CJCE, n° T-88/92, Arrêt du Tribunal, Groupement d'achat Édouard Leclerc contre Commission des Communautés européennes, 12 décembre 1996

  • Compétence des juridictions et des autorités nationales·
  • Actes les concernant directement et individuellement·
  • Critères concernant la capacité professionnelle·
  • Application des critères dans des cas concrets·
  • Critères objectifs de sélection des revendeurs·
  • Cosmétiques et parfums de luxe 4. concurrence·
  • Recevabilité du recours 3. concurrence·
  • Cee/ce - concurrence * concurrence·
  • Cee/ce - contentieux * contentieux·
  • Systèmes de distribution sélective

Chronologie de l’affaire

Commentaires4

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juriscom.net · 2 juin 2000

« The risk or not the risk of getting amazoned »[1]Article édité sur Juriscom.net avec l'aimable autorisation des éditions Lamy. Mise à jour au regard des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales adoptées par la Commission européenne le 24 mai 2000 (paragraphes 6, 18 et 29).English versionIntroduction1. « Il a fallu 38 ans pour que 50… « The risk or not the risk of getting amazoned »[1] Article édité sur Juriscom.net avec l'aimable autorisation des éditions Lamy. Mise à jour au regard des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales adoptées par la …

 

juriscom.net · 15 mai 1999

Article paru dans les Cahiers Lamy droit de l'informatique et des réseaux, n°114, mai 1999.IntroductionAlors que le commerce électronique est encore loin d'être une réalité économique en France, une ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Pontoise du 15 avril 1999 a eu à s'exprimer sur les premières expressions juridiques de son développement. En… Article paru dans les Cahiers Lamy droit de l'informatique et des réseaux, n°114, mai 1999. Introduction Alors que le commerce électronique est encore loin d'être une réalité économique en France, une ordonnance de référé du Tribunal de …

 

juriscom.net

Article paru dans les Cahiers Lamy droit de l’informatique et des réseaux, n°114, mai 1999. Introduction Alors que le commerce électronique est encore loin d’être une réalité économique en France, une ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Pontoise du 15 avril 1999 a eu à s’exprimer sur les premières expressions juridiques de son développement. En l'espèce, les Laboratoires Pierre Fabre avaient assigné un de leurs distributeurs agréés en vue d’obtenir vainement la cessation de ses actes de vente parallèle sur Internet. En marge de son activité, ce distributeur avait ouvert un site …

 
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Sur la décision

Référence :
CJUE, Tribunal de première instance, 12 déc. 1996, Leclerc / Commission, T-88/92
Numéro(s) : T-88/92
Arrêt du Tribunal de première instance (deuxième chambre élargie) du 12 décembre 1996. # Groupement d'achat Édouard Leclerc contre Commission des Communautés européennes. # Système de distribution sélective - Produits cosmétiques de luxe. # Affaire T-88/92.
Date de dépôt : 21 octobre 1992
Précédents jurisprudentiels : Cour du 10 juillet 1980, Guerlain e.a. ( 253/78 et 1/79
Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197
Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313/90
Cour du 28 février 1991, Delimitis, C-234/89, Rec. p. I-935
Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85
Cour du 30 janvier 1974, BRT, 127/73
Cour du 3 juillet 1985, Binon, 243/83
Galec/Commission, T-19/92
Tribunal dans son arrêt du 18 septembre 1992 ( Automec/Commission, T-24/90, Rec. p. II-2223
Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission, T-138/89
Tribunal du 27 février 1992, Vichy/Commission, T-19/91
Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T-447/93, T-448/93 et T-449/93
Solution : Recours en annulation : rejet sur le fond, Recours en annulation : obtention
Identifiant CELEX : 61992TJ0088
Identifiant européen : ECLI:EU:T:1996:192
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Texte intégral

Avis juridique important

|

61992A0088

Arrêt du Tribunal de première instance (deuxième chambre élargie) du 12 décembre 1996. – Groupement d’achat Édouard Leclerc contre Commission des Communautés européennes. – Système de distribution sélective – Produits cosmétiques de luxe. – Affaire T-88/92.


Recueil de jurisprudence 1996 page II-01961


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


1. Procédure ° Intervention ° Exception d’ irrecevabilité non soulevée par la partie défenderesse ° Irrecevabilité

[Statut (CE) de la Cour de justice, art. 37, alinéa 3; règlement de procédure du Tribunal, art. 116, § 3]

2. Recours en annulation ° Personnes physiques ou morales ° Actes les concernant directement et individuellement ° Décision de la Commission accordant une exemption à un système de distribution sélective ° Entreprise tierce regroupant des commerçants ayant demandé, sans succès, leur admission au réseau et ayant participé à la procédure administrative devant la Commission ° Recevabilité du recours

(Traité CE, art. 85, § 1 et 3, et 173, alinéa 4; règlement du Conseil n 17, art. 19, § 3)

3. Concurrence ° Ententes ° Système de distribution sélective ° Admissibilité ° Conditions ° Appréciation objective et prise en compte de l’ intérêt du consommateur ° Secteurs économiques permettant la mise en place d’ un système de distribution sélective ° Cosmétiques et parfums de luxe

(Traité CE, art. 85, § 1)

4. Concurrence ° Ententes ° Système de distribution sélective ° Admissibilité ° Conditions ° Critères objectifs de sélection des revendeurs ° Appréciation par la Commission ° Contrôle juridictionnel ° Limites ° Application des critères dans des cas concrets ° Compétence des juridictions et des autorités nationales ° Possibilité pour les particuliers d’ introduire une plainte devant la Commission

(Traité CE, art. 85, § 1, et 173; règlement n 17, art. 3)

5. Concurrence ° Ententes ° Système de distribution sélective ° Admissibilité ° Conditions ° Cosmétiques et parfums de luxe ° Critères objectifs de sélection des revendeurs ° Critères concernant la capacité professionnelle ° Appréciation

(Traité CE, art. 85, § 1)

6. Concurrence ° Ententes ° Système de distribution sélective ° Admissibilité ° Conditions ° Cosmétiques et parfums de luxe ° Critères objectifs de sélection des revendeurs ° Critères concernant la localisation et l’ installation du point de vente ° Appréciation

(Traité CE, art. 85, § 1)

7. Concurrence ° Ententes ° Système de distribution sélective ° Admissibilité ° Conditions ° Cosmétiques et parfums de luxe ° Critères objectifs de sélection des revendeurs ° Critère de l’ enseigne ° Appréciation

(Traité CE, art. 85, § 1)

8. Concurrence ° Ententes ° Système de distribution sélective ° Systèmes « simples » ° Utilisation de tels systèmes pour la commercialisation d’ un même produit par tous les fabricants sur le marché ° Admissibilité ° Conditions ° Absence de barrières à l’ entrée sur le marché à l’ encontre de nouveaux concurrents aptes à vendre les produits ° Maintien d’ une concurrence efficace, notamment en matière de prix

(Traité CE, art. 85, § 1)

Sommaire


1. Une partie intervenante n’ a pas qualité pour soulever une exception d’ irrecevabilité non formulée dans les conclusions de la partie défenderesse.

2. Dans le cadre d’ une décision qui accorde une exemption à un système de distribution sélective, une société coopérative regroupant des commerçants détaillants, concurrents potentiels des distributeurs agréés, qui a demandé, sans succès, qu’ au moins certains de ses membres soient admis dans le réseau et qui a participé à la procédure administrative prévue par l’ article 19, paragraphe 3, du règlement n 17, doit être considérée comme individuellement et directement concernée par la décision d’ exemption.

3. Les systèmes de distribution sélective constituent un élément de concurrence conforme à l’ article 85, paragraphe 1, du traité s’ il est satisfait à quatre conditions, à savoir: premièrement, que les propriétés du produit en cause nécessitent un système de distribution sélective, en ce sens qu’ un tel système constitue une exigence légitime, eu égard à la nature des produits concernés, et notamment à leur haute qualité ou technicité, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage; deuxièmement, que le choix des revendeurs s’ opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif fixés d’ une manière uniforme à l’ égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire; troisièmement, que le système en cause vise à atteindre un résultat de nature à améliorer la concurrence et donc à contrebalancer la limitation de la concurrence inhérente aux systèmes de distribution sélective, notamment en matière de prix; et, quatrièmement, que les critères imposés n’ aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire. La question de savoir si ces conditions sont remplies doit être appréciée d’ une façon objective, en tenant compte de l’ intérêt du consommateur.

Des systèmes de distribution sélective qui trouvent leur justification dans la nature spécifique des produits ou les exigences de leur distribution peuvent être mis en place dans d’ autres secteurs que celui de la production de biens de consommation durables, de haute qualité ou technicité, sans enfreindre l’ article 85, paragraphe 1, du traité.

Les cosmétiques de luxe, et notamment les parfums de luxe, sont des produits sophistiqués et de haute qualité, dotés d’ une « image de luxe » distinctive, qui est importante aux yeux des consommateurs. Les propriétés de ces produits ne peuvent être limitées à leurs caractéristiques matérielles, mais englobent également la perception spécifique qu’ en ont les consommateurs, et plus particulièrement leur « image de luxe », qui relève ainsi de leur nature même.

Il est dans l’ intérêt des consommateurs recherchant de tels produits que ceux-ci soient présentés dans de bonnes conditions dans les points de vente, et que soit ainsi préservée leur image de luxe.

Il s’ ensuit que, dans le secteur des cosmétiques de luxe, et notamment des parfums de luxe, des critères qualitatifs de sélection des détaillants qui ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la vente de ces produits dans de bonnes conditions de présentation ne sont pas, en principe, visés par l’ article 85, paragraphe 1, du traité, pour autant que ces critères soient objectifs, fixés d’ une manière uniforme à l’ égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués d’ une façon non discriminatoire.

4. Le contrôle juridictionnel par le Tribunal, au titre de l’ article 173 du traité, d’ une décision par laquelle la Commission constate que les critères de sélection d’ un système de distribution sélective remplissent les conditions requises pour être considérés comme licites au regard de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, se limite à vérifier si les constatations de la Commission sont entachées d’ un défaut de motivation, d’ une erreur manifeste de fait ou de droit, d’ une erreur manifeste d’ appréciation ou d’ un détournement de pouvoir. Il n’ appartient pas au juge communautaire de se prononcer sur l’ application de ces critères dans des cas concrets.

En revanche, il appartient aux juridictions ou aux autorités nationales compétentes, saisies du recours d’ un candidat qui s’ est vu refuser l’ accès au réseau, de statuer à la lumière, le cas échéant, de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, sur la question de savoir si les critères en cause ont été appliqués dans un cas concret d’ une manière discriminatoire ou disproportionnée, entraînant ainsi une violation de l’ article 85, paragraphe 1, du traité. Il leur incombe notamment de veiller à ce que les critères en cause ne soient pas utilisés pour empêcher l’ accès au réseau de nouveaux opérateurs capables de distribuer les produits en cause dans des conditions qui ne sont pas dévalorisantes.

Par ailleurs, un candidat qui s’ est vu refuser l’ accès au réseau a la possibilité d’ introduire une plainte devant la Commission au titre de l’ article 3 du règlement n 17, notamment en cas d’ utilisation systématique des conditions d’ admission dans un sens incompatible avec le droit communautaire.

5. Dans le cadre d’ un système de distribution sélective dans le secteur des cosmétiques de luxe, la présence dans le point de vente d’ une personne capable de donner au consommateur des conseils ou des renseignements appropriés constitue en principe une exigence légitime pour la vente desdits produits, qui fait partie intégrante d’ une bonne présentation de ceux-ci.

6. Dans le cadre d’ un système de distribution sélective dans le secteur des cosmétiques de luxe, un critère relatif à l’ environnement dans lequel est situé un point de vente de ces produits n’ est pas en soi visé par l’ article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où il a pour objet d’ assurer que de tels produits ne soient pas vendus en des lieux totalement inadaptés à de telles ventes.

En revanche, des conditions concernant l’ aspect extérieur du point de vente, telles la façade, les vitrines et la décoration de celui-ci, se prêtent à une application discriminatoire à l’ encontre d’ un point de vente ° tel qu’ un hypermarché ° qui n’ a pas la même façade qu’ un commerce traditionnel, notamment une façade comportant des vitrines, mais qui a aménagé un emplacement ou un espace situé à l’ intérieur d’ un magasin d’ une façon appropriée à la vente des cosmétiques de luxe. En outre, des vitrines à l’ extérieur n’ apparaissent pas nécessaires pour la bonne présentation des produits dans le contexte d’ un emplacement ou d’ un espace aménagé à l’ intérieur d’ un magasin « multiproduits ».

En ce qui concerne les conditions concernant l’ intérieur du point de vente, telle la vente d’ autres marchandises dans celui-ci, elles ne sauraient pas suffire pour exclure d’ un réseau un hypermarché, en ce sens que la vente des marchandises typiquement trouvées dans un hypermarché n’ est pas en soi de nature à nuire à l’ « image de luxe » des produits en cause, pourvu que l’ emplacement ou l’ espace consacré à la vente des cosmétiques de luxe soit aménagé de façon à ce que ces produits soient présentés dans des conditions valorisantes.

