CEDH, Cour (cinquième section comité), AFIRI ET BIDDARRI c. FRANCE, 23 janvier 2018, 1828/18

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Corinne Daver · Fidal · 22 mai 2018

La Cour européenne des Droits de l'Homme s'est prononcée le 23 janvier 2018 (CEDH, Cour Cinquième Section Comité, 23 janv. 2018, n° 1828/18) sur une décision qui illustre la situation vécue par les familles et les équipes médicales lorsque la mort est au chevet d'un proche, contre lesquelles, le Droit reste bien impuissant… Dans cette décision, les parents d'une jeune fille âgée de 14 ans, et souffrant d'une myasthénie auto-immune sévère (maladie neuromusculaire), se sont battus pour que leur volonté qu'il ne soit pas mis un terme aux traitements, soit prise en compte. Ils sont allés …

 

www.dbfbruxelles.eu · 2 février 2018

Saisie d'une requêté dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu, le 23 janvier dernier, à son irrecevabilité (Afiri et Biddarri c. France, requête n°1828/18). Les requérants, ressortissants français, sont les parents d'une mineure âgée de 14 ans souffrant d'une myasthénie auto-immune sévère. Après un arrêt cardio-respiratoire, l'enfant a été pris en charge par un hôpital français. Compte tenu de la gravité des lésions cérébrales et de l'évolution neurologique très défavorable de l'enfant, l'équipe médicale s'est prononcée en faveur d'un arrêt de sa …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section Comité), 23 janv. 2018, n° 1828/18
Numéro(s) : 1828/18
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 11 janvier 2018
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-180588
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2018:0123DEC000182818
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 1828/18
Djamila AFIRI et Mohamed BIDDARRI
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 23 janvier 2018 en un comité composé de :

Erik Møse, président,
André Potocki,
Síofra O’Leary, juges,

et de Anne-Marie Dougin, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête susmentionnée introduite le 9 janvier 2018,

Vu la demande de mesures provisoires en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour présentée le 9 janvier 2018 et la décision du juge de permanence de la rejeter le 23 janvier 2018,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Les requérants, Mme Djamila Afiri et M. Mohamed Biddarri, sont des ressortissants français nés en 1966 et résidant à Longlaville et à Joeuf. Ils ont été représentés devant la Cour par Me A. Bouzidi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

3.  Les requérants, divorcés, sont les parents d’Inès, âgée de 14 ans et souffrant d’une myasthénie auto-immune sévère (maladie neuromusculaire). Le 22 juin 2017, Inès fut retrouvée inanimée après un arrêt cardio‑respiratoire. Prise en charge par le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy, elle fut placée en service de réanimation sous ventilation mécanique et il fut procédé à une sédation analgésique. Le jour même, les requérants furent informés par un médecin de la gravité de la situation clinique de leur fille. Le 28 juin 2017, les sédations furent arrêtées. Quatre électroencéphalogrammes et une imagerie par résonance magnétique (IRM) furent réalisés entre le 23 juin et le 3 juillet. L’équipe médicale constata une évolution neurologique très défavorable avec de nombreuses et graves lésions cérébrales. Les requérants furent de nouveau informés de la gravité de la situation et de la tenue prochaine d’une réunion éthique visant à discuter de la poursuite des traitements.

4.  Le 7 juillet 2017, une réunion de concertation pluridisciplinaire eut lieu en présence de toute l’équipe médicale, paramédicale et administrative. L’ensemble des personnes présentes se prononça en faveur d’un arrêt de la ventilation mécanique, sa poursuite étant considérée comme une obstination déraisonnable, et de la mise en place de traitements de confort. Immédiatement après la réunion, les requérants furent informés de cette proposition. Le médecin proposa aux requérants de réfléchir le temps d’un week-end avant de rediscuter de la situation. Le 10 juillet 2017, le Dr B., chef du service de réanimation pédiatrique, rencontra les requérants. Ceux‑ci ayant demandé à réfléchir, le médecin les informa que leur décision serait respectée et qu’Inès bénéficierait, quoi qu’il en soit, de soins de confort et du respect de sa dignité. Les requérants furent informés de l’engagement de la procédure collégiale prévue par l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique lorsque le patient dont l’arrêt des traitements est envisagé est hors d’état de manifester sa volonté (paragraphe 16 ci-dessous). Dans une lettre datée du 11 juillet 2017, le Dr B. assura de nouveau à la requérante que l’équipe soignante agirait dans le respect des décisions des parents, en préservant l’intérêt de leur fille. Le 12 juillet 2017, le Dr B. rencontra les requérants et les informa de l’impossibilité qu’Inès reste en réanimation et de la nécessité d’envisager une trachéotomie et une gastrostomie pour limiter les risques infectieux. Il rencontra de nouveau la requérante le 18 juillet 2017 puis les deux requérants ensemble le 20 juillet 2017.

