CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE GUISO-GALLISAY c. ITALIE, 22 décembre 2009, 58858/00

  • Expropriation·
  • Jurisprudence·
  • Valeur·
  • Gouvernement·
  • Grèce·
  • Restitution·
  • Illicite·
  • Cour constitutionnelle·
  • Principe·
  • Italie

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Revue Générale du Droit

Le binôme rapporteur-rapporteur public constitue l'une des forces du processus de maturation intellectuelle de la décision devant les juridictions administratives françaises. Ainsi que le soulignent Anne Courrèges et Serge Daël, « c'est la vision binoculaire qui procure la perception du relief et la stéréophonie qui assure la profondeur du son »1. En effet, le travail du rapporteur public apparaît complémentaire de celui du rapporteur. Ainsi, « la note, le projet et la documentation [réalisés par le rapporteur] forment (…) avec le dossier un ensemble qui comme le témoin dans la course de …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Grande Chambre), 22 déc. 2009, n° 58858/00
Numéro(s) : 58858/00
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI
Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996-III
Ari et autres, 3 avril 2007
Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), no 31524/96, 30 octobre 2003
Börekçiogullari (Cökmez) et autres, 19 octobre 2006
Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie (no 2), nos 37639/03, 37655/03, 26736/04 et 42670/04, 3 mars 2009
Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, CEDH 2001-I
Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000-VI
Carbonara et Ventura c. Italie (satisfaction équitable), no 24638/94, 11 décembre 2003
Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI
Dimitrescu c. Roumanie, nos 5629/03 et 3028/04, 3 juin 2008
Driza c. Albanie, no 33771/02, CEDH 2007-XII
Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, §§ 69 et suivants, série A no 51
Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, CEDH 2000-XII
Fakiridou et Schina c. Grèce, no 6789/06, 14 novembre 2008
Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI
I.R.S. et autres, 20 juillet 2004
Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X
Kadriye Yildiz et autres, 10 octobre 2006
Katz c. Roumanie, no 29739/03, 20 janvier 2009
Lallement c. France (satisfaction équitable), no 46044/99, 12 juin 2003
Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, §§ 20-21, 27 mai 2003
Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, série A no 330-B
Pasculli c. Italie (satisfaction équitable), no 36818/97, 4 décembre 2007
Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 82, série A no 301-B
Rusu et autres c. Roumanie, no 4198/04, 19 juillet 2007
Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 250-254, CEDH 2006-V
Scordino c. Italie (no 3) (satisfaction équitable), no 43662/98, CEDH 2007-III
Vontas et autres c. Grèce, no 43588/06, 5 février 2009
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance élevée
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Dommage matériel - réparation ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-96500
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2009:1222JUD005885800
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE GUISO-GALLISAY c. ITALIE

(Requête no 58858/00)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

22 décembre 2009

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie,

La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Jean-Paul Costa, président,
Josep Casadevall,
Corneliu Bîrsan,
Karel Jungwiert,
Vladimiro Zagrebelsky,
Elisabeth Steiner,
Lech Garlicki,
Elisabet Fura,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Nona Tsotsoria, juges,
et de Vincent Berger, jurisconsulte,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 17 juin et 2 décembre 2009,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 58858/00) dirigée contre la République italienne et dont trois ressortissants de cet Etat, M. Stefano Guiso-Gallisay, M. Gian Francesco Guiso-Gallisay et Mme Antonella Guiso-Gallisay (« les requérants »), ont saisi la Cour le 7 avril 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Par un arrêt du 8 décembre 2005 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que l'ingérence dans le droit au respect des biens des requérants n'était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 (Guiso-Gallisay c. Italie, no 58858/00, §§ 96-97, et point 2 du dispositif, 8 décembre 2005).

3.  S'appuyant sur l'article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une somme correspondant à la valeur des terrains litigieux, déduction faite de l'indemnité obtenue au plan national, et augmentée de la valeur des immeubles construits sur leurs terrains. Ils demandaient également une somme au titre du remboursement de l'impôt à la source, auquel avaient été soumises les sommes reconnues par le tribunal de Nuoro le 14 juillet 1997. Ils sollicitaient en outre une indemnité pour dommage moral. Enfin, ils demandaient le remboursement des frais de justice engagés devant les juridictions nationales et des frais exposés devant la Cour européenne.

4.  La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la chambre l'a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt deviendrait définitif, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 108 et point 3 du dispositif).

5.  Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable est échu sans que les parties n'aboutissent à un tel accord. Les requérants ont déposé des observations, lesquelles ont été transmises au Gouvernement.

6.  Le 9 octobre 2006, le président de la chambre, auquel la suite de la procédure avait été confiée (point 3 c) du dispositif de l'arrêt au principal), a décidé de demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d'évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d'expertise avant le 4 janvier 2007.

7.  Lesdits rapports d'expertise ont été déposés dans le délai imparti.

8.  Le 22 janvier 2008, la chambre a communiqué aux parties son intention de se dessaisir au profit de la Grande Chambre (articles 72 § 2 du règlement et 30 de la Convention).

9.  Le 28 février 2008, les requérants se sont opposés à pareil dessaisissement, tandis que le Gouvernement n'a pas formulé d'objections.

10.  Le 27 mai 2008, estimant que l'opposition des requérants satisfaisait aux conditions énoncées à l'article 72 § 2 du règlement, la chambre a décidé de ne pas se dessaisir.

11.  Le 21 octobre 2008, la chambre a adopté un arrêt sur la satisfaction équitable.

12.  Le 30 octobre 2008, les requérants ont demandé le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre en vertu des articles 43 de la Convention et 73 du règlement. Un collège de la Grande Chambre a accueilli cette demande le 26 janvier 2009.

13.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement.

14.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur l'application de l'article 41. Des observations ont également été reçues de l'Unione forense per la tutela dei diritti dell'Uomo, que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).

15.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 17 juin 2009 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

–pour le gouvernement défendeur
M.Nicola Lettieri, coagent,
MeGiuseppe Albenzio, avocat de l'Etat ;


–  pour les requérants
MesNicolò Paoletti, conseil,
Alessandra Mari, conseillère,
Ginevra Paoletti, assistante.

La Cour a entendu M. Lettieri, Me Albenzio, Mes Paoletti et Mari en leurs déclarations ainsi qu'en leurs réponses à ses questions.

I.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  L'occupation d'urgence d'un terrain

16.  En droit italien, la procédure accélérée d'expropriation permet à l'administration d'occuper un terrain et d'y construire avant l'expropriation. Une fois l'ouvrage à réaliser déclaré d'utilité publique et le projet de construction adopté, l'administration peut décréter l'occupation d'urgence des zones à exproprier pour une durée déterminée n'excédant pas cinq ans (article 20 de la loi no 865 de 1971). Ce décret devient caduc si l'occupation matérielle du terrain n'a pas lieu dans les trois mois suivant sa promulgation. Avant la fin de la période d'occupation autorisée, un arrêté d'expropriation formelle doit être pris.

17.  L'occupation autorisée d'un terrain donne droit à une indemnité d'occupation. La Cour constitutionnelle a reconnu, dans son arrêt no 470 de 1990, un droit d'accès immédiat à un tribunal aux fins de réclamer l'indemnité d'occupation dès que le terrain est matériellement occupé, sans qu'il soit nécessaire d'attendre que l'administration procède à une offre d'indemnisation.

B.  Le principe de l'expropriation indirecte (« occupazione acquisitiva » ou « accessione invertita »)

18.  Dans les années 1970, plusieurs administrations locales procédèrent à des occupations d'urgence de terrains qui ne furent pas suivies d'arrêtés d'expropriation. Les juridictions italiennes se trouvèrent confrontées à des cas où le propriétaire d'un terrain avait perdu de facto la disponibilité de celui-ci en raison de l'occupation et de l'accomplissement de travaux de construction d'un ouvrage public. Restait à savoir si, simplement par l'effet des travaux effectués, l'intéressé avait perdu également la propriété du terrain.

1.  La jurisprudence avant l'arrêt de la Cour de cassation no 1464 du 16 février 1983

19.  La jurisprudence était très partagée sur le point de savoir quels étaient les effets de la construction d'un ouvrage public sur un terrain occupé illégalement. Par occupation illégale, il faut entendre une occupation illégale ab initio, ou bien une occupation initialement autorisée et devenue sans titre par la suite, le titre ayant été annulé ou bien l'occupation se poursuivant au-delà de l'échéance autorisée sans qu'un arrêté d'expropriation ne soit intervenu.

20.  Selon une première jurisprudence, le propriétaire du terrain occupé par l'administration ne perdait pas la propriété du terrain après l'achèvement de l'ouvrage public. Toutefois, il ne pouvait pas demander une remise en l'état du terrain et pouvait uniquement engager une action en dommages‑intérêts pour occupation abusive, non soumise à un délai de prescription puisque l'illégalité découlant de l'occupation était permanente. L'administration pouvait à tout moment adopter une décision formelle d'expropriation ; dans ce cas, l'action en dommages-intérêts se transformait en litige portant sur l'indemnité d'expropriation et les dommages-intérêts n'étaient dus que pour la période antérieure au décret d'expropriation pour la non-jouissance du terrain (voir, entre autres, les arrêts de la Cour de cassation no 2341 de 1982, no 4741 de 1981, nos 6452 et 6308 de 1980).

21.  Selon une deuxième jurisprudence, le propriétaire du terrain occupé par l'administration ne perdait pas la propriété du terrain et pouvait demander la remise en l'état, lorsque l'administration avait agi sans qu'il y ait utilité publique (voir, par exemple, les arrêts de la Cour de cassation no 1578 de 1976 et no 5679 de 1980).

22.  Selon une troisième jurisprudence, le propriétaire du terrain occupé par l'administration perdait automatiquement la propriété au moment de la transformation irréversible du bien, à savoir au moment de l'achèvement de l'ouvrage public. L'intéressé avait le droit de demander des dommages-intérêts (voir l'arrêt de la Cour de cassation no 3243 de 1979).