En ce qui concerne les critères relatifs aux autres activités des magasins, des considérations tenant à l’ importance de celles-ci sont disproportionnées dans la mesure où elles n’ ont en soi aucun rapport avec l’ exigence légitime de la préservation de l’ image de luxe des produits concernés. Par ailleurs, elles sont discriminatoires dans la mesure où elles tendent à favoriser la candidature d’ une parfumerie spécialisée au détriment de celle d’ un magasin « multiproduits » disposant d’ un emplacement spécialisé aménagé de manière à satisfaire aux conditions qualitatives appropriées pour la vente des cosmétiques de luxe.

7. Dans le cadre d’ un système de distribution sélective dans le secteur des cosmétiques de luxe, un critère qui a pour seul objet de veiller à ce que l’ enseigne du détaillant ne soit pas de nature à dévaloriser l’ image de luxe de ces produits constitue en principe une exigence légitime de la distribution de tels produits et ne relève donc pas nécessairement de l’ article 85, paragraphe 1, du traité. En effet, il est à craindre que, en l’ absence d’ un tel critère, l’ image de luxe des cosmétiques de luxe, et donc leur nature même, soit atteinte par la vente de ces produits par des détaillants dont l’ enseigne est manifestement dévalorisante aux yeux des consommateurs. Le critère ne peut toutefois être appliqué de façon injustifiée ou disproportionnée.

8. Si des systèmes de distribution sélective dits « simples » sont susceptibles de constituer un élément de concurrence conforme à l’ article 85, paragraphe 1, du traité, une restriction ou une élimination de la concurrence peut néanmoins se produire lorsque l’ existence d’ un certain nombre de tels systèmes ne laisse aucune place à d’ autres formes de distribution axées sur une politique concurrentielle de nature différente ou aboutit à une rigidité dans la structure des prix qui n’ est pas contrebalancée par d’ autres facteurs de concurrence entre produits d’ une même marque et par l’ existence d’ une concurrence effective entre marques différentes. Par conséquent, l’ existence d’ un grand nombre de tels systèmes de distribution sélective pour un produit déterminé ne permet pas, à elle seule, de conclure que la concurrence est restreinte ou faussée au sens de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, mais il faut encore que le marché concerné soit tellement rigide et structuré qu’ il n’ existe plus de concurrence efficace en matière de prix.

A cet égard, l’ article 85, paragraphe 1, du traité ne saurait être automatiquement applicable du seul fait que tous les fabricants dans le secteur concerné ont fait le même choix quant à leurs méthodes de distribution. Si, pris individuellement, certains critères de sélection d’ un fabricant ne relèvent pas de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, l’ effet cumulatif des autres réseaux n’ est de nature à altérer cette conclusion que s’ il est démontré, premièrement, qu’ il existe des barrières à l’ entrée sur le marché à l’ encontre de nouveaux concurrents aptes à vendre les produits en question, de sorte que les systèmes de distribution sélective en cause ont pour effet de figer la distribution au profit de certains canaux existants, ou, deuxièmement, qu’ il n’ y a pas de concurrence efficace, notamment en matière de prix, compte tenu de la nature des produits en cause.

Parties


Dans l’ affaire T-88/92,

Groupement d’ achat Édouard Leclerc, société de droit français, établie à Paris, représenté par Mes Mario Amadio et Gilbert Parléani, avocats au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l’ étude de Me Philippe Hoss, 15, Côte d’ Eich,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. Bernd Langeheine, puis par M. Berend Jan Drijber, membres du service juridique, en qualité d’ agents, assistés de Me Hervé Lehman, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Parfums Givenchy SA, société de droit français, établie à Levallois-Perret (France), représentée par Me François Bizet, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l’ étude de Me Aloyse May, 31, Grand-rue,

Fédération des industries de la parfumerie, union de syndicats régie par le droit français, ayant son siège à Paris, représentée par Me Robert Collin, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l’ étude de Me Ernest Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,

Comité de liaison des syndicats européens de l’ industrie de la parfumerie et des cosmétiques, association internationale sans but lucratif régie par le droit belge, ayant son siège à Bruxelles, représentée par M. Stephen Kon, solicitor, et Me Mélanie Thill-Tayara, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l’ étude de Mes Winandy et Err, 60, avenue Gaston Diderich,

et

Fédération européenne des parfumeurs détaillants, association de fédérations ou de syndicats nationaux régie par le droit français, ayant son siège à Paris, représentée par Me Rolland Verniau, avocat au barreau de Lyon, ayant élu domicile à Luxembourg en l’ étude de Me Nico Schaeffer, 12, avenue de la Porte-Neuve,

parties intervenantes,

ayant pour objet l’ annulation de la décision 92/428/CEE de la Commission, du 24 juillet 1992, relative à une procédure d’ application de l’ article 85 du traité CEE (IV/33.542 ° Système de distribution sélective de Parfums Givenchy) (JO L 236, p. 11),

LE TRIBUNAL DE PREMI RE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. H. Kirschner, président, B. Vesterdorf, C. W. Bellamy, A. Kalogeropoulos et A. Potocki, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale des 28 et 29 février 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


Faits à l’ origine du litige

Introduction

1 La catégorie des produits cosmétiques recouvre une grande variété d’ articles comprenant notamment les produits de parfumerie alcoolisés, de soins et de beauté ainsi que les produits capillaires et de toilette. Au sein de cette catégorie, il existe un segment constitué par les produits de luxe: articles de haute qualité, au prix relativement élevé, commercialisés sous une marque de prestige. En général, les produits cosmétiques de luxe ne sont vendus que par l’ intermédiaire de réseaux de distribution sélective soumis à des conditions comparables. Ces réseaux sont principalement constitués par des parfumeries spécialisées ou des emplacements spécialisés situés à l’ intérieur des grands magasins.

2 Parfums Givenchy SA (ci-après « Givenchy ») est un producteur de produits cosmétiques de luxe. Elle fait partie du Groupe Louis Vuitton Moët-Hennessy, avec les sociétés Parfums Christian Dior et Parfums Christian Lacroix qui opèrent sur le même marché. Par l’ intermédiaire de ces trois sociétés, le groupe Louis Vuitton Moët-Hennessy détient plus de 10 % du marché communautaire des produits parfumants de luxe.

3 Il ressort de la ventilation par gammes de produits, fournie par Givenchy en cours d’ instance, que la vente des parfums de luxe représentait, en 1990 et en 1991, 80 à 100 % de ses ventes totales en distribution sélective, selon l’ État membre concerné, le solde étant constitué par la vente de produits de soins de luxe et de beauté de luxe. Ces produits sont vendus par environ 10 000 points de vente agréés ainsi que par des magasins hors taxes dans lesquels est réalisée une proportion importante des ventes dans plusieurs États membres.

4 Le 19 mars 1990, Givenchy a notifié à la Commission un réseau de contrats de distribution sélective pour la commercialisation dans la Communauté de ses produits de parfumerie alcoolisés, de soins et de beauté, en demandant, à titre principal, une attestation négative au titre de l’ article 2 du règlement n 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’ application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p. 204, ci-après « règlement n 17 »), et, à titre subsidiaire, une exemption au titre de l’ article 85, paragraphe 3, du traité.

5 Le 8 octobre 1991, conformément à l’ article 19, paragraphe 3, du règlement n 17, la Commission a publié une communication (JO C 262, p. 2) indiquant son intention d’ adopter une décision favorable à l’ égard des contrats notifiés, dans leur version modifiée suite à ses observations, et invitant les tiers intéressés à lui faire parvenir leurs observations éventuelles dans un délai de trente jours.

6 En réponse à cette publication, le requérant, le Groupement d’ achat Édouard Leclerc (ci-après « Galec »), a soumis des observations datées du 6 novembre 1991. Le Galec est un groupement d’ achat, sous forme de société coopérative, desservant un réseau de points de vente au détail en France, appelés centres distributeurs Leclerc (ci-après « centres Leclerc »), dont la plupart sont des hypermarchés ou des supermarchés. Dans ses observations, le Galec s’ est opposé à la décision proposée, au motif, notamment, que certains centres Leclerc adaptés à la distribution des cosmétiques de luxe en seraient exclus si elle était adoptée.

7 Le Galec a participé de la même façon à la procédure administrative dans l’ affaire Yves Saint Laurent Parfums dans laquelle la Commission a adopté le 16 décembre 1991 la décision 92/33/CEE, relative à une procédure d’ application de l’ article 85 du traité CEE (IV/33.242 ° Yves Saint Laurent Parfums) (JO 1992, L 12, p. 2) et qui fait l’ objet d’ un recours parallèle devant le Tribunal (Galec/Commission, T-19/92).

8 Le 24 juillet 1992, la Commission a adopté la décision 92/428/CEE, relative à une procédure d’ application de l’ article 85 du traité CEE (IV/33.542 ° Système de distribution sélective de Parfums Givenchy) (JO L 236, p. 11, ci-après « Décision »). Celle-ci fait l’ objet du présent arrêt.

Le contrat Givenchy

9 Il ressort du « contrat de distributeur agréé CEE ligne parfumée » (ci-après « Contrat ») et des conditions générales de vente y annexées, dans leur version visée par la Décision, que le réseau de distribution Givenchy est un réseau fermé, comportant une interdiction pour ses membres de vendre ou de se procurer des produits de la marque Givenchy en dehors du réseau. Pour sa part, Givenchy s’ engage à assurer le respect de la distribution dans le cadre des lois et réglementations en vigueur et à retirer sa marque des points de vente qui ne rempliraient pas les conditions contractuelles de sélection.

10 Les critères de sélection des distributeurs agréés prévus par le Contrat se réfèrent essentiellement à la qualification professionnelle du personnel, à la localisation et à l’ installation du point de vente, à l’ enseigne du distributeur ainsi qu’ à certaines autres conditions à remplir par celui-ci, concernant notamment le stockage des produits, la réalisation d’ un chiffre minimal d’ achats annuels, la présence dans le point de vente de marques concurrentes suffisant à illustrer l’ image des produits Givenchy, l’ obligation de s’ abstenir pendant un an de la vente active des nouveaux produits lancés sur un autre territoire et la coopération publicitaire et promotionnelle entre le distributeur et Givenchy.

11 Quant à la qualification professionnelle, les points II.3 et II.5 du Contrat disposent:

« 3) Qualification professionnelle en parfumerie

Le distributeur agréé CEE, ou son personnel de vente, doit avoir une qualification professionnelle en parfumerie résultant:

° soit d’ un diplôme d’ esthétique,

° soit d’ un certificat homologué au titre d’ un ministère de tutelle compétent de l’ un des États membres de la CEE,

° soit d’ une attestation de formation professionnelle en parfumerie délivrée par une chambre de commerce et d’ industrie de l’ un des États membres de la CEE,

° soit d’ une pratique de la vente en parfumerie pendant trois ans au moins, notamment dans le point de vente agréé.

[…]

5) Service de conseil et de démonstration

Le distributeur agréé CEE doit disposer d’ un service de conseil et de démonstration suffisant eu égard à la surface de vente du magasin et au nombre de produits présentés et mis à la disposition de la clientèle.

Le caractère suffisant de ce service sera apprécié en fonction des renseignements fournis par le distributeur agréé CEE sur:

° le nombre de personnes affectées à la vente,

° le nombre d’ esthéticiennes."

12 Quant au point de vente, les points II.4 et II.6 du Contrat disposent:

« 4) Localisation du point de vente:

Le standing et l’ environnement du point de vente de la parfumerie doivent correspondre au prestige de la marque.

L’ environnement du magasin sera apprécié au vu des renseignements ci-après et conformément à la fiche d’ évaluation Givenchy prévue à cet effet:

° photos couleur permettant d’ apprécier l’ environnement extérieur du magasin (magasins voisins et rue),

° localisation géographique (centre ville, quartier périphérique, rue commerçante, etc.),

° autres commerces de prestige dans le voisinage (bijouteries, magasins de cadeaux, hôtels, restaurants, etc.).

[…]

6) Installation du point de vente

Le cadre du magasin, des rayons et des vitrines de même que l’ environnement des autres produits distribués dans le lieu de vente ne doivent pas déprécier l’ image de la marque Givenchy.

La surface de vente du magasin ne doit pas faire ressortir de disproportion avec le nombre de marques vendues. Elle doit permettre au distributeur agréé CEE d’ offrir, eu égard aux marques représentées, un emplacement correspondant au standing de la marque Givenchy.

Le stockage doit être effectué dans des conditions satisfaisantes pour la conservation des produits et notamment dans des locaux permettant d’ éviter une trop forte humidité, température ou une luminosité trop intense.

Les éléments de démonstration ou de publicité intérieure doivent trouver place sur le comptoir de vente ou à proximité immédiate et à la vue du public. Les présentoirs, pancartes, factices et autres éléments de publicité doivent être exposés en bonne place dans les vitrines extérieures ou, à défaut, à l’ intérieur du magasin.

L’ installation sera appréciée en fonction des renseignements ci-après et conformément à la fiche d’ évaluation que le candidat à la distribution des produits Givenchy aura communiquée à Givenchy:

° photos couleur permettant d’ apprécier les vitrines, les aménagements intérieurs du magasin,

° surface de vente du magasin,

° nombre et surface des cabines de soins.