5.  Le 21 juillet 2017, en raison de l’absence de consensus avec les parents sur l’arrêt des traitements, la procédure collégiale prévue par l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique eut lieu avec l’ensemble de l’équipe médicale, paramédicale et administrative. Le professeur M., professeur honoraire de pédiatrie très impliqué dans les problèmes d’éthique et de handicap, y participa en tant que consultant extérieur. Les participants parvinrent aux mêmes conclusions en faveur de l’arrêt des traitements que lors de la réunion du 7 juillet 2017 en raison du caractère sévère des lésions neurologiques constatées, de possibilités d’amélioration ou de guérison quasi-nulles selon les données actuelles de la science et d’un état pauci‑relationnel avec persistance d’un coma aréflexique et disparition des réflexes du tronc cérébral. Ils estimèrent ces conclusions « raisonnées et raisonnables, conformes à l’éthique, aux bonnes pratiques médicales et à la loi Leonetti-Claeys no 2016-87 du 2 février 2016 ». Le compte-rendu de la réunion fait état du fait que, dans le cas où les requérants souhaiteraient le maintien artificiel de la vie de leur fille, un projet de vie décent et adapté serait recherché. Ce compte-rendu fut adressé aux requérants par courrier recommandé du 3 août 2017 leur indiquant qu’ils pouvaient exercer un recours contentieux devant le tribunal administratif (TA) dans un délai de deux mois et que la décision ne serait pas appliquée s’ils s’y opposaient, conformément à la décision no 2017-632 QPC du 2 juin 2017 du Conseil constitutionnel (paragraphe 19 ci-dessous).

6.  Entre le 28 juillet et le 23 août 2017, les requérants rencontrèrent à quatre reprises des médecins de l’hôpital pour évoquer la situation de leur fille, notamment l’éventualité d’une trachéotomie et d’une gastrostomie, toujours en suspens.

7.  Le 11 septembre 2017, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (paragraphe 18 ci-dessous), les requérants saisirent le TA d’une requête en référé visant la suspension de l’exécution de la décision d’arrêt des traitements du 21 juillet 2017 et, à titre subsidiaire, la prescription d’une expertise médicale. Par ordonnance du 14 septembre 2017, le TA, statuant exceptionnellement en formation collégiale de trois juges, ordonna une expertise confiée à un collège de trois experts avec pour mission :

-  de décrire l’état clinique de la fille des requérants et son évolution depuis son hospitalisation, en particulier de déterminer son niveau de souffrance ;

-  de déterminer si la patiente est en mesure de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage ;

-  de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions neurologiques, sur le pronostic clinique et sur le caractère raisonnable ou non du maintien de l’assistance respiratoire par voie mécanique ou au moyen d’interventions qui seront précisées ;

-  si la poursuite de cette assistance s’avère nécessaire, de préciser si des interventions complémentaires doivent être mises en œuvre et, si oui, d’indiquer lesquelles.

8.  Entre le 15 septembre et le 26 octobre 2017, les requérants rencontrèrent les médecins de l’hôpital à trois reprises. Au cours de l’un de ces entretiens, le Dr B. précisa encore aux requérants qu’aucune décision d’arrêt des traitements ne serait jamais appliquée sans leur accord. Lors du dernier entretien, les requérants donnèrent leur accord pour la réalisation d’une trachéotomie et d’une gastrostomie.

9.  Les experts procédèrent à un examen clinique d’Inès, à une revue des examens complémentaires et rencontrèrent les différents personnels concernés ainsi que les requérants. Ils déposèrent leur rapport le 17 novembre 2017.

