CEDH, Cour (cinquième section comité), PETITHORY LANZMANN c. FRANCE, 12 novembre 2019, 23038/19

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Chronologie de l’affaire

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Mélanie Jaoul · Gazette du Palais · 6 décembre 2022

www.dbfbruxelles.eu · 12 décembre 2019

Le droit de décider de quelle manière et à quel moment un individu souhaite devenir parent est un droit intransférable et l'article 8 de la Convention EDH ne garantit pas de droit à devenir grands-parents (5 décembre) Décision Petithory Lanzmann c. France, requête n°23038/19 L'affaire concernait la demande de la requérante de transférer les gamètes de son fils décédé vers un établissement en mesure de procéder à une procréation médicalement assistée ou une gestation pour autrui. La Cour EDH observe que le grief de la requérante se divise en 2 branches. S'agissant de la 1ère branche, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section Comité), 12 nov. 2019, n° 23038/19
Numéro(s) : 23038/19
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 2 mai 2019
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-199287
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2019:1112DEC002303819
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 23038/19
Dominique PETITHORY LANZMANN
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 12 novembre 2019 en un comité composé de :

 Mārtiņš Mits, président,
 André Potocki,
 Lәtif Hüseynov, juges,

et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 25 avril 2019,

Vu la décision du 12 novembre 2019,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  La requérante, Mme Dominique Petithory Lanzmann, est une ressortissante française née en 1957 et résidant à Paris. Elle a été représentée devant la Cour par Me D. Simhon, avocat exerçant à Paris.

  1. Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

3.  La requérante est l’épouse de M. Claude Lanzmann, journaliste, écrivain et réalisateur du film « Shoah » décédé en 2018.

4.  Leur fils unique, F., est décédé le 13 janvier 2017 à l’âge de vingt‑trois ans des suites d’une tumeur cancéreuse, diagnostiquée le 21 novembre 2014. Dès l’annonce de sa maladie, il avait exprimé auprès de ses proches et de ses médecins, tel que cela ressort des témoignages produits par la requérante, son désir d’être père et d’avoir une descendance, y compris en cas de décès. Il avait procédé, dès le 25 novembre 2014, à un dépôt de gamètes au centre d’études et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) de l’hôpital Cochin à Paris. Il avait également pris contact avec un centre en Suisse en vue d’y déposer des gamètes et envisagé d’autres dépôts à l’étranger, notamment à Bruxelles, Valence ou Barcelone. Ces démarches n’ont pas pu se concrétiser à cause de la maladie. Le 22 novembre 2016, F. avait demandé à l’hôpital Cochin que la conservation des gamètes soit prolongée.

5.  Au cours du printemps 2017, le président du CECOS refusa verbalement de transmettre à l’Agence de la biomédecine la demande de la requérante tendant au transfert des gamètes de son fils vers un établissement de santé situé en Israël.

6.  Par une requête du 29 octobre 2018, la requérante initia devant le tribunal administratif de Paris un recours en référé, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (paragraphe 10 ci‑dessous), et demanda au juge de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes de son fils vers un établissement de santé israélien valablement autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées (ci-après PMA). Elle fit valoir que le refus litigieux portait atteinte à l’article 8 de la Convention, la privant du droit d’exercer la vie privée et familiale auquel elle pourrait normalement prétendre en devenant grand-mère et d’assurer le respect de la volonté de son fils.

7.  Par une ordonnance du 2 novembre 2018, le juge du référé rejeta la requête. Il fit valoir tout d’abord que l’interdiction posée par l’article L. 2141-2 du code de la santé publique (ci-après CSP, paragraphe 11 ci‑dessous) d’utiliser les gamètes d’une personne après son décès pour réaliser une insémination n’était pas incompatible avec l’article 8 de la Convention. Il considéra à cet égard qu’une telle prohibition relevait de la marge d’appréciation dont chaque État dispose pour l’application de la Convention. Il ajouta que l’interdiction de l’exportation des gamètes posée par l’article L. 2141-11 du CSP (idem), s’ils sont destinés à être utilisés à l’étranger à des fins prohibées sur le territoire national, visait à éviter tout contournement de la loi nationale.

