Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 23 février 2024, n° 22/01353

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Rouen, ch. soc., 23 févr. 2024, n° 22/01353
Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Numéro(s) : 22/01353
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal judiciaire d'Évreux, 6 avril 2022, N° 20/00291
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 1 mars 2024
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Texte intégral

N° RG 22/01353 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JB4Q

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 23 FEVRIER 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

20/00291

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ D’EVREUX du 07 Avril 2022

APPELANTE :

CPAM DE [Localité 5]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me François LEGENDRE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Madame [I] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne

assistée de Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Nathalie VALLEE, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 16 Janvier 2024 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé d’instruire l’affaire.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 16 janvier 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 23 février 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 23 Février 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

* * *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [I] [E] (l’assurée), salariée de l’association [4] ([4]), a adressé à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 5] (la caisse) le 29 septembre 2017 une déclaration de maladie professionnelle accompagnée d’un certificat médical initial du 28 octobre 2017 mentionnant un syndrome anxio – dépressif.

Par décision du 8 janvier 2018, la caisse a notifié à l’assurée son refus de prise en charge de la maladie au motif que le taux d’incapacité permanente partielle prévisible était inférieur à 25%.

Cette décision a été confirmée par la commission de recours amiable (CRA) par décision du 27 avril 2018.

L’assurée a alors saisi le Pôle social du tribunal de grande instance de Rouen qui, par jugement 21 mars 2019 a renvoyé le dossier devant le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de Rouen [Localité 6] au motif que le taux d’IPP pourrait atteindre au moins 25%.

Par avis du 18 décembre 2019, le CRRMP a émis un avis défavorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée.

La caisse a notifié le 27 décembre 2019 à l’assurée un refus de prise en charge qui a été confirmé par la CRA le 29 avril 2020.

L’assurée a contesté ce refus en saisissant le Pôle social du tribunal judiciaire d’Evreux.

Par jugement avant dire droit du 11 février 2021, la juridiction a procédé à la désignation d’un second CRRMP.

Le CRRMP du [Localité 3] désigné, a rendu le 24 septembre 2021 un avis défavorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée.

Par jugement du 7 avril 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire d’Evreux a :

— infirmé la décision de refus de prise en charge rendue par la caisse le 27 décembre 2019,

— retenu le caractère professionnel de la pathologie déclarée par Mme [E] le 29 septembre 2017,

— invité la caisse à prendre en charge au titre des maladies professionnelles la pathologie déclarée par Mme [E] du chef d’un syndrome anxio-dépressif,

— condamné la caisse aux dépens de l’instance.

La décision a été notifiée à la caisse le 8 avril 2022 qui en a relevé appel le 21 avril suivant.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions remises le 11 janvier 2023, soutenues oralement à l’audience, la caisse demande à la cour de :

— infirmer le jugement entrepris,

— confirmer la décision de la caisse valant refus de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par Mme [E] le 29 septembre 2017 au titre d’un syndrome anxio-dépressif,

— en conséquence, débouter Mme [E] de son recours et la condamner aux entiers dépens.

La caisse indique que l’assurée dénonce un état pathologique dont elle souffre depuis longtemps, ce qui ne correspond pas aux critères caractérisant un fait accidentel survenu soudainement et brutalement aux temps et lieu du travail.

Elle considère que les faits dénoncés par la salariée ne correspondent pas aux constatations recueillies dans le cadre de l’enquête diligentée en ce que sa charge de travail n’excédait pas 35 heures, qu’elle disposait d’une autonomie de gestion de son temps de travail en fonction de son activité, qu’elle n’était pas confrontée à de l’agressivité, que l’employeur relate des attaques directes de la salariée envers la nouvelle présidente de l’association dont elle contestait les prérogatives et les décisions ; qu’interpellés, le médecin du travail et l’inspection du travail ont rencontré la présidente et les salariés sans donner de suite.

Ainsi, la caisse considère que les éléments objectifs du dossier n’établissent nullement une dégradation des conditions de travail de Mme [E].

Elle précise enfin qu’en raison de la procédure de sauvegarde ouverte à l’encontre de l’association, Mme [E] a fait l’objet d’un licenciement pour motif économique.

Par conclusions remises le 15 janvier 2024, soutenues oralement à l’audience, Mme [E] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de condamner la caisse à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens.

L’assurée expose avoir été embauchée au sein de l’association [4] depuis avril 2012. Elle affirme que l’arrivée d’une nouvelle présidente au sein de la structure à compter de la deuxième moitié de l’année 2016 a entraîné la dégradation de ses conditions de travail et a eu un impact sur sa santé. Elle soutient avoir été victime de harcèlement qui s’est matérialisé par le règlement tardif du salaire et par le prononcé à son encontre d’une mise à pied disciplinaire de 4 jours qu’elle a contestée. Elle précise avoir sollicité l’intervention de l’inspection du travail, avoir été placée en arrêt de travail à compter du 29 septembre 2017 et indique bénéficier d’une pension d’invalidité depuis le 19 mai 2020.

