Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 19 mai 2021, n° 18/04589

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 15e ch., 19 mai 2021, n° 18/04589
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 18/04589
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Nanterre, 24 septembre 2018, N° 16/02775
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 MAI 2021

N° RG 18/04589

N° Portalis DBV3-V-B7C-SYD7

AFFAIRE :

D X

C/

SASU CONFORMAT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Septembre 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Nanterre

N° Section : Encadrement

N° RG : 16/02775

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

- Me Barbara VRILLAC

- Me Charles COLOMBO

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF MAI DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant fixé au 12 mai 2021 puis prorogé au 19 mai 2021 , les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Monsieur D X

né le […] à […]

[…]

[…]

Comparant, assisté par Me Barbara VRILLAC, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de SENLIS, vestiaire : 160

APPELANT

****************

SASU CONFORMAT

N° SIRET : 331 66 3 1 95

[…]

[…]

Représentée par Me Charles COLOMBO, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0265

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 mars 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Perrine ROBERT, Vice-président placé chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,

Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,

FAITS ET PROCÉDURE,

Monsieur D X a été embauché par la société Conformat par contrat de travail à durée indéterminée du 24 août 2009, en qualité de Responsable Qualité Recherche et Développement niveau VI pour un salaire mensuel brut de 3 167 euros.

La convention collective applicable à la relation de travail était celle du commerce de gros. La société emploie habituellement plus de 11 salariés.

Monsieur X a été placé en arrêt de travail à compter du 25 septembre 2014, en raison d’un

syndrome dépressif.

Par courrier du 29 septembre 2014 et par l’intermédiaire de son conseil, Monsieur X a dénoncé à la société des faits de harcèlement à son encontre de la part de ses supérieurs hiérarchiques la mettant en demeure d’y mettre un terme.

La société n’a pas donné suite à ce courrier.

A la suite de deux visites de reprises, le médecin du travail a, le 9 février 2016, déclaré Monsieur X inapte à tout poste dans l’entreprise en précisant que le salarié pouvait effectuer un travail similaire en télétravail dans une autre société du groupe.

Le 2 mars 2016, la caisse primaire d’assurance maladie a informé Monsieur X que le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRMPP) avait reconnu sa maladie comme étant d’origine professionnelle et qu’elle prenait en conséquence en charge sa maladie au titre de la législation relative aux risques professionnels.

La société Conformat a contesté cette décision auprès de la commission de recours amiable le 28 avril 2016 puis auprès du Tribunal des affaires de sécurité sociale des Yvelines le 14 octobre 2016.

Entretemps, par courrier du 28 juin 2016, la société Conformat a informé Monsieur X qu’elle était dans l’impossibilité de le reclasser au sein des entreprises du groupe.

Par courrier du 11 juillet 2016, elle l’a convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé au 22 juillet 2016.

Par courrier 29 juillet 2016, elle lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Monsieur X a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre par requête du 13 septembre 2016, afin de contester la validité de son licenciement et se voir allouer diverses sommes.

Par jugement du 25 septembre 2018, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :

— dit et jugé que le licenciement de Monsieur X était maintenu ;

— condamné Monsieur X à payer à la société Conformat la somme de 50 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

— laissé les dépens éventuels à la charge de chacune des parties pour ce qui les concerne.

Par déclaration du 5 novembre 2018, Monsieur X a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions signifiées le 9 novembre 2020, il demande à la cour de :

— infirmer la décision rendue le 25 septembre 2018 par le conseil de prud’hommes de Nanterre en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :

— dire et juger son licenciement nul ou, à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

A titre principal,

— condamner la société Conformat à lui payer la somme de 53 520 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

— condamner la Société à lui verser la somme de 35 680 euros, à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat ;

A titre subsidiaire,

— condamner la société Conformat à lui payer la somme de 53 520 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour violation de l’article L. 1226-10 du Code du travail ;

En tout état de cause,

— condamner la société Conformat à lui payer les sommes suivantes :

—  26 760 euros, à titre de dommages et intérêts pour discrimination en raison de son origine ;

—  4 460 euros à titre de rappel d’indemnité de préavis ;

— condamner la société Conformat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— dire que l’ensemble de ces condamnations portera intérêts au taux légal, à compter de la saisine du conseil de céans pour les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé de la décision pour les dommages-intérêts ;

— condamner la société Conformat aux entiers dépens dont les éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir.