2.  L'arrêt de la Cour de cassation no 1464 du 16 février 1983

23.  Par un arrêt du 16 février 1983, la Cour de cassation statuant en chambres réunies résolut le conflit de jurisprudence et adopta la troisième solution. Ainsi fut consacré le principe de l'expropriation indirecte (accessione invertita ou occupazione acquisitiva). En vertu de ce principe, la puissance publique acquiert ab origine la propriété d'un terrain sans procéder à une expropriation formelle lorsque, après l'occupation, et indépendamment de la légalité de celle-ci, l'ouvrage public a été réalisé. Lorsque l'occupation est ab initio sans titre, le transfert de propriété a lieu au moment où le terrain est irréversiblement transformé par l'ouvrage public. Lorsque l'occupation du terrain a initialement été autorisée, le transfert de propriété a lieu à l'échéance de la période d'occupation autorisée. Dans le même arrêt, la Cour de cassation précisa que, dans tous les cas d'expropriation indirecte, l'intéressé a droit à une réparation intégrale, l'acquisition du terrain ayant eu lieu sans titre. Toutefois, cette réparation n'est pas versée automatiquement ; il incombe à l'intéressé de réclamer des dommages-intérêts. En outre, le droit à réparation est assorti du délai de prescription prévu en cas de responsabilité délictuelle, à savoir cinq ans, commençant à courir au moment de la transformation irréversible du terrain.

3.  La jurisprudence après l'arrêt de la Cour de cassation no 1464 du 16 février 1983

a)  La prescription

24.  Dans un premier temps, la jurisprudence considérait qu'aucun délai de prescription ne trouvait à s'appliquer, puisque l'occupation sans titre du terrain constituait un acte illégal continu. La Cour de cassation, dans son arrêt no 1464 de 1983, affirma que le droit à réparation était soumis à un délai de prescription de cinq ans. Par la suite, la première section de la Cour de cassation jugea qu'un délai de prescription de dix ans devait s'appliquer (arrêts no 7952 de 1991 et no 10979 de 1992). Par un arrêt du 22 novembre 1992, la Cour de cassation statuant en chambres réunies a définitivement tranché la question, estimant que le délai de prescription est de cinq ans et qu'il commence à courir au moment de la transformation irréversible du terrain.

b)  L'arrêt de la Cour constitutionnelle no 188 de 1995

25.  Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a jugé compatible avec la Constitution le principe de l'expropriation indirecte, dans la mesure où ce principe est ancré dans une disposition législative, à savoir l'article 2043 du code civil régissant la responsabilité délictuelle. Selon cet arrêt, le fait que l'administration devienne propriétaire d'un terrain en tirant bénéfice de son comportement illégal ne pose aucun problème sur le plan constitutionnel puisque l'intérêt public, à savoir la conservation de l'ouvrage public, l'emporte sur l'intérêt du particulier, et donc sur le droit de propriété de ce dernier. La Cour constitutionnelle a jugé compatible avec la Constitution l'application à l'action en réparation du délai de prescription de cinq ans.

c)  Cas de non-application du principe de l'expropriation indirecte

26.  Les développements de la jurisprudence montrent que le mécanisme par lequel la construction d'un ouvrage public entraîne le transfert de propriété du terrain au bénéfice de l'administration connaît des exceptions.

27.  Dans son arrêt no 874 de 1996, le Conseil d'Etat a affirmé qu'il n'y a pas d'expropriation indirecte lorsque les décisions de l'administration et l'arrêté d'occupation d'urgence ont été annulés par les juridictions administratives.

28.  Dans son arrêt no 1907 de 1997, la Cour de cassation statuant en chambres réunies a affirmé que l'administration ne devient pas propriétaire d'un terrain lorsque les décisions qu'elle a adoptées et la déclaration d'utilité publique doivent être considérées comme nulles ab initio. Dans ce cas, l'intéressé garde la propriété du terrain et peut demander la restitutio in integrum. Une autre possibilité consiste pour lui à demander des dommages-intérêts. L'illégalité dans ces cas a un caractère permanent et aucun délai de prescription ne trouve application.

29.  Dans l'arrêt no 6515 de 1997, la Cour de cassation statuant en chambres réunies a affirmé qu'il n'y a pas de transfert de propriété lorsque la déclaration d'utilité publique a été annulée par les juridictions administratives. Dans ce cas, le principe de l'expropriation indirecte ne trouve donc pas à s'appliquer. L'intéressé, qui garde la propriété du terrain, a la possibilité de demander la restitutio in integrum. L'introduction d'une demande en dommages-intérêts entraîne une renonciation à la restitutio in integrum. Le délai de prescription de cinq ans commence à courir au moment où la décision du juge administratif devient définitive.

30.  Dans l'arrêt no 148 de 1998, la première section de la Cour de cassation a suivi la jurisprudence des chambres réunies et affirmé que le transfert de propriété par effet de l'expropriation indirecte n'a pas lieu lorsque la déclaration d'utilité publique à laquelle le projet de construction était assorti a été considérée comme invalide ab initio.

31.  Dans l'arrêt no 5902 de 2003, la Cour de cassation en chambres réunies a réaffirmé qu'il n'y a pas de transfert de propriété en l'absence de déclaration d'utilité publique valide.

32.  Il convient de comparer cette jurisprudence avec la loi no 458 de 1988 (paragraphes 33-34 ci-dessous) et avec le Répertoire des dispositions sur l'expropriation, entré en vigueur le 30 juin 2003 (paragraphes 43-44 ci‑dessous).

4.  La loi no 458 du 27 octobre 1988

33.  Aux termes de l'article 3 de cette loi :

« Le propriétaire d'un terrain, utilisé pour la construction de bâtiments publics et de logements sociaux, a droit à la réparation du dommage subi, à la suite d'une expropriation déclarée illégale par une décision passée en force de chose jugée, mais ne peut prétendre à la restitution de son bien. Il a également droit, en plus de la réparation du dommage, aux sommes dues en raison de la dépréciation monétaire et à celles mentionnées à l'article 1224 § 2 du code civil, et ceci à compter du jour de l'occupation illégale. »

34.  Interprétant l'article 3 de la loi de 1988, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 12 juillet 1990 (no 384), a considéré :

« Par la disposition attaquée, le législateur, entre l'intérêt des propriétaires des terrains – obtenir en cas d'expropriation illégale la restitution des terrains – et l'intérêt public – concrétisé par la destination de ces biens à des finalités de constructions résidentielles publiques, à des conditions favorables ou conventionnées –, a donné la priorité à ce dernier intérêt. »

5.  Le montant de la réparation en cas d'expropriation indirecte

35.  Selon la jurisprudence de 1983 de la Cour de cassation en matière d'expropriation indirecte, une réparation intégrale du préjudice subi, sous forme de dommages-intérêts pour la perte du terrain, était due à l'intéressé en contrepartie de la perte de propriété qu'entraîne l'occupation illégale.

36.  La loi budgétaire de 1992 (article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992) modifia cette jurisprudence, dans le sens que le montant dû en cas d'expropriation indirecte ne pouvait dépasser le montant de l'indemnité prévue pour le cas d'une expropriation formelle. Par l'arrêt no 369 de 1996, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle cette disposition.

37.  En vertu de la loi budgétaire no 662 de 1996, qui fit suite à cette déclaration d'inconstitutionnalité, l'indemnisation intégrale ne peut être accordée pour une occupation de terrain ayant eu lieu avant le 30 septembre 1996. Ainsi, l'indemnisation équivaut au montant de l'indemnité prévue pour le cas d'une expropriation formelle, dans l'hypothèse la plus favorable au propriétaire, moyennant une majoration de 10 %.

38.  Par l'arrêt no 148 du 30 avril 1999, la Cour constitutionnelle a jugé une telle indemnité compatible avec la Constitution. Toutefois, dans le même arrêt, la Cour a précisé qu'une indemnité intégrale, à concurrence de la valeur vénale du terrain, peut être réclamée lorsque l'occupation et la privation du terrain n'ont pas eu lieu pour cause d'utilité publique.

6.  La jurisprudence après les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme du 30 mai 2000 dans les affaires Belvedere Alberghiera et Carbonara et Ventura

39.  Par les arrêts nos 5902 et 6853 de 2003, la Cour de cassation en chambres réunies s'est à nouveau prononcée sur le principe de l'expropriation indirecte, en faisant référence aux arrêts Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (no 31524/96, CEDH 2000‑VI) et Carbonara et Ventura c. Italie (no 24638/94, CEDH 2000‑VI) de la Cour européenne des droits de l'homme.

40.  Au vu du constat de violation de l'article 1 du Protocole no 1 opéré dans ces deux affaires, la Cour de cassation a affirmé que le principe de l'expropriation indirecte joue un rôle important dans le cadre du système juridique italien et qu'il est compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme.

41.  Plus spécifiquement, la Cour de cassation – après avoir analysé l'histoire du principe de l'expropriation indirecte – a dit qu'au vu de l'uniformité de la jurisprudence en la matière, le principe en question doit passer pour pleinement « prévisible » à compter de 1983. De ce fait, l'expropriation indirecte doit être considérée comme étant respectueuse du principe de légalité. S'agissant des occupations de terrain ayant lieu sans déclaration d'utilité publique, la Cour de cassation a affirmé que celles-ci ne sont pas aptes à transférer la propriété du bien à l'Etat. Quant à l'indemnisation, la Cour a dit que, même si elle est inférieure au préjudice subi par l'intéressé, et notamment à la valeur du terrain, l'indemnisation due en cas d'expropriation indirecte est suffisante pour garantir un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la société et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu.

42.  Saisi d'un recours en exécution d'une décision judiciaire définitive annulant la déclaration d'utilité publique concernant une procédure d'expropriation, vu la demande de la partie requérante tendant à l'obtention de la restitution du terrain entre-temps occupé et transformé, le Conseil d'Etat, dans son arrêt no 2/2005 du 29 avril 2005 rendu en séance plénière, s'est prononcé sur le point de savoir si la transformation irréversible dudit terrain à la suite de la construction de l'ouvrage « public » pouvait constituer une raison de droit empêchant la restitution du terrain. Le Conseil d'Etat a répondu par la négative. Ce faisant, il a :

a) reconnu que le principe jurisprudentiel de l'expropriation indirecte est défaillant quant au besoin de sécurité juridique, en ce qui concerne entre autres le point de savoir à quelle date l'ouvrage public doit être considéré comme « réalisé » et donc à quelle date il y a eu transfert de propriété au bénéfice de l'Etat ;

b) salué la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, et notamment l'arrêt Belvedere Alberghiera Srl, en affirmant que, face à une demande en restitution d'un bien illégalement occupé et transformé, l'ouvrage réalisé par les autorités publiques ne peut pas, en tant que tel, constituer un obstacle absolu à la restitution ;

c) interprété l'article 43 du Répertoire (paragraphe 44 ci-dessous) dans le sens où la non-restitution d'un terrain ne peut être admise que dans des cas exceptionnels, à savoir lorsque l'administration invoque un intérêt public particulièrement marqué à la conservation de l'ouvrage ;

d) affirmé, dans ce contexte, que l'expropriation indirecte ne saurait constituer une solution remplaçant (« una mera alternativa ») une procédure d'expropriation en bonne et due forme.

