CEDH, Cour (première section), STEVENS c. BELGIQUE, 9 décembre 2004, 56936/00

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 9 déc. 2004, n° 56936/00
Numéro(s) : 56936/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 10 février 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Adoud c. France (déc.), n° 35327/97, 7 septembre 1999
Bosoni c. France (déc.), n° 34595/97, 7 septembre 1999
Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 33, § 73
Nideröst-Huber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997 I, pp. 107-08, § 23
Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998 I, § 38
Vernillo c. France, arrêt du 20 février 1991, série A no 198, § 27
Pham Hoang c. France, arrêt du 25 septembre 1992, série A no 243, p. 21, § 33
Debbasch c. France (déc.), n° 49392/99, 18 septembre 2001
Dumas c. France (déc.), n° 53425/99, 30 avril 2002
Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 50, 15 juillet 2003
Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000 VII
Khalfaoui c. France, no 34791/97, § 37, CEDH 1999 IX
Kress c. France [GC], no 39594/98, § 73, CEDH 2001 VI
Malve c. France (déc.), n° 46051/99, 20 janvier 2001
Salabiaku c. France, arrêt du 7 octobre 1988, série A no 141 A, pp. 15, 16, § 28
Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999 V
Stoeterij Zangersheide N.V. et autres c. Belgique (déc.), n° 47295/99, 27 mai 2004
Van Der Kar et Lissaur van West c. France (déc.), n° 44952/98, 44953/98, 7 novembre 2000
Wynen et Centre hospitalier interrégional Edith-Cavell c. Belgique, § 38, 5 février 2003
Zutter c. France (déc.), n° 30197/96, 27 juin 2000
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-67878
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1209DEC005693600
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 56936/00
présentée par Jozef STEVENS
contre la Belgique

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant le 9 décembre 2004 en une chambre composée de :

MM.C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
MmeF. Tulkens,
MM.A. Kovler,
K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 10 février 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Jozef Stevens, est un ressortissant belge, né en 1949 et résidant à Heist-op-den-Berg (Belgique). Il exerce les fonctions de premier auditeur au Conseil d'Etat. Le gouvernement défendeur est représenté par M. Claude Debrulle, Directeur général au Service Public Fédéral de la Justice.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 31 janvier 1994, le requérant se vit notifier un procès-verbal de la gendarmerie constatant que, le 26 janvier 1994, il avait roulé au moins 100 mètres sur la bande d'arrêt d'urgence d'une autoroute.

Le 3 novembre 1994, le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles fit assigner le requérant à comparaître le 28 novembre 1994 devant ladite cour, par application de l'article 479 du code d'instruction criminelle (ci-après CIC) qui institue un privilège de juridiction applicable notamment aux auditeurs au Conseil d'Etat (voir ci-dessous, le droit interne pertinent).

Le 21 décembre 1994, la cour d'appel de Bruxelles déclara la prévention établie, après avoir précisé que le procès-verbal dressé contre le requérant faisait foi jusqu'à preuve du contraire ; or le requérant n'avait pas apporté une telle preuve. Le requérant fut condamné à une amende de 4 500 francs belges (BEF) (environ 110 euros (EUR)). Au préalable, la cour d'appel avait rejeté cinq exceptions préliminaires soulevées par le requérant, dont une tendant à ce que la cour d'appel posât trois questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage concernant la compatibilité de l'article 479 du CIC avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Le 3 janvier 1995, le requérant saisit la Cour de cassation d'un pourvoi contre l'arrêt du 21 décembre 1994.

Le 13 mars 1995, il déposa un mémoire comportant 14 moyens dans lequel il invita notamment la Cour de cassation à poser à la Cour d'arbitrage deux questions préjudicielles relatives au système des privilèges de juridiction.

Par arrêt du 23 décembre 1997, la Cour de cassation décida de poser deux questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage. La première était libellée comme suit :

« L'article 479 du code d'instruction criminelle viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ?

a)  en ce qu'il prive une catégorie limitée de personnes du double degré de juridictions ?

b)  en ce qu'il s'applique aux membres de l'auditorat près le Conseil d'Etat ?

c)  en ce qu'il s'applique aux infractions de roulage qui, par les peines prévues par l'article 29 des lois relatives à la police de la circulation routière coordonnées par l'arrêté royal du 16 mars 1968, sont des délits, alors que ces infractions de roulage peuvent aussi emporter des peines qui ne sont pas des peines correctionnelles et que l'article 479 du code d'instruction criminelle s'applique aux infractions « emportant » et non « pouvant emporter » une peine correctionnelle ? »