Il sera tenu compte pour l’ appréciation qualitative de:

° la qualité de la façade,

° la décoration des vitrines,

° le revêtement du sol,

° la qualité des murs et plafonds,

° la qualité du mobilier.

Par ailleurs,

° il est indispensable que le magasin comporte en devanture une ou plusieurs vitrines et que ces vitrines soient d’ un standing suffisant pour recevoir des parfums et produits de beauté sélectifs;

° l’ installation de ces vitrines ainsi que celle des rayonnages doit être présentée d’ une façon conforme aux usages qui régissent la vente de produits de luxe;

° s’ il s’ agit d’ un emplacement spécialisé pour la commercialisation de produits de parfumerie situé dans un grand magasin, ledit emplacement doit en tout temps correspondre aux critères qualitatifs visés aux présents documents contractuels et correspondre au prestige de Givenchy."

13 En ce qui concerne l’ enseigne du détaillant, le point II.8 du Contrat dispose:

« Est exclue une enseigne existante ayant construit son image sur une restriction du décor ou des services. Est exclue également une nouvelle enseigne dont la perception par le public implique une restriction du décor ou des services. Il est cependant précisé que la politique de prix habituelle d’ une enseigne ne saurait être considérée comme un élément dévalorisant. »

14 Pour ce qui est de la procédure d’ admission dans le réseau, toute demande d’ ouverture de compte donne lieu, dans un délai maximal de trois mois, à une évaluation, par Givenchy ou son agent exclusif, du point de vente proposé, au moyen de la fiche d’ évaluation à laquelle le Contrat se réfère, et dont une copie a été produite par Givenchy en cours d’ instance (ci-après « fiche d’ évaluation »). Dans cette fiche d’ évaluation, des éléments d’ appréciation concernant respectivement l’ extérieur du point de vente, l’ intérieur du point de vente et l’ aptitude professionnelle sont cotés selon une grille de notation qui comprend quinze rubriques différentes, chaque rubrique étant cotée entre zéro et dix points et pondérée selon l’ importance qui lui est accordée. La partie « éléments d’ appréciation extérieure » comporte cinq rubriques et représente un total de 120 points possible. La partie « éléments d’ appréciation intérieure » contient huit rubriques et représente un total de 180 points. La partie « aptitude professionnelle » contient deux rubriques, à savoir « expérience et fonctions » (20 points) et « dynamisme commercial » (30 points). Le maximum des points qui peuvent être obtenus est donc de 350, et le minimum de points requis pour figurer dans les points de vente retenus est fixé à 161. L’ obtention de quatre zéros sur l’ ensemble des quinze rubriques est éliminatoire.

15 Selon les conclusions de l’ évaluation, ou bien la demande fait l’ objet d’ un refus motivé, ou bien le demandeur est informé des mesures qu’ il devra prendre afin de satisfaire aux critères. Dans ce dernier cas, un délai de six mois au maximum lui est accordé pour se conformer auxdits critères, après quoi intervient une nouvelle évaluation. En cas de réponse positive, le compte est ouvert dans un délai de neuf mois à compter de la date de l’ évaluation.

La Décision de la Commission

16 Dans la Décision la Commission considère, au point II.A.4, que l’ article 85, paragraphe 1, du traité ne s’ applique pas à un système de distribution sélective pour autant que trois conditions soient satisfaites, à savoir, premièrement, que les propriétés des produits en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, la mise en place d’ un tel système, deuxièmement, que le choix des revendeurs s’ opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur et de son personnel ainsi qu’ à ses installations, et, troisièmement, que ces critères soient fixés de manière uniforme à l’ égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire (voir les arrêts de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, ci-après « arrêt Metro I », 26/76, Rec. p. 1875, point 20, du 11 décembre 1980, L’ Oréal, 31/80, Rec. p. 3775, point 16, et du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, ci-après « arrêt AEG », 107/82, Rec. p. 3151, point 33).

17 A cet égard, la Commission constate, au point II.A.5, deuxième alinéa, de la Décision:

« Les produits en cause sont en effet des articles de haute qualité, résultant d’ une recherche particulière qui s’ exprime à la fois par l’ originalité de leur création, par la sophistication des gammes commercialisées ainsi que par le niveau qualitatif des matériaux utilisés, notamment dans la réalisation du conditionnement sous lequel ils sont présentés. Leur nature de produits de luxe découle ultérieurement de l’ aura d’ exclusivité et de prestige qui les distingue des produits similaires relevant d’ autres segments du marché et répondant à d’ autres exigences du consommateur. Une telle caractéristique, d’ une part, est étroitement liée à la capacité du producteur de développer et de préserver une image de marque de grande réputation et, d’ autre part, dépend d’ une présentation au public apte à mettre en valeur la spécificité esthétique ou fonctionnelle de chaque produit individuel ou ligne de produits […]"

18 Ensuite, la Commission considère que les critères de sélection de Givenchy concernant la qualification professionnelle, la localisation et l’ installation du point de vente et l’ enseigne du détaillant ne relèvent pas de l’ article 85, paragraphe 1, du traité. La Commission estime, notamment, que « la présence dans le point de vente d’ un conseil professionnel spécialisé constitue une exigence légitime dans la mesure où les connaissances spécifiquement requises sont nécessaires pour aider le consommateur dans sa recherche du produit le mieux adapté à son goût et à ses besoins et pour lui apporter la meilleure information sur les conditions d’ utilisation, voire de conservation, de tels produits » (point II.A.5, troisième alinéa), et que, « puisque le maintien d’ une image de marque de prestige constitue, sur le marché des produits cosmétiques de luxe, un facteur essentiel de concurrence, aucun producteur ne saurait conserver sa position sur ce marché sans un effort constant de promotion. Or, il est clair que de tels efforts seraient anéantis si, au stade de la vente au détail, les produits Givenchy étaient commercialisés d’ une façon susceptible d’ en altérer la perception par le consommateur. Ainsi, les critères relatifs à la localisation et à l’ installation du point de vente, ainsi qu’ à l’ aménagement de ses vitrines, constituent des exigences légitimes du producteur car elles visent à offrir au consommateur un cadre en harmonie avec le caractère luxueux et exclusif des produits en cause et une présentation conforme à l’ image de la marque Givenchy. En outre, le critère relatif à l’ enseigne vise à assurer que l’ enseigne de la parfumerie ou du magasin ou de l’ espace dans lequel est situé le rayon de parfumerie ou la parfumerie soit compatible avec les principes qui régissent la distribution des produits en cause. Il convient de souligner à cet égard que le caractère dévalorisant d’ un point de vente, ou de son enseigne, ne saurait en tout état de cause être associé à la politique habituelle de prix du distributeur » (point II.A.5, quatrième alinéa).

La Commission continue comme suit, au point II.A.5, cinquième, sixième et septième alinéas:

« L’ interdiction de vendre des marchandises susceptibles de déprécier, par leur voisinage, l’ image de la marque Givenchy n’ a pour objet que de sauvegarder, dans la perception du public, l’ aura de prestige et d’ exclusivité inhérente aux produits en cause, en évitant ainsi toute assimilation à des marchandises de qualité inférieure.

Il convient de rappeler que le système de distribution sélective Givenchy est ouvert également aux grands magasins disposant d’ un emplacement spécialisé. Par conséquent, eu égard notamment aux différentes formes de distribution pour lesquelles Givenchy a accordé son agrément au niveau communautaire, les exigences qualitatives relatives à la localisation, à l’ installation et à l’ enseigne du point de vente ne sont pas en soi de nature à exclure certaines formes modernes de distribution telles que les grands magasins ou les shoppings.

L’ obligation faite au distributeur agréé de réserver, pour les produits Givenchy, un emplacement qui, eu égard aux marques représentées, correspond au standing de la marque Givenchy répond à l’ objectif d’ assurer une présentation valorisante des produits visés par le Contrat. […] un tel critère de sélection n’ est pas en soi de nature à limiter la liberté du distributeur de vendre et de promouvoir des marques concurrentes ou à entraver le développement de nouvelles formes de distribution."

19 Quant aux autres obligations et conditions à remplir par le distributeur agréé, la Commission considère que celles concernant la procédure d’ accès au réseau, la réalisation d’ un chiffre minimal d’ achats annuels, la présence dans le point de vente de marques concurrentes, le stockage des produits, le lancement de nouveaux produits et la coopération publicitaire et promotionnelle relèvent de l’ article 85, paragraphe 1 (voir point II.A.6 de la Décision), et que les entraves à la concurrence rencontrées constituent une restriction sensible des échanges intracommunautaires (point II.A.8).

20 Toutefois, la Commission constate, au point II.B.1 de la Décision, que les contrats qui forment le système de distribution Givenchy remplissent les quatre conditions prévues à l’ article 85, paragraphe 3, du traité.

21 Quant à la question de savoir si les stipulations en cause contribuent à l’ amélioration de la production et de la distribution au sens de l’ article 85, paragraphe 3, du traité, la Commission considère, au point II.B.2:

« Les produits cosmétiques de luxe se distinguent des produits similaires répondant à d’ autres exigences du consommateur, entre autres, par l’ image d’ exclusivité et de prestige qui, dans la perception du consommateur, est associée à la marque dont ils sont revêtus. La capacité du fabricant de créer et de préserver une image de marque originale et prestigieuse constitue ainsi un facteur déterminant de concurrence. Il s’ ensuit qu’ une marque cosmétique de luxe ne saurait être distribuée qu’ en respectant sa vocation d’ exclusivité. En effet, l’ expérience montre que la distribution généralisée d’ un produit cosmétique de luxe est susceptible d’ en altérer la perception par le consommateur et d’ entraîner à terme une diminution de sa demande. »

22 Dans ces circonstances, la Commission estime que les stipulations du Contrat qui tombent sous le coup de l’ article 85, paragraphe 1 (voir point 19 ci-dessus), « ont pour effet d’ assurer que les produits Givenchy ne sont distribués que dans des conditions susceptibles d’ en préserver l’ image de haute qualité et la vocation d’ exclusivité caractérisant leur nature de produits cosmétiques de luxe » (point II.B.2, huitième alinéa, in fine).

23 En ce qui concerne la question de savoir si « une partie équitable du profit » est réservée aux utilisateurs, au sens de l’ article 85, paragraphe 3, du traité, la Commission estime notamment que « le système de distribution notifié permet de sauvegarder le caractère exclusif des produits contractuels, ce qui constitue la motivation essentielle du choix du consommateur » (point II.B.3, deuxième alinéa), et que, « au cas où le client estime secondaire l’ image de la marque ou les services dont s’ entoure la vente au sein du système de distribution sélective, il pourra de toute façon porter son choix sur des articles similaires, relevant d’ un marché voisin et diffusés sans recours à des systèmes de distribution sélective, en sanctionnant ainsi le choix de stratégie commerciale effectué par le producteur » (point II.B.3, troisième alinéa).

24 Enfin, la Commission estime, au point II.B.4 de la Décision, que le système de distribution Givenchy ne contient aucune obligation restrictive de la concurrence qui ne soit pas indispensable pour atteindre les objectifs prévus, au sens de l’ article 85, paragraphe 3, sous a), du traité, et, au point II.B.5, que les contrats en cause ne donnent pas aux entreprises intéressées la possibilité d’ éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, au sens de l’ article 85, paragraphe 3, sous b), du traité. La Commission ajoute notamment qu’ elle n’ a « pas pu constater que la diffusion de systèmes de distribution sélective dans le domaine des produits cosmétiques de luxe écarte par principe certaines formes modernes de distribution, telles que les grands magasins. Les critères de sélection de Givenchy ne sont en effet pas tels qu’ ils ne puissent pas être également réunis par ces formes de distribution, même si ceci implique une modification partielle de leurs méthodes particulières de commercialisation » (point II.B.5, quatrième alinéa).

25 L’ article 1er de la Décision se lit comme suit:

« Les dispositions de l’ article 85, paragraphe 1, du traité CEE sont déclarées inapplicables, conformément à l’ article 85, paragraphe 3, au contrat type de distributeur agréé liant Givenchy, ou le cas échéant les agents exclusifs de Givenchy, à ses détaillants spécialisés établis dans la Communauté, ainsi qu’ aux conditions générales de vente y annexées.

La présente décision est applicable du 1er janvier 1992 jusqu’ au 31 mai 1997."

Procédure et conclusions des parties

26 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 octobre 1992, la partie requérante a introduit le présent recours. Par ordonnance du 31 mars 1993, Givenchy, le Comité de liaison des syndicats européens de l’ industrie de la parfumerie et des cosmétiques (ci-après « Colipa »), la Fédération des industries de la parfumerie (ci-après « FIP ») et la Fédération européenne des parfumeurs détaillants (ci-après « FEPD ») ont été admis à intervenir à l’ appui des conclusions de la partie défenderesse.

27 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ ouvrir la procédure orale sans mesures d’ instruction préalables. Toutefois, dans le cadre des mesures d’ organisation de la procédure, prévues à l’ article 64 du règlement de procédure, la partie défenderesse, Givenchy et la FEPD ont été invitées à répondre par écrit à certaines questions et à produire certains documents avant l’ audience. Les parties ont déposé leurs réponses entre le 16 et le 24 janvier 1996.

28 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’ audience qui s’ est déroulée les 28 et 29 février 1996.