Elle expose que par arrêt en date du 20 octobre 2022, la chambre sociale de la cour d’appel de Rouen a condamné son ancien employeur à lui verser des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

L’intimée considère qu’en cause d’appel la caisse se fonde exclusivement sur les éléments communiqués par l’employeur alors que les faits de harcèlement ont été repris et synthétisés dans le cadre de l’enquête diligentée et qu’un harcèlement moral a été reconnu par la cour d’appel.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le caractère professionnel de la maladie déclarée le 29 septembre 2017

Aux termes de l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Peut également être reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

Il résulte des dispositions des articles L 461-1 et R 142-24-2 du code de la sécurité sociale que la caisse peut reconnaître l’origine professionnelle d’une maladie hors tableau, lorsque le taux d’IPP prévisionnel est supérieur ou égal à 25 %, après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et, qu’en cas de contestation, la juridiction saisie doit solliciter l’avis d’un autre comité. Les avis de ces comités ne s’imposent pas à la juridiction, de sorte qu’il n’y a pas lieu de désigner un troisième comité, même en cas d’avis divergents.

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que Mme [E] était employée à un poste de coordinatrice/ chargée de projet au sein de l’association [4] depuis le 15 octobre 2013, date de la signature d’un contrat de travail à durée indéterminée à la suite d’un contrat aidé à durée déterminée signé en avril 2012. Dans le cadre de ses fonctions elle assurait l’encadrement d’une équipe technique.

Elle expose que depuis l’arrivée de la nouvelle présidente de l’association, elle a été mise à l’écart, qu’elle a fait l’objet de reproches et de dénigrements, qu’elle ne participait plus aux conseils d’administration de l’association.

Elle a exposé ces faits dans le cadre de l’enquête diligentée par la caisse et produit des attestations d’anciennes salariées ou de membres du conseil d’administration de l’association confirmant ses allégations.

Au sein de l’arrêt du 20 octobre 2022 rendu par la chambre sociale de la cour d’appel de Rouen, les magistrats ont retenu que la salariée avait été victime de harcèlement moral de la part de son employeur.

Les magistrats ont considéré qu’il ne relevait pas des éléments produits que la salariée avait été mise à l’écart des réunions du conseil d’administration ou qu’elle ait été privée d’une partie de certaines prérogatives revendiquées. Ils ont également fait état d’un comportement vindicatif et parfois inapproprié de celle-ci envers la présidente de l’association.

Cependant, ils ont retenu que la salariée avait été, en 2016/2017, privée de la fonction d’encadrement de son équipe et de l’activité médiation dont elle avait la charge. Il est également constaté qu’elle a été destinataire de plusieurs courriers recommandés adressés à son domicile ainsi que d’une convocation à un entretien préalable à un licenciement économique le 7 août 2017 sans qu’il ne soit donné aucune suite à la procédure.

La cour d’appel a en outre constaté que la salariée, en arrêt de travail à compter du 19 mai 2017, justifiait d’un état dépressif durable ayant nécessité un suivi psychiatrique.

L’ensemble de ces éléments fait ressortir, comme constaté par les premiers juges une dégradation des conditions de travail de la salariée avec une chronologie concordante entre l’évolution de la situation de travail et la dégradation de l’état de santé.

Il n’est pas établi que la salariée présentait des antécédents médicaux de troubles dépressifs et il ne ressort pas de l’enquête diligentée d’élément extérieur au travail qui aurait pu expliquer la dégradation de son état de santé au cours de cette période.

Par avis du 18 décembre 2019, le CRRMP de [Localité 6] a indiqué 'le comité constate que l’analyse du récit de Mme [E] permettrait de mettre en évidence un vécu de dégradation des conditions de travail avec une chronologie concordante entre l’évolution de sa situation de travail et la dégradation de son état de santé à partir de 2015. Cependant, le comité manque de pièces objectives pour retenir un lien direct entre la pathologie déclarée et l’activité professionnelle'.

Par avis du 24 septembre 2021, le CRRMP du [Localité 3] a émis un avis défavorable au regard des éléments médico-administratifs présents au dossier.

La cour relève que ces deux avis ont été rendus avant l’arrêt de la cour d’appel de Rouen qui a retenu l’existence d’un harcèlement moral, sur la période considérée, de la part de l’employeur à l’encontre de la salariée.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu, par confirmation du jugement entrepris, de retenir l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie et les conditions de travail.

Le jugement entrepris est en conséquence confirmé.

2/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

La caisse qui succombe en son appel est condamnée aux dépens. Il serait inéquitable de laisser à la charge de l’assurée l’intégralité de ses frais non compris dans les dépens. La caisse est condamnée à lui payer une somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par décision contradictoire et en dernier ressort ;

Confirme le jugement du tribunal judiciaire d’Evreux du 7 avril 2022 ;

Y ajoutant :

Condamne la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 5] à payer à Mme [I] [E] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 5] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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