CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE GUILLEMOT c. FRANCE, 20 décembre 2005, 21922/03

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 20 déc. 2005, n° 21922/03
Numéro(s) : 21922/03
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 8 juillet 2003
Jurisprudence de Strasbourg : Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, série A no 140, p. 29, §§ 45-46
De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, § 53
Hauschildt c. Danemark, arrêt du 24 mai 1989, série A no 154, p. 21, § 45
Kemmache c. France (no 3), arrêt du 24 novembre 1994, série A no 296-C, p. 88, § 44Perez c. France [GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004-...
Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 37
García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Non-violation de l'art. 6-1
Identifiant HUDOC : 001-71715
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2005:1220JUD002192203
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GUILLEMOT c. FRANCE

(Requête no 21922/03)

ARRÊT

STRASBOURG

20 décembre 2005

DÉFINITIF

20/03/2006 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Guillemot c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
M. Ugrekhelidze,
MmesA. Mularoni,
E. Fura-Sandström, juges,

et de MmeS. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 novembre 2005,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21922/03) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Magali Guillemot (« la requérante »), a saisi la Cour le 8 juillet 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par Me N. Senyk, avocate au barreau de Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, Directrice des affaires juridiques au Ministère des Affaires Etrangères.

3.  Le 9 novembre 2004, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  La requérante est née en 1967 et réside à Versailles.

5.  Le 10 octobre 1994, elle donna naissance à un garçon, L.D., qui décéda le 5 décembre 1994. Le même jour, le responsable du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital où se trouvait L.D. fit un signalement de mauvais traitements auprès du procureur de la République de Nanterre.

6.  La requérante et son mari, J.D., furent mis en examen le 10 décembre pour des faits de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur mineur de quinze ans par ascendants légitimes et furent placés sous mandat de dépôt criminel.

7.  Les expertises post-mortem, effectuées à la demande du procureur de la République puis du juge d’instruction, établirent que l’enfant avait été victime de fractures des membres les trois dernières semaines de sa vie, d’une fracture du crâne environ quinze jours avant sa mort et de contusions cérébrales. L’enquête établit que seuls les parents avaient eu accès à l’enfant et que seulement les deux ou l’un des deux pouvaient être l’auteur des sévices.

8.  Le 24 avril 1996, le juge d’instruction procéda à une confrontation entre les deux parents. Ils se désignèrent mutuellement comme auteur de ces violences et maltraitances.

9.  J.D. fut libéré et placé sous contrôle judiciaire le 1er juillet 1996 et la requérante le fut le 15 octobre 1996.

10.  Le juge d’instruction estima que l’enquête et l’information n’avaient pas permis de déterminer objectivement lequel des parents était l’auteur des fractures des membres et de la première fracture du crâne et en conclut qu’en l’absence de témoignage extérieur des parents, il n’était pas possible de déterminer celui qui avait causé ces fractures. Il estima en revanche qu’il résultait de l’enquête et de l’instruction des charges suffisantes à l’encontre de la requérante du chef de violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner sur mineur de quinze ans par ascendant légitime et requalifia les faits reprochés à J.D. en non-assistance à personne en danger. Il ordonna la transmission du dossier au procureur général près la cour d’appel de Versailles le 28 mars 1998.

11.  Le procureur général demanda un supplément d’information tendant à voir ordonner de nouvelles expertises médico-légales et à voir prononcer la mise en examen de chacun des parents du chef de violences habituelles sur mineur de quinze ans ayant entraîné la mort de la victime.

12.  Par un arrêt du 3 février 1999, la chambre d’accusation estima qu’il n’était pas nécessaire à la manifestation de la vérité de procéder à de nouvelles mesures d’expertise mais requalifia les faits, ordonna qu’il soit informé sur le crime de violences habituelles sur mineur de quinze ans ayant entraîné la mort de ce dernier et ordonna un supplément d’information afin de mettre les deux parents en examen de ce chef. Il fut procédé à ces actes les 12 et 19 mars 1999.