10.  En réponse aux questions posées par le TA, les experts répondirent que l’état clinique d’Inès était celui d’un « état végétatif persistant » avec un « pronostic neurologique catastrophique », en accord avec les conclusions de l’équipe du CHRU. Ils ajoutèrent qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’existait pas de perception de la douleur en cas d’état végétatif. Les experts affirmèrent qu’Inès était incapable de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage. Ils constatèrent le caractère irréversible certain des lésions neurologiques et une aggravation du diagnostic depuis l’hospitalisation, Inès étant passée de l’état pauci‑relationnel à l’état végétatif persistant. Ils conclurent au caractère déraisonnable du maintien de l’assistance respiratoire par voie mécanique et du maintien de la nutrition artificielle par une sonde. En cas de poursuite des traitements, les experts recommandèrent la réalisation d’une trachéotomie et d’une gastrostomie, puis l’élaboration d’un projet de prise en charge dans un centre acceptant des enfants dépendant d’une ventilation artificielle.

11.  Les experts relevèrent que les requérants étaient peu investis dans les soins de leur fille, que leurs relations avec le personnel paramédical étaient globalement très difficiles et qu’ils étaient dans une attitude d’opposition aux propositions des médecins. Ils indiquèrent que la seule justification à maintenir Inès en survie artificielle était le refus des parents d’arrêter les traitements. Les experts relevèrent qu’Inès avait exprimé son souhait « de ne pas vivre dans la situation qui était la sienne en mai-juin 2017 à domicile ».

12.  La conclusion du rapport est ainsi rédigée :

« L’expérience a montré que dans ce type de situation conflictuelle, les professionnels ne procèdent pas à un arrêt des traitements de suppléance vitale contre l’avis des parents, au nom du principe de bienveillance vis-à-vis des parents, déjà durement éprouvés par la situation. Les professionnels s’efforcent de laisser du temps aux parents, qui souvent finissent par abandonner leur attitude de dénégation et se résignent à accepter l’inacceptable : laisser mourir leur enfant.

C’est l’attitude adoptée par le Dr B. et son équipe, mais les multiples entretiens avec [les requérants] pendant plus de quatre mois n’ont pas permis de débloquer la situation. [...]

Le temps passé, les multiples explications données, l’incapacité des parents à sortir de leur attitude de refus et de passivité pour s’engager dans un projet de soins dans lequel ils s’impliquent vraiment, la prise en compte des souhaits d’Inès conduisent les experts à considérer que l’intérêt d’Inès n’est pas celui des parents et à proposer de façon très exceptionnelle de ne pas poursuivre les traitements de suppléance vitale et à laisser mourir Inès en lui assurant des soins palliatifs de qualité. »

13.  Par ordonnance du 7 décembre 2017, le TA, en formation collégiale de trois juges, rejeta la demande des requérants. Concernant les dispositions du code de la santé publique, le TA fit application des principes établis par le Conseil d’État dans l’affaire Lambert et autres (Lambert et autres c. France [GC], no 46043/14, § 48, CEDH 2015 (extraits)). Les juges se fondèrent sur les conclusions du rapport d’expertise et relevèrent l’absence de volonté clairement déterminée d’Inès. Ils précisèrent que l’avis des parents, en tant que titulaires de l’autorité parentale, revêtait une importance particulière, mais que ceux-ci avaient progressivement évolué vers une opposition de principe à tout arrêt des soins, manifestant une défiance à l’égard des médecins sans avoir de projet construit pour leur fille. Dans ces circonstances, le TA estima que, malgré l’opposition des requérants, la poursuite des traitements caractérisait une obstination déraisonnable et que la décision du 21 juillet 2017 ne portait pas, en l’espèce, une atteinte grave et manifestement illégale au respect d’une liberté fondamentale.