Par dernières conclusions signifiées le 9 février 2021, la société Conformat demande à la cour de :

— écarter des débats l’attestation de Monsieur F,

— débouter Monsieur X de toutes ses demandes ;

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 25 septembre 2018 ;

Et y ajoutant,

— condamner Monsieur X à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— condamner Monsieur X aux entiers dépens en ce compris les éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 février 2021.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des demandes et des moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la demande de la société Conformat de rejet de la pièce n°9 communiquée par Monsieur X

La société demande à ce que soit écartée des débats l’attestation de Monsieur N F produite en pièce n°9 par Monsieur X au motif que ce salarié s’est engagé auprès d’elle à ne pas attester contre elle dans le cadre d’une procédure judiciaire.

Monsieur X soutient que Monsieur F pouvait établir une attestation en sa faveur en vue de sa production en justice nonobstant la convention de rupture conclue entre celui-ci et la société, que la stipulation lui interdisant de faire une telle attestation équivaut à une clause de renonciation qui doit être réputée non-écrite.

La société Conformat et Monsieur F ont conclu le 19 février 2015 une convention de rupture conventionnelle du contrat de travail de celui-ci, convention qui en son article 5 prévoit notamment : ' (…) Monsieur F renonce irrévocablement à établir toute attestation, ou apporter tout témoignage, autre que ceux qui seraient exigés de lui par une autorité judiciaire, portant sur des faits et/ou actes dont il aurait pu avoir connaissance à l’occasion ou du fait des fonctions exercées au sein de la société Conformat. De même, il s’interdit d’intervenir directement ou indirectement dans toute procédure mettant directement ou indirectement la société Conformat en cause'.

Néanmoins, cette convention qui n’a d’effet qu’entre les parties ne peut être opposée à Monsieur X, tiers au contrat.

Dès lors, la société Conformat sera déboutée de sa demande de rejet de pièces.

2- Sur le licenciement

Monsieur X soutient que le licenciement pour inaptitude dont il a fait l’objet est la conséquence du harcèlement moral subi. Il demande en conséquence qu’il soit déclaré nul.

La société Conformat conteste les faits de harcèlement moral qui lui sont imputés et estime qu’il n’est pas établi de L entre la dégradation de l’état de santé du salarié et ses conditions de travail.

En application de l’article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-2 est nulle. Il en résulte que lorsque l’inaptitude du salarié est la conséquence directe d’agissements de harcèlement moral, l’employeur ne peut s’en prévaloir pour rompre le contrat de travail et le licenciement prononcé dans ces conditions est nul.

Il résulte par ailleurs de l’article L. 1152-1 du code du travail, qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction applicable aux faits antérieurs au 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis,

pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Al’appui du harcèlement moral qu’il dénonce, Monsieur X invoque :

— des pressions de la part de la Direction,

— une surcharge de travail,

— la suppression de son poste de l’organigramme,

— sa dévalorisation par des remarques déplacées,

— son éviction du projet Kaliwipe,

— son départ de l’entreprise évoqué par l’employeur en 2014,

— des difficultés de règlement de ses notes de frais,

— des convocations répétées par ses supérieurs hiérarchiques à des entretiens.

S’agissant de la dévalorisation du salarié, celui-ci produit une attestation d’un de ses collègues de travail, Monsieur O F du 5 mai 2015 qui explique les faits suivants :

'(…) J’ai été le témoin de plusieurs comportements déplacés de la part de la direction : le 27 octobre 2014, lors du séminaire de fin d’année, l’après midi pendant le point sur les ventes, un des commerciaux, G C, a demandé ce qu’il en était de la situation de M. X et de son travail. M. Y a répondu : 'D est toujours en arrêt maladie, c’est moi qui traite vos demandes spécifiques, mais il a toujours son ordinateur portable donc je n’ai pas accès à toutes les informations'. M. C a alors répondu : 'Pourvu qu’il ne parte pas au bled avec son PC sous le bras !'