13.  Par un arrêt du 2 juillet 1999, la chambre d’accusation mit les deux parents en accusation du chef de violences habituelles sur mineur de quinze ans ayant entraîné la mort de ce dernier, les renvoya devant la cour d’assises des Hauts de Seine et décerna ordonnance de prise de corps à leur encontre.

14.  L’ordonnance de prise de corps fut exécutée le 19 novembre 2000, veille de l’audience de la cour d’assises.

15.  Par un arrêt du 23 novembre 2000, la cour d’assises reconnut la requérante coupable et acquitta J.D., qui fut immédiatement remis en liberté. La requérante fut condamnée à quinze ans de réclusion criminelle.

16.  La requérante fit appel. Elle fut libérée sous contrôle judiciaire le 19 décembre 2000 et comparut libre devant la cour d’assises de Paris, désignée pour statuer en appel par la Cour de cassation le 14 mars 2001.

17.  L’audience se tint du 12 au 17 novembre 2001. J.D. fut cité en tant que témoin devant la cour d’assises d’appel et souhaita se constituer partie civile. La requérante contesta la recevabilité de cette action. La cour d’assises d’appel releva que J.D. ne s’était pas porté partie civile en première instance, alors que sa qualité de co-accusé ne le privait pas de cette possibilité et déclara sa constitution de partie civile irrecevable.

18.  Au cours des débats, trente-deux témoins et sept experts furent entendus et interrogés par les parties. J.D. fut entendu à plusieurs reprises en tant que témoin, sans prestation de serment en raison de sa qualité d’époux de la requérante, et ce à titre de simple renseignement. Les avocats de la requérante purent l’interroger.

19.  Par un arrêt du 17 novembre 2001, la cour d’assises d’appel déclara la requérante coupable et la condamna à dix ans de réclusion criminelle.

20.  Elle se pourvut en cassation, se fondant sur le principe de l’égalité des armes et le droit au procès équitable. Dans la première branche, elle soutenait avoir été privée, parce que l’acquittement de son co-accusé revêtait l’autorité de la chose jugée, de la possibilité de prouver son innocence en cour d’appel en démontrant la culpabilité de celui-ci. Dans la seconde branche, elle faisait grief à la cour d’assises d’appel d’avoir accepté que J.D., cité en qualité de témoin, puisse se présenter en victime et soutenir la recevabilité de sa constitution de partie civile.

21.  Par un arrêt du 15 janvier 2003, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, estimant qu’il n’avait été commis aucune violation des dispositions légales et conventionnelles invoquées, qu’en l’absence d’identité de parties, l’autorité de la chose juge attachée à l’acquittement de J.D. était sans effet à l’égard de la requérante et finalement que toute personne pouvait se constituer partie civile jusqu’à la clôture des débats sur l’action publique et qu’en cas de contestation sur la recevabilité de cette action, la cour d’assises devait statuer sur l’incident.

22.  La requérante fut écrouée pour l’exécution de sa peine le 31 janvier 2003. Le 15 décembre 2004, la cour d’appel de Versailles l’admit à bénéficier d’une semi-liberté d’une durée de cinq mois probatoire à une libération conditionnelle. Aux termes des modalités de semi-liberté fixées par ordonnance du 16 décembre 2004, la requérante exerça son activité professionnelle en journée du lundi au vendredi sur son lieu de travail et bénéficia de permission de sortir chaque fin de semaine du vendredi au lundi.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Droit interne pertinent

1. La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes concernant la procédure criminelle

23.  Cette loi a institué un second degré de juridiction en matière criminelle dans le code de procédure pénale en son article 380-1, qui se lit comme suit :

« Les arrêts de condamnation rendus par la cour d’assises en premier ressort peuvent faire l’objet d’un appel dans les conditions prévues par le présent chapitre (...). »

Il est toutefois précisé que la cour d’assises d’appel sur l’action publique ne peut, sur le seul appel de l’accusé, aggraver le sort de ce dernier (article 380-3 du code de procédure pénale).

Selon le Gouvernement, l’intention du législateur était de « donner une seconde chance » aux condamnés.