29 La partie requérante conclut à ce qu’ il plaise au Tribunal:

° annuler la Décision dans son ensemble;

° condamner la Commission à l’ intégralité des frais et dépens de l’ instance.

30 La partie défenderesse conclut à ce qu’ il plaise au Tribunal:

° rejeter le recours;

° condamner le requérant aux dépens de l’ instance.

31 La partie intervenante Givenchy conclut à ce qu’ il plaise au Tribunal:

° déclarer le recours irrecevable;

° subsidiairement rejeter le recours comme non fondé;

° condamner le requérant aux dépens, y compris aux dépens occasionnés par l’ intervention de Givenchy.

32 La partie intervenante FIP conclut à ce qu’ il plaise au Tribunal:

° statuer ce que de droit sur la recevabilité du recours;

° rejeter le recours comme non fondé;

° condamner le requérant aux dépens, y compris les dépens occasionnés par l’ intervention de la FIP.

33 La partie intervenante Colipa conclut à ce qu’ il plaise au Tribunal:

° rejeter le recours;

° condamner le requérant aux dépens, y compris les dépens occasionnés par l’ intervention du Colipa.

34 La partie intervenante FEPD conclut à ce qu’ il plaise au Tribunal:

° rejeter le recours;

° condamner le requérant aux dépens y compris ceux exposés par l’ intervention de la FEPD.

35 Dans ses observations sur les mémoires des parties intervenantes, la partie requérante conclut à ce qu’ il plaise au Tribunal:

° la déclarer recevable en son recours;

° laisser les dépens à la charge des parties intervenantes.

Sur la recevabilité

Exposé sommaire des arguments des parties

36 Givenchy fait valoir que le recours est irrecevable au motif que le Galec n’ est ni directement ni individuellement concerné par la Décision au sens de l’ article 173, deuxième alinéa, du traité CEE (devenu l’ article 173, quatrième alinéa, du traité CE, ci-après « traité ») et qu’ il n’ a aucun intérêt à agir.

37 Le Galec ne serait qu’ un intermédiaire entre ses adhérents, les centres Leclerc et les fournisseurs, et il n’ effectuerait jamais les achats et les reventes à la clientèle finale des produits concernés. De plus, le Galec n’ aurait aucun mandat pour représenter les centres Leclerc, qui seuls auraient qualité pour agir contre la Décision. Le Galec ne serait donc pas directement concerné par la Décision, qui ne lui causerait aucun préjudice particulier (voir l’ arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197). En outre, le Galec ne justifierait pas d’ un intérêt individuel autre que celui de pur intermédiaire et n’ aurait donc pas un « intérêt né et actuel » à l’ annulation de la Décision (voir l’ arrêt du Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission, T-138/89, Rec. p. II-2181). Se référant à l’ arrêt de la Cour du 28 octobre 1982, Groupement des agences de voyages/Commission (135/81, Rec. p. 3799, point 7), Givenchy invoque également l’ adage « nul ne plaide par procureur ».

38 Le Galec souligne qu’ il a déposé pendant la procédure administrative, en application de l’ article 19, paragraphe 3, du règlement n 17, des observations équivalentes, par leur objectif, au dépôt d’ une plainte, et que la Commission a fait écho à ses arguments dans la Décision, notamment aux points I.D et II.B.5, in fine. Son recours serait donc recevable (voir l’ arrêt de la Cour du 22 octobre 1986 Metro/Commission, ci-après « arrêt Metro II », 75/84, Rec. p. 3021, points 20 à 23).

39 Par ailleurs, en sa qualité de centrale de référencement d’ un groupe économique, le Galec serait un opérateur direct sur le marché des parfums et des produits cosmétiques, en sélectionnant les fabricants et en négociant les conditions de gammes et de prix, les conditions financières et les modalités de livraison et d’ approvisionnement. Sans la Décision, le Galec aurait normalement pu, d’ une manière ou d’ une autre, se procurer des produits Givenchy, mais son adoption l’ aurait privé de tout droit d’ accès normal à ce marché.

40 La partie défenderesse ne conteste pas la recevabilité du recours.

Appréciation du Tribunal

41 La partie défenderesse n’ a pas conclu à l’ irrecevabilité du recours. Dans ces circonstances, Givenchy n’ a pas qualité pour soulever une exception d’ irrecevabilité, et le Tribunal n’ est donc pas tenu d’ examiner les moyens qu’ elle invoque (arrêt de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313/90, Rec. p. I-1125, points 20 à 22).

42 Il convient toutefois d’ examiner d’ office la recevabilité du recours, en vertu de l’ article 113 du règlement de procédure (voir l’ arrêt CIRFS e.a./Commission, précité, point 23).

43 Conformément à l’ article 173 du traité, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si cette décision la concerne directement et individuellement. La Décision ayant été adressée à Givenchy, il convient d’ examiner si ces deux conditions sont remplies en ce qui concerne le Galec.

44 S’ agissant de la question de savoir si le Galec est « individuellement » concerné par la Décision, il ressort d’ une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’ une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’ une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’ une manière analogue à celle du destinataire (voir l’ arrêt Plaumann/Commission, précité, p. 223, ainsi que l’ arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T-447/93, T-448/93 et T-449/93, Rec. p. II-1971, point 34).

45 Le Tribunal relève, à cet égard, que le Galec est une société coopérative à capital variable de commerçants détaillants exerçant sous l’ enseigne É. Leclerc, établie conformément à la loi française n 72-652, du 11 juillet 1972. L’ article 1er de cette loi dispose que de telles sociétés coopératives ont pour objet d’ améliorer, par l’ effort commun de leurs associés, les conditions dans lesquelles elles exercent leur profession commerciale. A cet effet, elles peuvent notamment fournir en totalité ou en partie à leurs associés les marchandises, denrées ou services, l’ équipement et le matériel nécessaires à l’ exercice de leur commerce. L’ article 2, paragraphe 2, des statuts du Galec précise notamment que les services que celui-ci se propose de rendre à ses membres ne sont limités ni en nature ni en quantité et peuvent notamment se rapporter à toutes transactions et activités ayant un rapport quelconque avec la profession de ses membres. Selon l’ article 30 A de ses statuts, le Galec travaille uniquement pour le compte des associés afin de leur permettre de baisser leur prix de revient à l’ achat et à la distribution à leurs propres associés et/ou aux consommateurs. Il peut notamment faire des achats, en son nom propre, pour le compte de ses membres.

46 Selon les affirmations non contestées du Galec à l’ audience, avant l’ adoption de la Décision, celui-ci s’ était adressé à de nombreux parfumeurs, y compris Givenchy, pour demander qu’ au moins certains de ses membres soient admis dans le réseau en tant que distributeurs agréés. Par la suite, une candidature « test » a été introduite auprès de Givenchy par lettre du 7 février 1991 de l’ un des adhérents du Galec, la société Rocadis, pour le centre Leclerc de Poitiers.

47 Cette demande a été rejetée par lettre de Givenchy du 29 avril 1991, au motif que ses critères de sélection n’ étaient pas remplis, et notamment que l’ enseigne « Leclerc » n’ illustrait pas le prestige et la notoriété de la marque Givenchy. La fiche d’ évaluation utilisée à cette occasion était en substance identique à celle utilisée actuellement par Givenchy.

48 Il est également constant que plusieurs autres centres Leclerc ont manifesté leur volonté de distribuer les produits Givenchy, ainsi que le démontrent les nombreux contentieux de droit national dont le Galec et Givenchy ont fait état dans leurs mémoires écrits.

49 Par ailleurs, le Galec a participé à la procédure administrative devant la Commission en soumettant des observations détaillées à la suite de la publication de la communication prévue par l’ article 19, paragraphe 3, du règlement n 17 (voir point 6 ci-dessus). Dans ces observations, le Galec a notamment fait valoir que la Décision aurait pour effet d’ exclure ses membres de la distribution des produits Givenchy et a invité la Commission à vérifier sur place les conditions de distribution des produits de luxe dans les établissements des centres Leclerc désireux d’ accéder à la distribution des parfums de luxe.

50 Par lettre du 12 décembre 1991, la Commission a confirmé que les observations du Galec seraient attentivement examinées. A l’ audience, la Commission a affirmé avoir tenu compte de ces observations lors de l’ adoption de la Décision. Il est toutefois constant que celle-ci approuve, en substance, les particularités du système de distribution sélective Givenchy critiquées par le Galec au cours de la procédure administrative.

51 Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la situation dans le cas d’ espèce n’ est pas matériellement différente de celle à l’ origine de l’ arrêt Metro II (points 21 à 23), dans lequel la Cour a jugé qu’ un opérateur, qui s’ était vu refuser sa demande d’ admission dans un réseau en tant que distributeur agréé et qui avait soumis des observations au titre de l’ article 19, paragraphe 3, du règlement n 17, était directement et individuellement concerné par une décision de la Commission ayant maintenu les critères qu’ il avait critiqués au cours de la procédure administrative.

52 Il y a lieu d’ ajouter que la Décision porte atteinte aux intérêts propres du Galec dans la mesure où celui-ci a notamment pour objet statutaire la négociation des contrats d’ approvisionnement des centres Leclerc. Le Galec est donc également individuellement concerné par la Décision en sa qualité de négociateur de tels contrats d’ approvisionnement (voir par analogie l’ arrêt de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, points 20 à 25, ainsi que l’ arrêt CIRFS e.a./Commission, précité, point 30).

53 Par ailleurs, il ressort des statuts du Galec, et notamment de leur article 2, que celui-ci était implicitement autorisé à faire valoir, pendant la procédure administrative, non seulement son propre point de vue, mais aussi celui de ses membres désireux d’ adhérer au réseau Givenchy. Ces derniers étant des concurrents potentiels des distributeurs agréés de Givenchy, ils sont eux-mêmes des « tiers intéressés », au sens de l’ article 19, paragraphe 3, du règlement n 17. Il s’ ensuit que le Galec est également individuellement concerné par la Décision dans la mesure où il a participé à la procédure administrative en sa qualité de représentant de ses membres (voir par analogie l’ arrêt AITEC e.a./Commission, précité, points 60 à 62).

54 Quant à la question de savoir si le Galec est directement concerné, il suffit de constater que la Décision a laissé entiers tous les effets du réseau Givenchy, permettant ainsi à Givenchy d’ opposer directement au Galec et à ses membres les critères de sélection dont celui-ci avait contesté la licéité pendant la procédure administrative.

55 Par ailleurs, même si le Galec lui-même ne cherche pas à devenir un distributeur agréé de Givenchy, ses achats de produits Givenchy sont désormais soumis au respect des critères de sélection dont la légalité a été constatée dans la Décision. Le Galec a donc un intérêt né et actuel à contester le bien-fondé de celle-ci.

56 Il s’ ensuit que le recours est recevable.

Sur le fond

57 Le grief principal du Galec est que le cumul des critères de sélection approuvés dans la Décision a pour effet d’ exclure a priori du réseau Givenchy certains hypermarchés à l’ enseigne É. Leclerc, en dépit du fait qu’ ils seraient aptes à la commercialisation des parfums de luxe dans des conditions loyales et valorisantes. Autour de ce grief principal, le Galec soulève dans sa requête trois séries de moyens tirés, respectivement, de défauts de motivation, d’ erreurs de fait et d’ erreurs de droit. Ces moyens se chevauchent et comportent, en substance, les quatre allégations principales suivantes: a) la Décision serait entachée de défauts de motivation et/ou d’ erreurs manifestes de fait dans la mesure où les méthodes de valorisation propres aux grandes ou moyennes surfaces (ci-après « grande distribution ») y sont considérées comme impropres à la distribution des parfums de luxe; b) la Décision serait entachée de défauts de motivation et/ou d’ erreurs manifestes de fait en ce qui concerne les besoins et les attentes des consommateurs; c) la Décision serait entachée d’ erreurs de droit et/ou de défauts de motivation dans la mesure où la Commission a décidé que les critères résumés en son point II.A.5 ne relèvent pas de l’ article 85, paragraphe 1, du traité; d) la Décision serait entachée d’ erreurs de droit et/ou d’ erreurs manifestes de fait et/ou de défauts de motivation dans l’ application qu’ elle fait de l’ article 85, paragraphe 3, du traité.

58 Il convient d’ examiner, en premier lieu, le bien-fondé de la Décision au regard de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, en regroupant tous les moyens et arguments des parties y afférents, et, en second lieu, le bien-fondé de la Décision au regard de l’ article 85, paragraphe 3, du traité.

I ° Sur le bien-fondé de la Décision au regard de l’ article 85, paragraphe 1, du traité

Exposé sommaire des arguments des parties

Arguments du Galec

59 Le Galec expose tout d’ abord qu’ il distribue, via ses affiliés à l’ enseigne É. Leclerc, de nombreux produits de luxe (matériel haute-fidélité, vins fins, bijoux, horlogerie, appareils photos, textiles de luxe, etc.) dans des conditions parfaitement adaptées et qu’ il accepte la nécessité d’ un système ciblé sur le concept de « sélectivité de luxe » afin de maintenir le prestige des produits de luxe et de satisfaire les attentes des consommateurs. Il admet également que tous les magasins à l’ enseigne É. Leclerc ne sont pas aptes à une telle forme de commercialisation. Cependant, certains grands hypermarchés ou supermarchés opérant sous l’ enseigne É. Leclerc pratiqueraient déjà la sélectivité de luxe, au moyen de techniques particulières, telles que la mise en place d’ un emplacement réservé dans le magasin, ou l’ aménagement d’ un espace spécialisé à l’ intérieur de la surface de vente, le cas échéant assorti d’ une sous-enseigne (par exemple « Éole »). De tels magasins seraient adaptés ou adaptables à la vente des cosmétiques de luxe, comme le démontreraient notamment les photographies d’ espaces « beauté-santé » dans certains centres Leclerc annexées à la requête.