7.  Le Répertoire des dispositions législatives et réglementaires en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (« le Répertoire »)

43.  Le 30 juin 2003 est entré en vigueur le décret présidentiel no 327 du 8 juin 2001, modifié par le décret législatif no 302 du 27 décembre 2002, et qui régit la procédure d'expropriation. Le Répertoire codifie les dispositions et la jurisprudence existantes en la matière. En particulier, il codifie le principe de l'expropriation indirecte. Le Répertoire, qui ne s'applique pas aux cas d'occupation survenus antérieurement à 1996 et n'est donc pas applicable en l'espèce, s'est substitué, à partir de son entrée en vigueur, à l'ensemble de la législation et de la jurisprudence précédente en matière d'expropriation.

44.  En son article 43, le Répertoire prévoit qu'en l'absence d'un arrêté d'expropriation, ou en l'absence de déclaration d'utilité publique, un terrain transformé à la suite de la réalisation d'un ouvrage public est acquis au patrimoine de l'autorité qui l'a transformé ; des dommages-intérêts sont accordés en contrepartie. L'autorité peut acquérir un bien même lorsque le plan d'urbanisme ou la déclaration d'utilité publique ont été annulés. Le propriétaire peut demander au juge la restitution du terrain. L'autorité en cause peut s'y opposer. Lorsque le juge décide de ne pas ordonner la restitution du terrain, le propriétaire a droit à un dédommagement

8.  Les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 22 octobre 2007

45.  Par les arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007, la Cour constitutionnelle a jugé que la loi interne doit être compatible avec la Convention dans l'interprétation donnée par la jurisprudence de la Cour et, par conséquent, a déclaré inconstitutionnel l'article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par la loi no 662 de 1996.

46.  La Cour Constitutionnelle, dans l'arrêt no 349, a relevé que le niveau insuffisant d'indemnisation prévu par la loi de 1996 était contraire à l'article 1 du Protocole no 1 et par conséquent à l'article 117 de la Constitution italienne, lequel prévoit le respect des obligations internationales. Depuis cet arrêt, cette disposition de loi ne peut plus être appliquée dans le cadre des procédures nationales encore pendantes.

9.  La loi de finances no 244 du 24 décembre 2007

47.  L'article 2/89 e) de la loi de finances no 244 du 24 décembre 2007 a établi que dans un cas d'expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n'étant admise.

48.  Cette disposition est applicable à toutes les procédures en cours au 1er janvier 2008, sauf celles où la décision sur l'indemnité d'expropriation ou bien sur le dédommagement a été acceptée ou est devenue définitive.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS

49.  Selon une règle de droit international général dégagée par la Cour permanente de justice internationale dans l'arrêt rendu le 13 septembre 1928 en l'affaire relative à l'usine de Chorzów (Affaire relative à l'usine de Chorzów (demande en indemnité) (fond), Recueil des arrêts de la CPJI, série A no 17), il y a lieu de distinguer entre « expropriation » et « mainmise » sur des biens :

« L'acte de la Pologne que la Cour a jugé être contraire à la Convention de Genève, n'est pas une expropriation à laquelle n'aurait manqué, pour être légitime, que le paiement d'une indemnité équitable ; c'est une mainmise sur des biens, droits et intérêts qui ne pouvaient être expropriés même contre indemnité, sauf dans les conditions exceptionnelles déterminées par l'article 7 de ladite Convention. Comme la Cour l'a expressément constaté dans son Arrêt no 8, la réparation est, en l'espèce, la conséquence non pas de l'application des articles 6 à 22 de la Convention de Genève, mais d'actes qui sont contraires aux dispositions de ces articles. »

50.  Le tribunal arbitral irano-américain a opéré la même distinction dans l'affaire Amoco International Finance Corporation (Amoco International Finance Corporation c. Iran, sentence interlocutoire du 14 juillet 1987, Recueil du tribunal arbitral irano-américain (1987-II), § 192) :

« (...) il convient de distinguer nettement entre expropriations licites et expropriations illicites, puisque les règles applicables à l'indemnité que devra verser l'Etat ayant procédé à l'expropriation varient en fonction de la qualification juridique de la dépossession. »

51.  En droit international général, la « mainmise » sur des biens, ou l'« expropriation illicite », donne lieu à l'application des principes suivants (Affaire relative à l'usine de Chorzów) :

« Il s'ensuit que l'indemnité due au Gouvernement allemand n'est pas nécessairement limitée à la valeur qu'avait l'entreprise au moment de la dépossession, plus les intérêts jusqu'au jour du paiement. Cette limitation ne serait admissible que si le Gouvernement polonais avait eu le droit d'exproprier et que si son tort se réduisait à n'avoir pas payé aux deux Sociétés le juste prix des choses expropriées ; dans le cas actuel, elle pourrait aboutir à placer l'Allemagne et les intérêts protégés par la Convention de Genève, et pour lesquels le Gouvernement allemand a pris fait et cause, dans une situation plus défavorable que celle dans laquelle l'Allemagne et ces intérêts se trouveraient si la Pologne avait respecté ladite Convention. Une pareille conséquence serait non seulement inique, mais aussi et avant tout incompatible avec le but visé par les articles 6 et suivants de la Convention, voire la défense, en principe, de liquider des biens, droits et intérêts des ressortissants allemands et des sociétés contrôlées par des ressortissants allemands en Haute‑Silésie, car elle équivaudrait à identifier la liquidation licite et la dépossession illicite en ce qui concerne leurs effets financiers.

Le principe essentiel, qui découle de la notion même d'acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis. Restitution en nature, ou, si elle n'est pas possible, paiement d'une somme correspondant à la valeur qu'aurait la restitution en nature ; allocation, s'il y a lieu, de dommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par la restitution en nature ou le paiement qui en prend la place ; tels sont les principes desquels doit s'inspirer la détermination du montant de l'indemnité due à cause d'un fait contraire au droit international. »

52.  La sentence arbitrale rendue le 19 janvier 1977 en l'affaire California Asiatic Oil Company et Texaco Overseas Petroleum Company c. République arabe de Libye ([1978] 17 International Legal Materials 1) ne portait pas sur une dépossession au sens strict mais sur le retrait de concessions d'exploitation de gisements de pétrole brut accordées depuis de nombreuses années. Dans cette affaire, l'arbitre unique a considéré que les concessions avaient un caractère contractuel et que, en nationalisant les intérêts des sociétés demanderesses, la Libye avait dénoncé de manière illicite des obligations qu'elle avait librement contractées dans l'exercice de sa souveraineté. Estimant que le principe de la restitutio in integrum trouvait à s'appliquer, il a déclaré que la Libye devait exécuter pleinement ses obligations contractuelles. L'affaire s'est terminée par une transaction aux termes de laquelle les sociétés ont pu disposer d'une quantité de pétrole brut correspondant à une somme déterminée, mais n'ont pas obtenu le rétablissement du statu quo ante.

53.  L'article 35 du projet d'articles sur la responsabilité des Etats, élaboré par la Commission du droit international des Nations unies, rappelle le principe de la restitutio in integrum en ces termes :

« L'Etat responsable du fait internationalement illicite a l'obligation de procéder à la restitution consistant dans le rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis, dès lors et pour autant qu'une telle restitution :

a) n'est pas matériellement impossible ;

b) n'impose pas une charge hors de toute proportion avec l'avantage qui dériverait de la restitution plutôt que de l'indemnisation. »

54.  L'article 36 de ce même projet dispose :

« 1.  L'Etat responsable du fait internationalement illicite est tenu d'indemniser le dommage causé par ce fait dans la mesure où ce dommage n'est pas réparé par la restitution.

(...) »

EN DROIT

55.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage matériel

1.  L'arrêt de la chambre

56.  Dans son arrêt du 21 octobre 2008, la chambre a procédé à un revirement de jurisprudence concernant l'application de l'article 41 dans les cas d'expropriation indirecte. La chambre, par six voix contre une, a :

–  abandonné la méthode habituelle consistant à se fonder sur la valeur marchande actualisée du terrain, augmentée de la plus-value apportée par les bâtiments édifiés par l'expropriant ;

–  adopté une méthode nouvelle fondée sur la valeur marchande du bien à la date à laquelle les intéressés ont eu la certitude juridique d'avoir perdu leur droit de propriété, la somme ainsi obtenue étant majorée des intérêts dus au jour de l'adoption de l'arrêt de la Cour et minorée de l'indemnité éventuellement déjà reçue.

Elle a justifié son revirement par :

–  la crainte d'introduire des inégalités de traitement entre les requérants en fonction de la nature de l'ouvrage public bâti par l'administration, qui n'a pas nécessairement de lien avec le potentiel du terrain dans sa qualité originaire ;

–  le souci de ne pas laisser place à une marge d'arbitraire ;

–  le refus d'attribuer à l'indemnisation un but punitif ou dissuasif à l'égard de l'Etat défendeur, au lieu d'une fonction compensatoire pour le requérant ;

–  la prise en compte du changement de législation (loi de finances de 2007) intervenu à la suite des arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 22 octobre 2007 et prévoyant qu'en cas d'expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n'étant admise.

57.  La Cour a alloué aux requérants 1 803 374 euros (EUR) pour dommage matériel, 45 000 EUR pour dommage moral et 30 000 EUR pour frais et dépens.