Une disposition transitoire a permis aux personnes condamnées par une cour d’assises après le 16 juin 2000 (date de publication de la loi), mais dont la condamnation n’était pas définitive le 1er janvier 2001 en raison d’un pourvoi en cassation formé contre la décision, de convertir leur pourvoi en appel dans les dix jours qui suivaient le 1er janvier 2001, le ministère public ayant la possibilité de former appel incident.

En conséquence, la requérante, condamnée par un arrêt du 23 novembre 2000, put bénéficier de cette nouvelle voie de recours.

24.  Les personnes ayant la faculté de faire appel des arrêts de condamnation sont énumérées à l’article 380-2 : il s’agit notamment de l’accusé, du ministère public et de la partie civile quant à ses intérêts civils.

Le ministère public, comme en matière de pourvoi en cassation et en matière correctionnelle, est sans qualité pour attaquer par la voie de l’appel les décisions statuant sur l’action civile.

Puisque la faculté d’appel de la partie civile est limitée aux intérêts civils, une victime non constituée partie civile devant la cour d’assises de première instance ne peut se constituer pour la première fois devant la cour d’assises statuant en appel (arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 juin 2003).

25.  La possibilité de faire appel des arrêts d’acquittement est totalement exclue. Le Gouvernement relève à cet égard qu’en vertu du principe d’indépendance des poursuites successives, ce qui a été jugé pour une personne est sans effet à l’égard des personnes poursuivies dans une instance suivante. Ainsi la relaxe d’un auteur principal ne fait pas obstacle à la poursuite d’un coauteur ou d’un complice (arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 novembre 1958).

Les arrêts d’acquittement peuvent, par contre, faire l’objet d’un pourvoi mais uniquement dans le seul intérêt de la loi et sans préjudicier à la partie acquittée (article 572 du code de procédure pénale).

La partie civile peut se pourvoir en cassation de l’arrêt rendu par la cour d’assises sur les intérêts civils à la suite de l’arrêt d’acquittement (article 573 du code de procédure pénale).

2. La loi du 4 mars 2002 complétant la loi du 15 juin 2000, postérieure aux faits litigieux

26.  Une mission d’évaluation de la loi du 15 juin 2000 aboutit à une proposition de loi la complétant. Il ressort du rapport du 16 janvier 2002, sur la proposition de loi complétant la loi du 15 juin 2000, que :

« Souhaitant avant tout donner une seconde chance à l’accusé, le législateur [par la loi du 15 juin 2000] a instauré une procédure d’appel spécifique, qui limite les possibilités d’appel aux seuls arrêts de condamnation.

(...) Un certain nombre d’affaires récentes conduisent à s’interroger sur le bien-fondé cette restriction, susceptible de donner naissance à des erreurs judiciaires. [La modification proposée de la loi du 15 juin 2000] paraît d’autant plus nécessaire que c’est justement la volonté d’éviter ces erreurs judiciaires qui a amené le législateur à mettre fin au principe de l’infaillibilité du jury populaire et à instituer un recours contre les décisions de cour d’assises.

D’un point de vue juridique, cette impossibilité pour le parquet de faire appel des décisions d’acquittement est difficilement compatible avec le principe de l’égalité des armes garanti par la convention européenne des droits de l’homme au bénéfice de la défense, mais également au bénéfice du ministère public.

(...) [la modification proposée] permettra d’éviter que ne se reproduise des affaires comme celles des époux Guillemot, co-accusés du meurtre de leur enfant, dans laquelle la mère s’est finalement retrouvée seule à l’audience d’appel, à la suite de l’acquittement contesté de son mari en première instance. »

27.  La modification initialement proposée avait une portée relativement limitée puisqu’elle n’autorisait pas l’appel des décisions d’acquittement en l’absence de co-accusés. L’Assemblée nationale a toutefois retenu la possibilité pour le ministère public de faire appel de l’ensemble des arrêts d’acquittement et le Sénat, afin de bien marquer l’importance d’une décision d’appel sur un tel arrêt, a réservé cette possibilité au procureur général.

