CAA de PARIS, 4ème chambre, 30 décembre 2021, 20PA01995, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 4e ch., 30 déc. 2021, n° 20PA01995
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 20PA01995
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif, 24 juin 2020, N° 1900323
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044806005

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société A2EP Géotec et la société Gemco ont demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la province des Iles Loyauté à leur verser la somme de 29 505 740 francs CFP, au titre de leur éviction irrégulière de la procédure d’attribution du marché de reconnaissance géotechnique pour la reconstruction du pont de Lekiny à Ouvéa.

Par un jugement no 1900323 du 25 juin 2020, le Tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées le 31 juillet 2020, le

30 octobre 2021 et le 8 novembre 2021, la société A2EP Géotec, représentée par la Selarl Loïc Pieux, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de condamner la province des Iles Loyauté à lui verser la somme de

29 505 740 francs CFP au titre de son éviction irrégulière de la procédure d’attribution du marché de reconnaissance géotechnique pour la reconstruction du pont de Lekiny à Ouvéa ;

3°) de condamner la province des Iles Loyauté à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la province des Iles Loyauté a entaché la procédure de passation du marché de nombreuses irrégularités fautives en rapport direct avec son éviction ;

 – elle n’a pas été informée des motifs du rejet de son offre ni davantage du nom de l’attributaire et des motifs qui ont conduit le pouvoir adjudicateur à retenir son offre, en méconnaissance du principe de transparence inhérent à la commande publique ;

 – elle n’a pas été informée des critères de sélection, notamment de leur pondération et de leur articulation, ayant permis au pouvoir adjudicateur de retenir une offre dont le prix était supérieur de 57% à la sienne, ainsi que des modalités de calcul de la notation, en méconnaissance du même principe de transparence et de l’article 27-2 de la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 portant réglementation des marchés publics ;

 – la décision de notation est irrégulière en ce qu’elle concerne le critère du délai dès lors que, d’une part, le pouvoir adjudicateur a fait application d’une condition non prévue relative à la disponibilité de la barge et que, d’autre part, il ne l’a pas consultée afin de faire évoluer son offre sur ce point alors qu’il a permis à la société attributaire de modifier son prix trop élevé, en méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats ;

 – l’analyse des offres n’a pas été impartiale dès lors que le maître d’œuvre qui l’a réalisée est étroitement lié, familialement, à la société Etra, sous-traitant de la société Tonkin et Taylor ;

 – la société Tonkin et Taylor ne possédait pas d’assurance, en méconnaissance des documents contractuels ;

 – la société Tonkin et Taylor a déclaré ne pas pouvoir s’occuper des missions « géomètres », sans déclarer de sous-traitant à ce titre ;

 – le pouvoir adjudicateur a mal apprécié la signification du critère délai et, en conséquence, utilisé une méthode de notation erronée qui a favorisé la société Tonkin et Taylor ;

 – le pouvoir adjudicateur a fait bénéficier la société Tonkin et Taylor d’avantages particuliers destinés à combler son manque d’expérience des usages et de la réglementation relatifs aux études géotechniques en Nouvelle-Calédonie ;

 – le pouvoir adjudicateur a usé de manœuvres diverses pour l’évincer, comme le fait de qualifier son offre d’anormalement basse ;

 – l’arrêté du 27 août 2018 par lequel le président du gouvernement de

Nouvelle-Calédonie a autorisé les employés de la société Tonkin et Taylor à travailler sur le territoire à une période antérieure à la notification du marché au titulaire démontre la volonté du pouvoir adjudicateur de favoriser cette société ;

 – la barge utilisée par l’entreprise attributaire n’est pas conforme à la législation en vigueur en Nouvelle-Calédonie et celle-ci n’a pas fourni, en méconnaissance du règlement particulier de l’appel d’offres, une attestation sur l’honneur indiquant qu’elle était, ainsi que ses sous-traitants, en règle au regard de ses obligations fiscales et sociales ;

 – le pouvoir adjudicateur n’a pas retenu le critère de candidature locale, en méconnaissance de la jurisprudence administrative récente du Conseil d’Etat, notamment la décision du 20 décembre 2019 n° 428290 ;

 – les irrégularités commises par la province des Iles Loyauté sont en lien direct avec son éviction et, en conséquence, avec son préjudice ;

 – le montant de son préjudice s’élève à la somme de 29 505 740 francs CFP.

La requête a été communiquée à la province des Iles Loyauté et à la société Gemco qui n’ont pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 20 septembre 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au

5 octobre 2021.

Par une lettre du 25 octobre 2021, la Cour a, sur le fondement des dispositions de l’article R. 613-1-1 du code de justice administrative, invité la société A2EP Géotec à produire des pièces en vue de compléter l’instruction.