14.  Le 20 décembre 2017, les requérants firent appel devant le Conseil d’État. Le 28 décembre 2017, lors d’une audience publique, les requérants, les représentants du CHRU et le Dr B. furent entendus. Par ordonnance du 5 janvier 2018, le Conseil d’État, siégeant exceptionnellement en formation collégiale de trois membres, rejeta leur demande. Les passages pertinents sont ainsi rédigés :

«  Quand le patient hors d’état d’exprimer sa volonté est un mineur, il incombe au médecin, non seulement de rechercher, en consultant sa famille et ses proches et en tenant compte de l’âge du patient, si sa volonté a pu trouver à s’exprimer antérieurement, mais également, ainsi que le rappelle l’article R. 4127-42 du code de la santé publique, de s’efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires, en vertu de l’article 371-1 du code civil, de l’autorité parentale. Dans l’hypothèse où le médecin n’est pas parvenu à un tel accord, il lui appartient, s’il estime que la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable, après avoir mis en œuvre la procédure collégiale, de prendre la décision de limitation ou d’arrêt des traitements. [...]

La décision du médecin de limitation ou d’arrêt des traitements d’un patient mineur hors d’état d’exprimer sa volonté doit être notifiée à ses parents ou à son représentant légal afin notamment de leur permettre d’exercer un recours en temps utile, ce qui implique en particulier que le médecin ne peut mettre en œuvre cette décision avant que les parents ou le représentant légal du jeune patient, qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d’un recours, n’aient pu le faire et obtenir une décision de sa part.

[...]

Pour apprécier si les conditions d’un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu’en soit l’origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend d’un mode artificiel d’alimentation et d’hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme. Dans le cas d’un patient mineur, il incombe en outre au médecin de rechercher l’accord des parents ou du représentant légal de celui-ci, d’agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l’égard de l’enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale.

En l’espèce, il résulte, en premier lieu de l’instruction et, en particulier, du rapport des trois médecins experts commis par le tribunal administratif, qui ont réalisé un examen de l’enfant le 31 octobre 2017, que la jeune Inès est placée en permanence dans un état de décubitus dorsal, intubée, ventilée artificiellement et porteuse d’une sonde nasogastrique et d’une sonde oro-pharyngée en aspiration continue afin d’aspirer les importantes sécrétions salivaires, étant dans l’incapacité de déglutir de façon autonome. Elle ne présente aucune mobilité, spontanée, volontaire ou en réponse à la douleur, et aucun réflexe cornéen n’est visible. Si quelques mouvements respiratoires ponctuels capables de déclencher le respirateur ont été observés, de même que l’occurrence d’ouverture spontanée des yeux, il est relevé que ces mouvements sont de plus en plus rares et sont qualifiés de réflexes. Les experts soulignent dans leur rapport que, plus de quatre mois après la survenue de l’arrêt cardio-respiratoire, le pronostic neurologique est « catastrophique » et qu’Inès se trouve dans un état végétatif persistant, incapable de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage, le caractère irréversible des lésions neurologiques étant certain dans l’état actuel de la science. Ils concluent expressément au caractère déraisonnable du maintien de l’assistance respiratoire par voie mécanique et du maintien de la nutrition artificielle par une sonde chez cette enfant, en état végétatif persistant.

En second lieu, si, compte tenu de son âge, il était envisageable de s’interroger sur les souhaits d’Inès, les informations contradictoires relevées dans le dossier sur les avis émis par la jeune fille ne permettent pas de déterminer quelle aurait été sa volonté. L’avis des parents de la jeune patiente, titulaires de l’autorité parentale [...] revêt dès lors une importance particulière. Il résulte de l’instruction ainsi que des échanges au cours de l’audience publique que les parents de la jeune Inès [...] s’opposent à l’arrêt des traitements, de manière ferme et constante. Au-delà du caractère prématuré qu’a pu revêtir, à leurs yeux, la décision du 21 juillet 2017, qui est intervenue moins d’un mois après l’hospitalisation de leur fille, leur refus de tout arrêt des traitements repose notamment sur des motifs religieux ainsi que sur le projet de [la mère] d’une hospitalisation à son domicile dans l’espoir d’une amélioration de l’état d’Inès. Le médecin en charge de la jeune patiente a fait valoir, lors de l’audience publique, qu’un tel projet ne lui apparaissait pas réaliste compte tenu de la gravité de l’état de la patiente, de son caractère irréversible et de la lourdeur des soins qu’il impliquerait de délivrer en permanence. Par ailleurs, s’il a été indiqué lors de l’audience publique que les parents ne s’opposaient plus, désormais, à ce que soient réalisées sur leur fille une trachéotomie et une gastrostomie, opérations que l’équipe médicale souhaitait pratiquer depuis plusieurs mois afin de rendre le dispositif de traitement moins lourd et de limiter les risques d’infection qu’il génère, ces opérations, prévues au cours de la première semaine de janvier, resteront, selon le médecin compétent, sans incidence sur l’état cérébral de la jeune Inès.