La loi du 4 mars 2002 a donc modifié la loi du 15 juin 2000 et a ajouté à l’article 380-2 du code de procédure pénale un alinéa aux termes duquel « le procureur général peut également faire appel des arrêts d’acquittement ».

B. Pratique interne pertinente

28.  La cour d’assises statuant en premier ressort est composée de neuf jurés et de trois magistrats.

La procédure est orale et la cour d’assises ne statue pas sur pièces. Elle juge en fonction des preuves administrées directement devant elle : les officiers de police judiciaire et les experts qui sont intervenus pendant l’instruction exposent leurs conclusions verbalement ; les témoins sont appelés à la barre et les pièces à conviction sont présentées à la cour. La cour d’assises décide donc en fonction de ce qu’elle a elle-même constaté. En outre, la procédure d’assises est contradictoire et les parties au procès (ministère public, partie civile et accusé) produisent leurs preuves sur un pied d’égalité et discutent librement celles qu’on leur oppose.

Une fois que la cour d’assises s’est prononcée sur l’action publique, la cour, sans l’assistance du jury, statue sur les demandes en dommages-intérêts formées par la partie civile (article 371 du code de procédure pénale). En cas d’acquittement, la partie civile peut demander réparation du dommage résultant de la faute de l’accusé, telle qu’elle résulte des faits qui sont l’objet de l’accusation (article 372 du code de procédure pénale).

29.  La procédure d’appel est celle de l’appel dit « tournant » ou encore « circulaire » qui consiste, lorsqu’il est relevé appel d’une décision d’une cour d’assises, à faire rejuger l’affaire par une autre cour d’assises d’un département différent. La cour d’assises statuant en appel est composée de douze jurés et de trois magistrats.

Avant qu’il ne soit procédé oralement et contradictoirement à l’examen des éléments de preuves devant la cour d’assises d’appel, le greffier donne lecture de la décision de mise en accusation et des questions posées à la cour d’assises statuant en premier ressort, des réponses faites aux questions, de la décision et de la condamnation prononcée. La lecture du procès verbal des débats permet ensuite de vérifier que l’audience devant la cour d’assises d’appel a bien permis d’évoquer les faits dans leur globalité.

La cour d’assises d’appel ne confirme ni n’infirme la décision qui lui est déférée : elle juge à nouveau l’affaire, elle la réexamine en son entier (article 380-1 deuxième alinéa du code de procédure pénale).

30.  Si des coaccusés soumis à un même débat ne peuvent témoigner les uns contre les autres, il en est autrement lorsque, compris dans une même poursuite, ils ne comparaissent pas devant les mêmes juges ; ils doivent alors, sauf autre motif d’empêchement, être entendus sous serment (Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 31 janvier 1996). A l’inverse, ne peuvent être reçues sous la foi du serment les dépositions du mari ou de la femme de l’accusé, cette prohibition subsistant même après le divorce (article 335 du code de procédure pénale).

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

31.  La requérante se plaint de l’iniquité de la procédure qui s’est déroulée devant la cour d’assises d’appel et d’une violation du principe de l’égalité des armes.

Elle se plaint d’avoir été présentée seule comme accusé devant la cour d’assises d’appel alors qu’elle avait un coaccusé en première instance, et ceci en raison de l’impossibilité légale de faire appel, par quelque partie que ce soit, des arrêts d’acquittement. Mais elle se plaint également d’avoir alors été opposée à son ancien coaccusé, devenu, en appel, témoin à charge et même victime, puisqu’une discussion sur la recevabilité de sa constitution de partie civile s’était ouverte. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A.  Sur la recevabilité

32.  Le Gouvernement estime que la requérante ne peut se prétendre victime d’une violation du droit au respect de l’égalité des armes dans le cadre de la procédure devant la cour d’assises d’appel, ni à l’égard de son coaccusé acquitté, ni à l’égard du parquet.