Le 18 novembre 1998, la Cour d'arbitrage répondit par la négative aux deux questions préjudicielles posées. Au sujet de la première, elle considéra notamment :

« B.4.  Le privilège de juridiction, applicable aux magistrats, y compris les magistrats suppléants, et à certains autres titulaires de fonctions publiques, a été instauré en vue de garantir à l'égard de ces personnes une administration de la justice impartiale et sereine. Les règles spécifiques en matière d'instruction, de poursuite et de jugement qu'implique le privilège de juridiction entendent éviter, d'une part, que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient intentées contre les personnes auxquelles ce régime est applicable et, d'autre part, que ces mêmes personnes soient traitées avec trop de sévérité ou trop de clémence.

L'ensemble de ces objectifs - qui, contrairement à ce que soutient le demandeur en cassation, ne sauraient être considérés comme illégitimes - peut raisonnablement justifier que les personnes auxquelles s'applique le privilège de juridiction soient, en matière d'instruction, de poursuite et de jugement, traitées différemment des justiciables auxquels s'appliquent les règles ordinaires de l'instruction criminelle.

B.5.  Les objections de principe que le demandeur en cassation déduit des articles 10 et 11 de la Constitution à l'encontre du régime du privilège de juridiction en tant que tel ne sauraient être admises.

La Cour doit toutefois encore examiner les griefs spécifiques que contient la première question préjudicielle à l'encontre de l'article 479 du code d'instruction criminelle.

Quant à la première partie de la question

B.6.  La première partie de la question préjudicielle porte sur la privation du double degré de juridiction qui résulte, dans l'état actuel de la législation, du privilège de juridiction. Il est ainsi instauré, au sein de la catégorie des personnes prévenues d'avoir commis une infraction emportant une peine correctionnelle, une différence de traitement entre celles qui subissent les effets de l'article 479 et la généralité des citoyens, les premières ne disposant pas, à l'inverse des seconds, de la possibilité de faire appel de la décision prononcée à leur encontre.

B.7.  Lorsqu'il prévoit une faculté d'appel, le législateur ne peut le faire de façon discriminatoire.

Il n'apparaît pas que la disposition en cause contienne une telle discrimination. Dès lors que les objectifs poursuivis par le législateur justifient qu'il ait confié aux cours d'appel le pouvoir de connaître des délits à charge des personnes auxquelles s'applique le privilège de juridiction, il n'est pas manifestement déraisonnable de ne pas avoir prévu d'appel à l'encontre des arrêts prononcés par ces juridictions.

Le législateur a pu estimer qu'être jugé par des cours qui se situent au sommet des juridictions de fond et, de surcroît, par un siège nécessairement composé de trois magistrats (articles 101, alinéa 3, et 109bis du code judiciaire) constituait, pour les personnes exerçant les fonctions mentionnées à l'article 479, une garantie suffisante.

Quant à la seconde partie de la question

B.8.  La seconde partie de la question préjudicielle concerne l'application du régime prévu à l'article 479 du code d'instruction criminelle aux membres de l'auditorat près le Conseil d'Etat.

(...)

B.10.  Les raisons qui justifient l'application de ce régime aux membres de l'ordre judiciaire justifient également qu'y soient soumis les membres du Conseil d'Etat, étant donné qu'en tant que membres de la plus haute juridiction administrative, ils sont appelés à trancher des litiges lorsqu'ils siègent à la section d'administration.

Le choix du législateur de 1958 de rendre le régime également applicable aux auditeurs près le Conseil d'Etat n'apparaît pas non plus injustifié, compte tenu de l'étroite implication des auditeurs dans l'administration de la justice. Bien qu'ils ne soient pas habilités à trancher des litiges, ils participent directement à l'instruction des affaires du Conseil d'Etat.

Le législateur a dès lors pu considérer que leur fonction présentait suffisamment de similitudes avec celles des membres de l'ordre judiciaire pour qu'ils soient soumis au même régime en matière de privilège de juridiction.

