CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE METIN YILMAZ c. TURQUIE, 22 décembre 2004, 45733/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 22 déc. 2004, n° 45733/99
Numéro(s) : 45733/99
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 11 juin 1998
Jurisprudence de Strasbourg : Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, p. 284, § 85
Çiraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, p. 3074, §§ 44-45 et § 49
Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1573, § 72 in fine
Gençel c. Turquie, no 53431/99, §§ 11-12 et § 27, 23 octobre 2003
Haralambidis et autres c. Grèce, no 36706/97, CEDH 2001
Irfan Kalan c. Turquie, no 73561/01, 2 octobre 2001
Özdemir c. Turquie, n° 59659/00, § 26 et §§ 35-36, 6 février 2003
Özel c. Turquie, no 42739/98, §§ 20-21 et §§ 33-34, 7 novembre 2002
Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, §§ 30-31, CEDH 1999-II
Seher Karatas c. Turquie, n° 33179/96, 9 juillet 2002
Z.Y. c. Turquie (règlement amiable), n° 27532/95, 9 avril 2002
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-3 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens
Identifiant HUDOC : 001-67883
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1222JUD004573399
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE METIN YILMAZ c. TURQUIE

(Requête no 45733/99)

ARRÊT

STRASBOURG

22 décembre 2004

DÉFINITIF

22/03/2005 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Metin Yılmaz c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
R. Türmen,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
MM.V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 décembre 2004,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45733/99) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, Metin Yılmaz (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 11 juin 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me M. N. Terzi, avocat à Izmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

3.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement

5.  Le 28 novembre 2000, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le restant de la requête au Gouvernement.

6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1 du règlement).

7.  Par une lettre du 26 juillet 2002, la Cour a informé les parties qu’elle se prononcerait, en application de l’article 29 §§ 1 et 3 de la Convention, tant sur la recevabilité que sur le fond de la requête.

8.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9.  Le requérant, Metin Yılmaz, est un ressortissant turc né en 1957. A l’époque des faits, il était ouvrier et résidait à Izmir.

10.  Le 2 novembre 1994, le requérant fut arrêté à l’issue d’une perquisition faite à son domicile et placé en garde à vue par des policiers de la section anti-terrorisme de la direction de la sûreté d’İzmir. Le jour même, après avoir été entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’İzmir (« le procureur » – « la cour de sûreté de l’État »), il fut traduit devant le juge assesseur de cette juridiction, lequel ordonna sa mise en détention provisoire.

11.  Par un acte d’accusation du 7 décembre 1994, le procureur inculpa le requérant pour appartenance à deux organisations illégales, la TİKB (Union des communistes révolutionnaires de Turquie) et le MLKP-K (Parti communiste – marxiste-léniniste), et requit à son encontre l’application de l’article 168 du code pénal.

12.  Le 11 juillet 1995, le requérant fut admis au bénéfice de la liberté provisoire.

13.  Par un arrêt du 6 février 1997, la cour de sûreté de l’État déclara le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à une peine d’emprisonnement de trois ans et neuf mois ; par ailleurs, elle interdit l’intéressé de la fonction publique pour une durée de trois ans.

14.  Par un arrêt du 18 novembre 1997, prononcé le 26 novembre 1997 en l’absence du requérant et de son conseil, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance.

15.  Le 17 décembre 1997, le texte de l’arrêt de la Cour de cassation fut versé au dossier se trouvant au greffe de la cour de sûreté de l’État et donc mis à la disposition des parties. Le dossier de l’affaire fut ainsi clôturé.

16.  Le 10 janvier 1998, le requérant fut arrêté et incarcéré en vertu de l’arrêt de condamnation.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17.  Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Özel c. Turquie, no 42739/98, §§ 20-21, 7 novembre 2002, et Gençel c. Turquie, no 53431/99, §§ 11-12, 23 octobre 2003.

EN DROIT

I.SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

18.  Le requérant allègue que la cour de sûreté de l’État qui l’a jugé et condamné ne constitue pas un « tribunal indépendant et impartial » qui eût pu lui garantir un procès équitable en raison de la présence d’un juge militaire en son sein.

Le requérant dénonce également l’iniquité de la procédure devant cette juridiction. Il se plaint, en ce sens, de ne pas avoir bénéficier de l’assistance d’un avocat durant l’instruction préliminaire mais aussi du fait que sa condamnation est essentiellement basée sur le contenu des dépositions recueillies lors de l’enquête préliminaire.

Il y voit une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention qui, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

A.  Sur la recevabilité

19.  Le Gouvernement soulève une exception préliminaire tirée du non-respect du délai de six mois prévu à l’article 35 de la Convention. Celle-ci se divise en deux branches.

20.  Dans un premier temps, le Gouvernement soutient que la décision interne définitive est celle rendue par la Cour de cassation le 18 novembre 1997 et prononcée le 26 novembre 1997. Il en conclut que la requête aurait dû être introduite dans le délai de six mois à partir de cette dernière date alors qu’elle a été introduite le 11 juin 1998.

