CEDH, Commission (première chambre), CANKOÇAK c. la TURQUIE, 24 octobre 1995, 25182/94;26956/95

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Première Chambre), 24 oct. 1995, n° 25182/94;26956/95
Numéro(s) : 25182/94, 26956/95
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 3 avril 1995
Jurisprudence de Strasbourg : Cour Eur. D.H. Arrêt Kefalas et autres du 8 juin 1995, série A n° 318-A, par. 45
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-26860
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1995:1024DEC002518294
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Texte intégral

                          SUR LA RECEVABILITÉ

                      de la requête N° 25182/94 et 26956/95

                      par Ferit Murat CANKOÇAK

                      contre la Turquie

     La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 24 octobre 1995 en présence

de

           M.    C.L. ROZAKIS, Président

           Mme   J. LIDDY

           MM.   E. BUSUTTIL

                 A.S. GÖZÜBÜYÜK

                 A. WEITZEL

                 M.P. PELLONPÄÄ

                 G.B. REFFI

                 B. CONFORTI

                 N. BRATZA

                 I. BÉKÉS

                 E. KONSTANTINOV

                 G. RESS

                 A. PERENIC

                 C. BÎRSAN

                 K. HERNDL

           Mme   M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre

     Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

     Vu la requête introduite le 18 août 1994 et enregistrée le

19 septembre 1994 sous le N° de dossier 25182/95 et la requête

introduite le 3 avril 1995 et enregistrée le 3 avril 1995 sous le N°

de dossier 26956/95 par Ferit Murat CANKOÇAK contre la Turquie ;

     Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

     Après avoir délibéré,

     Rend la décision suivante :

EN FAIT

     Le requérant, ressortissant turc, est né en 1957 et réside à

Strasbourg. A l'époque des faits, il poursuivait ses études

universitaires en Turquie.

     Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par

Maître Senal SARIHAN, avocat au barreau d'Ankara.

     Les faits de la cause, tel qu'ils ont été exposés par le

requérant, peuvent se résumer comme suit.

     Le 24 novembre 1978, le requérant fut appréhendé par la police

en possession d'une arme à feu et fut placé en garde à vue dans les

locaux de la direction de sûreté d'Ankara. Il lui fut reproché d'avoir

participé à l'attaque à main armée d'une banque.

     Lors de sa garde à vue, ses parents sollicitèrent à plusieurs

reprises qu'il soit traduit devant le juge et soumis à un examen

médical.

     Le 5 décembre 1978, après une garde à vue de douze jours, le

requérant fut traduit devant le juge d'instruction qui l'inculpa et

ordonna sa mise en détention provisoire. Devant le juge, le requérant

prétendit que, lors de sa garde à vue, les policiers lui avaient

infligé des mauvais traitements afin de lui extorquer des aveux. Il

aurait été contraint de signer une déposition écrite préparée d'avance

par les policiers.

     Le juge d'instruction ne donna aucune suite à la plainte du

requérant portée contre les responsables de sa garde à vue.

     Sur demande du parquet, le requérant fut soumis, le

13 décembre 1978, à un examen médical à l'hôpital d'Ankara dont le

rapport fit état de traces de lésions sur le corps du requérant.

     Le procureur général près la cour martiale d'Ankara intenta une

action publique contre le requérant. Il l'accusa de complicité de

meurtre, de participation à un vol à main armée dans une banque ainsi

qu'à une fusillade dans un café. Selon le parquet, ces infractions

avaient été commises dans le cadre d'une campagne terroriste visant

abolir l'ordre constitutionnel turc et menée par l'organisation

illégale Dev-Yol (Devrimci Yol: la Voie Révolutionnaire).

     Par jugement du 26 septembre 1979, la cour martiale d'Ankara

déclara le requérant coupable des faits qui lui avaient été reprochés

et le condamna à la peine capitale commuée à la réclusion à perpétuité.

     Le requérant, ainsi que le parquet, se pourvurent contre ce

jugement.

     Par arrêt du 20 août 1980, la Cour de cassation militaire cassa

le jugement attaqué au motif que l'établissement des faits n'était pas

exhaustif.

     Dans l'intervalle, le 28 avril 1986, le requérant fut mis en

liberté conditionnelle. Il s'informa auprès de son université de l'état

de son inscription. Il apprit que cette inscription avait été annulée

le 14 mars 1979 au motif qu'elle n'avait pas été renouvelée.

     Par jugement du 3 juillet 1986, la cour martiale d'Ankara se

conforma partiellement à l'arrêt de cassation du 20 août 1980 et

condamna le requérant à 15 ans d'emprisonnement pour complicité de

meurtre et pour appartenance simple à bande armée.

     Le requérant ainsi que le parquet interjetèrent appel de ce

jugement. Le parquet requit que le requérant soit condamné pour vol à

main armée, mais acquitté pour complicité de meurtre.