Par des mémoires enregistrés le 30 octobre 2021 et le 8 novembre 2021, la société A2EP Géotec a, en réponse à cette mesure d’instruction, produit des pièces qui ont été communiquées à la province des Iles Loyauté et à la société Gemco.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999, relatives à la Nouvelle-Calédonie ;

 – la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 portant réglementation des marchés publics ;

 – le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Mantz,

 – et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La province des Iles Loyauté a lancé un appel public à la concurrence, par avis publié le 3 mai 2018, pour l’attribution d’un marché portant sur la réalisation d’études géotechniques pour le nouveau pont de Lékiny-Ouvéa. Trois entreprises se sont portées candidates dont la société A2EP Géotec et la société Tonkin et Taylor. A la suite d’une première lecture de la commission d’appel d’offres, dans sa séance du 20 juin 2018, le pouvoir adjudicateur a déclaré l’appel d’offres infructueux et les entreprises ont été admises à négocier les termes de leur offre avec le maître d’œuvre, pendant une durée de deux semaines. A la suite d’une deuxième lecture de la commission d’appel d’offres en date du 19 juillet 2018, la province des Iles Loyauté a informé la société A2EP Géotec, par courrier du 28 août 2018, du rejet de son offre. Le marché, conclu le 20 septembre 2018, a été attribué à la société Tonkin et Taylor, pour un montant de 52 167,521 francs CFP TTC. S’estimant irrégulièrement évincées de l’attribution de ce marché, la société A2EP Géotec et la société Gemco, son sous-traitant, ont saisi le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d’une demande tendant à la condamnation de la province des Iles Loyauté à leur verser une indemnité de 29 505 740 francs CFP en réparation du préjudice subi de ce chef. La société A2EP Géotec relève appel du jugement du 25 juin 2020 par lequel le Tribunal administratif a rejeté cette demande.


Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l’article 27-2 de la délibération du 1er mars 1967 susvisée : « La commission d’appel d’offres (…) se fonde sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché. / Ces critères peuvent porter notamment sur le prix des prestations, le coût d’utilisation, la valeur technique ou le délai d’exécution. D’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché. / Chacun des critères retenus fait l’objet d’une pondération. / Les critères ainsi que leur pondération sont indiqués dans le règlement particulier d’appel d’offres (…) ». Aux termes de l’article 7 du règlement particulier de l’appel d’offres : " 7.1 Critères de jugement des offres. (…) Il sera tenu compte des critères de jugement pondérés suivants : 1) Prix de la prestation : 40 points sur 100 points. 2) Délai : 20 points sur 100 points. 3) Valeur technique : 40 points sur 100 points. (…) Délais : La pondération tiendra compte du délai global proposé, et de la qualité du planning et adéquation avec le délai proposé. / La formule pour l’établissement de la notation sera la formule linéaire suivante : Note = (délai de l’offre ayant le délai le plus bas) x 20 / (délai de l’offre analysé) ".

3. En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment du procès-verbal de dépouillement des offres en deuxième lecture de la commission d’appel d’offres, dans sa séance du 19 juillet 2018, que, s’agissant de l’appréciation du critère « délai », l’offre de la société A2EP Géotec a été déclarée « irrecevable en l’état compte tenu du calendrier global de l’opération » et la note de 0 sur 20 lui a été attribuée. A cet égard, il résulte du tableau de synthèse des offres des trois candidats qu’il comporte une ligne faisant mention d’un « délai contractuel plafond » de trois mois, dont il ressort des observations de la commission accompagnant ce tableau qu’il correspond, d’une part, au délai maximal de réalisation des prestations du marché mais également au délai maximal décompté directement de la date d’attribution du marché dans lequel les prestations devaient être achevées. C’est en considération de la non-conformité à ce « délai contractuel plafond » de trois mois que l’offre de la société A2EP Géotec, dont le délai de réalisation des prestations était de 11 semaines, soit moins de trois mois, mais qui ne prévoyait pas une exécution du marché dans les trois mois suivant la date d’attribution de celui-ci en raison de la disponibilité de sa barge à compter de février 2019 seulement, a été déclarée non recevable. Toutefois, il ne résulte pas des dispositions précitées de l’article 7.1 du règlement particulier de l’appel d’offres relatives au critère du délai qu’un « délai contractuel plafond » de trois mois, ayant la signification ci-dessus mentionnée, ait été prévu. Par suite, en opposant à la société A2EP Géotec un tel délai en tant qu’élément d’appréciation de son offre, le pouvoir adjudicateur a fait application d’un critère non prévu par le règlement de la consultation. Ce faisant, et alors même que le critère « délai » n’était affecté que d’un coefficient de pondération de 20 %, la commune doit être regardée comme n’ayant pas prévu des modalités d’examen des offres garantissant l’égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure. Dans ces conditions et contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal administratif, la province des Iles Loyauté a manqué aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui lui incombaient. Elle a, par suite, commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