Dans ces conditions, au vu de l’état irréversible de perte d’autonomie de la jeune Inès qui la rend tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales et en l’absence de contestation sérieuse tant de l’analyse médicale des services du CHRU de Nancy que des conclusions du rapport du collège d’experts mandaté par le tribunal administratif, il résulte de l’instruction, nonobstant l’opposition des parents qui ont toujours été associés à la prise de décision, qu’en l’état de la science médicale, la poursuite des traitements est susceptible de caractériser une obstination déraisonnable, au sens des dispositions de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. Il s’ensuit que la décision du 21 juillet 2017 d’interrompre la ventilation mécanique et de procéder à l’extubation de la jeune Inès répond aux exigences fixées par la loi et ne porte donc pas une atteinte grave et manifestement illégale au respect d’une liberté fondamentale.

Il appartiendra au médecin compétent d’apprécier, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, si et dans quel délai la décision d’arrêt de traitement doit être exécutée. En tout état de cause, sa mise en œuvre impose à l’hôpital de sauvegarder la dignité de la patiente et de lui dispenser les soins palliatifs nécessaires. »

15.  Par lettre télécopiée du 12 janvier 2018, l’avocat des requérants a informé la Cour que les opérations de trachéotomie et gastrostomie préconisées par les médecins avaient été pratiquées sur Inès le 9 janvier 2018.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  Le code de la santé publique

16.  Les dispositions pertinentes du code de la santé publique, telles que modifiées par la loi no 2016-87 du 2 février 2016 sont les suivantes :

Article L. 1110-5

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces dispositions s’appliquent sans préjudice ni de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé ni de l’application du titre II du présent livre.

Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »

Article L. 1110-5-1

« Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.

La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article.

Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10. »

Article L. 1111-4

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (...)

Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.

Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.

Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical.

Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. (...) »

Article R. 4127-36

« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. (...)

Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité.

Les obligations du médecin à l’égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur protégé sont définies à l’article R. 4127-42. »

Article R. 4127-37-2

« I. - La décision de limitation ou d’arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d’une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu’a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient.

II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire à la demande de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches. La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l’un des proches est informé, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale.

III. - La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l’issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d’une concertation avec les membres présents de l’équipe de soins, si elle existe, et de l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile.

Lorsque la décision de limitation ou d’arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, selon les cas, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation.

IV. - La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d’arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l’un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. »

Article R. 4127-42

« Sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5, un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement.

En cas d’urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, le médecin doit donner les soins nécessaires.

Si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible. »

2.  Le code civil

17.  Les dispositions du code civil relatives à l’autorité parentale sont ainsi rédigées :

Article 371-1

« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.

Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. (...) »

3.  Le code de justice administrative

18.  L’article L. 521‑2 du code de justice administrative, relatif au référé liberté, est ainsi rédigé :

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

4.  La décision no 2017-632 QPC du 2 juin 2017 du Conseil constitutionnel

19.  Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111‑4 du code de la santé publique dans leur rédaction issue de la loi no 2016-87 du 2 février 2016. Il a déclaré les dispositions en cause conformes à la Constitution sous deux réserves. Il a considéré que « s’agissant d’une décision d’arrêt ou de limitation de traitements de maintien en vie conduisant au décès d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que cette décision soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile. Ce recours doit par ailleurs pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée. »

C.  Textes internationaux

20.  Il est renvoyé aux textes internationaux recensés dans l’arrêt Lambert et autres (précité, §§ 59-71) et dans la décision Gard et autres c. Royaume-Uni (no 39793/17, §§ 51-54, 27 juin 2017).

GRIEFS

21.  Invoquant les articles 2 et 8 de la Convention, les requérants se plaignent du fait que la décision d’arrêt des traitements de leur fille mineure soit in fine prise par le médecin alors qu’ils s’y opposent. Ils estiment qu’ils devraient avoir un pouvoir de codécision dans la procédure collégiale, en tant que parents et titulaires de l’autorité parentale. Ils font valoir que le droit interne n’encadre pas suffisamment ces situations conflictuelles.