Quant à la troisième partie de la question

B.11.  La troisième partie de la première question préjudicielle concerne l'applicabilité de l'article 479 du code d'instruction criminelle aux infractions de roulage visées à l'article 29 des lois coordonnées relatives à la police de la circulation routière. Selon le demandeur en cassation, l'application du régime du privilège de juridiction à ces infractions ne se justifie pas, étant donné que ces infractions peuvent emporter aussi des peines qui ne sont pas des peines correctionnelles et que l'article 479 n'est applicable qu'aux délits qui « emportent » et non qui « peuvent emporter » une peine correctionnelle.

B.12.  L'article 479 du code d'instruction criminelle s'applique lorsque les personnes qu'il énumère sont prévenues d'avoir commis un délit emportant une peine correctionnelle. Pour savoir si l'article 479 du code d'instruction criminelle s'applique ou non, il convient de vérifier quelle est la peine maximale dont la loi punit le délit et non, comme le soutient le demandeur en cassation, la peine que le juge inflige ou peut infliger en définitive. Ceci se justifie par le souci de déterminer d'emblée pour quelles infractions la procédure particulière doit être suivie.

B.13.  L'article 479 du code d'instruction criminelle est également applicable aux délits résultant de lois particulières, en ce compris ceux qui relèvent normalement de la compétence du tribunal de police. Il n'est toutefois pas applicable aux contraventions dès lors que, en raison de la faible gravité des faits, une dérogation aux règles ordinaires de compétence n'a pas semblé justifiée. Les contraventions peuvent toutefois être poursuivies sous le régime particulier lorsqu'elles sont connexes à un délit.

B.14.  L'article 479 du code d'instruction criminelle s'applique donc à toutes les infractions visées à l'article 29 de l'arrêté royal du 16 mars 1968 portant coordination des lois relatives à la police de la circulation routière, étant donné que les différentes peines maximales que cet article prévoit sont des peines correctionnelles.

L'article 479 du code d'instruction criminelle n'exclut cependant pas, contrairement à ce que soutient le demandeur en cassation, que la cour d'appel inflige en l'espèce, en application ou non de circonstances atténuantes, des peines qui ne sont pas des peines correctionnelles. Il convient du reste d'observer que l'article 216bis, § 3, du code d'instruction criminelle prévoit expressément que le régime d'extinction de l'action publique moyennant paiement d'une somme d'argent organisé par cette disposition peut également être appliqué aux personnes visées à l'article 479 du même code.

A cet égard, il n'y a pas de différence de traitement entre les personnes auxquelles le régime visé à l'article 479 du code d'instruction criminelle trouve à s'appliquer et celles auxquelles ce régime ne s'applique pas.

B.15.  Il convient par conséquent de répondre négativement à la première question préjudicielle, dans ses trois parties. »

Par lettre du 3 décembre 1998, l'avocat général Dubrulle invita le requérant à rédiger et déposer une note d'observations relative à l'incidence de l'arrêt du 18 novembre 1998 de la Cour d'arbitrage sur la recevabilité et le fondement de ses moyens en cassation.

Le requérant y répondit par une lettre du 7 décembre 1998.

A l'audience du 8 juin 1999 devant la Cour de cassation, le requérant fut invité à répondre aux conclusions de l'avocat général Dubrulle. Il déclara ne pas avoir reçu une version écrite desdites conclusions, ce qui, eu égard à leur longueur et leur complexité, rendait impossible une réplique orale en séance. Il demanda par conséquent à pouvoir disposer d'une version écrite des conclusions et d'un délai raisonnable afin de les examiner et de préparer sa réplique. Le président de séance remit alors l'audience au 14 septembre 1999.

Par lettre du 10 juin 1999 adressée à l'avocat général Dubrulle, le requérant demanda une version écrite desdites conclusions.

Par lettre du 16 juin 1999, l'avocat général répondit qu'il ne pouvait pas donner suite à la demande, la procédure en cassation étant écrite, sauf à l'audience où les conclusions et plaidoyers sont présentés oralement. Par ailleurs, il estimait qu'il avait été largement satisfait aux exigences découlant de l'arrêt Borgers de la Cour européenne par le délai de trois mois accordé au requérant pour préparer une réponse aux conclusions du parquet.

A l'audience du 14 septembre 1999, le requérant déclara – et fit acter – qu'en l'absence d'une version écrite des conclusions de l'avocat général Dubrulle, il ne lui avait pas été possible, nonobstant le délai de trois mois, de préparer une réponse dans des conditions compatibles avec le principe de l'égalité des armes.