2.  Thèses des parties

a)  Les requérants

58.  Les requérants considèrent que, pour ce qui est de la satisfaction équitable, l'arrêt du 21 octobre 2008 opère un revirement de jurisprudence par rapport à l'ensemble des affaires d'expropriation illicite récemment jugées par la Cour (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, CEDH 2001‑I ; Rusu et autres c. Roumanie, no 4198/04, 19 juillet 2007 ; Vontas et autres c. Grèce, no 43588/06, 5 février 2009 ; Driza c. Albanie, no 33771/02, CEDH 2007-XII), alors que la ratio decidendi au principal reste la même. Si la Grande Chambre décidait de confirmer l'arrêt de la chambre, une nouvelle violation de l'article 1 du Protocole no 1 s'ajouterait à celle déjà subie par les requérants en Italie.

59.  Selon les requérants, la nouvelle approche suivie par la Cour dans l'arrêt du 21 octobre 2008 aurait pour effet d'annuler les différences entre expropriations licites et expropriations illicites, et même de « légaliser » et « ratifier » la pratique italienne de l'expropriation indirecte, ce qui encouragerait des violations « systémiques » d'autant plus attrayantes pour l'administration que les procédures pour les combattre sont excessivement longues (vingt ans au niveau national et huit ans devant la Cour). Pour marquer l'importance de la différence entre expropriations licites et expropriations illicites, les requérants se réfèrent non seulement à la jurisprudence de la Grande Chambre (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, CEDH 2000‑XII), mais également à la jurisprudence d'autres cours et instances internationales telles que la Cour permanente de justice internationale ou le Tribunal arbitral irano-américain.

60.  A ce propos, les requérants font valoir que les indemnités dont la Cour ordonne le versement aux victimes d'une violation de la Convention revêtent, aux termes et selon l'esprit de l'article 41, un caractère subsidiaire. Chaque fois que cela est possible, la Cour devrait donc s'efforcer de replacer la victime dans le statu quo ante. A cet égard, ils rappellent que le principe de la restitutio in integrum trouve son origine dans l'arrêt de la Cour permanente de justice internationale rendu le 13 septembre 1928 en l'Affaire relative à l'usine de Chorzów, et a été considéré comme étant le remède idéal pour réparer des violations de règles du droit international. Ce principe a du reste été réaffirmé par l'article 35 du projet d'articles sur la responsabilité des États, élaboré par la Commission du droit international des Nations unies, et par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (Dimitrescu c. Roumanie, nos 5629/03 et 3028/04, 3 juin 2008 ; Fakiridou et Schina c. Grèce, no 6789/06, 14 novembre 2008 ; Katz c. Roumanie, no 29739/03, 20 janvier 2009 ; Vontas et autres, précité ; Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı c. Turquie (no 2), nos 37639/03, 37655/03, 26736/04 et 42670/04, 3 mars 2009).

61.  Les requérants se réfèrent en outre à la Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)3 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe concernant les violations systémiques par l'Italie du droit de propriété par le biais des « expropriations indirectes », texte qui prévoit l'obligation pour l'Italie d'assurer la restitutio in integrum ainsi que l'adoption de mesures générales pour mettre un terme à toute situation continue et prévenir des violations similaires ultérieures.

62.  Ils affirment que la méthode de dédommagement utilisée par la Cour jusqu'à l'arrêt du 21 octobre 2008 n'est pas source d'inégalités de traitement entre les requérants. A cet égard, ils font valoir que la valeur du terrain dépend du classement du terrain qui ressort des plans détaillés d'urbanisme (piani di zona) adoptés.

63.  En ce qui concerne le souci de la chambre d'éviter que l'ancienne méthode de calcul, qui tient compte de la valeur des immeubles construits par l'administration après l'expropriation indirecte, ne soit perçue comme instituant une pratique d'« indemnités punitives », les requérants soulignent qu'il suffirait d'ordonner au Gouvernement de procéder, en lieu et place du versement d'une indemnité monétaire, à la restitution des terrains litigieux. Les requérants ne manquent pas de rappeler que, selon le code civil italien, en matière d'occupation de terrains entre particuliers, lorsque l'occupant est de bonne foi et que le propriétaire du lot occupé ne s'oppose pas à l'occupation dans les trois mois, l'occupant est considéré comme propriétaire moyennant le versement d'une indemnité équivalente à deux fois la valeur du terrain, majorée de dommages-intérêts.

64.  Les requérants relèvent que l'arrêt de la Cour constitutionnelle no 349 du 22 octobre 2007 et la loi de finances de 2007 auxquels se réfère l'arrêt du 21 octobre 2008 ne peuvent produire aucun effet sur leur situation, car les décisions internes les concernant ont acquis force de chose jugée et le constat de violation de la Cour est lui aussi définitif.

65.  Par ailleurs, les requérants soutiennent que, du fait du nouveau système d'indemnisation, les sommes octroyées par la Cour sont non seulement inférieures à celles qu'elle aurait allouées si l'expropriation avait été légitime, mais aussi inférieures à celles octroyées en de pareilles circonstances par les juridictions nationales : d'une part, les indemnités accordées par les juges italiens ne se limiteraient pas à la valeur des biens au moment de l'occupation mais prendraient également en compte la période (en l'espèce six ans) comprise entre le moment de l'occupation et le moment de l'expropriation ; d'autre part, en cas d'expropriation légale, les tribunaux auraient la possibilité de fixer l'indemnité à 110 % de la valeur du bien en cas d'accord entre les intéressés et l'administration sur ladite valeur. Les requérants contestent en outre la méthode de calcul des intérêts, qui ne tiendrait pas compte – contrairement à la méthode suivie au niveau national – de la réévaluation périodique des biens.

66.  Selon les requérants, la Grande Chambre aurait trois possibilités :

–  confirmer la jurisprudence de la Cour dans les affaires italiennes, et en particulier l'arrêt Scordino c. Italie (no 3) ((satisfaction équitable), no 43662/98, CEDH 2007-III) ;

–  condamner l'Etat italien à restituer les terrains et en même temps lui reconnaître la possibilité de les exproprier tardivement. L'Etat serait ainsi contraint de dédommager les requérants jusqu'au moment de l'expropriation ainsi qu'à leur verser une indemnité d'expropriation et une somme pour les indemniser de la perte d'usage des terrains ;

–  appliquer, en cas de non-restitution, le principe de l'aestimatio dupli selon lequel, lorsque l'occupant est de bonne foi et que le propriétaire du lot occupé ne s'oppose pas à l'occupation dans les trois mois, l'occupant est considéré comme propriétaire moyennant le versement d'une indemnité équivalente à deux fois la valeur du terrain, majorée de dommages-intérêts.

67.  Se référant à la jurisprudence constante de la Cour, en particulier à l'arrêt Scordino c. Italie (no 3) précité, les requérants demandent à la Cour de condamner l'Etat défendeur à leur restituer les terrains ainsi qu'à leur verser 2 703 849,98 EUR pour la perte de jouissance de ceux-ci. A défaut de restitution, les requérants demandent 6 729 252 EUR, somme équivalente à la valeur des terrains en 2009, plus le coût de construction des immeubles érigés par l'Etat.

b)  Le gouvernement défendeur

68.  Le Gouvernement conteste l'application qui a été faite de la jurisprudence Papamichalopoulos et autres c. Grèce ((article 50), 31 octobre 1995, série A no 330‑B) aux affaires italiennes d'expropriation indirecte, et ce pour plusieurs motifs.

69.  Premièrement, alors que dans l'affaire grecque l'occupation des terrains litigieux par l'Etat était dès le début dépourvue de base légale, dans les affaires italiennes l'expropriation indirecte a lieu dans le cadre d'une procédure d'expropriation légitime en soi, qui devient illégale par la suite tout en produisant le transfert de propriété sur la base d'une jurisprudence interne bien établie. Les juridictions internes reconnaissent l'illégalité de la conduite de l'administration (au regard de l'article 2043 du code civil) et déclarent qu'un transfert de propriété doit être considéré comme ayant eu lieu (à cause de l'existence, sur le terrain litigieux, de l'ouvrage d'utilité publique), et octroient au particulier une somme à titre de dédommagement. De plus le Gouvernement fait valoir que depuis l'intervention de la Cour Constitutionnelle (arrêt no 349/2007) et du législateur (article 2 alinéas 89-90 de la loi de finances de 2007), les propriétaires expropriés peuvent obtenir un dédommagement correspondant à la valeur entière du bien.

70.  Deuxièmement, dans l'affaire Papamichalopoulos toutes les juridictions saisies d'une action en revendication avaient reconnu le titre de propriété sans que l'Etat eût offert de compensation monétaire, même partielle. En l'espèce, en revanche, saisies d'une action en réparation, les juridictions nationales ont déclaré l'acte illégal tout en formalisant le transfert de propriété et en indemnisant les propriétaires dépossédés. La présente affaire se distingue également de l'affaire Papamichalopoulos en ce qu'elle ne concerne pas un terrain ayant un « potentiel de développement touristique » occupé sans aucune base légale, mais des terrains de dimensions modestes dénués de tout intérêt.

71.  Le Gouvernement conteste, en outre, la distinction faite par la Cour entre expropriation légale et « mainmise illégale », ainsi que les conséquences qu'elle en tire aux fins de l'évaluation du dommage matériel. Selon lui, l'article 1 du Protocole no 1 n'établit pas de hiérarchie entre différents types de manquements et n'autorise donc pas l'octroi d'une satisfaction équitable supérieure en fonction de « l'illégalité » de l'ingérence.

72.  L'adoption du « critère de la mainmise » pourrait également nuire à la sécurité juridique dans la jurisprudence de la Cour, comme le montrerait la comparaison entre les affaires italiennes d'expropriation indirecte et un groupe d'affaires turques (I.R.S. et autres, 20 juillet 2004 ; Kadriye Yıldız et autres, 10 octobre 2006 ; Börekçioğulları (Cökmez) et autres, 19 octobre 2006 ; Ari et autres, 3 avril 2007), dans lesquelles le dommage matériel a été calculé autrement malgré des similitudes avec les premières.