     Par arrêt du 23 décembre 1987, la Cour de cassation militaire

confirma la condamnation pour complicité de meurtre et cassa le verdict

d'acquittement pour vol à main armé.

     Le procureur général près la Cour de cassation militaire

introduisit, devant les chambres réunies, un recours en rectification

de l'arrêt du 23 décembre 1987 et demanda la levée des chefs

d'accusation initiaux. Il requit que le requérant ne soit inculpé que

d'appartenance active à bande armée (article 168 par. 2 du Code

pénale).

     Par arrêt du 22 septembre 1988, les chambres réunies de la Cour

de cassation militaire cassèrent le jugement de condamnation pour

complicité de meurtre, mais estimèrent que le requérant était coupable

de vol à main armée. Elles renvoyèrent le dossier de l'affaire à la

cour martiale d'Ankara.

     Par jugement du 27 février 1990, cette dernière se conforma à

l'arrêt des chambres réunies du 22 septembre 1988 et condamna le

requérant à la perpétuité pour vol à main armée et pour avoir été

dirigeant d'une bande armée (article 146 par. 1 du Code pénale). Elle

décerna également un mandat d'arrêt contre le requérant.

     Le requérant et le parquet se pourvurent contre ce jugement. Le

parquet estima que le requérant aurait dû être condamné pour simple

appartenance à une bande armée.

     En juin 1990, le requérant s'enfuit de la Turquie.

     Par arrêt du 18 décembre 1992, la Cour de cassation militaire,

suivant l'avis du parquet, cassa la décision du 27 février 1990.

     Par jugement du 5 mai 1992, la cour martiale d'Ankara maintint

son jugement du 27 février 1992 et refusa de se conformer à l'arrêt de

cassation du 18 décembre 1992.

     Le dossier fut dès lors renvoyé devant les chambres réunies de

la Cour de cassation militaire.

     Alors que cette procédure était pendante, le 1er décembre 1992,

la loi n° 3842 amendant le code de procédure pénal turc entra en

vigueur. L'article 13 de cette loi interdisait toute sorte de

contrainte lors des interrogatoires dans le cadre des enquêtes de

police et prévoyait qu'aucun aveu ou renseignement obtenu par des

méthodes interdites ne pouvait être considéré comme preuve à charge.

     Par arrêt du 10 décembre 1992, les chambres réunies annulèrent

la condamnation du requérant pour chef de vol à main armée et

renvoyèrent le dossier devant la première instance pour l'examen

exclusif de l'accusation d'appartenance à bande armée (article 168 du

CPT). Elles estimèrent comme établi que le requérant avait été soumis

à des mauvais traitements lors de son interrogatoire. Elle décidèrent

par conséquent que la déposition du requérant faite à la police n'avait

pas de valeur probante.

     Le 18 novembre 1993, la cour martiale d'Ankara, se conformant à

l'arrêt du 10 décembre 1992, condamna le requérant à quatre ans et deux

mois d'emprisonnement pour appartenance simple à bande armée et le

relaxa pour le surplus des accusations.

      L'avocat du requérant interjeta appel du verdict. Il excipa de

la prescription de l'action publique pour l'accusation d'appartenance

simple à bande armée (article 146 par. 3 du Code pénale).

     Par arrêt du 22 décembre 1993, la cour de cassation militaire

annula la condamnation du requérant et déclara l'action publique

éteinte pour prescription.

     Cet arrêt fut notifié à l'avocat du requérant le 3 août 1994.

GRIEFS

     Le requérant prétend avoir été torturé lors de sa garde à vue et

allègue à cet égard la violation de l'article 3 de la Convention. Il

se plaint également de n'avoir pas disposé d'une voie de recours

efficace afin de contester les mauvais traitements qu'il aurait  subis

lors de sa garde à vue. Il invoque à cet égard l'article 13 de la

Convention combiné avec son article 3.

     Le requérant, invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention, se

plaint de ce que sa cause n'aurait pas été entendue dans un délai

raisonnable dans la mesure où la procédure pénale engagée contre lui

a duré plus de quinze ans. Il se plaint également du retard de la

notification du dernier arrêt de cassation rendu à son égard.

     Le requérant, invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention, se

plaint de ce que la cour martiale qui l'a jugé et condamné ne saurait

passer pour un tribunal indépendant et impartial dans la mesure où elle

était composée d'officiers des forces armées et de magistrats

militaires dont l'indépendance vis-à-vis des supérieurs militaires

n'est pas garantie. Il prétend qu'il n'a pas bénéficié d'un procès

équitable devant ces juridictions du fait que les condamnations

prononcées à son encontre étaient fondées sur la déposition qu'il avait

dû signer sous la contrainte à la police.