22.  Invoquant l’article 13 de la Convention, ils considèrent que le droit interne n’institue aucun recours effectif pour des parents qui s’opposent à la décision d’arrêt des traitements de leur enfant mineur. Ils se plaignent notamment de l’absence de caractère suspensif automatique du recours devant les juridictions administratives.

23.  Ils invoquent également l’article 6 § 2 de la Convention européenne pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (la Convention d’Oviedo) en ce qu’il prévoit que, lorsqu’un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant.

EN DROIT

A.  Sur la violation alléguée des articles 2, 8 et 13 de la Convention

24.  Les requérants invoquent les articles 2, 8 et 13 de la Convention, qui se lisent ainsi :

Article 2

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

25.  Les griefs des requérants concernent l’arrêt de traitements qui maintiennent artificiellement la vie. En ce sens, ils entrent dans le champ d’application de l’article 2 (Lambert et autres, précité, et Gard, précité). La Cour examinera donc l’ensemble des questions de fond soulevées par la présente affaire sous l’angle de l’article 2 de la Convention.

1.  Principes applicables

26.  La Cour a examiné, dans les affaires Lambert et Gard précitées, la question de l’arrêt des traitements qui maintiennent artificiellement en vie sous l’angle des obligations positives de l’État (Lambert et autres, précité, § 124, Gard, précité, § 79).

27.  Saisie de la question de l’administration ou du retrait de traitements médicaux, la Cour doit prendre en compte les éléments suivants :

-  l’existence dans le droit et la pratique internes d’un cadre législatif conforme aux exigences de l’article 2 ;

-  la prise en compte des souhaits précédemment exprimés par le patient et par ses proches, ainsi que l’avis d’autres membres du personnel médical ;

-  la possibilité d’un recours juridictionnel en cas de doute sur la meilleure décision à prendre dans l’intérêt du patient (Lambert et autres, précité, § 143).

28.  La Cour a constaté, dans ces affaires, qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie, même si une majorité d’États semblent l’autoriser. Bien que les modalités qui encadrent l’arrêt du traitement soient variables d’un État à l’autre, il existe toutefois un consensus sur le rôle primordial de la volonté du patient dans la prise de décision, quel qu’en soit le mode d’expression (Lambert et autres, précité, § 147, Gard, précité, § 83).

29.  En conséquence, la Cour rappelle que, dans ce domaine qui touche à la fin de la vie, comme dans celui qui touche au début de la vie, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États, non seulement quant à la possibilité de permettre ou pas l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie et à ses modalités de mise en œuvre, mais aussi quant à la façon de ménager un équilibre entre la protection du droit à la vie du patient et celle du droit au respect de sa vie privée et de son autonomie personnelle. Cette marge d’appréciation n’est toutefois pas illimitée, la Cour se réservant de contrôler le respect par l’État de ses obligations découlant de l’article 2 (Lambert et autres, précité, § 148, Gard, précité, § 84).

2.  Application des principes au cas d’espèce

a)  Le cadre législatif

30.  Les requérants considèrent que le droit interne n’encadre pas suffisamment les situations dans lesquelles les parents s’opposent à une décision d’arrêt des traitements concernant leur enfant mineur.

31.  La Cour rappelle avoir considéré que le cadre législatif en vigueur avant la loi du no 2016-87 du 2 février 2016 était suffisamment clair, aux fins de l’article 2 de la Convention, pour encadrer de façon précise la décision du médecin d’arrêter des traitements lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable (Lambert et autres, précité, § 160). Or, la Cour constate que la nouvelle loi n’a pas substantiellement modifié le cadre législatif prévu par le code de la santé publique. La Cour relève à cet égard que les requérants ne critiquent pas les modifications apportées par la nouvelle loi.

32.  S’agissant de la situation particulière d’un patient mineur, l’article R. 4127-42 du code de la santé publique prévoit que lorsqu’un médecin est appelé à donner des soins à un mineur, il doit non seulement consulter les parents mais aussi s’efforcer d’obtenir leur consentement (paragraphe 16 ci‑dessus). Dans la présente affaire, le Conseil d’État a précisé que dans le cas d’un patient mineur, il incombait au médecin « de rechercher l’accord des parents [...], d’agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l’égard de l’enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale » (paragraphe 14 ci-dessus).