73.  Le Gouvernement soutient qu'en application de la jurisprudence Papamichalopoulos (arrêt précité), la valeur actuelle du bien litigieux n'est pas le résultat de l'actualisation de sa valeur initiale selon les pourcentages de dépréciation de la monnaie, mais de l'application de critères subjectifs, non prévisibles, incertains et aléatoires. L'actualisation méconnaîtrait le principe qui veut qu'une indemnité se calcule par rapport à la valeur du bien à la date de l'événement litigieux et que les vicissitudes négatives ou positives ne sauraient jouer aucun rôle. La méthode utilisée par la Cour jusqu'ici présumerait systématiquement qu'il existe un préjudice ultérieur du fait de la non-jouissance du bien litigieux et que ce dommage n'est pas suffisamment compensé par la réactualisation de la valeur du bien et le paiement des intérêts, et ce même en l'absence de tout commencement de preuve. La Cour chiffre automatiquement ce préjudice ultérieur à la hauteur de la valeur brute des ouvrages réalisés par l'État en l'ajoutant à la valeur actualisée du terrain. Cela constitue un enrichissement sans cause au profit des requérants. Le Gouvernement estime que cette solution n'est pas conforme à la jurisprudence de la Cour permanente de justice internationale et à la pratique nationale des Etats membres, et qu'en outre elle introduit des inégalités de traitement entre les requérants, en fonction de la nature de l'ouvrage public réalisé.

74.  Selon le Gouvernement, si l'on procède ainsi le propriétaire obtient gratuitement la valeur positive d'un investissement que l'État a réalisé et payé à sa place. Cela ne se justifie pas, selon lui, sur le plan juridique. A cet égard, il se réfère par ailleurs aux règles de droit civil en matière d'accession à la propriété qui sont en vigueur en Italie (articles 934 et 936 du code civil italien) et qui prévoient en matière d'occupation de terrains entre particuliers, que, lorsque l'occupant est de bonne foi et que le propriétaire du lot occupé ne s'oppose pas à l'occupation dans les trois mois, l'occupant est considéré comme propriétaire moyennant le versement d'une indemnité équivalente à deux fois la valeur du terrain, majorée de dommages-intérêts.

75.  De surcroît, le Gouvernement rappelle que la Cour s'est déclarée incompétente en matière de préjudice résultant d'une sous-évaluation des terrains expropriés ou des pertes collatérales à l'expropriation (Lallement c. France (satisfaction équitable), no 46044/99 , 12 juin 2003).

76.  Le Gouvernement fait valoir que les requérants ont modifié leurs prétentions à plusieurs reprises : dans leur requête introductive, ils ont demandé la différence entre la valeur vénale du bien et la somme obtenue au niveau national ; dans leurs observations sur la satisfaction équitable, après l'arrêt sur le fond, ils ont sollicité plus de quinze millions d'euros au titre du dommage matériel ; devant la Grande Chambre, ils demandent six millions d'euros. De plus, les requérants, qui sont copropriétaires des terrains (selon une quote-part de 29/360), n'ont jamais demandé la restitution des terrains ni au niveau national, ni dans le formulaire de requête à la Cour.

77.  Le Gouvernement relève que, compte tenu de ce que sur les terrains litigieux un ouvrage d'utilité publique a été réalisé par l'administration avec les ressources issues de la contribution fiscale, la restitution n'est plus possible. Le seul problème qui se poserait concerne la qualité du redressement, compte tenu de ce que le dédommagement prévu par la loi no 662 de 1996 n'était pas à la hauteur de la valeur pleine et entière des biens.

78.  Le Gouvernement estime que la nouvelle approche adoptée par la Cour dans son arrêt du 21 octobre 2008 est conforme aux exigences de la Convention et ne doit pas être remise en cause. La réparation du préjudice matériel doit être à la hauteur de la valeur vénale du bien au moment du jugement national déclarant que les intéressés ont perdu la propriété de leur bien, cette valeur étant calculée sur la base des expertises d'office effectuées au cours de la procédure nationale. Cette approche permettrait de restituer à l'affaire Papamichalopoulos (précitée) son caractère d'affaire singulière, non susceptible d'être transposée de manière générale, de mieux moduler les critères de détermination du dommage matériel dans les affaires d'atteinte à la propriété, d'améliorer l'harmonisation de ces critères avec les fondements économiques du droit et les règles reconnues dans les Etats membres, d'éviter des inégalités de traitement, et enfin d'assurer la cohérence et la prévisibilité de la jurisprudence.

79.  Le Gouvernement combat également la thèse de la partie intervenante. En premier lieu, il fait valoir que la cession volontaire d'un bien peut être conclue après la déclaration d'utilité publique et tant que le décret d'expropriation n'a pas été émis, et que la majoration de 10 % de l'indemnité est accordée même si la cession n'a pas eu lieu à cause d'un fait non imputable à la personne privée. En second lieu, il souligne que l'expropriation indirecte n'empêche pas la personne privée d'accepter la cession volontaire du bien, étant donné que la cession peut être conclue même en l'absence d'arrêté d'expropriation. En revanche, comme la partie intervenante, le Gouvernement est d'avis que la gravité plus ou moins grande de la violation a une incidence sur le dommage moral mais non sur le préjudice matériel.

80.  En conclusion, le Gouvernement prie la Cour de confirmer l'arrêt de la chambre du 21 octobre 2008. Toutefois, quant au chiffrage du dommage matériel, il soutient que le résultat auquel la chambre est parvenue est le fruit d'une erreur de calcul. En conséquence, il demande à la Cour de limiter à 900 000 EUR la somme à octroyer aux requérants.

c)  Le tiers intervenant

81.  Selon le tiers intervenant (paragraphe 14 ci-dessus), la nouvelle approche de la Cour tendant à annuler les différences entre expropriations licites et expropriations illicites est incompatible avec les principes en matière de réparation et de satisfaction équitable qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour, ainsi qu'avec les autres règles pertinentes de droit international applicables dans les relations entre les parties (article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités). Le fait de traiter de manière identique des situations intrinsèquement différentes serait déraisonnable et constituerait une violation du principe d'égalité devant la loi.

82.  Comme les requérants, le tiers intervenant note que, dans le système juridique italien, en cas d'expropriation licite les tribunaux ont la possibilité de fixer l'indemnité à 110 % de la valeur du bien s'il y a accord entre les intéressés et l'administration sur ladite valeur. A cet égard, elle fait valoir que cet avantage ne s'applique pas en cas d'expropriation illicite au détriment des propriétaires expropriés.

83.  Quant à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi de finances de 2007, prévoyant que l'indemnité d'expropriation pour un terrain constructible doit correspondre à la valeur vénale du bien, le tiers intervenant rappelle que les propriétaires expropriés illégitimement sont tenus de payer un impôt de 20 % sur les sommes qu'ils perçoivent à titre de réparation. L'Etat tire donc un avantage indu d'une illégalité dont il est lui-même responsable. De plus, le tiers intervenant estime que le principe de subsidiarité implique l'obligation pour l'Etat d'adapter son propre système juridique à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, et non l'inverse.

84.  Conformément à la jurisprudence internationale, la Grande Chambre devrait réaffirmer le principe selon lequel la réparation doit autant que possible effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir la situation de fait et de droit qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis.

85.  S'agissant des critères à employer pour la détermination du dommage au sens de l'article 41, le tiers intervenant considère qu'ils devraient satisfaire aux exigences d'uniformité, de simplicité, de clarté et de prévisibilité. En particulier, ces critères devraient être aptes à créer un moyen de dissuasion sérieux et efficace qui permette d'éviter la répétition de comportements illicites du même genre, sans pour autant avoir un but punitif.

86.  A défaut de restitution en nature, la valeur pécuniaire des terrains devrait être calculée compte tenu de la valeur des biens au moment du premier jugement faisant application du principe de l'expropriation indirecte. A cette somme, réévaluée et assortie d'intérêts, devrait en outre être ajouté l'équivalent du montant que les requérants devraient payer à titre d'impôt, selon la loi no 431 de 1991.

87.  En ce qui concerne les dommages ultérieurs, le tiers intervenant soutient que les requérants devraient bénéficier d'une majoration de 10 % de la valeur des terrains, correspondant à la somme à laquelle ils auraient eu droit en cas de cession volontaire du bien. De plus, les requérants devraient se voir rembourser tous les frais exposés devant les juridictions internes.

88.  Le préjudice moral devrait être évalué compte tenu notamment du laps de temps écoulé entre le moment de l'occupation sans titre et le premier jugement faisant application du principe de l'expropriation indirecte.

89.  En conclusion, le tiers intervenant demande à la Grande Chambre de reconnaître un dommage moral plus important aux victimes d'une expropriation indirecte qu'aux victimes d'une expropriation légitime.

3.  L'appréciation de la Grande Chambre

90.  Ainsi que la Cour l'a dit à plusieurs occasions, un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt de la Cour constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 41 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu précité).

91.  Dans son arrêt au principal, la Cour a dit que l'ingérence litigieuse ne satisfaisait pas à la condition de légalité (paragraphes 93-97). L'acte de l'Etat défendeur que la Cour a tenu pour contraire à la Convention n'était pas en l'espèce une expropriation qui eût été légitime si une indemnité adéquate avait été versée ; au contraire, il s'agissait d'une mainmise de l'Etat sur les terrains des requérants (paragraphes 94-95 de l'arrêt au principal).

92.  A cet égard, la Cour a relevé que, le 14 juillet 1997, le tribunal de Nuoro avait pris note de la situation d'illégalité et déclaré les requérants privés de leurs biens au bénéfice de l'occupant (paragraphe 94 de l'arrêt au principal). En exécution de ce jugement, confirmé le 17 juillet 2003, les requérants ont reçu le 25 mars 1998, à titre de dédommagement, 970 746 447 lires italiennes chacun (environ 501 349 EUR). S'agissant de l'indemnité, la Cour a constaté que l'application rétroactive de la loi budgétaire no 662 de 1996 au cas d'espèce avait eu pour effet de priver les requérants d'une réparation intégrale du préjudice subi (paragraphe 95 de l'arrêt au principal).

93.  Il ressort clairement de ces éléments que la Cour a retenu le statut de « victime » des requérants pour parvenir ensuite au constat de violation de l'article 1 du Protocole no 1 (Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, §§ 69 et suivants, série A no 51 ; Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996-III ; Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI ; Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001‑X). Par ailleurs, les requérants sont toujours « victimes », leur situation étant demeurée inchangée depuis le prononcé de l'arrêt au principal.

94.  En outre, la Cour constate que, dans tous les cas, l'expropriation indirecte tend à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration et permet ainsi à cette dernière de tirer bénéfice de son comportement illégal.