Il estime, d’une part, que la requérante devant se défendre contre les charges retenues à son encontre à l’issue de l’instruction et non contre son coaccusé, l’acquittement de ce dernier ne saurait avoir porté atteinte à son droit à l’égalité des armes. Il n’avait en effet aucun impact sur les poursuites exercées contre la requérante et la cour d’assises d’appel n’était pas tenue de tirer de la décision d’acquittement de l’un la conclusion de la nécessaire culpabilité de l’autre ; elle pouvait ainsi s’estimer insuffisamment convaincue de l’imputabilité des faits à la requérante et l’acquitter, puisqu’elle devait réexaminer entièrement l’affaire et l’ensemble des éléments de preuve.

Il estime, d’autre part, que si le grief de la requérante est entendu comme soulevant la question de l’égalité des armes à l’égard du parquet, celle-ci doit s’apprécier au regard de la conduite de la procédure devant la cour d’assises d’appel, le ministère public ne pouvant pas non plus faire appel d’un arrêt d’acquittement à l’époque des faits.

Il relève ensuite que s’il est exact que la faculté de faire appel des arrêts d’acquittement a par la suite été introduite au bénéfice du procureur général, cette exclusivité doit être considérée au regard du principe selon lequel l’exercice de l’action publique n’appartient pas à l’accusé, mais relève au premier chef du ministère public. La faculté d’exercer une voie de recours à l’encontre des coaccusés, lorsqu’elle est prévue, est donc exclusivement réservée au ministère public au nom des intérêts de la société pour le compte de laquelle il agit. En décider autrement reviendrait à accorder à l’accusé la qualité de dépositaire de l’action publique, exclusivement réservée au ministère public.

Il souligne enfin que la Convention ne garantit pas le droit à la vengeance privée, à l’actio popularis ou de faire poursuivre pénalement ou condamner des tiers et qu’aucune disposition n’impose une obligation de résultat supposant que toute poursuite doit se solder par une condamnation, voire par le prononcé d’une peine déterminée.

Finalement, le Gouvernement estime que la requérante ne saurait se prétendre victime du fait qu’un débat ait eu lieu sur la recevabilité de la constitution de partie civile de J.D.. En présence de la demande de constitution de partie civile et de contestation de cette action, la cour d’assises d’appel était tenue d’entendre les parties sur ce point et de statuer ; elle a d’ailleurs souscrit aux arguments de la requérante et a déclaré irrecevable la constitution de partie civile.

33.  La requérante déduit de l’arrêt du 13 février 1999 qu’il était juridiquement inconcevable pour la chambre d’accusation de ne pas renvoyer les deux parents devant la cour d’assises sous la même qualification criminelle. Autrement dit, l’un ne pouvait pas être jugé sans l’autre, l’un ne pouvait pas être accusé sans l’autre. Or, par l’impossibilité légale qu’avait alors le parquet d’interjeter appel de la décision d’acquittement, c’est dans cette position de seule accusée que la requérante a été placée devant la cour d’assises d’appel. Elle souligne que le droit interne a été modifié en raison même de cette situation inouïe.

Elle précise ensuite ne pas réclamer le droit, pour un accusé, de faire appel de l’acquittement de son coaccusé. Elle estime par contre que l’impossibilité légale qu’avait le parquet de le faire a directement influencé son procès et l’a privée d’une procédure équitable.

Finalement, la requérante souligne que la contestation de la constitution de partie civile s’est faite devant la cour d’assises, y compris les membres du jury, même si seule la cour, sans l’assistance du jury, avait compétence pour trancher l’incident. Le jury n’a pu manquer d’être influencé par les débats sur la question au cours desquels J.D. a pu se présenter en victime, a pu expliquer son souhait de se constituer partie civile et a bénéficié du renfort de l’avocat général, qui a conclu à la recevabilité de cette action.

34.  La Cour estime que la question de la qualité de « victime » de la requérante au sens de l’article 34 de la Convention et celle du bien-fondé du grief tiré de l’iniquité de la procédure en raison de l’impossibilité de faire appel d’un arrêt d’acquittement sont étroitement liées. En conséquence, elle décide de joindre l’exception préliminaire au fond de l’affaire.