Le 9 novembre 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, en renvoyant notamment, s'agissant de l'article 479 du CIC, aux motifs de l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 18 novembre 1998. Elle considéra par ailleurs que la présomption d'innocence n'avait pas été méconnue à l'égard du requérant, dès lors que l'article 62 de la loi sur la circulation routière ne l'avait pas obligé à prouver son innocence, mais seulement à récuser les données faisant foi jusqu'à preuve du contraire. Les juges du fond avaient apprécié la valeur probante des données avancées par le requérant contre le procès-verbal dressé contre lui, en tenant compte de toutes les autres données à leur disposition, à l'égard desquelles le requérant avait pu exercer son droit de réplique.

B.  Le droit interne pertinent

1.  Le code d'instruction criminelle (CIC)

A l'époque des faits, l'article 479 du CIC disposait :

« Lorsqu'un juge de paix, un juge au tribunal de police, un juge au tribunal de première instance, au tribunal du travail ou au tribunal de commerce, un conseiller à la cour d'appel ou à la cour du travail, un conseiller à la Cour de cassation, un magistrat du parquet près un tribunal ou une cour, un membre de la Cour des comptes, un membre du Conseil d'Etat, de l'auditorat ou du bureau de coordination près le Conseil d'Etat, un membre de la cour d'arbitrage, un référendaire près cette Cour, un général commandant une division, un gouverneur de province est prévenu d'avoir commis, hors de ses fonctions, un délit emportant une peine correctionnelle, le procureur général près la cour d'appel le fait citer devant cette cour, qui prononce sans qu'il puisse y avoir appel. »

A la même époque, l'article 62, alinéa 1, de la loi relative à la police de la circulation routière se lisait comme suit :

« Les fonctionnaires et agents de l'autorité délégués par le gouvernement pour surveiller l'exécution des présentes lois coordonnées constatent les infractions à ces lois et aux règlements sur la police de la circulation routière par des procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve contraire. »

2.  Le code judiciaire

A l'époque des faits, l'article 1107 du code judiciaire disposait :

« Après le rapport, les avocats présents à l'audience sont entendus. Leurs plaidoiries ne peuvent porter que sur les questions de droit proposées dans les moyens de cassation ou sur les fins de non-recevoir opposées au pourvoi.

Le ministère public donne ensuite ses conclusions, après quoi aucune note ne sera reçue. »

Toutefois, à compter de l'arrêt Borgers c. Belgique (30 octobre 1991, série A no 214-B), la Cour de cassation donnait la parole une seconde fois aux parties ou à leurs conseils, après que le représentant du ministère public eut présenté ses conclusions. Ceux-ci pouvaient en outre solliciter le report de la cause en vue de disposer d'un délai de réflexion supplémentaire pour la préparation de leur réplique, laquelle pouvait prendre aussi la forme d'une « note en délibéré ». Une telle demande était systématiquement accueillie par la Cour de cassation. Dans les rares cas où les conclusions du ministère public étaient communiquées avant l'audience aux membres du siège, une copie était également envoyée aux parties avant l'audience. Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a pris acte de ces aménagements prétoriens de la procédure dans sa Résolution intérimaire DU (98) 133 du 22 avril 1998.

Une loi du 14 novembre 2000, entrée en vigueur le 29 décembre 2000, a modifié comme suit l'article 1107 du code judiciaire :

« Après le rapport, le ministère public donne ses conclusions. Ensuite, les parties sont entendues. Leurs plaidoiries ne peuvent porter que sur les questions de droit proposées dans les moyens de cassation ou sur les fins de non-recevoir opposées au pourvoi ou aux moyens.

Lorsque les conclusions du ministère public sont écrites, les parties peuvent, au plus tard à l'audience et exclusivement en réponse aux conclusions du ministère public, déposer une note dans laquelle elles ne peuvent soulever de nouveaux moyens.

Chaque partie peut demander à l'audience que l'affaire soit remise pour répondre verbalement ou par une note à ces conclusions écrites ou verbales du ministère public.

La Cour fixe le délai dans lequel cette note doit être déposée ».