Le 6 août 2014, lors d’un pot de départ organisé pour le départ de notre stagiaire Emel, M. X lui a fait une blague devant Mme Z déclenchant la réplique suivante : 'Mais vous ne pouvez pas la fermer un peu !'

Lors de la réunion de lancement de l’année 2014 en janvier, Mme Z a pris la parole pour nous expliquer l’état de la société après le départ de M. H, notre ancien comptable ayant détourné l’argent de l’entreprise. M. X a demandé des explications sur des incohérences concernant les comptes que nous présentait Mme Z, ce à quoi il s’est vu répondre : 'vous ne comprenez rien, venez voir après, je vous donnerai une leçon de comptabilité''.

Par ailleurs, il est établi que le 18 avril 2012, Monsieur X et Monsieur I Y, directeur général adjoint ont échangé les courriels électroniques suivants :

— Monsieur X : 'pendant le séminaire, j’avais posé 3 échantillons de produits Texweipe ( lingettes Aseptix) sur mon bureau, il ne m’en reste que 2, Quelqu’un pourrait il m’aider à élucider ce mystère ' Il manque un TX42 pre sat…. Merci.'

— Monsieur I Y (à Monsieur X uniquement) : ' c’est pas moi le voleur, mais avec tous ces collaborateurs d’origine étrangère, plus les stagiaires bien sûr, je suis pas étonné'.

Pour justifier de la surcharge de travail alléguée, Monsieur X produit les pièces suivantes :

— un tableau de suivi des affaires et projets en cours au sein de l’entreprise qui montre que sur environ 57 affaires en cours plus de la moitié sont suivies par lui,

— une attestation de Monsieur J K du 13 juin 2019, en stage au sein de la société du 1er décembre 2011 au 25 juillet 2013 et voisin de bureau de Monsieur X qui indique notamment que 'Monsieur X était en plus surchargé du fait de sa double fonction, qualité et produit à la différence des autres chefs produits. (…)Malgré cet investissement et ce double poste, Monsieur X ne bénéficiait pas d’avantages au même titre que d’autres chefs produits pouvait avoir ( véhicule de fonction notamment)(…)'.

— une attestation du 10 septembre 2020 de Madame L M, Responsable achat et logistique, ancienne collègue de travail de Monsieur X, qui indique que celui-ci 'était en surcharge de travail ( responsable qualité et chef produit). Sa fonction de développement produit supportait près de 75 % de l’activité commerciale alors que le reste était supporté par 2 chefs produits à plein temps. Après son départ, cette activité a été scindée et confiée à 2 nouvelles personnes à temps plein'.

La circonstance évoquée par la société selon laquelle Monsieur X se prévaut d’un nombre de dossiers à charge incluant les dossiers perdus, abandonnés ou en attente ne remet pas en soi en cause le travail qu’il a pu accomplir sur ces dossiers. De même, le recrutement d’un stagiaire par la société pour assister Monsieur X n’est pas de nature à contrarier les éléments susvisés établissant le surcroît de travail dont se plaint ce-dernier. Les faits invoqués sont établis.

S’agissant de la disparition du poste de Monsieur X de l’organigramme, Monsieur F aux termes de l’attestation susvisée explique que 'le 1er juillet 2014 la direction a transmis un communiqué à l’ensemble du personnel, nous indiquant d’une part que si la marge brute de la société n’augmentait pas, les salaires devraient être revus à la baisse, et d’autre part nous indiquant le nouvel organigramme de la société dans lequel la fonction de responsable de la qualité avait complètement disparu'.