Effectuant par ailleurs un contrôle concret de conventionalité de la loi en cause, le juge considéra que le refus d’exporter les gamètes du fils défunt de la requérante ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il retint que si le fils de la requérante avait régulièrement exprimé son souhait de devenir père, les pièces du dossier n’avaient cependant pas établi, premièrement, qu’il était inscrit dans un projet parental précis, deuxièmement qu’il avait exprimé la volonté que ses gamètes soient utilisés en vue d’une insémination artificielle postérieurement à son décès notamment via une procédure de gestation pour autrui, et, troisièmement, qu’il avait autorisé sa mère à utiliser ses gamètes à cette fin. Le juge ajouta que la décision contestée privant la requérante de la possibilité d’être grand-mère ne portait pas, au regard des intérêts légitimes qui fondent la législation française, une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

8.  La requérante interjeta appel de l’ordonnance devant le Conseil d’État. Elle fit notamment valoir que la législation israélienne autorisait la PMA après le décès d’un donneur, y compris à la demande de ses parents.

9.  Par une ordonnance du 4 décembre 2018, le Conseil d’État rejeta sa requête, en reprenant les motifs du juge de première instance, y ajoutant que les pièces versées au dossier n’avaient pas montré qu’une insémination artificielle pourrait être réalisée en Israël à la demande de la requérante.

  1. Le droit et la pratique internes pertinents

10.  L’article L. 521-2 du code de justice administrative est ainsi libellé :

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

11.  Les dispositions pertinentes du code de la santé publique sont citées dans l’affaire Dalleau c. France (no 57307/18, communiquée le 29 mai 2018). Pour les résumer, il est rappelé que la loi no 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal a interdit la procréation post mortem. Selon l’article L. 2141-2 du CSP, l’accès à la PMA est réservé aux couples d’un homme et d’une femme qui doivent être vivants et en âge de procréer. Elle a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité. Selon cette disposition, « le décès d’un des membres du couple » fait « obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons ».

L’article L. 2141-11 du CSP prévoit que toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité peut bénéficier du recueil de ses gamètes, sous réserve de son consentement, en vue de la réalisation ultérieure d’une PMA. Selon l’article L. 2141-11-1 du CSP, l’exportation de gamètes est soumise à une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine. Seuls les gamètes destinés à être utilisés conformément aux principes mentionnés notamment à l’article L. 2141-2 précité peuvent faire l’objet d’une autorisation d’exportation. Enfin, l’article R. 2141-17 du CSP dispose qu’il est mis fin à la conservation des gamètes en cas de décès de la personne.

12.  Dans le cadre de la révision périodique des lois de bioéthique, le projet de loi bioéthique déposé à l’Assemblée nationale le 24 juillet 2019 est en cours de discussion. Il comporte une importante évolution des conditions d’accès à l’AMP qu’il est proposé d’élargir aux couples de femmes et aux femmes non mariées en supprimant le critère médical d’infertilité. Il prévoit également le maintien du principe de prohibition de l’insémination et du transfert d’embryons en cas de décès d’un des membres du couple.

GRIEF

Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante se plaint de l’impossibilité de disposer des gamètes de son fils décédé en vue de procéder, dans le respect des dernières volontés de celui-ci, à une PMA via notamment un don à un couple stérile ou une gestation pour autrui, procédures qui seraient autorisées notamment en Israël ou aux États-Unis. Invoquant l’arrêt Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, CEDH 2007‑I), elle considère l’article 8 de la Convention applicable en la cause et soutient que l’interdiction litigieuse ne se justifie ni au regard de l’évolution de la société et de la famille, ni au regard de l’intérêt de l’enfant à naître qui aurait un ou plusieurs parents à même de s’occuper de lui et de lui transmettre la mémoire particulière de la famille Lanzmann.