EN DROIT

1.  Le requérant se plaint de la durée de la procédure devant le Conseil d'Etat. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, dont les passages pertinents sont libellés comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. »

a.  Le Gouvernement, qui admet que l'article 6 est applicable en l'espèce, invoque à cet égard une exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir que, depuis un arrêt du 19 décembre 1991, la Cour de cassation belge accepte le principe selon lequel la responsabilité civile de l'Etat peut être engagée pour le dommage causé par des fautes commises par des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions. Dans un arrêt du 8 décembre 1994, la même Cour de cassation a précisé, par ailleurs, que « la faute du magistrat pouvant, sur la base des articles 1382 et 1383 du code civil, entraîner la responsabilité de l'Etat consiste, en règle, en un comportement qui, ou bien s'analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère du magistrat normalement soigneux et prudent, placé dans les mêmes conditions, ou bien, sous réserve d'une erreur invincible ou d'une autre cause de justification, viole une norme du droit national ou d'un traité international ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne, imposant au magistrat de s'abstenir ou d'agir de manière déterminée ». Or, le principe d'une justice appropriée dans un délai raisonnable, consacré à l'article 6 de la Convention, impose aux magistrats d'agir de manière déterminée, et par conséquent, sous réserve d'une erreur invincible ou d'une autre cause de justification, la violation de ce principe constitue une faute pouvant engager la responsabilité de l'Etat. Le Gouvernement cite, par ailleurs, deux décisions de juridictions de fond ayant condamné l'Etat à payer une indemnisation dans le cas de violations du droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable :

-  un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 27 octobre 2000 ayant retenu la faute de l'Etat belge dans une affaire où le Conseil d'Etat avait mis 10 ans à rendre un arrêt de 6 pages (T.M.R., 2000, 273) ;

-  un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 6 novembre 2001 ayant condamné l'Etat belge au paiement d'un franc provisionnel du chef de carence fautive à prendre les dispositions législatives et réglementaires nécessaires au bon fonctionnement de ses juridictions (J.T., 2001, 865), confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 4 juillet 2002 (J.L.M.B., 2002, p. 1184).

A l'estime du Gouvernement, le requérant, juriste de haut niveau, devait avoir connaissance de cette jurisprudence et aurait dès lors dû assigner l'Etat belge devant les juridictions civiles internes pour l'entendre condamner, sur la base de l'article 1382 du code civil, à indemniser le préjudice éventuel subi. Faute de l'avoir fait, il n'aurait pas épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 35 de la Convention.

Dans son mémoire en réponse, le requérant fait valoir que l'Etat belge reste en défaut de démontrer qu'une action introduite sur la base de l'article 1382 du code civil aurait, dans les circonstances de l'espèce, constitué un recours effectif. Il ajoute que, eu égard à l'incertitude qui subsistait à l'époque dans la jurisprudence, sa qualité de magistrat ne peut être retenue contre lui.

La Cour rappelle que la règle de l'épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d'autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Les dispositions de l'article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent cependant que l'épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d'autres, Vernillo c. France, arrêt du 20 février 1991, série A no 198, § 27, et Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 38). A cela, il faut ajouter que l'épuisement des voies de recours internes s'apprécie en principe à la date d'introduction de la requête devant la Cour (voir, par exemple, Zutter c. France, no 30197/96, décision du 27 juin 2000, Van der Kar et Lissaur van West c. France, nos 44952/98 et 44953/98, décision du 7 novembre 2000, et Malve c. France, no 46051/99, décision du 20 janvier 2001) soit, en l'espèce, le 10 février 2000.

A cette date, la Cour de cassation belge avait certes déjà admis le principe selon lequel la responsabilité de l'Etat peut être engagée du fait de fautes commises par des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions, mais les deux décisions de juridictions de fond que le Gouvernement invoque et qui auraient fait application de ce principe en matière de dépassement du délai raisonnable sont postérieures au mois de février 2000.

La Cour estime dès lors que, à la date d'introduction de la requête, la possibilité de mettre en cause la responsabilité de l'Etat pour le dommage causé par la faute de magistrats ayant méconnu les exigences du délai raisonnable au sens de l'article 6 de la Convention n'avait pas encore acquis un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisée aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, parmi beaucoup d'autres, Stoeterij Zangersheide N.V. et autres c. Belgique, no 47295/99, décision du 27 mai 2004 ; Debbasch c. France, no 49392/99, décision du 18 septembre 2001 et Dumas c. France, no 53425/99, décision du 30 avril 2002). Il découle de ce qui précède que la qualité de magistrat du requérant n'est pas suffisante pour conclure au non-épuisement par lui des voies de recours internes en l'espèce. Partant, l'exception de non‑épuisement soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

b.  Quant au fond, le Gouvernement expose que l'affaire a été rendue compliquée par l'attitude du requérant, lequel aurait usé au-delà du raisonnable des voies procédurales qui lui étaient offertes alors que leur issue ne présentait pas d'enjeu important. Le requérant conteste cette thèse et estime qu'il a simplement fait usage des voies de droit qui lui étaient offertes.