Par ailleurs, s’agissant des convocations répétées à des entretiens, Monsieur X produit :

— l’attestation de Madame L M déjà évoquée aux termes de laquelle celle-ci relate que 'la directrice, Madame Z P-Q, et le Directeur Général Adjoint, Monsieur I Y, ont convoqué Mr X à plusieurs reprises en septembre 2014. Mr X m’a demandé d’assister à l’une de ses convocations, car il se sentait humilié et insulté, il craignait de ne pouvoir surmonter une confrontation sans motif avec la direction. (Nous étions en pause déjeuner lorsqu’il a reçu cette nouvelle convocation pour le début d’après-midi). J’avais accepté d’accompagner Mr X, malheureusement ma présence a été refusée (…)',

— un mail de Madame P-Q Z du 19 septembre 2014 à 12h37 libellé comme suit : 'D, je désire avoir un entretien avec vous en compagnie de I (Y). Merci de nous rejoindre dans mon bureau à 14h30.Cdt'.

Concernant la dégradation de son état de santé, Monsieur X verse notamment aux débats son arrêt de travail initial du 25 septembre 2014 qui fait état d’un 'syndrome dépressif', un compte rendu d’hospitalisation à l’hôpital de Meulan du 18 octobre 2014 au 12 novembre 2014 qui conclut à 'un trouble de l’adaptation avec réaction anxio dépressive dans un contexte de stress professionnel', un certificatdu Docteur A, psychiatre du 19 février 2015 qui relève que Monsieur X 'se montre toujours anxieux et vite envahi d’un (illisible) triste et douloureux dès qu’il aborde sa situation professionnelle et sa relation avec sa hiérarchie. Une reprise de ses activités professionnelles au sein de la société Conformat ne me semble pas du tout bénéfique pour son état de santé', un certificat rédigé par Madame B, psychologue du travail du 24 mars 2015 qui rapporte que le salarié ' est mis sous traitement anxiolytiques, antidépresseurs et somnifères (…) A ce jour, il n’est plus en capacité de pouvoir réintégrer un poste dans cette structure. Il est nécessaire qu’il soit loin du travail afin de maintenir son équilibre psychique', un rapport du service de consultation de souffrance au Travail du CHU Amiens-Picardie du 28 avril 2015 qui explique que ' les éléments cliniques rapportés par Monsieur X, confortés par les éléments fournis, sont en faveur de la survenue d’un syndrome dépressif majeur, au sens du DSM, qui a justifié une hospitalisation en milieu psychiatrique. Depuis, monsieur X est pris en charge par le Docteur A, psychiatre. (…) L’entretien n’a mis en évidence aucun élément personnel ou familial pouvant participer à l’explication de cette décompensation dépressive. Malgré un bon contrôle de lui-même, l’émotion du sujet est manifeste à l’évocation de faits qui apparaissent encore, actuellement, douloureux pour lui.Monsieur X rapporte des propos et écrits à caractère raciste qui paraissent l’avoir affecté. Mais surtout, c’est le décalage entre un investissement professionnel fort et des motivations intactes et la proposition de quitter l’entreprise qui apparaissent avoir entraîné une blessure narcissique, encore ouverte à ce jour. Dans ce contexte, la reprise du travail au sein de l’entreprise apparaît très problématique. On peut estimer que Monsieur X, lorsqu’il sera dégagé de ses liens professionnels, va trouver les ressources lui permettant de rebondir de manière satisfaisante (…)', l’avis rendu par le médecin du travail le 9 février 2016 déclarant Monsieur X inapte à tout poste dans l’entreprise et précisant que celui-ci pourrait effectuer un travail similaire (en télétravail) dans une autre entreprise du groupe.