60 Toutefois, la grande distribution serait exclue d’ office du réseau Givenchy par le cumul des critères de sélection approuvés dans la Décision, notamment ceux relatifs à l’ environnement géographique, à l’ aspect extérieur des commerces voisins, à l’ installation du point de vente, à l’ environnement constitué par les autres marchandises distribuées qui ne doivent pas déprécier l’ image de la marque Givenchy, à la qualité de la façade, à une ou plusieurs vitrines en devanture, à la conformité du standing et de la décoration de ces vitrines aux usages qui régissent la vente des produits de luxe et à une enseigne qui ne doit pas impliquer, dans la perception du public, une restriction du décor ou des services (points II.4, II.6 et II.8 du Contrat, cités aux points 12 et 13 ci-dessus). En fait, il ne pourrait être satisfait aux critères susmentionnés que par les formes traditionnelles de commerce, telles que les détaillants de centre ville, les grands magasins de centre ville et les « shoppings ».

61 En particulier, le requérant s’ étonne que la Commission ait pu valider un critère aussi éliminatoire que celui de l’ enseigne, car celui-ci serait totalement subjectif et exclurait toutes les enseignes nationales ou communautaires des grandes surfaces qui se sont construites historiquement sur une revendication de « discount » et sur une restriction du décor ou du service ° bien que ce concept ait beaucoup évolué depuis une vingtaine d’ années et que les consommateurs n’ aient plus aucune perception dévalorisante d’ une enseigne de grand distributeur.

62 S’ agissant de la motivation de la Décision, le requérant considère que, dans une décision de principe comme celle de l’ espèce, la Commission aurait dû adopter une motivation particulièrement complète. Or, la Commission n’ aurait pas motivé l’ affirmation selon laquelle les critères énoncés dans la Décision sont inhérents à la sélectivité de luxe. A cet égard, en dépit des observations soumises par le Galec pendant la procédure administrative, la Décision ne contiendrait aucune motivation quant à la capacité de la grande distribution à valoriser les parfums de luxe. En fait, la grande distribution aurait accompli une profonde mutation dans ses méthodes de commercialisation (voir point 59 ci-dessus) et serait parvenue non seulement à protéger l’ image de marque qui s’ attache aux produits de haute technicité et de luxe, mais encore à être compétitive en termes d’ image de ces produits.

63 Toutefois, la Commission aurait laissé aux fabricants le soin d’ apprécier la « perception » d’ une enseigne dans le public, l’ environnement constitué par les autres marchandises ou le respect des « usages » qui régissent la vente des produits de luxe, ce qui constituerait une liberté excessive, proche d’ une condition potestative, dont la défenderesse n’ aurait aucunement motivé le caractère indispensable. A cet égard, les parfumeurs, en estimant à tort que la présence de toute autre marchandise à proximité des parfums de luxe est dévalorisante, excluraient de facto toute distribution de ces produits en grande distribution (voir par exemple l’ arrêt de la Cour de cassation française du 19 mai 1992, Sodigar/Dior, annexe 6 à la requête). Une illustration de l’ arbitraire et de la subjectivité de Givenchy, et de son exclusion a priori de la grande distribution, serait l’ affirmation contenue dans sa lettre du 29 avril 1991, relative à la demande d’ agrément de la société Rocadis pour le centre Leclerc de Poitiers, « qu’ il existe un 'distinguo’ absolu entre une parfumerie traditionnelle satisfaisant à tous nos critères qualitatifs et installée dans la galerie marchande d’ un supermarché, et une zone de vente des produits de parfumerie installée à l’ intérieur des caisses d’ un supermarché ».

64 Par ailleurs, la Commission n’ aurait aucunement motivé l’ affirmation selon laquelle le consommateur de produits de luxe ne recherche le luxe que dans le commerce traditionnel. En effet, l’ avis de la Commission selon lequel la motivation essentielle du choix du consommateur repose sur le caractère exclusif des produits (points II.A.5, quatrième alinéa, et II.B.3, deuxième alinéa, de la Décision) ne serait qu’ une constatation ex cathedra. En se dispensant de faire état de tout sondage, analyse d’ opinion ou étude statistique, la Commission n’ aurait pas mis le Tribunal en mesure de s’ assurer de la pertinence de ce portrait du consommateur moyen. En réalité, les consommateurs seraient dans l’ attente d’ une offre diversifiée de produits de luxe et y répondraient positivement lorsqu’ une telle offre est à leur disposition. Selon le requérant, il s’ agirait de motivations « passéistes » qui ne s’ appuient pas sur la moindre démonstration.

65 Quant aux erreurs de fait dont la Décision serait entachée, le requérant soutient que, pour les raisons déjà exposées, la Commission a méconnu la capacité de la grande distribution à distribuer les parfums de luxe dans des conditions satisfaisantes. En outre, elle aurait manifestement méconnu la motivation de la clientèle en constatant, au point II.B.3, deuxième alinéa, de la Décision, que « le système de distribution notifié permet de sauvegarder le caractère exclusif des produits contractuels, ce qui constitue la motivation essentielle du choix du consommateur ».

66 En réalité, dès qu’ un grand distributeur parvient à commercialiser des parfums de luxe, il serait confronté à une importante demande spontanée des consommateurs, recherchant le luxe et la part de rêve, mais pas nécessairement le prix demandé dans un réseau fermé. En particulier, il y aurait une catégorie de consommateurs souvent relativement jeunes, aisés, urbains, amateurs d’ innovations et de produits de marque, qui effectuent préférentiellement leurs achats en grande distribution, en y incluant tous les articles « haut de gamme », dont l’ existence est niée par la Commission.

67 Il serait donc faux de présumer que le consommateur aurait toujours une vision uniforme et dévalorisante de la grande distribution ou que le passage en grande distribution transmuterait tout produit de luxe en produit courant. En particulier, le critère fondé sur la perception générale d’ une enseigne ne serait pas adéquat parce qu’ il pourrait y avoir, sous une même enseigne, des espaces spécifiques aménagés, comme les « manèges à bijoux » de certains centres Leclerc. De même, le consommateur pourrait trouver, fédérés sous la même enseigne, une pluralité de commerces ou de services, de sorte qu’ en l’ espèce il ne percevrait pas les produits par référence à l’ enseigne des centres Leclerc.

68 Selon le requérant, il résulte de ce qui précède que la Commission a violé l’ article 85, paragraphe 1, du traité, en décidant que les critères résumés au point II.A.5 de la Décision ne tombent pas sous l’ interdiction de cette disposition. En particulier, les critères en cause ne seraient ni objectifs ni uniformes et iraient au-delà de ce qui est nécessaire. De plus, la Commission aurait traité de manière discriminatoire les techniques de valorisation utilisées par la grande distribution.

69 De surcroît, la restriction de la concurrence opérée par l’ application de ces critères serait aggravée par l’ effet cumulatif des réseaux analogues à celui de Givenchy. La Commission aurait donc commis une erreur de droit manifeste en affirmant qu’ une exclusivité de luxe pratiquée de manière parallèle et cumulative par tous les fabricants communautaires n’ est pas restrictive de la concurrence au sens de l’ article 85, paragraphe 1.

70 En effet, la Décision figerait le nombre des distributeurs sur le marché des « parfums de luxe » ° qui serait le marché pertinent selon le rapport du Pr Weber, mentionné au point I.B de la Décision, ° et entérinerait le système anticoncurrentiel de numerus clausus identifié par celui-ci. En outre, aucune place ne serait laissée à d’ autres formes de distribution que celle décrite dans la Décision, et le marché serait tellement rigide et structuré qu’ il n’ y aurait pas de concurrence efficace, de sorte que l’ article 85, paragraphe 1, du traité serait d’ application (voir l’ arrêt Metro II, points 40 à 42). A cet égard, la Commission aurait à tort amalgamé des marchés distincts en constatant, au point I.B, troisième alinéa, de la Décision, que les produits commercialisés par le moyen de la distribution sélective représenteraient entre 24 et 36 % des ventes par rapport au total des ventes des produits cosmétiques.

Arguments de la Commission

71 La Commission considère qu’ elle n’ a exclu a priori aucune forme moderne de commerce. Elle ne se serait pas prononcée sur le point de savoir si certains centres Leclerc pouvaient satisfaire aux critères notifiés par Givenchy, mais aurait simplement constaté que les critères de sélectivité en cause étaient nécessaires pour préserver la qualité et assurer le bon usage des produits, ou étaient en rapport avec les exigences de la distribution de ces produits (arrêt de la Cour du 3 juillet 1985, Binon, 243/83, Rec. p. 2015, point 31). La partie défenderesse précise qu’ elle a entamé un réexamen de la situation de la concurrence dans le secteur en cause, à partir de 1988, ce qui l’ a amenée à formuler des objections à l’ égard d’ une série de clauses contractuelles, en vue d’ assurer la suppression de tout critère de sélection de nature purement quantitative. Elle n’ aurait donc ni figé le nombre des distributeurs de parfums de luxe ni entériné un système de numerus clausus, contrairement aux affirmations du Galec.

72 Par ailleurs la Commission aurait considéré, aux points II.A.5, sixième alinéa, et II.B.5, quatrième alinéa, de la Décision, que les critères de Givenchy n’ étaient pas de nature à exclure certaines formes modernes de distribution telles que les grands magasins, même si cela implique une modification partielle de leurs méthodes particulières de commercialisation. A l’ audience, le représentant de la Commission a confirmé que celle-ci n’ exclut a priori aucun type de distribution du « genre supermarché » dans le secteur des cosmétiques de luxe et que les termes « grands magasins », aux points II.A.5, sixième alinéa, et II.B.5, quatrième alinéa, de la Décision, doivent être interprétés comme englobant les hypermarchés.

73 En ce qui concerne les critères que le Galec identifie comme l’ excluant du réseau, ni l’ exigence que les vitrines soient en permanence en adéquation avec le prestige de la marque ni la prise en compte des autres activités d’ un point de vente n’ entraîneraient obligatoirement l’ exclusion des grandes et moyennes surfaces. En revanche, si le problème était en réalité celui d’ une application discriminatoire desdits critères, celle-ci serait naturellement illicite mais ne pourrait pas être appréhendée par la Commission au stade de l’ examen de leur licéité.

74 En tout état de cause, la Commission maintient que la nécessité du critère relatif à l’ enseigne est évidente, car celui-ci permet d’ exclure certaines enseignes manifestement dévalorisantes. Il ressortirait des arguments du Galec qu’ il existe des grandes et moyennes surfaces dont l’ enseigne correspond à la construction volontaire d’ une image fondée sur la restriction du décor ou des services, ce qui justifierait leur non-accès aux réseaux de distribution des produits concernés. Inversement, des distributeurs disposant d’ une enseigne qui ne serait pas ou plus synonyme de restriction du décor ou des services ne seraient nullement exclus du système de distribution sélective Givenchy. En outre, la Commission aurait précisé, au point II.A.5, quatrième alinéa, de la Décision, que le caractère dévalorisant d’ un point de vente ou de son enseigne ne devrait pas être associé à la politique habituelle de prix du distributeur.

75 Quant à l’ affirmation selon laquelle la Commission aurait laissé au fabricant le soin d’ apprécier certains critères, comme l’ enseigne, etc., la partie défenderesse fait valoir que la plupart des critères de sélection de caractère qualitatif ne peuvent faire l’ objet d’ une définition rigide, mais entraînent une appréciation au cas par cas par le fabricant, celle-ci étant subordonnée au respect du principe de non-discrimination et soumise au contrôle des juridictions compétentes.

76 Quant à la motivation de la Décision, celle-ci serait claire et complète, notamment au point II.A.5. Par ailleurs, il ressortirait de l’ arrêt L’ Oréal, précité, de l’ arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, Lancôme (99/79, Rec. p. 2511), et de la décision 85/616/CEE de la Commission, du 16 décembre 1985, relative à une procédure d’ application de l’ article 85 du traité CEE (IV/30.665 ° Villeroy et Boch) (JO L 376, p. 15), qu’ il n’ y avait pas d’ innovation dans le fait de considérer que le maintien d’ une image de prestige d’ un produit peut justifier des critères relatifs à la qualification professionnelle du revendeur et à la qualité de ses installations.