21.  La Cour relève qu’il ressort du texte intégral de l’arrêt de la Cour de cassation du 18 novembre 1997 que son prononcé a eu lieu le 26 novembre 1997 en l’absence du requérant et de son conseil. Puis, le 17 décembre 1997, le texte intégral de cet arrêt a été versé au dossier de l’affaire se trouvant au sein du greffe de la cour de sûreté de l’État d’Izmir.

22.  La Cour rappelle que le droit turc ne prévoit pas la signification des arrêts de la Cour de cassation et relève qu’en l’absence d’une telle signification, le requérant n’aurait pu avoir connaissance du contenu dudit arrêt que le 17 décembre 1997, date de la mise à disposition de la décision aux parties (voir, mutatis mutandis, Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, §§ 30-31, CEDH 1999-II, et Haralambidis et autres c. Grèce, no 36706/97, CEDH 2001 ; comparer avec Seher Karataş c. Turquie, no 33179/96, 9 juillet 2002, et Z.Y. c. Turquie (règlement amiable), no 27532/95, 9 avril 2002). La requête a été introduite le 11 juin 1998, c’est-à-dire dans le délai de six mois après cette dernière date.

23.  Partant, la Cour rejette cette branche de l’exception.

24.  Dans un second temps, le Gouvernement fait valoir que la décision interne définitive, concernant le grief relatif au manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’État, est celle rendue par cette même juridiction. A cet égard, il soutient que la Cour de cassation n’était nullement habilitée à se prononcer sur ce grief, et, de ce fait, le pourvoi ne constituait pas un recours interne efficace pour remédier à la situation dénoncée. Il en conclut que le requérant aurait dû introduire sa requête dans les six mois à partir de l’arrêt de la cour de sûreté de l’État, à savoir le 6 février 1997. Or, il souligne que la requête a été introduite le 11 juin 1998. A l’appui de son argumentation, le Gouvernement fait référence à la jurisprudence de la Cour (entre autres, İrfan Kalan c. Turquie, no 73561/01, 2 octobre 2001).

25.  La Cour rappelle qu’elle a rejeté une exception semblable dans l’affaire Özdemir c. Turquie, no 59659/00, § 26, 6 février 2003. Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à sa précédente conclusion et rejette donc l’exception du Gouvernement.

26.  La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir notamment Çıraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en outre que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

B.  Sur le fond

1.  Sur l’indépendance et l’impartialité de la cour de sûreté de l’État

27.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Özel, précité, §§ 33-34, et Özdemir, précité, §§ 35‑36).

28.  La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate qu’il est compréhensible que le requérant, qui répondait devant une cour de sûreté de l’État d’infractions prévues et réprimées par le code pénal, ait redouté de comparaître devant des juges parmi lesquels figurait un officier de carrière appartenant à la magistrature militaire. De ce fait, il pouvait légitimement craindre que la cour de sûreté de l’État se laissât indûment guider par des considérations étrangères à la nature de sa cause. Partant, on peut considérer qu’étaient objectivement justifiés les doutes nourris par le requérant quant à l’indépendance et à l’impartialité de cette juridiction (Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998‑IV, p. 1573, § 72 in fine).

29.  La Cour conclut que, lorsqu’elle a jugé et condamné le requérant, la cour de sûreté de l’État d’Izmir n’était pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1.

2.  Sur l’équité de la procédure pénale

30.  Le Gouvernement conteste l’existence d’une violation.

31.  La Cour rappelle avoir déjà jugé dans des affaires similaires qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction.

32.  Eu égard au constat de violation du droit du requérant à voir sa cause entendue par un tribunal indépendant et impartial auquel elle parvient, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner le présent grief (voir, entre autres, Çıraklar, précité, p. 3074, §§ 44-45).

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

33.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage matériel et moral

34.  Le requérant allègue avoir subi des préjudices matériel et moral qu’il évalue respectivement à 5 174 euros (EUR) et 10 000 EUR.

35.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

36.  En ce qui concerne le dommage matériel allégué, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure devant la cour de sûreté de l’État aurait abouti si l’infraction à la Convention n’avait pas eu lieu. Il n’y a donc pas lieu d’accorder au requérant une indemnité à ce titre (Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, p. 284, § 85).

37.  Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (Çıraklar, précité, p. 3074, § 49).

38.  Lorsque la Cour conclut que la condamnation d’un requérant a été prononcée par un tribunal qui n’était pas indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1, elle estime qu’en principe le redressement le plus approprié serait de faire rejuger le requérant en temps utile par un tribunal indépendant et impartial (Gençel, précité, § 27).

B.  Frais et dépens

39.  Le requérant demande également 3 750 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour. Le requérant ne fournit pas de justificatifs.

40.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

41.  Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour statuant en équité, accorde au requérant la somme 2 000 EUR à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

42.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare le restant de la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’État d’Izmir ;

3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs tirés de l’article 6 de la Convention ;

4.  Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral allégué ;

5.  Dit

      a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ou toutes autres charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 décembre 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent BergerBoštjan M. Zupančič
GreffierPrésident

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