Les faits matériels établis par Monsieur X concernant les propos déplacés tenus à son encontre, la surcharge de travail, la suppression de son poste de l’organigramme, la convocation à plusieurs entretiens avec la direction, la dégradation de son état de santé, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Il incombe dès lors à la société Conformat de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société ne justifie par aucun élément objectif étranger à tout harcèlement moral les propos déplacés tenus à l’encontre de Monsieur X. Elle ne peut en particulier utilement expliquer que le mail adressé par Monsieur Y le 18 avril 2012 à Monsieur X assimilant les personnes étrangères à des voleurs l’aurait été sur le ton de la plaisanterie, ce qui n’annihile en rien le caractère xénophobe du message. Elle ne peut pas plus justifier les propos de Monsieur C évoquant 'le départ au bled' de Monsieur X alors que celui-ci était en arrêt maladie par une envie qu’aurait manifesté ce dernier de changer de cadre de vie ou par les dénégations peu convaincantes de ce salarié dans une lettre du 27 octobre 2014 soutenant que ses propos ne contenaient aucune référence raciste et avaient uniquement trait à 'la difficulté due à l’éloignement géographique par rapport au siège de Conformat de remettre la main sur le matériel informatique dans l’hypothèse où Monsieur X venait à retourner dans son pays natal avec ledit matériel', étant observé au surplus que Monsieur X est né à Versailles et est de nationalité française.

Elle ne justifie pas plus de la surcharge de travail attribuée à Monsieur X ni des raisons pour lesquelles sa fonction de responsable de la qualité avait été supprimée de l’organigramme alors que Monsieur X faisait encore partie des effectifs de l’entreprise ou des raisons pour lesquelles il a été convoqué à plusieurs reprises par la Direction au mois de septembre 2014.

Le harcèlement moral est démontré.

En outre, l’ensemble des éléments médicaux produits ainsi que l’inaptitude constatée du salarié à travailler au sein de la société Conformat alors qu’il pourrait occuper un emploi similaire dans une autre entreprise du groupe caractérisent l’existence d’un L entre le harcèlement moral subi, les conditions de travail au sein de l’entreprise, et le licenciement pour inaptitude de Monsieur X.

Il est indifférent à cet égard que la société ait contesté la décision de la CPAM reconnaissant l’origine professionnelle de la maladie de celui-ci devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale et que cette procédure soit encore en cours à ce jour, la décision de cette dernière ne s’imposant pas à la cour statuant en matière prud’homale.

Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments, le licenciement de de Monsieur X est nul.

Le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration, a droit à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement, dont le montant doit être au moins égal à celui prévu par L 1235-3 du code du travail, soit un montant égal aux salaires bruts perçus par le salarié pendant les six derniers mois et non comme le soutient Monsieur X sur le fondement de l’article L.1226-15 du code du travail à douze mois minimum de salaire.

Au regard de son ancienneté dans la société au moment de la rupture, de son âge, du montant de son salaire, des justificatifs produits sur sa situation professionnelle ultérieure, il lui sera alloué une somme de 37 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement du conseil de prud’hommes sera en conséquence infirmé et la société Conformat condamnée à payer cette somme à Monsieur X.

3- Sur le manquement à l’obligation de sécurité

Monsieur X fait valoir que le harcèlement moral subi sur son lieu de travail démontre que son employeur a méconnu son obligation de sécurité.

La société soulève l’irrecevabilité de cette demande au motif que le salarié ne peut sous couvert d’une action en responsabilité à l’encontre de l’employeur pour mauvaise exécution du contrat de travail, obtenir réparation du préjudice résultant de la maladie professionnelle ou de l’accident du travail dont il prétend être victime.

Cependant, il est constant que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en application de l’article L.4121-1 du code du travail, manque à cette obligation, lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral.

C’est ce manquement et non le préjudice subi du fait de sa maladie reconnue par le CRMPP comme étant d’origine professionnelle au titre duquel Monsieur X sollicite des dommages et intérêts.

Il est établi que Monsieur X a subi des faits de harcèlement moral sur son lieu de travail de la part de salariés et de supérieurs hiérarchiques. Il est dès lors bien fondé à solliciter l’indemnisation du préjudice qui en est résulté pour lui, distinct de celui déjà indemnisé au titre de la perte injustifiée de son emploi et qui sera évalué à la somme de 4 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé et la société condamnée à payer cette somme à Monsieur X.