77 Quant aux consommateurs, la Commission affirme avoir pu s’ appuyer sur les observations présentées par certaines de leurs associations dans le cadre de la procédure relative à la décision Yves Saint Laurent. En tout état de cause, il serait évident que la motivation essentielle du consommateur de produits de luxe est l’ assurance que le produit ne deviendra pas banalisé. Bien que, dans un premier temps, un consommateur soit prêt à acheter un produit de luxe qui lui est offert dans un lieu de vente ne reflétant pas son caractère de luxe, la présence de ce produit en un tel lieu de vente entraînerait, peu à peu, sa dévalorisation et celui-ci cesserait dès lors d’ être un produit de luxe, de telle sorte qu’ à terme le consommateur s’ en détournerait.

78 Quant à l’ article 85, paragraphe 1, du traité, la Commission estime que les critères considérés au point II.A.5 de la Décision sont manifestement des critères objectifs de caractère qualitatif du type décrit dans l’ arrêt Metro I et qu’ ils sont fixés de manière uniforme et non discriminatoire puisqu’ ils n’ excluent aucun distributeur à même de les remplir. Par ailleurs, la Commission aurait également précisé que ces critères devaient être appliqués de façon non discriminatoire, ce qui relève de la pratique et non de l’ appréciation des critères en tant que tels.

79 Les critères en cause n’ iraient pas au-delà de ce qui est nécessaire. En effet, la Commission aurait relevé dans la Décision que les caractéristiques des parfums de luxe, à savoir leur haute qualité et leur aura de prestige et d’ exclusivité, sont étroitement liées à une capacité du producteur de développer et de préserver une image de marque de grande réputation, mettant en valeur la spécificité esthétique ou fonctionnelle de chaque produit ou ligne de produits. Cette constatation aurait entraîné la conclusion que les critères de sélection relatifs à la localisation, aux qualifications esthétiques et fonctionnelles du point de vente et à l’ interdiction de vendre des marchandises susceptibles de déprécier, par leur voisinage, l’ image de la marque seraient nécessaires pour maintenir l’ image de marque de prestige des parfums Givenchy.

80 En ce qui concerne l’ effet cumulatif des réseaux, la Commission considère que le marché pertinent est celui des cosmétiques de luxe, mais que, en tout état de cause, elle a dûment pris en considération l’ existence des réseaux parallèles (voir point II.A.8 de la Décision). Quant à la référence du requérant au point 40 de l’ arrêt Metro II, il ressortirait des points 41 et 42 de cet arrêt que des systèmes de distribution sélective ne cessent d’ être conformes à l’ article 85, paragraphe 1, du traité que lorsqu’ ils aboutissent à une rigidité totale sur le marché concerné, qui ne connaît donc plus la concurrence. Tel ne serait pas le cas en l’ espèce où il existerait une concurrence effective, tant entre marques concurrentes de produits cosmétiques de luxe qu’ entre produits de la même marque, ce qui permettrait d’ affirmer que de tels systèmes sont compatibles avec les dispositions de l’ article 85, paragraphe 1.

81 En outre, bien que la substituabilité entre les parfums de luxe et les autres parfums qui ne sont pas vendus selon un système de distribution sélective soit modeste, le consommateur qui souhaite acquérir des parfums sans payer le prix d’ un parfum de luxe aurait la possibilité de trouver de tels produits dans d’ autres réseaux (voir point II.B.3, troisième alinéa, de la Décision). Une telle possibilité serait d’ autant plus significative que les produits cosmétiques de luxe représentent seulement une part réduite, variant entre 22,4 et 36,2 % selon les États membres, du marché global des produits cosmétiques (point I.B, troisième alinéa, de la Décision).

Arguments des parties intervenantes

82 Les parties intervenantes ayant longuement développé des arguments semblables à ceux de la Commission, il convient de n’ en reproduire que les éléments suivants.

83 Givenchy considère qu’ elle a adopté des critères de sélection objectifs, linéaires et non discriminatoires, en conformité avec la jurisprudence de la Cour, et qu’ elle a donné à tout opérateur économique la possibilité de contester ses critères d’ appréciation et de s’ adresser aux juridictions compétentes. Pour illustrer son argument, Givenchy annexe des documents relatifs à son rejet, pour des motifs qu’ elle considère comme purement qualitatifs, de la candidature de la société Rocadis pour le centre Leclerc de Poitiers (voir point 46 ci-dessus). Cette dernière n’ aurait élevé aucune contestation quant aux motifs de ce rejet.

84 Givenchy souligne aussi qu’ elle n’ a pas d’ a priori contre un quelconque opérateur économique qui peut satisfaire aux critères qualitatifs objectivement fixés par la Décision et qu’ il s’ agit donc d’ envisager toutes les formes de distribution ° détaillants spécialisés, shoppings, grands magasins ou autres ° en mesure de satisfaire aux critères qualitatifs en cause. L’ argumentation du Galec, selon laquelle la Décision aurait approuvé un système de distribution qui ne s’ adresse qu’ aux détaillants spécialisés, ne serait donc pas fondée.

85 Selon Givenchy, l’ image, le prestige et la notoriété des produits de la marque Givenchy dépendent étroitement de leur qualité et de leur perception par le consommateur, mais également du circuit de commercialisation dans la mesure où les produits de parfumerie de luxe ° qui répondent à des spécifications particulières et sont le fruit de recherches techniques développées ° s’ individualisent en tant que tels par rapport aux produits de parfumerie tout venant. En effet, sans la distribution sélective, l’ idée même d’ un produit de parfumerie de luxe disparaîtrait. Pour l’ entreprise Givenchy, toute atteinte aux conditions de maintien de l’ image des produits de parfumerie de luxe conduirait donc immanquablement à sa ruine à terme rapproché.

86 Quant à l’ intérêt du consommateur, celui-ci consisterait, essentiellement, à acquérir un produit de parfumerie de prestige qui diffère des produits de consommation courante. L’ intérêt du consommateur commanderait donc le maintien d’ un mode de distribution garantissant le maintien d’ une image du produit utile à satisfaire sa recherche spécifique. De surcroît, l’ acquisition d’ un produit de parfumerie impliquerait de pouvoir en tout temps bénéficier d’ un service de conseils approprié, tant pour les produits de parfumerie que pour les produits cosmétiques. A cet égard, il serait notoire qu’ un produit de parfumerie de prestige, tout comme un produit de cosmétique, comporte des spécifications de composants réactifs qui ne produisent pas les mêmes effets sur des consommateurs différents.

87 Aucune des dispositions en cause ne constituerait une quelconque restriction non indispensable pour permettre la commercialisation de produits de parfumerie de prestige. A l’ audience, Givenchy a notamment ajouté que les critères concernant la localisation géographique (voir point 12 ci-dessus) visent entre autres à exclure des points de vente dans les zones tout à fait inaptes à garantir l’ image de la marque, par exemple des zones industrielles, et qu’ elle n’ a pas d’ a priori en ce qui concerne la localisation du point de vente.

88 Le système de distribution sélective Givenchy n’ éliminerait pas la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause parce que le Contrat encourage la concurrence à l’ intérieur de la marque Givenchy et que le distributeur agréé demeure libre de commercialiser toute autre marque de produits de parfumerie de prestige dès lors qu’ il remplit les critères qualitatifs nécessaires. De plus, il ne s’ agirait pas d’ un monopole, notamment en ce que le consommateur n’ est pas tenu d’ acquérir un parfum de prestige, mais peut acquérir dans d’ autres réseaux de distribution des produits de parfumerie qui ne sont pas porteurs d’ une image de marque ou ne bénéficient pas d’ une technicité particulière.

89 En outre, la jurisprudence nationale aurait condamné à de nombreuses reprises les pratiques de parasitisme commercial, notamment celle dite de la « marque d’ appel », qui consiste à commercialiser un produit à seule fin de promouvoir l’ image du vendeur et d’ attirer le consommateur vers d’ autres produits n’ ayant aucun rapport avec le produit de la marque. L’ annulation de la Décision permettrait au Galec de pratiquer ce type de commercialisation qui nuirait de manière directe à l’ image et au prestige de la marque Givenchy.

90 En ce qui concerne l’ enseigne, la Commission aurait notamment admis qu’ il ne s’ agit en aucune manière de considérer une enseigne comme dévalorisante sous le seul prétexte d’ une politique de prix particulière. Pour certaines formes modernes de distribution opérant à des conditions tarifaires moindres que les formes dites « anciennes », il s’ agirait simplement de garantir l’ existence de décors et de services correspondant aux critères qualitatifs reconnus afin que l’ enseigne ne soit pas perçue comme correspondant à une insuffisance de décors ou de services. Il incomberait au Galec ° qui aurait lui-même reconnu le problème de l’ enseigne en établissant la sous-enseigne « Éole » ° de procéder aux aménagements nécessaires pour pouvoir correspondre à ces critères qualitatifs acceptés. Givenchy ajoute que la perception de l’ enseigne peut faire l’ objet d’ enquêtes et de contre-enquêtes et qu’ une juridiction nationale peut porter un jugement sur cette perception en fonction des expertises qui lui sont soumises.

91 Enfin, en réponse aux questions du Tribunal à l’ audience, visant à établir si la position de Givenchy restait celle exprimée dans sa lettre du 29 avril 1991 à la société Rocadis, invoquée par le Galec (voir point 47 ci-dessus), Givenchy a répété qu’ elle n’ avait pas d’ a priori à l’ encontre des centres Leclerc. Elle n’ opposerait pas un refus automatique aux hypermarchés, tout dépendant des circonstances spécifiques d’ une candidature donnée.

92 Le Colipa rappelle d’ abord que la Décision fait référence au rapport du Pr Weber, qu’ il estime conforme à la connaissance qu’ il a du marché. Il ressortirait de ce rapport que le marché communautaire des produits cosmétiques est segmenté et que cette segmentation s’ accompagne d’ une différenciation des modalités de distribution selon le secteur considéré. La Commission aurait correctement constaté que les produits de parfumerie et les cosmétiques de luxe ont des caractéristiques intrinsèques, liées tant à la nature de leurs composants qu’ à leur présentation de qualité supérieure, qui les rendent différents des produits relevant d’ autres segments du marché, bien qu’ il existe une certaine perméabilité entre les produits concernés, les consommateurs utilisant, pour des durées variées, un produit relevant d’ un segment pour un certain besoin et passant ensuite à un autre segment pour un produit devant satisfaire un autre besoin. Toutefois cette alternative de choix ne ferait pas perdre au produit de luxe sa spécificité.

93 Par ailleurs, le rapport du Pr Weber aurait confirmé qu’ il existe un nombre élevé de producteurs et de distributeurs opérant sur le marché des produits cosmétiques de luxe, dans des conditions dynamiques et hautement concurrentielles, et que le nombre des nouveaux arrivants sur le marché est lui aussi élevé. En outre, les producteurs devraient constamment rechercher et développer de nouveaux produits, et développer et maintenir une politique de commercialisation appropriée pour une image de marque prestigieuse. La Commission aurait donc correctement évalué, dans la Décision, le contexte concurrentiel des accords notifiés. L’ allégation du requérant selon laquelle la grande distribution serait exclue par ces accords ne serait étayée par aucune analyse économique ni par aucun autre élément de preuve.

94 Rappelant ensuite les principes juridiques applicables à la distribution sélective, qu’ il déduit notamment d’ une analyse de la jurisprudence de la Cour ainsi que des principes du « free rider » (« passager clandestin ») en droit américain et de l’ « Immanenz-Theorie » en droit allemand, le Colipa considère que cette forme de distribution est parfaitement justifiée pour des cosmétiques de luxe, comme cela aurait été reconnu par la Cour notamment dans les arrêts L’ Oréal et Lancôme, précités, ainsi que par l’ avocat général M. Reischl dans ses conclusions sous l’ arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, Guerlain e.a. (253/78 et 1/79, 2/79 et 3/79, Rec. p. 2327, 2377).

95 En effet, cette approche économique, basée sur la règle de raison, reconnaîtrait que la concurrence ciblée sur d’ autres éléments que le prix a des avantages, compte tenu notamment des investissements substantiels nécessaires et du besoin d’ éviter que des détaillants « parasites » ne vivent aux dépens de ceux qui acceptent les contraintes économiques de la politique commerciale du fabricant. De plus, la concurrence ne serait pas éliminée sur le marché en question, puisque la distribution sélective en cause subsisterait à côté de méthodes différentes représentant, en l’ espèce, plus de 50 % des produits de l’ industrie de la parfumerie européenne.

96 L’ existence parallèle d’ autres réseaux de distribution sélective serait pertinente seulement dans la mesure où elle constitue une barrière à l’ entrée sur le marché (voir l’ arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis, C-234/89, Rec. p. I-935) ou si elle ne laisse aucune place à d’ autres formes de distribution axées sur une politique concurrentielle de nature différente ou aboutit à une rigidité dans la structure des prix qui n’ est pas contrebalancée par d’ autres facteurs de concurrence (arrêt Metro II), ce qui ne serait pas le cas en l’ espèce. Au contraire, aucune forme moderne de distribution ne serait nécessairement empêchée d’ adhérer au réseau, et il aurait suffi au Galec, pour le faire, de présenter une demande d’ agrément et de satisfaire aux critères de sélection.