La Cour rappelle qu'« en matière pénale, le délai raisonnable de l'article 6 § 1 débute dès l'instant où une personne se trouve accusée ; il peut s'agir d'une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement, celle notamment de l'arrestation, de l'inculpation ou de l'ouverture des enquêtes préliminaires. L'accusation, au sens de l'article 6 § 1, peut se définir comme la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli une infraction pénale, idée qui correspond aussi à la notion de répercussions importantes sur la situation du suspect » (voir, notamment, Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 33, § 73).

Appliquant ces principes aux circonstances de l'espèce, la Cour relève que la période à prendre en considération a débuté le 31 janvier 1994, date à laquelle le procès-verbal du 26 janvier 1994 a été notifié au requérant, et elle s'est achevée le 9 novembre 1999 avec l'arrêt de la Cour de cassation. Elle a donc duré 5 ans et 8 mois.

La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause, lesquelles commandent une évaluation globale, et en tenant compte des critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

La Cour constate que si l'affaire n'était pas complexe au départ, elle est devenue plus complexe notamment du fait de la saisine de la Cour d'arbitrage. Si le requérant avait le droit de se défendre comme il l'entendait en ce compris en sollicitant que des questions préjudicielles soient posées à la Cour d'arbitrage, on ne saurait toutefois imputer aux autorités judiciaires la responsabilité du délai résultant de l'exercice du cours normal des recours qui ont été exercés.

La Cour considère qu'en l'espèce, envisagé globalement, le délai de 5 ans et 8 mois n'est pas déraisonnable si l'on prend en compte les trois instances (cour d'appel de Bruxelles, Cour de cassation et Cour d'arbitrage) que la procédure a comporté, soit moins de 2 années en moyenne par instance. Si entre le mémoire du requérant demandant la saisine de la Cour d'arbitrage et l'arrêt de la Cour de cassation donnant suite à cette demande, 2 ans et demi se sont écoulés, cette circonstance n'est pas suffisante à elle seule pour conclure à une violation du délai raisonnable en l'espèce compte tenu de l'ensemble de la procédure.

En conclusion, la Cour ne relève aucune apparence de violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  Se prévalant des principes de l'égalité des armes et du contradictoire, le requérant se plaint également de l'absence de transmission préalable des conclusions prises par l'avocat général devant la Cour de cassation et de l'impossibilité d'y répliquer, faute d'avoir reçu une version écrite de celles‑ci. Il explique que le ministère public a, quant à lui, eu plusieurs années pour répondre à ses propres conclusions écrites.

Le Gouvernement fait valoir que les aménagements prétoriens apportés à la loi suite à l'arrêt Borgers précité sont conformes à la jurisprudence de la Cour. Le requérant conteste cette thèse.

La Cour note que le représentant du ministère public a présenté ses conclusions pour la première fois oralement à l'audience publique devant la Cour de cassation. Tant la partie à l'instance que les juges et le public en ont découvert le sens et le contenu à cette occasion. En conséquence, aucun manquement au principe de l'égalité des armes ne se trouve établi, le requérant ne pouvant tirer du droit à l'égalité des armes le droit de se voir communiquer, préalablement à l'audience, des conclusions qui ne l'ont pas été à l'autre partie à l'instance, ni au rapporteur, ni aux juges de la formation de jugement (voir, mutatis mutandis, arrêts Wynen et Centre hospitalier interrégional Edith-Cavell c. Belgique du 5 février 2003, § 38, Nideröst‑Huber c. Suisse du 18 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 107-108, § 23, et Kress c. France, no 39594/98 [GC], CEDH 2001-VI, § 73).

Quant à la possibilité pour les parties à l'instance de répliquer aux conclusions du ministère public, en vertu du principe du contradictoire, le requérant, qui a choisi de se défendre sans l'assistance d'un avocat, a sollicité et obtenu un report d'audience et a eu la possibilité d'exposer ses observations (voir, mutatis mutandis, Wynen et Centre hospitalier interrégional Edith-Cavell, précité, § 38). Elle relève aussi que le requérant avait notamment à sa disposition l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 19 novembre 1998.