95.  Partant, la Cour réaffirme l'impossibilité de mettre sur le même plan l'expropriation régulière et l'expropriation indirecte, laquelle est en cause en l'espèce.

96.  La Cour note qu'en principe la restitution des terrains placerait les requérants, autant que possible, dans une situation équivalant à celle où ils se trouveraient si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues. Toutefois, en l'espèce, compte tenu de ce que les requérants n'ont jamais demandé la restitution des terrains devant les juridictions nationales et du fait que pareille restitution n'est d'ailleurs pas possible, la Cour estime devoir allouer aux intéressés une indemnité correspondant à la valeur pleine et entière des terrains.

97.  Avant d'examiner les arguments des parties, fondés sur l'application de la jurisprudence Papamichalopoulos (affaire précitée), la Cour juge opportun de rappeler la genèse et le fondement de l'arrêt Papamichalopoulos, et la façon dont cette jurisprudence a été appliquée en pratique dans les affaires italiennes d'expropriation indirecte.

1.  Résumé de la jurisprudence

98.  En matière de privation arbitraire de biens, la Cour a « amorcé » sa jurisprudence par l'arrêt Papamichalopoulos et autres c. Grèce ((article 50), série A no 330-B). Elle a décidé que l'Etat défendeur devait verser aux intéressés, pour dommage et perte de jouissance depuis « l'usurpation » par les autorités de leurs terrains, une somme équivalente à la valeur actuelle de ceux-ci augmentée de la plus-value apportée par les bâtiments construits.

99.  Fondant son raisonnement sur les principes établis par la Cour permanente de justice internationale (paragraphe 50 ci-dessus), la Cour a conclu dans l'affaire Papamichalopoulos et autres à une violation en raison d'une expropriation de fait illégale (occupation de terres par la marine grecque depuis 1967) qui durait depuis plus de vingt-cinq ans à la date de l'arrêt au principal rendu le 24 juin 1993. Elle a en conséquence enjoint à l'Etat grec de verser aux requérants, pour dommage et perte de jouissance depuis la prise de possession par les autorités de ces terrains, une somme équivalant à la valeur actuelle des terrains augmentée de la plus-value apportée par l'existence de certains bâtiments qui avaient été édifiés depuis l'occupation.

100.  Cette jurisprudence a été suivie dans les arrêts Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie ((satisfaction équitable), no 31524/96, 30 octobre 2003) et Carbonara et Ventura c. Italie ((satisfaction équitable), no 24638/94, 11 décembre 2003), qui portaient tous deux, comme la présente affaire, sur des cas de dépossession illicite.

A défaut de restitution des terrains, la Cour a alloué au titre du dommage matériel des sommes prenant en considération la valeur actuelle des biens au regard du marché immobilier au moment de l'adoption de son arrêt. En outre, elle a cherché à compenser les pertes subies qui ne seraient pas couvertes par le versement de ce montant, en tenant compte du potentiel du terrain en cause, calculé à partir du coût de construction des immeubles érigés par l'Etat.

Cette jurisprudence a été entérinée par la Grande Chambre dans l'arrêt Scordino c. Italie (no 1) ([GC], no 36813/97, §§ 250-254, CEDH 2006‑V).

101.  Les arrêts Scordino c. Italie (no 3), précité, et Pasculli c. Italie ((satisfaction équitable), no 36818/97, 4 décembre 2007) ont suivi et appliqué cette jurisprudence. En cas de dépossession illicite d'un bien, la Cour a rappelé que l'indemnisation devait refléter l'idée d'un effacement total des conséquences de l'ingérence de l'Etat. Elle a observé que la nature de la violation constatée dans l'arrêt au principal lui permettait de partir du principe d'une restitutio in integrum et que, concrètement, la restitution des terrains litigieux, y compris les bâtiments existants, aurait placé les requérants dans une situation équivalant le plus possible à celle où ils se trouveraient s'il n'y avait pas eu manquement aux exigences de l'article 1 du Protocole no 1. La Cour a décidé qu'à défaut de restitution, l'Etat devait verser aux intéressés une somme correspondant à la valeur actuelle du terrain, augmentée d'une somme au titre de la plus-value apportée par la présence de bâtiments.

2.  Sur l'opportunité d'une évolution de la jurisprudence

102.  Comme la chambre, la Grande Chambre estime que l'application de la jurisprudence Papamichalopoulos aux affaires d'expropriation indirecte peut en soi déboucher sur des anomalies.

En premier lieu, la Cour rappelle qu'à la différence de la situation dans l'affaire Papamichalopoulos, où toutes les juridictions avaient reconnu le titre de propriété en faveur des requérants (Papamichalopoulos précité, § 33) sans que l'Etat eût offert de compensation monétaire, même partielle, dans le cas d'espèce les requérants ont perdu la propriété à la suite de la construction d'ouvrages publics, et n'ont pas demandé, dans la procédure interne, la restitution desdits biens.

En deuxième lieu, dans l'affaire ci-dessus il s'agissait d'un terrain ayant été occupé sans aucune base légale, alors que dans la présente affaire les terrains ont été occupés selon une procédure d'urgence et sur la base d'une déclaration d'utilité publique, aux fins de la construction d'habitations à loyer modéré et de centres de loisirs.

103.  La Cour est d'avis que les spécificités de l'affaire Papamichalopoulos rendent inappropriée l'application des principes qui s'en dégagent aux affaires d'expropriation indirecte. Tout en reconnaissant que les requérants ont droit à la valeur pleine et entière des biens, la Cour estime d'une part, que la date à prendre en considération pour chiffrer le dommage matériel ne doit pas être celle du prononcé de l'arrêt de la Cour mais celle de la perte de propriété des terrains. En effet, la première approche pourrait laisser place à une marge d'incertitude, voire d'arbitraire.

D'autre part, selon la Cour le chiffrage automatique des pertes subies par les requérants à la hauteur de la valeur brute des ouvrages réalisés par l'Etat ne se justifie pas. Cette méthode peut introduire des inégalités de traitement entre les requérants en fonction de la nature de l'ouvrage public bâti par l'administration, qui n'a pas nécessairement de lien avec le potentiel du terrain dans sa qualité originaire. De surcroît, cette méthode de dédommagement attribue à l'indemnisation pour dommage matériel un but punitif ou dissuasif à l'égard de l'Etat défendeur, au lieu d'une fonction compensatoire pour les requérants.

104.  La Grande Chambre juge opportun d'adopter une nouvelle approche, compte tenu également des développements intervenus en droit interne (paragraphes 44 et 45 ci-dessus) et de la prise en compte par les juridictions nationales de la jurisprudence de la Cour dans le domaine du droit de propriété. Elle estime que les nouveaux principes fixés dans le présent arrêt pourront être appliqués par les juridictions italiennes dans les litiges qu'elles ont ou auront à trancher.

105.  Dans ce contexte et pour ces raisons, la Cour décide d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'Etat sur les terrains. En outre, contrairement à la solution retenue par la chambre dans son arrêt du 21 octobre 2008, la Grande Chambre estime qu'afin d'évaluer la valeur vénale des terrains, il y a lieu de se référer au jugement du tribunal de Nuoro du 14 juillet 1997, selon lequel les requérants ont perdu la propriété d'une partie de leurs terrains en 1982 et une autre partie en 1983 (paragraphe 16 de l'arrêt au principal). Telle qu'elle ressort des expertises ordonnées par le tribunal et effectuées au cours de la procédure nationale, ladite valeur correspond à 1 298 363 349 ITL, soit 670 549 EUR (montant qui, par ailleurs, n'a pas fait l'objet d'un appel devant les juridictions italiennes).

Etant donné que le caractère adéquat d'un dédommagement risque de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d'éléments susceptibles d'en réduire la valeur, tel l'écoulement d'un laps de temps considérable (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 82, série A no 301‑B, et, mutatis mutandis, Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, §§ 20-21, 27 mai 2003), une fois que l'on aura déduit la somme octroyée au niveau national et obtenu ainsi la différence avec la valeur marchande des terrains en 1983, ce montant devra être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il faudra aussi l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Aux yeux de la Cour, ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.

106.  Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder aux requérants la somme de 2 100 000 EUR plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.

107.  Reste à évaluer la perte de chances subie par les requérants à la suite de l'expropriation litigieuse. La Cour juge qu'il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l'indisponibilité des terrains pendant la période allant du début de l'occupation légitime (1977) jusqu'au moment de la perte de propriété (1983). Du montant ainsi calculé sera déduit la somme déjà obtenue par les requérants au niveau interne à titre d'indemnité d'occupation. Statuant en équité, la Cour alloue aux trois requérants conjointement 45 000 EUR pour la perte de chances.

B.  Dommage moral

108.  Les requérants demandent à la Cour de confirmer sur ce point l'arrêt de la chambre du 21 octobre 2008.

109.  Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour tout en jugeant exorbitante la somme réclamée par les requérants.

110.  La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle décide d'allouer à chacun des requérants 15 000 EUR de ce chef, soit 45 000 EUR au total.

C.  Frais et dépens

111.  Les requérants demandent 251 513,31 EUR pour le remboursement des frais engagés devant le tribunal de Nuoro, et 48 190 EUR, plus la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour les frais exposés devant la Cour.

112.  S'agissant des frais liés à la procédure devant le tribunal de Nuoro, le Gouvernement soutient que les requérants ont déjà obtenu le remboursement de ceux-ci au niveau interne et considère en tout état de cause que la décision concernant ce remboursement relève uniquement de la compétence des juridictions nationales. Quant aux frais de la procédure devant la Cour, le Gouvernement estime la demande exagérée.

113.  La Cour confirme les indemnités octroyées par la chambre, qui doivent être majorées en fonction des frais et dépens supplémentaires occasionnés par la procédure devant la Grande Chambre. Eu égard à ce qui précède et statuant en équité, elle alloue aux requérants conjointement 35 000 EUR, plus TVA, pour l'ensemble des frais exposés.

D.  Intérêts moratoires

114.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit

a)  que l'État défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois, les sommes suivantes :

i.  par seize voix contre une, 2 145 000 EUR (deux millions cent quarante-cinq mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;

ii.   à l'unanimité, 45 000 EUR (quarante-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;

iii.  à l'unanimité, 35 000 EUR (trente-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2.  Rejette, par seize voix contre une, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 22 décembre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent BergerJean-Paul Costa
JurisconsultePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente du juge Spielmann.