97 Lors de l’ audience, le Colipa a également invoqué le rapport de la Monopolies and Mergers Commission « Fine Fragrances ° A report on the supply in the UK for retail sale of fine fragrances » (Cm 2380, Novembre 1993), selon lequel la distribution sélective dans le secteur des cosmétiques de luxe n’ est pas contraire à l’ intérêt public au sens du Fair Trading Act 1973 du Royaume-Uni. Le Colipa a souligné aussi que, dans plusieurs États membres, des cosmétiques de luxe sont vendus en distribution sélective par des magasins « non spécialisés » ou « multiproduits » tels que Boots au Royaume-Uni, Matas au Danemark, Sephora en France, Mueller en Allemagne, etc.

98 La FIP fait valoir que, dans tout produit de luxe, la part d’ immatériel est essentielle et que dans tout service de prestige, le climat créé est primordial parce que la réputation de la marque et, par conséquent, son destin sont entre les mains de ses revendeurs, qui sont la vitrine de celle-ci pour le consommateur. A cet égard, le détaillant agréé offrirait une série de garanties au consommateur: se voir présenter la gamme complète ou un choix suffisant, dont les dernières nouveautés de la marque; bénéficier de conseils donnés par un personnel compétent, formé par le fabricant; avoir l’ assurance d’ un service de garantie et d’ après-vente; et jouir d’ un cadre de vente qui ajoute le plaisir et le rêve à l’ acte d’ achat. Toutefois, les ressorts symboliques, qui feraient et déferaient le luxe, pourraient être brisés si les produits de prestige étaient commercialisés dans des conditions inadaptées ou dans un environnement de produits (par exemple produits alimentaires ou d’ entretien) susceptibles de déprécier l’ image de prestige de la marque concernée, comme celui qui aurait fait disparaître les parfums Coty à cause de la banalisation de la marque.

99 Dans ce contexte, la FIP considère que les obligations qualitatives en cause, y compris celles relatives à l’ enseigne, sont indispensables pour maintenir l’ image de la marque du fabricant et assurer un meilleur conseil au consommateur, même si ces exigences peuvent entraîner le refus d’ admettre certains détaillants dans le réseau. En l’ espèce, la Commission aurait respecté scrupuleusement la jurisprudence de la Cour et n’ aurait en aucune façon accepté une exclusion a priori d’ une certaine forme de distribution.

100 La FEPD considère notamment que, bien que le Galec se place dans une perspective de sélectivité, son recours a en réalité pour objet de porter atteinte au choix stratégique de Givenchy et de s’ opposer aux petites et moyennes entreprises spécialisées, ce qui irait à l’ encontre des intérêts du consommateur. Ce recours ne serait toutefois pas fondé, la Commission ayant correctement conclu que les critères en cause respectent les exigences de la jurisprudence et étant même allée au-delà, en précisant que ces critères n’ étaient pas de nature à exclure du marché les entreprises usant d’ autres méthodes de commercialisation, sous réserve qu’ elles s’ adaptent si besoin est aux critères validés. Il appartiendrait donc au Galec d’ aménager ses méthodes de commercialisation en fonction de la nature des produits en cause, ce qui ne nécessiterait pas un changement radical de ses méthodes de vente, surtout si, comme il le soutient, certains de ses affiliés satisfont en l’ état aux critères qualitatifs validés par la Commission.

101 En ce qui concerne les attentes et les exigences des consommateurs, les arguments de la Commission seraient notamment appuyés par l’ étude du Pr Glais, dont il ressort, notamment, que le consommateur trouve un intérêt évident à effectuer ses achats de produits de luxe auprès de spécialistes de tels produits.

102 Quant au marché pertinent, la Commission l’ aurait correctement défini comme étant celui des produits cosmétiques de luxe. En effet, le succès des lignes alcoolisées aurait constitué le moteur de la réussite commerciale des marques concernées et, afin de prolonger ce succès, ces marques auraient alors décliné leurs gammes au moyen de produits de soins et de beauté. Dès lors, suggérer l’ idée que le marché pertinent doit être réduit aux seuls produits alcoolisés reviendrait à limiter le potentiel de déclinaison des lignes alcooliques en produits de soins et de beauté.

103 Quant à l’ enseigne, la FEPD estime qu’ il ne saurait y avoir de compatibilité entre l’ enseigne d’ un distributeur ayant fondé sa réussite sur la restriction du décor ou du service, et la commercialisation de produits de luxe dans des conditions adéquates. Le fait que le Galec reconnaît que tous ses affiliés n’ ont pas une égale vocation à satisfaire à la sélectivité de luxe poserait le problème de la distinction à opérer par le consommateur entre les points de vente sélectifs et ceux qui ne le sont pas, dès lors que les uns et les autres sont tous regroupés sous la même enseigne.

Appréciation du Tribunal

104 L’ appréciation du bien-fondé de la Décision, en ce qu’ elle fait application de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, soulève quatre questions principales, à savoir: A) si la distribution sélective fondée sur des critères qualitatifs dans le secteur des cosmétiques de luxe est, en principe, compatible avec l’ article 85, paragraphe 1, du traité; B) si les critères de sélection de Givenchy visés au point II.A.5 de la Décision remplissent les conditions requises pour être considérés comme licites au regard de l’ article 85, paragraphe 1, du traité; C) si les moyens et arguments du requérant portant sur la question de savoir si ses affiliés sont exclus a priori du réseau Givenchy et sur l’ attitude des consommateurs à cet égard sont bien fondés; et D) si l’ article 85, paragraphe 1, du traité trouve à s’ appliquer en raison de l’ existence de réseaux parallèles dans le secteur concerné.

A ° Sur la compatibilité de principe avec l’ article 85, paragraphe 1, du traité d’ un système de distribution sélective fondé sur des critères qualitatifs dans le secteur des cosmétiques de luxe

105 Bien que la partie requérante fasse valoir qu’ elle accepte la nécessité d’ un système ciblé sur le concept de « sélectivité de luxe » afin de maintenir le prestige des produits de luxe et de satisfaire les attentes des consommateurs, elle conteste néanmoins la licéité des critères de sélection retenus par Givenchy au regard de l’ article 85, paragraphe 1, du traité. Dans ces circonstances, il convient d’ examiner, au préalable, les principes juridiques de base qui régissent l’ application de l’ article 85, paragraphe 1, du traité dans le secteur des cosmétiques de luxe.

106 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les systèmes de distribution sélective constituent un élément de concurrence conforme à l’ article 85, paragraphe 1, du traité, s’ il est satisfait à quatre conditions, à savoir: premièrement, que les propriétés du produit en cause nécessitent un système de distribution sélective, en ce sens qu’ un tel système constitue une exigence légitime, eu égard à la nature des produits concernés, et notamment à leur haute qualité ou technicité, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage (voir l’ arrêt L’ Oréal, précité, point 16, interprété à la lumière de l’ arrêt Metro I, points 20 et 21, de l’ arrêt AEG, point 33, et de l’ arrêt du Tribunal du 27 février 1992, Vichy/Commission, T-19/91, Rec. p. II-415, points 69 à 71); deuxièmement, que le choix des revendeurs s’ opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif fixés d’ une manière uniforme à l’ égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire (voir par exemple les arrêts Metro I, point 20, L’ Oréal, point 15, et AEG, point 35); troisièmement, que le système en cause vise à atteindre un résultat de nature à améliorer la concurrence et donc à contrebalancer la limitation de la concurrence inhérente aux systèmes de distribution sélective, notamment en matière de prix (voir les arrêts Metro I, points 20 à 22, AEG, points 33, 34 et 73, et Metro II, point 45), et, quatrièmement, que les critères imposés n’ aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire (voir les arrêts L’ Oréal, précité, point 16, et Vichy/Commission, précité, points 69 à 71). La question de savoir si ces conditions sont remplies doit être appréciée de façon objective, en tenant compte de l’ intérêt du consommateur (voir les arrêts Metro I, point 21, et Vichy/Commission, précité, points 69 à 71).

107 S’ il est vrai que la Cour a notamment jugé que de tels systèmes de distribution sélective fondés sur des critères qualitatifs peuvent être acceptés dans le secteur de la production de biens de consommation durables, de haute qualité ou technicité, sans enfreindre l’ article 85, paragraphe 1, du traité, afin notamment de maintenir un commerce spécialisé capable de fournir des prestations spécifiques pour de tels produits (voir les arrêts Metro I, point 20, AEG, point 33, et Metro II, point 54, et l’ arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, ETA, 31/85, Rec. p. 3933, point 16), il ressort également de la jurisprudence de la Cour que des systèmes de distribution sélective qui trouvent leur justification dans la nature spécifique des produits ou les exigences de leur distribution peuvent être mis en place dans d’ autres secteurs économiques sans violer l’ article 85, paragraphe 1 (voir les arrêts Binon, précité, points 31 et 32, et du 16 juin 1981, Salonia, 126/80, Rec. p. 1563). De même, dans son arrêt Metro I (point 20), la Cour a jugé que la nature et l’ intensité de la concurrence efficace (« workable competition ») nécessaire pour atteindre les objectifs du traité peuvent varier en fonction des produits ou services en cause et de la structure économique des marchés sectoriels concernés, sans violer le principe de la concurrence non faussée visée aux articles 3 et 85 du traité.

108 S’ agissant des cosmétiques de luxe, et notamment des parfums de luxe qui constituent l’ essentiel des produits concernés, il est constant, premièrement, qu’ il s’ agit de produits sophistiqués et de haute qualité, résultant d’ une recherche particulière et utilisant des matériaux d’ un haut niveau qualitatif, notamment pour leur conditionnement; deuxièmement, que ces produits sont dotés d’ une « image de luxe » qui sert à les distinguer des autres produits semblables, qui sont dépourvus d’ une telle image, et, troisièmement, que cette image de luxe est importante aux yeux des consommateurs, qui apprécient la possibilité d’ acheter des cosmétiques de luxe et, notamment, des parfums de luxe. En effet, il n’ existe, dans l’ esprit du consommateur, qu’ un faible degré de substituabilité entre les produits cosmétiques de luxe et les produits similaires relevant d’ autres segments du secteur (voir point II.A.8 de la Décision).

109 Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la notion de « propriétés » des cosmétiques de luxe, au sens de l’ arrêt L’ Oréal, précité, ne peut être limitée à leurs caractéristiques matérielles mais englobe également la perception spécifique qu’ en ont les consommateurs, et plus particulièrement leur « aura de luxe ». Il s’ agit donc dans le cas d’ espèce de produits qui, d’ une part, sont d’ une haute qualité intrinsèque et, d’ autre part, possèdent un caractère de luxe qui relève de leur nature même.

110 Quant à la question de savoir si la distribution sélective constitue une exigence légitime dans le cas de produits qui possèdent de telles caractéristiques, le Tribunal relève que la motivation de la Décision sur ce point (point II.A) n’ est pas basée sur le concept d’ un commerce spécialisé capable de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute technicité, au sens des arrêts Metro I, Metro II et AEG, mais plutôt sur deux autres considérations principales, à savoir a) l’ intérêt de Givenchy, en tant que producteur de cosmétiques de luxe, à maintenir l’ image de prestige de sa marque et à sauvegarder les fruits de ses efforts de promotion (voir le point II.A.5, deuxième et quatrième alinéas, de la Décision; voir aussi, dans le même sens, le point II.B.2), et b) le besoin de sauvegarder, dans la perception des consommateurs, l’ « aura d’ exclusivité et de prestige » des produits en cause, notamment en assurant une « présentation au public apte à mettre en valeur la spécificité esthétique ou fonctionnelle » des produits (point II.A.5, deuxième alinéa) et « un cadre en harmonie avec le caractère luxueux et exclusif des produits en cause et une présentation conforme à l’ image de la marque » (point II.A.5, quatrième alinéa; voir aussi le point II.A.5, cinquième et sixième alinéas).

111 A cet égard, il y a lieu de préciser que, bien qu’ un producteur soit libre de choisir sa politique de commercialisation, l’ article 85, paragraphe 1, du traité doit être pris en considération dès lors que la mise en oeuvre de cette politique entraîne des accords qui imposent à d’ autres opérateurs économiques indépendants des obligations de nature à restreindre leur liberté concurrentielle dans une mesure qui affecte sensiblement les échanges intracommunautaires. Dans ces circonstances, le seul fait qu’ un producteur a consenti des efforts importants de promotion ne constitue pas, en soi, une justification objective de nature à soustraire à l’ application de l’ article 85, paragraphe 1, du traité un réseau de distribution qui limite la liberté concurrentielle des entreprises participantes et des tiers. S’ il en était autrement, en effet, n’ importe quel fabricant pourrait justifier l’ adoption d’ un système de distribution sélective sur la seule base de ses efforts de promotion, et n’ importe quel critère restrictif de sélection pourrait être justifié au motif qu’ il était nécessaire afin de protéger la politique de commercialisation voulue par le fabricant (voir l’ arrêt Vichy/Commission, précité, point 71).

112 Le Tribunal estime donc qu’ un système de distribution sélective ne se situe en dehors du champ d’ application de l’ article 85, paragraphe 1, du traité que s’ il est objectivement justifié, compte tenu également de l’ intérêt des consommateurs (voir point 106, in fine, ci-dessus).