En conséquence, le grief est manifestement mal fondé au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3.  Le requérant, se fondant sur les articles 14 et 6 § 1 combinés, dénonce le privilège de juridiction prévu à l'article 479 du code d'instruction criminelle. En vertu de cette disposition, un certain nombre de magistrats, que la loi énumère, sont traduits, en cas d'infraction en dehors de l'exercice de leurs fonctions, directement devant la cour d'appel, ce qui leur fait perdre le bénéfice d'une instance de recours au fond.

Le Gouvernement rappelle que la Belgique n'est pas partie au Protocole no 7 additionnel à la Convention et plus particulièrement à l'article 2 de ce Protocole et se prévaut de l'arrêt rendu dans l'affaire Ernst et autres c. Belgique. Le requérant estime que cet arrêt n'est pas pertinent et que le privilège de juridiction ne se justifie pas dans les affaires de circulation routière.

La Cour rappelle que « l'article 6 n'astreint pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation» (voir Khalfaoui c. France, arrêt du 14 décembre 1999, § 37, CEDH 1999-IX).

Le législateur belge a confié aux cours d'appel la compétence de connaître des délits emportant une peine correctionnelle à charge des magistrats et il a réservé au procureur général près la cour d'appel la compétence d'intenter l'action publique contre ces personnes. Ce privilège de juridiction est applicable aux litiges relatifs à la circulation routière dès lors que les peines maximales encourues sont des peines correctionnelles.

Le fait pour les Etats d'accorder généralement des privilèges de juridiction aux magistrats constitue une pratique de longue date, destinée à assurer le bon fonctionnement de la justice. Plus particulièrement, en Belgique, les règles spécifiques en matière d'instruction, de poursuite et de jugement qu'implique le privilège de juridiction entendent éviter, d'une part, que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient intentées contre les personnes auxquelles ce régime est applicable et, d'autre part, que ces mêmes personnes soient traitées avec trop de sévérité ou trop de clémence. La Cour relève que pareil privilège, voire une immunité de juridiction, existe également au profit de magistrats appartenant à d'autres ordres juridiques internes ou à des ordres juridiques internationaux et a des fondements similaires (Ernst et autres, précité, § 50).

Dans ces conditions, la Cour estime que, se limitant à reconnaître les spécificités liées au privilège de juridiction, les restrictions apportées au droit d'accès n'ont pas porté atteinte à la substance même de leur droit à un tribunal et qu'elles n'étaient pas disproportionnées sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention.

Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le grief est manifestement mal fondé au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4.  Le requérant dénonce une violation de l'article 6 § 2 de la Convention du fait de l'application de l'article 62 de la loi sur la police de la circulation routière, qui dispose que les procès-verbaux dressés par les agents assermentés constatant des faits pouvant constituer une infraction font foi jusqu'à preuve du contraire.

Dans son arrêt Salabiaku c. France (7 octobre 1988, série A no 141-A), la Cour a souligné (p. 15, § 28) que :

« L'article 6 § 2 ne se désintéresse (...) pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives. Il commande aux Etats de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense. »

Ainsi, lorsqu'ils emploient des présomptions en droit pénal, les Etats contractants doivent ainsi ménager un équilibre entre l'importance de l'enjeu et les droits de la défense (mutatis mutandis, arrêts Salabiaku c. France, précité, p. 16, § 28 et Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992, série A no 243, p. 21, § 33) ; en d'autres termes, les moyens employés doivent être raisonnablement proportionnés au but légitime poursuivi.

De l'avis de la Cour, l'article 6 § 2 ne s'oppose pas à l'application d'un mécanisme tel que décrit ci-dessus, lequel ne fait qu'instaurer une présomption réfragable de conformité d'un procès-verbal à la réalité, présomption adaptée au domaine de la circulation routière et sans laquelle il serait pratiquement impossible de réprimer les infractions relatives à la police de la circulation routière. La Cour relève par ailleurs que le requérant a eu la possibilité de contester la teneur du procès-verbal litigieux  et ne s'est pas privé de le faire (voir, mutatis mutandis, Bosoni c. France, no 34595/97, décision du 7 septembre 1999 et Adoud c. France, no 35327/97, décision du 7 septembre 1999).

Dès lors, le grief est manifestement mal fondé et doit être déclaré irrecevable au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

Søren NielsenChristos Rozakis
GreffierPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. Code civil
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CEDH, Cour (première section), STEVENS c. BELGIQUE, 9 décembre 2004, 56936/00