33.  En conséquence, la Cour arrive à la conclusion que la façon dont le droit interne, tel qu’interprété par le Conseil d’État, encadre les situations dans lesquelles les parents s’opposent à une décision d’arrêt des traitements concernant leur enfant mineur est conforme aux exigences de l’article 2 de la Convention.

b)  Le cadre décisionnel

34.  Les requérants contestent le processus décisionnel en ce qu’il ne prévoit qu’une consultation des parents du patient mineur et ne leur octroie pas un pouvoir de codécision.

35.  La Cour rappelle tout d’abord que ni l’article 2, ni sa jurisprudence ne peuvent se lire comme imposant des obligations quant à la procédure à suivre pour arriver à un éventuel accord en matière d’arrêt des traitements (Lambert et autres, précité, § 162).

36.  La Cour rappelle également que, si la procédure en droit français est appelée « collégiale » et qu’elle comporte plusieurs phases de consultation (de l’équipe soignante, d’au moins un autre médecin, de la personne de confiance, de la famille ou des proches), c’est au seul médecin en charge du patient que revient la décision (Lambert et autres, précité, § 163). La volonté du patient doit être prise en compte et, lorsque la décision concerne un mineur, le médecin doit recueillir l’avis des titulaires de l’autorité parentale et tenter de parvenir à un accord avec eux. La décision elle-même doit être motivée et elle est versée au dossier du patient.

37.  En l’espèce, la procédure collégiale a été menée conformément au cadre législatif. Après une première réunion de concertation pluridisciplinaire, le médecin en charge d’Inès a organisé la procédure collégiale (paragraphe 4 ci-dessus). Un consultant extérieur, professeur honoraire de pédiatrie très impliqué dans les problèmes d’éthique et de handicap, sans aucun lien de hiérarchie avec le médecin en charge de la patiente, y a participé. Les avis de tous les membres de l’équipe soignante ont été recueillis (paragraphe 5 ci-dessus). Les requérants, en tant que titulaires de l’autorité parentale, ont été consultés au cours d’au moins six entretiens formels entre le 7 et le 21 juillet 2017. Le Conseil d’État a également recherché si la volonté d’Inès avait été prise en compte mais a considéré qu’en présence d’informations contradictoires, elle ne pouvait être déterminée avec certitude. Le Conseil d’État a alors relevé que, dans ces circonstances, l’avis des parents, en tant que titulaires de l’autorité parentale, devait revêtir une importance particulière. Il a considéré à cet égard que les requérants, malgré leur opposition à la décision, avaient « toujours été associés à la prise de décision » (paragraphe 14 ci-dessus).

38.  En l’absence de consensus entre les États membres quant à la façon dont est prise la décision finale d’arrêt des traitements, la Cour a considéré que l’organisation du processus décisionnel, y compris la désignation de la personne qui prend la décision finale d’arrêt des traitements et les modalités de la prise de décision, s’inscrivaient dans la marge d’appréciation de l’État (Lambert et autres, précité, § 168).

39.  En l’espèce, les médecins et l’équipe soignante se sont efforcés de parvenir à un accord avec les requérants au cours de nombreux entretiens. La Cour constate que la volonté des parents de ne pas mettre fin aux traitements de leur fille a été, faute d’accord, effectivement respectée par les médecins. En effet, avant même la procédure collégiale, le médecin en charge d’Inès leur a précisé que leur décision serait respectée (paragraphe 4 ci-dessus). La décision prise à l’issue de la procédure collégiale mentionne que, dans le cas d’une opposition des parents à l’arrêt des traitements, il sera recherché, avec l’équipe médicale, un projet de vie décent et adapté (paragraphe 5 ci-dessus). Lors d’un entretien postérieur à la décision d’arrêt des traitements, le Dr B. a encore indiqué aux requérants qu’une telle décision ne serait jamais appliquée sans leur accord (paragraphe 8 ci‑dessus). Dans le même sens, le rapport d’expertise précise que dans de tels cas de situation conflictuelle, les médecins ne procèdent pas à un arrêt des traitements contre l’avis des parents (paragraphe 12 ci-dessus). Enfin, le Conseil d’État a précisé qu’il appartenait désormais au médecin de déterminer si et dans quelles conditions la décision d’arrêt des traitements devait être appliquée (paragraphe 14 ci-dessus).