EN DROIT

13.  La requérante allègue que le refus de transfert des gamètes de son fils décédé est contraire à l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

14.  La Cour observe que le grief de la requérante tient à l’impossibilité d’exporter les gamètes de son fils décédé et de faire pratiquer, conformément à la volonté qu’il avait exprimé, une insémination post mortem dans un État qui l’autorise, aux fins de perpétuer la mémoire de la famille Lanzmann.

15.  La Cour estime qu’il y a lieu de scinder le grief de la requérante en deux branches selon qu’elle le formule en tant que victime indirecte d’une violation de l’article 8 de la Convention au nom de son fils défunt ou en tant que victime directe privée de descendance.

16.  S’agissant de la première branche du grief, la Cour renvoie à son approche concernant les victimes directes et indirectes telle que résumée dans l’arrêt Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, §§ 96-100, CEDH 2014). Faisant application de celle-ci, elle estime que les droits revendiqués par la requérante concernent les droits de son fils défunt. Le sort des gamètes déposés par un individu et la question du respect de sa volonté qu’elles soient mises en œuvre après sa mort concernent le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent qui relève de la catégorie des droits non transférables (Sanles Sanles c. Espagne (déc.), no 48335/99, CEDH 2000‑XI, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, § 100, Rõigas c. Estonie, no 49045/13, § 127, 12 septembre 2017). En conséquence, la requérante ne peut se prétendre victime d’une violation de l’article 8 au nom de son fils défunt. Cette partie de son grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

17.  S’agissant de la seconde branche du grief, la Cour estime qu’elle pose avant tout la question de sa compétence ratione materiae et plus précisément celle de savoir si le refus litigieux opposé à la requérante concerne sa « vie privée » ou « familiale ».

18.  La Cour rappelle que si la notion de vie privée aussi bien que celle de vie familiale recouvre le droit au respect des décisions de devenir parent au sens génétique du terme (Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 72, CEDH 2007‑I) et que le droit des couples de recourir à la PMA constitue une forme d’expression de ces notions (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 82, CEDH 2011), l’article 8 de la Convention ne garantit pas le droit de fonder une famille (E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 41, 22 janvier 2008).

19.  En l’espèce, la Cour note que les juridictions nationales ont estimé, d’une part, que l’interdiction légale de procréation post mortem était conforme à la Convention et, d’autre part, que le refus d’exportation des gamètes du fils défunt de la requérante ne portait pas atteinte à la vie privée et familiale de cette dernière. En particulier, le juge des référés a relevé que les éléments du dossier ne montraient pas que F. avait autorisé sa mère à utiliser ses gamètes aux fins d’une insémination post mortem. Il a également retenu que l’impossibilité pour la requérante d’être grand-mère ne portait pas atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Convention compte tenu des intérêts qui fondent la loi française, à savoir, au regard de l’objectif jusque-là assigné à la procréation médicalement assistée en France, remédier à l’infertilité pathologique d’un couple. En d’autres termes, le juge interne a considéré que l’impossibilité d’accéder au souhait de son fils défunt de se perpétuer par un enfant ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante. La Cour n’entend pas se démarquer de cette position.

20.  Devant elle, la requérante souligne davantage les conséquences du refus litigieux quant à la perte de la mémoire de la famille Lanzmann. Aussi respectable que soit cette aspiration personnelle à la continuité de la parenté génétique, la Cour ne saurait considérer qu’elle entre dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. Celui-ci ne comprend pas le droit de fonder une famille et ne saurait englober, en l’état de sa jurisprudence, le droit à une descendance pour des grands-parents. En conséquence, cette partie du grief doit être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 5 décembre 2019.

 Milan Blaško Mārtiņš Mits
 Greffier adjoint Président

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