4. En second lieu, il résulte de l’instruction que, d’une part, la province des Iles Loyauté a informé la société requérante, par courrier en date du 28 août 2018, du rejet de son offre et que, d’autre part, l’avis d’attribution paru le 22 janvier 2019 dans « Les Nouvelles Calédoniennes » indique le nom du titulaire, la société Tonkin et Taylor International Ltd, ainsi que le montant du marché. Dans ces conditions, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que, à cet égard, le principe de transparence dans les marchés publics aurait été méconnu. Aucune disposition législative ou réglementaire issue de la délibération du 1er mars 1967, notamment parmi celles susvisées, n’impose en outre la motivation de la décision de rejet de l’offre d’un soumissionnaire, qu’il s’agisse d’une procédure d’appel d’offres ou d’un marché dit de « gré à gré », ni au demeurant la communication du nom de l’attributaire et des notes obtenues par les différents candidats.

5. En troisième lieu, il résulte de l’instruction que les critères de jugement des offres du marché et leur pondération, ainsi que les méthodes et formules de notation des offres, étaient fixés à l’article 7.1 du règlement particulier de l’appel d’offres du marché. Par suite, la société A2EP Géotec n’est ni fondée à soutenir qu’elle n’aurait pas reçu l’information appropriée sur les critères de sélection des offres, leur pondération et leur articulation ainsi que sur les modalités de calcul de la notation, ni fondée à faire valoir que le « poids des critères techniques, financiers, humains finalement retenus par la province des Iles Loyauté » serait entaché d’opacité, la seule circonstance que son offre ne représenterait que 57% de celle de la société Tonkin et Taylor en matière de prix, à la supposer établie, n’étant pas pertinente à cet égard.

6. En quatrième lieu, au nombre des principes généraux du droit qui s’imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d’impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Si la société A2EP Géotec soutient à cet égard que l’analyse des offres est entachée d’irrégularité au regard de ce principe dès lors que la phase de négociation correspondant au marché dit de « gré à gré » a été confiée au maître d’œuvre, la société Gemoce, dont le gérant serait, selon elle, étroitement lié aux gérants, qui seraient de la même famille que lui, de la société Etra, sous-traitant de la société Tonkin et Taylor, la seule circonstance que la société Gemoce et la société Etra soient domiciliées à la même adresse et que leurs gérants portent les mêmes patronymes ne saurait suffire, en l’absence de tout autre élément, à établir que le principe d’impartialité aurait été méconnu.

7. En cinquième lieu, si la société A2EP Géotec invoque un défaut d’assurance de la société Tonkin et Taylor au regard de sa responsabilité civile professionnelle, il résulte de l’instruction que la société attributaire a transmis à la province des Iles Loyauté, en date du

29 mai 2018, une attestation d’assurance « responsabilité civile et professionnelle ». Si la requérante soutient en outre que la société Tonkin et Taylor aurait déclaré ne pas pouvoir prendre en charge elle-même certaines missions sans toutefois déclarer de sous-traitant à ce titre, il résulte de l’instruction que la société Tonkin et Taylor a, par acte d’engagement signé par elle le 4 juillet 2018, déclaré deux sous-traitants, les sociétés Coque Service et Etra, et annexé à cet acte les actes spéciaux relatifs à chacun de ces sous-traitants. Si, de plus, la société A2EP Géotec invoque des manœuvres de la part de la province des Iles Loyauté pour l’évincer, comme le fait de qualifier son offre d’anormalement basse, il ne résulte pas du procès-verbal de dépouillement des offres en deuxième lecture de la commission d’appel d’offres que cette dernière ait opposé à la requérante le caractère anormalement bas de son offre, alors au surplus que cette dernière a reçu la notation maximale de quarante points sur quarante au regard du critère « prix ». Si la société A2EP Géotec soutient également que le pouvoir adjudicateur aurait consenti des avantages particuliers à la société attributaire en contrepartie de son manque d’expérience des usages et de la réglementation relatifs aux études géotechniques en Nouvelle-Calédonie, elle ne l’établit par aucun document. Enfin, si elle invoque le fait que par un arrêté du 27 août 2018, le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie a autorisé certains employés de la société Tonkin et Taylor à travailler sur le territoire à une période antérieure à la notification du marché à cette société, elle n’établit pas que cette autorisation soit en lien avec les prestations prévues au marché. Par suite, la société A2EP Géotec n’est pas fondée à invoquer une intention de favoriser la société Tonkin et Taylor de la part du pouvoir adjudicateur ou de lui consentir des avantages injustifiés.