35.  La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

B.  Sur le fond

36.  Le Gouvernement estime que l’acquittement définitif d’un des coaccusés ne donne pas, dès le départ, une certaine orientation à l’examen de l’appel par la seconde cour d’assises. Il souligne que la question de l’égalité des armes doit être examinée non pas tant à l’égard du coaccusé que du ministère public. Or, la requérante a été condamnée sur la base d’éléments de preuve soumis à la cour d’assises d’appel et non en raison de l’acquittement de son mari. De plus, elle a pu discuter de ces éléments dans le cadre d’une instruction préparatoire très complète et, à nouveau, devant la cour d’assises d’appel, qui a alors procédé à une nouvelle instruction du dossier, publiquement, de manière orale et contradictoire.

Il précise également que la cour d’assises d’appel était tenue de statuer sur la demande de constitution de partie civile et sur la contestation, comme tout incident contentieux survenant au cours des débats. De plus, cette question ne relevant pas du débat de fond sur l’appréciation de la culpabilité ou de la non culpabilité de la requérante, c’est la cour seule, sans le jury, qui s’est prononcée.

37.  La requérante estime que ce qui a empêché la chambre d’accusation de faire une distinction entre les coaccusés aurait également empêché le ministère public de dissocier leurs sorts au stade de l’appel, si la loi le lui avait permis.

Elle conteste ensuite avoir été condamnée sur la base d’éléments de preuve soumis à la cour d’assises d’appel, la condamnation reposant sur une intime conviction, qui en l’espèce, ne pouvait qu’être faussée par le fait qu’il n’y avait plus qu’une seule accusée et que l’autre était devenu témoin à charge et victime ; un second acquittement équivalait donc à l’impunité des faits.

La requérante précise que si c’est la cour qui tranche, sans l’assistance du jury, sur la contestation de la constitution de partie civile, celui-ci est tout de même présent et ne peut manquer d’être influencé par les débats sur la question.

38.  A titre liminaire, la Cour rappelle qu’il ne lui incombe pas d’examiner in abstracto la législation et la pratique internes pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées à la requérante, ou l’ont touchée, a enfreint l’article 6 § 1 de la Convention (Hauschildt c. Danemark, arrêt du 24 mai 1989, série A no 154, p. 21, § 45).

39.  En l’espèce, la Cour constate que, tout en contestant expressément l’impossibilité, tant pour elle que pour le ministère public, de remettre en cause l’acquittement de son coaccusé lors de l’appel de sa propre condamnation, la requérante se plaint essentiellement des effets du caractère définitif de cet acquittement sur l’équité de la procédure pénale dirigée à son encontre.

40.  La Cour rappelle, tout d’abord, que l’article 6 de la Convention ne garantit pas le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers (Perez c. France [GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004‑...). De plus, cet article ne garantit aucun droit à un double degré de juridiction et l’article 2 du Protocole no 7 ne réserve ce droit qu’à la personne déclarée coupable d’une infraction pénale afin qu’une juridiction supérieure examine la déclaration de culpabilité ou sa condamnation. En conséquence, en réclamant, au profit du ministère public ou des coaccusés, un droit d’appel des arrêts d’acquittement, la requérante invoque un droit qui n’est pas garanti par la Convention.

41.  La Cour constate, ensuite, que la requérante ne conteste pas avoir effectivement bénéficié d’une procédure équitable, conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la cour d’assises. Son grief porte uniquement sur l’impossibilité de bénéficier d’un procès équitable en appel, en raison de l’absence de toute possibilité de réexamen au fond de la culpabilité de la personne qui était son coaccusé devant la cour d’assises et qui a été acquittée. A cet égard, la Cour rappelle que la procédure pénale forme un tout et que la protection de l’article 6 ne cesse pas avec le jugement de première instance ; un Etat a l’obligation de veiller à ce que, devant les juridictions d’appel aussi, les justiciables jouissent des garanties fondamentales énoncées dans cette disposition (Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II, § 37).

42.  La Cour rappelle, finalement, qu’une des exigences d’un procès équitable est l’égalité des armes, laquelle implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, § 53).