40.  La Cour estime donc que, même si les requérants sont en désaccord avec son aboutissement, le processus décisionnel mis en œuvre a respecté les exigences découlant de l’article 2 de la Convention

c)  Les recours juridictionnels

41.  Les requérants se plaignent de l’absence de recours effectif en droit interne contre la décision d’arrêt des traitements de leur enfant mineur.

42.  Dans sa décision no 2017-632 QPC du 2 juin 2017 (paragraphe 19 ci‑dessus), le Conseil constitutionnel a estimé, d’une part, qu’une décision d’arrêt ou de limitation de traitements de maintien en vie conduisant au décès d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté devait être notifiée aux personnes consultées par le médecin en vue de connaitre la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile et, d’autre part, qu’une telle décision devait pouvoir faire l’objet d’un recours aux fins d’obtenir sa suspension, examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente.

43.  La Cour relève que cette décision a été respectée en l’espèce, la décision d’arrêt des traitements du 21 juillet 2017 y faisant explicitement référence et indiquant que l’arrêt des traitements ne serait pas mis en œuvre dans l’hypothèse d’un recours (paragraphe 5 ci-dessus).

44.  Les requérants ont saisi le TA d’une requête en référé liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsqu’il est saisi sur ce fondement, le juge administratif des référés statue en principe seul et dans l’urgence. Il peut prendre des mesures provisoires sur un critère d’évidence (l’illégalité manifeste) et notamment suspendre la décision attaquée. Tel que son office a été défini par le Conseil d’État dans l’affaire Lambert et autres, le juge des référés se trouve investi, non seulement du pouvoir de suspendre la décision du médecin, mais encore de procéder à un contrôle de légalité complet de cette décision (et non pas sur le seul critère de son illégalité manifeste), si nécessaire en formation collégiale, et au besoin après avoir ordonné une expertise médicale et demandé des avis au titre d’amicus curiae. Le Conseil d’État a également précisé qu’eu égard à l’office particulier qui était le sien dans un tel cas, le juge devait – outre les moyens tirés de la non-conformité de la décision à la loi – examiner les moyens tirés de l’incompatibilité des dispositions législatives dont il était fait application avec la Convention (Lambert et autres, précité, §§ 171-172).

45.  En l’espèce, le juge des référés a non seulement examiné l’éventuelle nécessité de suspendre la décision du médecin mais a aussi procédé à un contrôle de légalité complet de cette décision après avoir ordonné une expertise médicale. Les experts désignés ont procédé à un examen approfondi de la situation (paragraphes 9-12 ci-dessus). Tant devant le TA que devant le Conseil d’État, les décisions, particulièrement motivées, ont été exceptionnellement prises en formation collégiale.

46.  En conclusion, la Cour est d’avis que, considéré dans son ensemble, le droit français a permis un recours juridictionnel conforme aux exigences de l’article 2.

d)  Conclusion

47.  Au regard de ce qui précède, la Cour arrive à la conclusion qu’en l’espèce, les autorités internes se sont conformées à leurs obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention, compte tenu de la marge d’appréciation dont elles disposaient en l’espèce. Il s’ensuit que les griefs des requérants sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B.  Sur la violation alléguée de l’article 6 § 2 de la Convention d’Oviedo

48.  Les requérants considèrent qu’une intervention sur un mineur dans l’incapacité d’y consentir ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant.

49.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 19 de la Convention elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes et n’est pas compétente pour examiner des griefs tirés d’autres instruments internationaux (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). Il s’ensuit que le grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

50.  En tout état de cause, la Cour souligne que le grief des requérants présenté sur le fondement de cette disposition a été pris en compte dans l’examen par la Cour du processus décisionnel ayant abouti à la décision d’arrêt des traitements (paragraphes 34-40 ci-dessus).

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 25 janvier 2018.

              Anne-Marie DouginErik Møse
Greffière adjointe f.f.Président

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CEDH, Cour (cinquième section comité), AFIRI ET BIDDARRI c. FRANCE, 23 janvier 2018, 1828/18