J.-P.C

V.B.


OPINION DISSIDENTE DU JUGE SPIELMANN

1.  Je suis en désaccord avec la majorité. Par le présent arrêt, la Cour rompt avec une jurisprudence traditionnelle pourtant conforme aux principes du droit international de la réparation, inaugurée il y a plus de quatre-vingts ans par la Cour permanente de justice internationale dans son arrêt rendu dans l'Affaire relative à l'usine de Chorzów[1] et confirmée par notre Cour dans son arrêt Papamichalopoulos[2]. Il s'agit du principe de la restitutio in integrum. Au cœur de ce principe se trouve l'obligation de l'Etat condamné d'effacer les conséquences de la violation constatée. Dans l'Affaire relative à l'usine de Chorzów (arrêt du 13 septembre 1928), la Cour permanente de justice internationale s'est exprimée comme suit :

« Le principe essentiel, qui découle de la notion même d'acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis. Restitution en nature, ou, si elle n'est pas possible, paiement d'une somme correspondant à la valeur qu'aurait la restitution en nature ; allocation, s'il y a lieu, de dommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par la restitution en nature ou le paiement qui en prend la place ; tels sont les principes desquels doit s'inspirer la détermination du montant de l'indemnité due à cause d'un fait contraire au droit international.»[3]

2.  Comme l'a rappelé ma collègue Françoise Tulkens dans son opinion dissidente annexée à l'arrêt du 21 octobre 2008, objet du renvoi :

« Il n'est pas contesté que la situation en l'espèce est celle de la privation arbitraire de biens [et que] l'acte de l'Etat défendeur que la Cour a tenu pour contraire à la Convention n'était pas une expropriation qui eût été légitime si une indemnisation adéquate avait été versée ; au contraire, il s'agissait d'une mainmise illicite de l'Etat sur le terrain des requérants (paragraphes 94-95 de l'arrêt au principal du 8 décembre 2005).»

3.  Or qui dit mainmise illicite, dit violation du droit international et, par conséquent, obligation corrélative de réparer le préjudice subi dans son intégralité. D'ailleurs, dans le présent arrêt de Grande Chambre, la Cour « réaffirme l'impossibilité de mettre sur le même plan l'expropriation régulière et l'expropriation indirecte, laquelle est en cause en l'espèce » (paragraphe 95 de l'arrêt) et laquelle « tend à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration [en permettant] ainsi à cette dernière de tirer bénéfice de son comportement illégal » (paragraphe 94 de l'arrêt).

4.  Je me suis déjà prononcé à de nombreuses reprises sur l'importance que revêt le principe de la restitutio in integrum[4], consacré par la jurisprudence des juridictions internationales et arbitrales (rappelée aux paragraphes 49 à 52 de l'arrêt), voire par le projet d'articles sur la responsabilité des Etats, élaboré par la Commission du droit international des Nations unies (mentionné aux paragraphes 53 et 54 de l'arrêt)[5]. Inutile d'y revenir.

5.  Jusqu'à présent, notre jurisprudence était en parfaite harmonie avec ces principes.

6.  Dans la jurisprudence de la Cour comme en droit international général, la question de savoir si une expropriation est « licite » ou « illicite » entre en ligne de compte dans le calcul de l'indemnité. La Cour a jugé à maintes reprises que la nécessité de rechercher si un juste équilibre avait été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ne pouvait se faire sentir que lorsqu'il s'avérait que l'ingérence litigieuse avait respecté le principe de la légalité et n'était pas arbitraire[6].

7.  Jusqu'à présent, la Cour a toujours appliqué le principe défini dans l'arrêt Usine de Chorzów[7], notamment dans l'arrêt Papamichalopoulos[8], et ce dans les termes suivants :

« 34. La Cour rappelle que par l'article 53 de la Convention les Hautes Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux décisions de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ; de plus, l'article 54 prévoit que l'arrêt de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. Il s'ensuit qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci.

Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 50 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée ».

(...)

36. L'acte du gouvernement grec que la Cour a estimé contraire à la Convention n'est pas une expropriation à laquelle n'aurait manqué, pour être légitime, que le paiement d'une indemnité équitable ; il s'agit d'une mainmise de l'Etat sur des terrains appartenant à des particuliers, qui se prolonge depuis vingt-huit ans, les autorités faisant fi des décisions des tribunaux nationaux et de leurs propres promesses aux requérants de remédier à l'injustice commise en 1967 par le régime dictatorial.

Or le caractère illicite de pareille dépossession se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l'Etat défendeur, les conséquences financières d'une expropriation licite ne pouvant être assimilées à celles d'une dépossession illicite. A cet égard, la jurisprudence internationale, judiciaire ou arbitrale, fournit à la Cour une source d'inspiration très appréciable ; quoiqu'elle concerne plus spécialement l'expropriation d'entreprises industrielles et commerciales, les principes qu'elle dégage en ce domaine restent valables pour des situations comme celle en l'espèce.»[9]

8.  Dans l'affaire Papamichalopoulos, la Cour a déterminé l'indemnité à accorder en se fondant sur le « principe fondamental » dégagé dans l'arrêt Usine de Chorzów[10] et a jugé que les requérants avaient droit à la restitution de leurs terrains et à une indemnité pour perte de jouissance ou, à défaut, à des dommages et intérêts correspondant à la valeur actuelle de leurs terrains augmentés d'une somme au titre du dommage indirect. La Cour a ainsi pris en considération la valeur actuelle des terrains litigieux[11].

9.  La règle ainsi posée s'applique aux expropriations illicites. On la retrouve notamment dans les arrêts Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie[12] et Carbonara et Ventura c. Italie[13]. Cette position a été entérinée par la Grande Chambre – quoiqu'à titre d'obiter dictum, dans l'arrêt sur la satisfaction équitable rendu en l'affaire Ex-roi de Grèce c. Grèce[14] et, plus récemment – toujours par obiter dictum – dans les paragraphes 250 à 254 de l'arrêt Scordino (no 1)[15]. Plus récemment encore, une section de la Cour l'a retenue comme ratio decidendi dans l'arrêt Scordino c. Italie (no 3)[16].

10.  En résumé, dans le cas d'une expropriation illicite, le principe fondamental est celui de la restitutio in integrum : les conséquences de la violation doivent être entièrement effacées, soit par le rétablissement du statu quo ante, soit par l'indemnisation de la dépossession et de tous les dommages indirects.

11.  L'arrêt de Grande Chambre en l'espèce confirme l'arrêt de chambre pour ce qui est du revirement de jurisprudence, rompant ainsi avec l'approche qui était en parfaite harmonie avec les règles et principes du droit international[17]. En revanche, il se distancie de l'arrêt de chambre en retenant comme date critique les années 1982 et 1983 (paragraphe 105 de l'arrêt), adoptant ainsi une position encore plus restrictive que l'arrêt de chambre.

12.  L'effacement total des conséquences de l'ingérence litigieuse implique que les requérants auraient dû être placés dans une situation équivalente à celle où ils se trouveraient s'il n'y avait pas eu manquement aux exigences de l'article 1 du Protocole no 1. En retenant comme date critique la date de la perte de propriété des terrains, la majorité a fait abstraction du potentiel économique du terrain qui entre en ligne de compte dans le cadre d'une indemnisation complète du préjudice subi. Dans la présente affaire, la violation est une expropriation de facto, illicite indépendamment de l'absence de dédommagement. Dans la jurisprudence internationale, cette situation emporte l'obligation de verser une indemnité non seulement pour la perte directe, mais aussi pour toute perte dérivée. Or, en l'espèce, l'expropriation a produit des conséquences continues et négatives sur le droit de propriété des requérants, qui ont vécu dans un état d'incertitude quant au sort de leurs biens.

13.  Toutefois, la décision de la Grande Chambre a pour effet d'annuler la distinction entre mainmise illicite et expropriation licite.

14.  Cette nouvelle approche est justifiée, aux paragraphes 103 et 104 principalement, par :

1) le souci d'éviter une disparité de traitement entre les requérants en fonction de l'ouvrage public bâti par l'administration ;

2) le souci d'éviter que l'indemnisation ait un but punitif ou dissuasif ;

3) les développements intervenus en droit interne.

15.  Aucun des trois arguments que la Grande Chambre a repris en substance de l'arrêt de chambre ne saurait emporter ma conviction.

Comme l'a rappelé ma collègue Françoise Tulkens dans son opinion dissidente déjà citée et concernant le premier argument (crainte d'introduire des inégalités de traitement entre les requérants en fonction de la nature de l'ouvrage bâti par l'administration publique qui n'a pas nécessairement un lien avec le potentiel du terrain dans sa qualité originaire),

« [i]l est pour le moins singulier de vouloir corriger une inégalité de traitement, en l'espèce plus virtuelle que réelle, en abaissant, de manière arbitraire, les indemnisations applicables à toutes les personnes concernées par une dépossession illégale. Par ailleurs, pour corriger une éventuelle inégalité de traitement, la majorité en réintroduit tout simplement une autre, celle qui frappe désormais les requérants par rapport à la situation réelle qui est la leur et par rapport aux autres requérants dont les affaires ont été traitées précédemment. Enfin, et plus fondamentalement, cette pratique même de « l'expropriation indirecte », un euphémisme pour qualifier en fait une expropriation illégale, aboutit à des résultats imprévisibles et arbitraires qui privent les personnes concernées d'une protection efficace de leurs droits.»

Ensuite, et pour ce qui est du deuxième argument (refus d'attribuer à l'indemnisation pour dommage matériel un but punitif ou dissuasif à l'égard de l'Etat défendeur), ma collègue Françoise Tulkens s'est exprimée comme suit :

« Il ne s'agit pas de cela. Le dommage matériel aurait un tel but ou un tel caractère si le montant accordé n'avait plus aucun lien ni aucun rapport avec le dommage constaté. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce dans la mesure où la fonction compensatoire du dommage allégué est clairement établie. En effet, s'ils étaient restés en possession de leurs terrains, les requérants auraient évidemment pu les exploiter ou les mettre en valeur d'une manière ou d'une autre.»