43.  En l’espèce, la Cour constate qu’en première instance, la requérante et J.D. étaient coaccusés et ont été jugés ensemble, ce qui est de bonne administration de la justice. En effet, la mort de leur enfant semblait, à cette étape de la procédure, clairement résulter de violences de la mère, du père ou des deux ; eux-mêmes ont reconnu que seul l’un d’eux pouvait être l’auteur des violences et se sont accusés mutuellement.

44.  Le fait que la requérante ait été condamnée et J.D. acquitté, combiné au fait que nul ne pouvait contester l’acquittement de J.D., a conduit à l’accusation de la requérante seule devant la cour d’assises d’appel et à l’audition de J.D. en tant que témoin. La Cour relève que J.D. a témoigné sans prestation de serment, non en raison de sa qualité d’accusé en première instance, mais en raison de sa qualité d’époux de la requérante. Elle note également que si cette dernière avait été acquittée en appel personne n’aurait été condamné pour la mort de l’enfant.

45.  Pareille situation, la Cour en convient, pouvait susciter des doutes chez la requérante quant au respect du principe de l’égalité des armes. Il lui appartient toutefois d’examiner si ces doutes se révèlent objectivement justifiés.

46.  En première instance, il revenait à la cour d’assises d’apprécier les éléments de fait et de preuve soumis par les parties et de se forger une intime conviction sur l’identité de l’auteur des violences. En appel, par contre, il revenait à la cour d’assises d’apprécier les éléments de fait et de preuve soumis par les parties et de se forger une intime conviction sur la culpabilité de la requérante, puisqu’elle devait réexaminer l’affaire, et non infirmer ou confirmer l’arrêt de la première cour d’assises. Ainsi, tant en première instance qu’en appel, les cours d’assises ont dû forger leur intime conviction au vu des éléments de preuve présentés par les parties. La cour d’assises d’appel aurait effectivement pu rendre un arrêt d’acquittement si elle avait été convaincue de l’innocence de la requérante, ou si les preuves apportées par le ministère public ne l’avait pas convaincue de sa culpabilité.

47.  Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève, au premier chef, du droit interne et des juridictions nationales (Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, série A no 140, p. 29, §§ 45-46 et García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). De même, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier elle-même les éléments de fait ayant conduit une juridiction nationale à adopter telle décision plutôt que telle autre, sinon, elle s’érigerait en juge de troisième ou quatrième instance et elle méconnaîtrait les limites de sa mission (Kemmache c. France (no 3), arrêt du 24 novembre 1994, série A no 296‑C, p. 88, § 44).

48.  Le rôle de la Cour n’est pas de se prononcer sur la culpabilité de la requérante, mais de s’assurer que les moyens de preuve ont été présentés de manière à garantir un procès équitable et que chaque partie s’est vu offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne l’ont pas placée dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.

49.  La Cour reconnaît que le changement de statut de J.D., accusé en première instance puis témoin à charge en appel, a pu faciliter la tâche du ministère public.

50.  Toutefois, tous les éléments à charge ont été présentés et discutés contradictoirement ; la requérante, en personne ou par l’intermédiaire de ses avocats, a pu faire valoir tous les arguments qu’elle a estimé utiles à la défense de ses intérêts et présenter les moyens de preuve en sa faveur. En particulier, elle a pu contester la constitution de partie civile de J.D. qui fut déclarée irrecevable et elle a également pu l’interroger.

Il apparaît donc que la cour d’assises d’appel s’est prononcée à l’issue d’une procédure contradictoire au cours de laquelle les différents moyens de preuve présentés par chaque partie ont été débattus. La requérante a pu contester les moyens développés par la partie poursuivante et faire valoir toutes les observations et arguments qu’elle a estimé nécessaires.

51.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le fait que la requérante se soit retrouvée seule accusée devant la cour d’assises d’appel n’a pas, en l’espèce, porté atteinte au droit à un procès équitable.

52.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 décembre 2005 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléI. Cabral Barreto
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE GUILLEMOT c. FRANCE, 20 décembre 2005, 21922/03