation des antennes-relais en cause et l’absence de mise en cause des sociétés FREE et ORANGE dans le cadre d’une action en intervention forcée. Elle fait valoir en effet que sa demande est fondée non sur la violation des règles de l’urbanisme mais sur la violation par le bailleur des dispositions des articles 1719 3° et 1723 du code civil et qu’à ce titre, il ne peut lui être reproché d’agir contre son seul cocontractant.

Il est constant que la suppression des antennes relais sollicitée est de nature à porter atteinte aux droits de tiers non appelés en la cause alors même que leur installation a été régulièrement autorisée et que la société IDEERAMA n’a exercé aucun recours devant les autorités administratives compétentes. Pour autant, la société locataire est recevable à agir contre son bailleur pour obtenir la remise en l’état antérieur de ses locaux dès lors qu’elle se prévaut de la violation par celui-ci de ses obligations nées du bail, ladite action relevant de la compétence du juge judiciaire. Le moyen tiré de l’irrecevabilité de cette demande sera en conséquence écarté et le jugement infirmé de ce chef.

Sur le bien fondé des demandes de la société IDEERAMA :

La société IDEERAMA fait valoir que le bail recouvre l’ensemble de l’immeuble et que le bailleur ne pouvait sans violer les dispositions des articles 1719-3° et 1723 du code civil autoriser l’installation d’antennes relais sur le toit sans son consentement préalable. Elle ajoute que le bailleur ne peut se prévaloir d’aucune clause dérogatoire à l’article 1723 du code civil pour l’installation d’une antenne relais et que la violation des dispositions de l’article 1723 du code civil par le bailleur ne requiert pas pour être sanctionnée la démonstration d’une faute ni même d’un trouble de jouissance. En tout état de cause, elle invoque un trouble de jouissance évident et un préjudice constitué par le risque sanitaire consécutif à la diffusion de fortes ondes radioélectriques à l’origine d’une dépression nerveuse pour Mme Z et d’un diabète, par les plaintes de clients et riverains, par le passage dans ses locaux d’agents de la société FREE, par l’encombrement de son parking par les véhicules des techniciens intervenants sur le chantier et par la dépréciation de son fonds de commerce.

Les appelants font valoir que le bail consenti à la société IDEERAMA ne vise pas les extérieurs et le toit qui n’est pas une terrasse de libre accès ; que la société locataire bénéficie, depuis 2007, de la gratuité d’un mois de loyer par an pendant la durée du contrat conclu avec la société SFR sans qu’elle ne se soit plainte d’une quelconque atteinte à sa santé ; que le bail renouvelé le 26 décembre 2012 ne prévoit aucune restriction à la pose de nouvelles antennes relais ; qu’ils bénéficient dès lors d’une liberté totale dans l’exploitation du toit ; que la société IDEERAMA ne justifie par ailleurs d’aucun préjudice.

Aux termes de l’article 1723 du code civil, le bailleur ne peut, pendant la durée du bail, changer la forme de la chose louée. Cette prohibition qui concerne à la fois la chose principale mais également les dépendances et accessoires, est liée à l’obligation plus générale résultant de l’article 1719 3° du même code imposant au bailleur d’assurer au preneur la jouissance paisible des lieux loués.

En l’espèce, le bail énonce s’agissant de la désignation des lieux loués qu’ils sont constitués 'd’un corps de bâtiment comprenant :

un magasin d’exposition et de vente sur trois niveaux, savoir,

— deux niveaux d’une superficie de 220 mètres carrés environ,

— un niveau d’une superficie de 220 mètres carrés environ à usage de réserve,

tel que ledit immeuble existe, s’étend et se poursuit, avec toutes ses aisances, circonstances et dépendances, sans aucune exception ni réserve', le preneur reconnaissant par ailleurs 'avoir été informé de la présence de trois panneaux publicitaires sur l’immeuble dont le bailleur se réserve la présence pour son compte personnel avec droit d’accès pour lui-même ou les titulaires des droits

auxdits panneaux'.

Le bail renouvelé conclu le 26 septembre 2012 renvoie à cette désignation des lieux loués et rappelle en préambule le protocole d’accord conclu le 1er janvier 2007 consentant à la société IDEERAMA une gratuité d’un mois en raison de la pose d’un relais pour téléphonie mobile sur le toit du bien loué et l’article 8 du bail relatif au loyer reprend ledit accord.