Enfin, concernant le troisième argument (développements intervenus en droit interne), la juge Françoise Tulkens relève à juste titre que :

« (...) sans que cela soit déterminant aux fins de la décision, la majorité estime devoir prendre en compte un « fait nouveau » dans le système national. Par les arrêts no 348 et 349 du 22 octobre 2007, la Cour constitutionnelle a en effet jugé que la législation interne devait être compatible avec la Convention, telle qu'interprétée par la jurisprudence de la Cour ; en conséquence, elle a déclaré inconstitutionnel l'article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par la loi no 662 de 1996. Par la suite la loi de finances no 244 du 24 décembre 2007 a établi que l'indemnité d'expropriation pour un terrain constructible doit correspondre à la valeur vénale du bien. Rien dans cette jurisprudence, qui semble concerner surtout la place de la Convention européenne des droits de l'homme dans le système constitutionnel italien, ni dans cette nouvelle loi ne vient contredire la méthode de calcul de l'indemnisation de la Cour en ce qui concerne l'expropriation indirecte dans la mesure où, de part et d'autre, les autres dommages ne sont pas pris en compte.»

16.  J'estime pour ma part que par le présent arrêt, le niveau de l'indemnisation applicable à toutes les personnes concernées par une dépossession illégale est abaissé de manière arbitraire. La décision par laquelle une juridiction nationale prend acte d'une occupation illégale d'un terrain et déclare l'expropriation indirecte de celui-ci n'a pas pour effet de régulariser la situation dénoncée, mais se limite à entériner une situation illégale, situation qui ne peut dès lors être redressée en l'absence d'une réparation conforme aux critères s'appliquant aux cas de privation illégale des biens.

17.  Suivant la jurisprudence de la Cour, si l'expropriation est sine titulo, à défaut de restitutio in integrum l'indemnisation doit refléter l'idée d'un effacement total des conséquences de l'ingérence litigieuse et représenter la valeur pleine et entière des biens (soit par le rétablissement du statu quo ante, soit par l'indemnisation de la dépossession et de tous les dommages indirects). Si au contraire l'expropriation est légale et non justifiée par des objectifs légitimes « d'utilité publique », seule une indemnisation intégrale (c'est-à-dire la pleine valeur vénale que le bien frappé d'expropriation avait au moment de l'expropriation) peut être considérée comme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien[18]. Des objectifs légitimes « d'utilité publique » comme en poursuivent des mesures de réforme économique et sociale peuvent toutefois militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande.

18.  En cas d'expropriation indirecte, la fonction compensatoire du dommage allégué est clairement établie. Si les requérants avaient conservé la propriété de leurs terrains, ils auraient pu exploiter ceux-ci ou les mettre en valeur.

19.  Les critères qui se dégagent de la jurisprudence Papamichalopoulos auraient dû trouver application dans la présente affaire, qui porte sur une expropriation indirecte, donc illégale. Je voudrais ajouter que le fait que les requérants n'ont pas demandé, en l'espèce, la restitution du terrain devant les juridictions internes ne peut pas être déterminant aux fins de la décision, étant donné que la restitution s'avère impossible une fois que l'ouvrage public a été construit sur le terrain.

20.  En un mot, j'estime que le dédommagement dû aux requérants aurait dû refléter l'idée d'un effacement total des conséquences de l'ingérence litigieuse et représenter la valeur pleine et entière des biens.

21.  Conformément à sa propre jurisprudence, la Cour, aux fins de réparer intégralement le préjudice subi, aurait dû octroyer des sommes tenant compte des pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par l'éventuelle restitution en nature ou par le paiement substitutif. On peut donc regretter que « la Cour ait opéré ce revirement qui aboutit à atténuer la dichotomie entre les politiques indemnitaires appliquées aux cas de dépossession licites et illicites »[19].

22.  En 2007, le professeur Paul Tavernier, dans un article publié dans la Revue trimestrielle des droits de l'homme, avait exprimé le souhait que, pour ce qui est du dommage matériel, « la Cour (...) affin[e] sa jurisprudence Papamichalopoulos »[20]. Par le présent arrêt, la Cour a rompu avec cette jurisprudence au lieu de l'affiner. Elle a maintenant considérablement nuancé « le refus d'entériner la politique du fait accompli »[21]. C'est dommage. Après tout, les principes de la responsabilité internationale sont à la base de l'article 41 de la Convention[22] et cet arrêt constitue un dangereux précédent de nature à diluer ces principes.


[1] C.P.J.I., 13 septembre 1928, Affaire relative à l’usine de Chorzów (demande en indemnité) (fond), série A n° 17.

[2] Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, série A no 330‑B.

[3] Page 47 de l’arrêt. Sur la portée du principe, voir Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Tribunals (Préface de Georg Schwarzenberger), Londres, Stevens & Sons, 1953, réimpr., Cambridge, Cambridge University Press, 2006.

[4] Voir, dans les affaires suivantes, les opinions que j’ai formulées, seul ou avec des collègues : Vladimir Romanov c. Russie, n° 41461/02, 24 juillet 2008 (opinion concordante commune aux juges Spielmann et Malinverni) ; Poloufakine et Tchernychev c. Russie, n° 30997/02 (opinion concordante du juge Spielmann), 25 septembre 2008 ; Fakiridou et Schina c. Grèce, no 6789/06, 14 novembre 2008 (opinion concordante des juges Spielmann et Malinverni) ; Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, 27 novembre 2008 (opinion concordante des juges Rozakis, Spielmann, Ziemele et Lazarova Trajkovska) ; Panovits c. Chypre, n° 4268/04, 11 décembre 2008 (opinion concordante commune aux juges Spielmann et Jebens) ; Pishchalnikov c. Russie, n° 7025/04, 24 septembre 2009 (opinion concordante du juge Spielmann) ; Varnava et autres c. Turquie [GC], 18 septembre 2009 (opinion concordante du juge Spielmann, à laquelle se rallient les juges Ziemele et Kalaydjieva) ; Prezec c. Croatie, n° 48185/07, 15 octobre 2009 (opinion partiellement dissidente des juges Spielmann et Malinverni).

[5]2 L’article 35 du projet d’articles sur la responsabilité internationale des Etats dispose :

« L’Etat responsable du fait internationalement illicite a l’obligation de procéder à la restitution consistant dans le rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis, dès lors et pour autant qu’une telle restitution :

a) n’est pas matériellement impossible ;

b) n’impose pas une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de la restitution plutôt que de l’indemnisation.»

Pour sa part, l’article 36 de ce même projet dispose :

« 1. L’Etat responsable du fait internationalement illicite est tenu d’indemniser le dommage causé par ce fait dans la mesure où ce dommage n’est pas réparé par la restitution. »

Voir J. Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibility. Introduction, Text and Commentaries, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.

[6] Principe dégagé dans l’arrêt Iatridis c. Grèce [GC], n° 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II, et réaffirmé dans l’arrêt Beyeler c. Italie [GC], n° 33202/96, § 107, CEDH 2000‑I. Voir aussi Belvedere Alberghieri (au principal), § 55 ; Carbonara et Ventura (au principal), § 62 ; Pasculli c. Italie, n° 36818/97, § 81 ; Carletta c. Italie, n° 63861/00, § 72, 15 juillet 2005 ; Scordino c. Italie (n° 3), précité, § 83 ; et Guiso-Gallisay (au principal), § 80.

[7] Précité.

[8] Papamichalopoulos et autres c. Grèce, précité.

[9] L’arrêt Papamichalopoulos et autres (article 50) est le plus fréquemment cité en la matière, mais il est fondé sur un principe qui avait été formulé antérieurement. Dans l’arrêt Hentrich c. France (22 septembre 1994, série A n° 296‑A), l’ancienne Cour avait conclu que l’article 1 du Protocole n°1 avait été violé à deux égards – d’abord en ce que la base légale de la dépossession litigieuse résultant d’une préemption foncière n’offrait pas de garanties suffisantes contre l’arbitraire (§ 42), ensuite parce que la modicité de l’indemnité due à ce titre conférait à l’ingérence dénoncée un caractère disproportionné (§§ 47-49) – et avait jugé que, à défaut de restitution du terrain litigieux, l’indemnité due devait être calculée sur la base de la valeur vénale actuelle du terrain (§ 71). Il convient de relever que la valeur du terrain n’avait pas été modifiée par des constructions. Par la suite, l’ancienne Cour a « appréci[é] en équité (…) le dommage résultant de la perte du bien et de la privation de jouissance » (Hentrich c. France ((article 50), 3 juillet 1995, série A n° 320-A).

[10] Précité. Pour l’application du principe dans le domaine des droits de l’homme, voir Loukis G. Loucaides, « Reparation for Violations of Human Rights under the European Convention and Restitutio in integrum », European Human Rights Law Review, 2008, pp. 182-192 ; A. Orakhelashvili, « The European Convention on Human Rights and International Public Order », (2002-2003) 5 Cambridge Yearbook of European Legal Studies, p. 237, spec. p. 260.

[11] Voir M. Van Brutsem et E. Van Brutsem, « Les hésitations de la Cour européenne des droits de l’homme : à propos du revirement de jurisprudence en matière de satisfaction équitable applicable aux expropriations illicites », Revue française de droit administratif, 2009, pp. 285-293, spéc. p. 289.

[12] (satisfaction équitable), n° 31524/96 §§ 34-36, 30 octobre 2003.

[13] (satisfaction équitable), n° 24638/94, §§ 39-40, 11 décembre 2003.

[14] Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, 28 novembre 2002.

[15] Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, CEDH 2006‑V.

[16] (satisfaction équitable), n° 43662/98, §§ 32 et suivants, CEDH 2007‑III.

[17] Pour une critique de l’arrêt de chambre, voir M. Van Brutsem et E. Van Brutsem, op. cit., pp. 285-293.

[18] Voir l’arrêt Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, 28 novembre 2002.

[19] M. Van Brutsem et E. Van Brutsem, op. cit., p. 293.

[20] P. Tavernier, « La contribution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au droit de la responsabilité internationale en matière de réparation – Une remise en cause nécessaire », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2007, pp. 945-966, pp. 965-966.

[21] M. Van Brutsem et E. Van Brutsem, op. cit. et loc. cit.

[22] P. Tavernier, op. cit. et loc. cit.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. Code civil
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE GUISO-GALLISAY c. ITALIE, 22 décembre 2009, 58858/00