4- Sur la discrimination

Il résulte de l’article L. 1132-1 du code du travail que aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les

discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L.3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L’article L.1134-1 du même code ajoute que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il a été établi que le 27 octobre 2014, lors d’un séminaire commercial, Monsieur C faisant suite à une remarque de Monsieur Y sur la circonstance selon laquelle Monsieur X, alors en arrêt maladie, avait conservé son ordinateur portable, a, parlant du salarié indiqué 'Pourvu qu’il ne parte pas au bled avec son PC sous le bras !'.

Il est en outre démontré que le 18 avril 2012, Monsieur Y, directeur général adjoint de l’entreprise, répondant à une interrogation de Monsieur X sur la disparition d’un échantillon de lingettes auparavant posé sur son bureau, lui a adressé le mail suivant : 'c’est pas mois le voleur, mais avec tous ces collaborateurs d’origine étrangère, plus les stagiaires bien sûr, je suis pas étonné'.

Cependant, Monsieur X ne dit pas en quoi ces faits ont eu une incidence professionnelle (sanction, licenciement, désavantage etc.) au sens des dispositions sus-rappelées.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de cette demande.

5- Sur la demande de rappel d’indemnité de préavis

Le licenciement étant frappé de nullité et l’inaptitude trouvant sa cause dans le harcèlement moral subi par le salarié, l’employeur lui doit une indemnité compensatrice de préavis.

En application de l’article 35 de la convention collective nationale du commerce de gros applicable, la durée du préavis pour les cadres est de 3 mois.

Monsieur X dont il n’est pas contesté qu’il était cadre, comme le mentionnent d’ailleurs ses bulletins de paie, a néanmoins à la lecture de son solde bénéficié d’une indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire.

Il sera en conséquence fait droit à sa demande d’indemnité complémentaire, non discutée ni en son principe ni en son quantum, à hauteur de 4 460 euros brut.

Le jugement sera infirmé de ce chef et la société Conformat condamnée à payer cette somme à Monsieur X.

6- Sur les intérêts

Il est rappelé que les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation.

Les créances indemnitaires sont quant à elles productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

7- Sur les dépens et sur l’indemnité de procédure

La société qui succombe dans la présente instance, doit supporter les dépens.

Il y a lieu en revanche d’infirmer le jugement qui a condamné Monsieur X à payer à la société une somme de 50 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de débouter la société de sa demande faite à ce titre et de condamner celle-ci à payer au salarié pour les frais irrépétibles que celui-ci a supportés une indemnité qu’il est équitable de fixer à la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

S’il peut être rappelé qu’en application de l’article L 111-8 du code des procédures civiles d’exécution, à l’exception des droits proportionnels de recouvrement et d’encaissement qui peuvent être mis partiellement à la charge des créanciers dans les conditions fixées en Conseil d’Etat, les frais de l’exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s’il est manifeste qu’ils n’étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés, il n’y a pas lieu en l’espèce de mettre à la charge de la société les frais d’exécution forcée éventuels, en l’absence de litige né de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 25 septembre 2018,

et statuant à nouveau,

DIT le licenciement de Monsieur D X nul,

DIT la demande de Monsieur D X au titre du manquement de la société Conformat à son obligation de sécurité recevable,

CONDAMNE la société Conformat à payer à Monsieur D X les sommes suivantes :

—  37 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

—  4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

—  4 460 euros à titre d’indemnité complémentaire de préavis,

DIT que les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation,

DIT que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Y ajoutant,

DÉBOUTE la société Conformat de sa demande de rejet des débats de la pièce n°9, l’attestation de Monsieur F, communiquée par Monsieur D X,

CONDAMNE la société Conformat à payer à Monsieur D X la somme de 3 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en application de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la société Conformat de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Conformat aux dépens,

DIT n’y avoir lieu à mettre à la charge de la société Conformat les frais d’exécution de la décision,

— Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 19 mai 2021, n° 18/04589