8. En sixième lieu, si la société A2EP Géotec invoque la non-conformité à la législation en vigueur en Nouvelle-Calédonie de la barge utilisée par la société Tonkin et Taylor, elle n’apporte aucune précision utile sur ce prétendu défaut de conformité, de nature à permettre à la Cour d’en apprécier le bien-fondé. En outre, si elle invoque une méconnaissance par cette société du règlement particulier de l’appel d’offres du fait de l’absence de production par celle-ci d’une attestation sur l’honneur concernant le respect de ses obligations fiscales et sociales, il ressort du procès-verbal de dépouillement des offres de première lecture que la société attributaire a produit cette déclaration.

9. Enfin, il ne résulte d’aucune disposition de la délibération n° 136/CP du

1er mars 1967, notamment pas de son article 27-2, ni d’un principe jurisprudentiel de quelque nature qu’il soit que le pouvoir adjudicateur serait tenu de mettre en œuvre un critère de « candidature locale » aux fins de sélection des offres.

Sur le lien de causalité entre la faute et l’éviction de la société A2EP Géotec :

10. Lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l’indemnisation. Il s’ensuit que lorsque l’irrégularité ayant affecté la procédure de passation n’a pas été la cause directe de l’éviction du candidat, il n’y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction. Sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu’être rejetée.

11. Il résulte de l’instruction que l’irrégularité du critère « délai » analysée au point 3 a exercé une influence directe sur la sélection des offres puisque seule la société Tonkin et Taylor a obtenu la note de 20/20 pour ce critère, les deux autres entreprises candidates ayant obtenu la note de 0/20 et ayant ainsi été éliminées. Une meilleure définition des attentes de la province en la matière aurait été de nature à placer les trois candidats sur un terrain d’égalité de traitement et, par suite, à influer sur le classement des offres. Il existe, dès lors, un lien direct de causalité entre la faute relevée au point 3 et les préjudices invoqués par la société A2EP Géotec à raison de son éviction.

Sur le préjudice subi par la société A2EP Géotec :

12. Lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre. Dans le cas où l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché, elle a droit à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner qu’elle a subi.

13. Il résulte de l’instruction que les offres devaient être examinées selon trois critères, à savoir le prix de l’offre, la valeur technique et le délai, avec une pondération respective de 40 % pour le prix, 40 % pour la valeur technique et 20 % pour le délai. A l’issue de l’examen des deux critères « prix de l’offre » et « valeur technique », la société A2EP Géotec était en première position avec 68 points contre 65 pour la société Tonkin et Taylor. Dans l’hypothèse où l’irrégularité tenant au critère « délai », à savoir le fait d’avoir opposé à la société requérante un « délai contractuel plafond » de trois mois décompté de la date d’attribution du marché pour exécuter les prestations, serait neutralisé, la société A2EP Géotec n’établit toutefois pas ni même n’allègue qu’elle aurait pu présenter son offre de manière différente, en tenant compte notamment, ainsi que l’y invitaient les dispositions du règlement particulier de l’appel d’offres, du « délai global proposé et de la qualité du planning et (de l') adéquation avec le délai proposé ». En particulier, elle n’établit pas ni même n’allègue qu’elle aurait pu disposer d’une barge dans un délai plus rapide que la barge Caroce, alors qu’il résulte de ces dispositions, fût-ce de manière implicite, que le délai global d’exécution des prestations, décompté de la date d’attribution du marché, constituait un critère important d’appréciation de l’offre au regard du critère « délai ». Par suite, il ne résulte pas de l’instruction que la société A2EP Géotec aurait eu des chances sérieuses d’emporter le marché.

14. Si, compte tenu des qualités de son offre et de la notation aux trois critères tels que prévus par le règlement particulier de l’appel d’offres, la société A2EP Géotec n’était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché, elle n’apporte toutefois aucun élément de nature à établir le montant des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre. Par suite, le remboursement de ces frais ne saurait lui être accordé.

15. Il résulte de tout de ce qui précède que la société A2EP Géotec n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la province des Iles Loyauté, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société A2EP Géotec demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.


DECIDE :

Article 1er : La requête de la société A2EP Géotec est rejetée.


Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société A2EP Géotec, à la province des Iles Loyauté.

Copie en sera adressée à la société Gemco et au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l’audience du 10 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

- Mme Briançon, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 décembre 2021.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

C. BRIANÇON La greffière,

V. BREME

La République mande et ordonne au ministre des Outre-Mer, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 20PA01995

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