Le bail renouvelé stipule par ailleurs que le preneur accepte 'de supporter, par dérogation à l’article 1723 du code civil, que le bailleur apporte toutes les modifications qu’il jugera nécessaires, tant à l’aspect extérieur qu’à l’aspect intérieur de l’immeuble, soit par de nouvelles constructions ou additions de constructions, soit par des démolitions de bâtiments, soit par l’édification de bâtiments dans les cours et jardins, soit par la couverture des cours et jardins ou de toute autre manière'.

Il résulte de l’analyse combinée de la désignation du bail visant l’intégralité du bâtiment et du protocole d’accord du 1er janvier 2007 repris dans le bail que le toit terrasse est inclus dans le périmètre du bail.

Il est constant que la clause par laquelle le preneur accepte que le bailleur apporte à la chose louée les modifications qu’il juge nécessaires est d’interprétation stricte eu égard à son caractère dérogatoire. Si son champ d’application doit s’entendre de travaux de construction ou de démolition et ne peut être étendu à l’installation d’une ou plusieurs antennes relais, la modification intervenue ne constitue cependant pas une modification substantielle du bail dès lors qu’il se déduit du protocole du 1er janvier 2007 que la société IDEERAMA en a accepté le principe moyennant indemnisation.

Au regard de ce qui précède, la société IDEERAMA sera déboutée de sa demande de suppression des antennes-relais installées par les sociétés FREE, ORANGE et BOUYGUES.

La société IDEERAMA sollicite par ailleurs, sur le fondement de l’article 1719 3 ° du code civil, l’indemnisation du préjudice découlant de l’installation de trois antennes relais supplémentaires.

Elle invoque, au titre du risque sanitaire, le sentiment d’angoisse développé par Mme Z, épouse du gérant, à l’origine d’une dépression nerveuse pour laquelle elle est suivie depuis le 15 novembre 2013 et l’apparition d’un diabète ayant rendu nécessaire son hospitalisation. Elle se réfère à un article écrit par les médecins de l’association santé environnement France faisant état de l’apparition de symptômes tels que des troubles du sommeil, difficultés de concentration, acouphènes ressentis par des riverains d’antennes relais et produit aux débats deux certificats médicaux, l’un du docteur L-M daté du 3 juillet 2015, l’autre du docteur B daté du 7 mai 2018 établissant que Mme Z est suivie au centre d’accueil psychanalytique pour adultes d’Orly depuis le 15 novembre 2013, c’est-à-dire à une date proche de l’installation de la deuxième antenne relai.

L’article auquel se réfère la société IDEERAMA s’intitule :'antennes relais : le point de vue des médecins de l’ASEF’ et ne constitue pas une véritable étude scientifique, ses auteurs reconnaissant que l’enquête sur laquelle ils se fondent est 'sans prétention scientifique’ comme reposant sur des questionnaires de santé remplis par des locataires d’appartement situés à proximité d’antennes relais. Le simple fait qu’il existe une controverse scientifique sur l’impact des antennes relais n’est pas de nature à rendre probable ou sérieux le risque sanitaire allégué par la société IDEERAMA lequel en l’état n’est qu’hypothétique.

Il sera dès lors retenu que le lien de causalité entre les problèmes de santé de l’épouse du gérant et l’installation des antennes en cause n’est pas établi, étant d’ailleurs observé que Mme Z est exposée aux ondes électromagnétiques depuis 2006 en suite de l’installation d’une première antenne relais sans qu’elle n’allègue de problèmes de santé pendant plusieurs années. La société IDEERAMA ne saurait dès lors prétendre à indemnisation de ce chef.

Il résulte en revanche des pièces produites que l’entretien de ces antennes est générateur de troubles de jouissance pour la société IDEERAMA. Les courriers échangés avec le bailleur en décembre 2016 relativement à l’exécution de travaux destinés à assurer l’étanchéité de l’antenne FREE démontrent qu’à l’origine l’entretien de cette antenne nécessitait de pénétrer dans les lieux loués, le courrier de la société FREE du 12 septembre 2017 confirmant que l’accès au site se fait uniquement par l’extérieur et non par le magasin étant seulement de nature à établir que la procédure d’accès a été modifiée en suite des contestations de la société IDEERAMA, ce que tend également à établir le courrier de la société SFR du 22 septembre 2017 indiquant avoir bien pris en compte la nouvelle procédure d’accès.