     Le requérant soutient par ailleurs que sa longue détention

provisoire constitue une atteinte au principe de présomption

d'innocence énoncé à l'article 6 par. 2 de la Convention.

     Le requérant se plaint en outre de ce que la durée de sa

détention provisoire a largement dépassé la durée de la peine à

laquelle il avait été finalement condamné. Il invoque l'article 7

par. 1 de la Convention.

     Le requérant se plaint enfin d'avoir été privé de son droit à

l'instruction en raison de la durée excessive de sa détention

provisoire ainsi que celle de la procédure pénale engagée à son

encontre. Il invoque l'article 2 du Protocole N° 1.

EN DROIT

     Le requérant se plaint en premier lieu de la durée de la

procédure pénale engagée à son encontre et allègue une violation de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

     La Commission relève que le requérant a été arrêté le 24 novembre

1978 et l'arrêt de cassation statuant définitivement sur son affaire

lui a été notifié le 3 août 1994. Le délai à prendre à considération

au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s'élève dès

lors à plus de 15 ans et 6 mois, dont 7 ans et 5 mois se situent après

le 28 janvier 1987, date à partir de laquelle la Turquie a reconnu la

compétence de la Commission au regard de l'article 25 (art. 25).

     La Commission considère qu'en l'état actuel du dossier, elle

n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et

juge nécessaire de porter cette partie des requêtes à la connaissance

du Gouvernement défendeur en application de l'article 48 par. 2 b) du

Règlement intérieur de la Commission.

     Le requérant se plaint en outre de ce que sa cause n'aurait pas

été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial,

contrairement à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

     La Commission rappelle à cet égard qu'une personne non-militaire

condamnée par une cour martiale en Turquie peut se prétendre victime

d'une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en

ce que sa cause n'avait pas été entendue équitablement par un tribunal

indépendent et impartial (cf. Mitap et Müftüoglu c/Turquie, rapport

Comm. 8.12.94, pp. 17-20, par. 87-110).

     Toutefois, la Commission rappelle que la relaxe d'un accusé à

l'issue de la procédure pénale dont il a fait l'objet et l'abandon des

poursuites pénales déclenchées contre lui constituent un redressement

des violations qui auraient été commises au cours de son procès (cf.

entre autres, N° 5575/72, déc. 8.7.74, D.R. 1, p. 44). La Commission

relève qu'en l'espèce, le requérant a été acquitté par les juridictions

pénales militaires d'une partie des accusations portées contre lui et

que l'autre partie de ces accusations a été abandonnée pour

prescription.

     Les requêtes doivent donc être rejetées sur ce point comme

manifestement mal fondées, conformément à l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

     Le requérant se plaint également d'une atteinte au principe de

présomption d'innocence en raison de la durée excessive de sa détention

provisoire (article 6 par. 2  (art. 6-2) de la Convention), des mauvais

traitements qu'il aurait subis lors de sa garde à vue (article 3

(art. 3) de la Convention), de n'avoir pas pu faire entendre auprès des

autorités nationales ses griefs tirés des mauvais traitements

(article 3 de la Convention combiné avec son article 13 (art. 3+13))

et de ce que la durée de sa détention provisoire a excédé la peine

d'emprisonnement qui pouvait lui être infligée (article 7 par. 1

(art. 7-1) de la Convention). Il se plaint enfin de ce que sa détention

provisoire excessivement longue l'a empêché de poursuivre ses études

universitaires (article 2 du Protocole No 1 (P1-2)).

     Toutefois, la Commission relève que les faits contestés par le

requérant remontent à une période qui se situe entre 1978 et 1986 alors

que la Turquie n'a reconnu la compétence de la Commission de se saisir

de requêtes présentées en application de l'article 25 (art. 25) de la

Convention que dans la mesure où celles-ci portent sur des faits ou sur

des décisions concernant ces faits intervenus postérieurement au

28 janvier 1987.

     Il s'ensuit que cette partie des requêtes échappe à la compétence

ratione temporis de la Commission (cf. entre autres N° 19934/92, Macit

et autres c/Turquie, déc. 31.3.89 ; Cour eur. D.H., arrêt Kefalas et

autres du 8 juin 1995, série A n° 318-A, par. 45) et est incompatible

avec les dispositions de la Convention au sens de son article 27 par. 2

(art. 27-2).

     Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

     ORDONNE la jonction des requêtes,

     AJOURNE l'examen du grief du requérant tiré de la durée de la

     procédure pénale engagée contre lui,

     DECLARE LES REQUETES IRRECEVABLES pour le surplus.

     Le Secrétaire de la                        Le Président de la

      Première Chambre                           Première Chambre

     (M. F. BUQUICCHIO)                           (C. L. ROZAKIS)

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