Si la procédure d’accès a été effectivement modifiée, l’entretien des antennes est néanmoins à l’origine de perturbations pour la société IDEERAMA relativement à l’utilisation de son parking dont il est constant qu’il est inclus dans le périmètre du bail. La société locataire établit en effet qu’il a été notamment procédé à une intervention sur l’antenne de la société ORANGE avec une nacelle garée sur son parking le 19 avril 2017 ; qu’elle a dû contraindre un technicien intervenant sur l’antenne de la société ORANGE à déplacer son véhicule compte tenu du peu de places disponibles sur le parking le 29 août 2017 puis le 22 novembre 2017 ; que le mandataire du bailleur reconnaît aux termes d’une attestation de 29 août 2017 l’existence de problèmes récurrents de stationnement sur ce parking au cours de l’été 2017 du fait de la présence des antennes FREE et ORANGE ainsi que l’existence de négligence de ces techniciens concernant la sécurité des locaux, faute de fermer le cadenas donnant accès à la terrasse.

La société IDEERAMA n’établit pas en revanche que l’installation des antennes en cause est à l’origine d’une baisse de son chiffre d’affaires. Les bilans simplifiés produits établissent seulement un tassement du chiffre d’affaires de la société IDEERAMA en 2015, la baisse significative n’intervenant qu’à compter de l’exercice 2016 alors même qu’il existe une antenne relais depuis 2006, que l’antenne FREE a été installée en novembre 2013, l’antenne ORANGE en 2015 et l’antenne BOUYGUES en 2018. Il n’est dès lors pas possible de rattacher la baisse du chiffre d’affaires aux antennes en cause.

La société IDEERAMA n’établit pas davantage la perte de valorisation de son fonds de commerce, s’abstenant de produire le moindre document au soutien cette prétention.

En définitive, au seul vu du trouble de jouissance subi du fait de l’intervention de prestataires pour l’entretien des antennes, il convient de condamner MM. A et C Y à payer à la société IDEERAMA la somme de 8.000 euros en réparation du préjudice subi et de débouter la société IDEERAMA du surplus de ses demandes d’indemnisation.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive :

L’exercice de l’action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages-intérêts que dans le cas de malice, mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

Compte tenu de la solution du litige, MM. A et C Y seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires :

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens et à payer à l’autre partie une somme que le juge détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

MM. A et C Y qui succombent supporteront les dépens de première instance et d’appel et l’indemnité de procédure allouée en première instance sera confirmée.

Il est de plus équitable de contraindre MM. A et C Y à participer in solidum en cause d’appel à hauteur de 2.000 euros aux frais irrépétibles exposés par la société IDEERAMA en la présente instance.

Il n’est pas en revanche inéquitable de laisser à la charge de Mme X-G Y H les frais irrépétibles qu’elle a exposés en la présente instance.

Il convient enfin d’autoriser la distraction des dépens au profit des avocats postulants qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :

— déclaré la société IDEERAMA irrecevable à demander l’enlèvement de l’antenne relais FREE et l’interdiction d’installer une antenne relais ORANGE,

— condamné solidairement MM. A et C Y à payer à la société IDEERAMA la somme de 10.000 euros à titre d’indemnité pour perte de jouissance consécutive à l’installation d’une deuxième antenne relais,

Infirmant de ce chef et statuant à nouveau,

— déclare la société IDEERAMA recevable à solliciter la suppression des antennes relais FREE, ORANGE et BOUYGUES,

— déboute la société IDEERAMA de sa demande de suppression des antennes relais FREE, ORANGE et BOUYGUES,

— condamne solidairement MM. A et C Y à payer à la société IDEERAMA la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du trouble de jouissance subi,

— déboute la société IDEERAMA du surplus de sa demande d’indemnisation,

Y ajoutant,

— rejette la demande de dommages-intérêts formée par MM. A et C Y,

— condamne in solidum MM. A et C Y à payer à la société IDEERAMA la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

— déboute Mme X-G Y de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

— condamne in solidum MM. A et C Y aux dépens d’appel,

— autorise la distraction des dépens au profit des avocats postulants qui en ont fait la demande en application de l’article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 22 janvier 2020, n° 18/02305