113 A cet égard, le Tribunal considère qu’ il est dans l’ intérêt des consommateurs recherchant des cosmétiques de luxe que de tels produits soient présentés dans de bonnes conditions dans les points de vente. En effet, s’ agissant de produits de haute qualité et dont l’ image de luxe est appréciée par les consommateurs, des critères qui ne visent qu’ à assurer leur présentation valorisante poursuivent un résultat qui est de nature à améliorer la concurrence, par la préservation de cette image de luxe, et donc à contrebalancer la limitation de la concurrence inhérente aux systèmes de distribution sélective. De tels critères constituent donc une exigence légitime au sens de la jurisprudence précitée (voir l’ arrêt Metro I, point 37).

114 Le Tribunal estime, effectivement, qu’ il est dans l’ intérêt des consommateurs recherchant des cosmétiques de luxe que l’ image de luxe de tels produits ne soit pas ternie, faute de quoi ils ne seraient plus considérés comme des produits de luxe. Il existe actuellement, dans le secteur des cosmétiques, une segmentation entre les cosmétiques de luxe et les cosmétiques qui ne sont pas de luxe, qui répond aux différents besoins des consommateurs et qui n’ est donc pas critiquable sur le plan économique. Bien que la nature « de luxe » des cosmétiques de luxe découle également, entre autres, de leur haute qualité intrinsèque, de leur prix plus élevé et des campagnes publicitaires des fabricants, le Tribunal estime que le fait que ces produits soient vendus dans le cadre de systèmes de distribution sélective visant à assurer une présentation valorisante dans le point de vente est de nature à contribuer, lui aussi, à cette image de luxe et donc au maintien de l’ une des caractéristiques principales des produits recherchés par les consommateurs. En effet, le résultat d’ une distribution généralisée des produits concernés, dans le cadre de laquelle Givenchy n’ aurait aucune possibilité de s’ assurer que ses produits sont vendus dans des conditions appropriées, comporterait le risque d’ une détérioration dans la présentation des produits dans le point de vente qui serait de nature à porter atteinte à l’ « image de luxe », et donc à la nature même des produits concernés. Par suite, les critères visant à assurer une présentation des produits dans le point de vente qui soit en adéquation avec leur nature de luxe constituent une exigence légitime de nature à améliorer la concurrence dans l’ intérêt du consommateur au sens de la jurisprudence précitée.

115 Cette conclusion n’ est pas infirmée par le fait, établi en cours d’ instance, que, dans certains États membres, notamment aux Pays-Bas mais aussi au Royaume-Uni et en France, une part plus ou moins importante des ventes est réalisée par des détaillants non agréés qui s’ approvisionnent sur le marché parallèle. En effet, il n’ est pas exclu que l’ intérêt des consommateurs pour de telles ventes se soit en partie formé à partir de l’ image de luxe au maintien de laquelle la distribution sélective a au moins partiellement contribué. Il ne s’ ensuit donc pas que cette image de luxe resterait intacte en l’ absence de distribution sélective.

116 Toutefois, s’ il est dans l’ intérêt du consommateur de pouvoir se procurer des cosmétiques de luxe vendus dans de bonnes conditions de présentation et de voir ainsi préservée leur image de luxe, il est également dans son intérêt qu’ un système de distribution fondé sur cette considération ne soit pas appliqué de façon excessivement restrictive et, notamment, que l’ accès aux produits ne soit pas limité outre mesure, ainsi que l’ ont fait valoir les quatre associations de consommateurs dans leurs observations dans l’ affaire Yves Saint Laurent, produites par la Commission à la demande du Tribunal (voir point 167 ci-après). De même, il résulte de la jurisprudence de la Cour que le système de Givenchy ne peut être considéré comme poursuivant un résultat légitime, de nature à contrebalancer la limitation de la concurrence qui lui est inhérente, que si ce système est ouvert à tous les revendeurs potentiels capables d’ assurer une bonne présentation à l’ utilisateur, dans un cadre approprié, et de préserver l’ image de luxe des produits concernés (voir point 106 ci-dessus). En effet, un système de distribution sélective qui aurait pour conséquence d’ exclure certaines formes de commercialisation capables de vendre des produits dans des conditions valorisantes, par exemple dans un emplacement ou un espace adapté, aurait pour seul effet de protéger les formes de commerce existantes de la concurrence des nouveaux opérateurs et ne serait donc pas conforme à l’ article 85, paragraphe 1, du traité (voir l’ arrêt AEG, points 74 et 75).

117 Il s’ ensuit que, dans le secteur des cosmétiques de luxe, des critères qualitatifs de sélection des détaillants qui ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la vente de ces produits dans de bonnes conditions de présentation ne sont pas, en principe, visés par l’ article 85, paragraphe 1, du traité, pour autant que ces critères soient objectifs, fixés d’ une manière uniforme à l’ égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués d’ une façon non discriminatoire.

B ° Sur la question de savoir si les critères de sélection de Givenchy visés au point II.A.5 de la Décision remplissent les conditions requises pour être considérés comme licites au regard de l’ article 85, paragraphe 1

1. Sur les rôles respectifs du Tribunal et des juridictions ou autorités nationales compétentes

118 Le Galec considère que certains des critères de sélection de Givenchy laissent à celle-ci une liberté d’ appréciation excessive et incontrôlable et ne sont donc pas objectifs au sens de la jurisprudence de la Cour. La Commission et les parties intervenantes estiment que ces critères entraînent une appréciation au cas par cas par le fabricant, celle-ci étant subordonnée au respect du principe de non-discrimination et soumise au contrôle des juridictions compétentes.

119 En présence de ces arguments, il convient de préciser d’ emblée les rôles respectifs du Tribunal et des juridictions ou autorités nationales compétentes.

120 En ce qui concerne la question de savoir si les critères en cause remplissent les conditions requises pour être considérés comme licites au regard de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, à savoir s’ ils sont des critères qualitatifs et objectifs et s’ ils ne sont ni discriminatoires ni disproportionnés, le contrôle juridictionnel du Tribunal au titre de l’ article 173 du traité se limite à vérifier si les constatations de la Commission au point II.A.5 de la Décision sont entachées d’ un défaut de motivation, d’ une erreur manifeste de fait ou de droit, d’ une erreur manifeste d’ appréciation ou d’ un détournement de pouvoir. Il n’ appartient pas au Tribunal de se prononcer sur l’ application de ces critères dans des cas concrets.

121 Toutefois, comme la Commission et Givenchy l’ ont fait valoir à juste titre, l’ application desdits critères dans des cas concrets ne relève pas de la seule discrétion du fabricant mais doit être déterminée d’ une façon objective. Il s’ ensuit que la possibilité d’ un contrôle indépendant et effectif de l’ application de ces critères dans des cas concrets constitue un élément essentiel pour la légalité du réseau Givenchy au regard de l’ article 85, paragraphe 1 [voir points II.A.6, sous a), et II.B.4, troisième alinéa, de la Décision].

122 Or, il est de jurisprudence constante que les juridictions nationales sont compétentes pour appliquer l’ article 85, paragraphe 1, du traité, en raison de son effet direct (voir l’ arrêt de la Cour du 30 janvier 1974, BRT, 127/73, Rec. p. 51, points 15 et 16). Il s’ ensuit qu’ un candidat qui s’ est vu refuser l’ accès au réseau et qui estime que les critères en cause lui ont été appliqués d’ une manière non conforme à l’ article 85, paragraphe 1, du traité, et notamment d’ une manière discriminatoire ou disproportionnée, peut introduire un recours devant les juridictions nationales compétentes. Un tel recours peut également être introduit, le cas échéant, devant les autorités nationales compétentes en matière d’ application de l’ article 85, paragraphe 1, du traité.

123 Il appartient donc aux juridictions ou aux autorités nationales compétentes saisies d’ un tel recours de statuer, à la lumière, le cas échéant, de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, sur la question de savoir si les critères de sélection de Givenchy ont été appliqués dans un cas concret d’ une manière discriminatoire ou disproportionnée, entraînant ainsi une violation de l’ article 85, paragraphe 1. Il incombe notamment aux juridictions ou aux autorités nationales de veiller à ce que les critères en cause ne soient pas utilisés pour empêcher l’ accès au réseau de nouveaux opérateurs capables de distribuer les produits en cause dans des conditions qui ne sont pas dévalorisantes.

124 Par ailleurs, un candidat qui s’ est vu refuser l’ accès au réseau a la possibilité, sous réserve des principes énoncés par le Tribunal dans son arrêt du 18 septembre 1992 (Automec/Commission, T-24/90, Rec. p. II-2223), d’ introduire une plainte devant la Commission au titre de l’ article 3 du règlement n 17, notamment en cas d’ utilisation systématique des conditions d’ admission dans un sens incompatible avec le droit communautaire (voir l’ arrêt AEG, points 44 à 46, 67 et suivants).

2. Sur la licéité de principe des critères en cause au regard de l’ article 85, paragraphe 1, du traité

a) Les critères concernant la qualification professionnelle

125 Dans ses mémoires, le Galec n’ a pas contesté les critères concernant la qualification professionnelle du personnel et le service de conseil et de démonstration visés par les points II.3 et II.5 du Contrat (voir point 26 de ses observations sur les mémoires en intervention), mais il a soutenu, à l’ audience, que ces critères sont disproportionnés par rapport aux exigences de la vente des produits concernés dans des conditions adéquates.

126 Le Tribunal estime que la présence dans le point de vente d’ une personne capable de donner au consommateur des conseils ou des renseignements appropriés constitue en principe une exigence légitime pour la vente des cosmétiques de luxe, qui fait partie intégrante d’ une bonne présentation de tels produits. Pour le surplus, le requérant n’ a pas apporté d’ éléments permettant au Tribunal de statuer sur la question de savoir si les qualifications exigées par le point II.3 du Contrat, à savoir soit un diplôme d’ esthétique ou une qualification professionnelle analogue, soit une pratique de la vente en parfumerie pendant trois ans, sont disproportionnées eu égard à la nature des produits concernés.

127 En tout état de cause, il appartient aux juridictions ou aux autorités nationales compétentes de veiller à ce que les stipulations du Contrat concernant la qualification professionnelle ne soient pas appliquées d’ une manière discriminatoire ou disproportionnée dans des cas concrets.

b) Les critères concernant la localisation et l’ installation du point de vente

128 Les critiques du Galec visent notamment les critères se référant à l’ « environnement » du point de vente, à l’ apparence extérieure du point de vente, et notamment aux vitrines, et à la vente d’ autres marchandises dans le point de vente. Selon le Galec, ces critères sont trop subjectifs, disproportionnés et discriminatoires à l’ égard de ses affiliés.

° « L’ environnement » et la localisation du point de vente

129 Le point II.4 du Contrat stipule que « le standing et l’ environnement du point de vente de la parfumerie doivent correspondre au prestige de la marque ». Selon cette disposition, l’ environnement des magasins est apprécié en fonction de l’ « environnement extérieur du magasin (magasins voisins et rue) », de la « localisation géographique (centre ville, quartier périphérique, rue commerçante, etc.) » et des « autres commerces de prestige dans le voisinage (bijouteries, magasins de cadeaux, hôtels, restaurants, etc.) ». Il ressort de la rubrique « a) Qualité de l’ environnement ° quartier ou rue » dans la grille de notation de la fiche d’ évaluation de Givenchy qu’ un commerce situé dans un quartier ou une rue de bonne renommée, ou à côté de commerces de luxe, est mieux noté qu’ un commerce situé dans une banlieue ordinaire. A cette rubrique est aussi accordée la pondération maximale (30 points), soit plus que celle accordée à la qualification professionnelle (20 points).

130 Le Tribunal estime qu’ un critère relatif à l’ environnement dans lequel est situé un point de vente de cosmétiques de luxe n’ est pas en soi visé par l’ article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où il a pour objet d’ assurer que de tels produits ne soient pas vendus en des lieux totalement inadaptés, comme l’ a souligné le représentant de Givenchy à l’ audience (voir point 87 ci-dessus). Le Tribunal relève, toutefois, qu’ il appartient aux juridictions ou aux autorités nationales compétentes de veiller à ce qu’ un tel critère ne soit pas appliqué de façon discriminatoire ou disproportionnée dans des cas concrets.

° L’ apparence extérieure du point de vente, et notamment « les vitrines en devanture »

131 Le Galec se plaint des dispositions du Contrat concernant la qualité de la façade ainsi que de la disposition du point II.6 du Contrat selon laquelle le magasin doit comporter « en devanture une ou plusieurs vitrines » qui doivent être présentées « d’ une façon conforme aux usages qui régissent la vente de produits de luxe ». Dans la fiche d’ évaluation, la rubrique b) concernant l’ apparence extérieure du point de vente représente un maximum de 30 points (pour une façade « exceptionnellement luxueuse ») et la rubrique c) concernant les vitrines représente un maximum de 10 points.

132 Le Tribunal estime que de telles dispositions, et notamment celles concernant les vitrines, se prêtent à une application discriminatoire à l’ encontre d’ un point de vente ° tel qu’ un hypermarché ° qui n’ a pas la même façade qu’ un commerce traditionnel, notamment une façade comportant des vitrines en devanture, mais qui a aménagé un emplacement ou un espace situé à l’ intérieur d’ un magasin d’ une façon appropriée à la vente des cosmétiques de luxe. En outre, des vitrines en devanture n’ apparaissent pas nécessaires pour la bonne présentation des produits dans le contexte d’ un emplacement ou d’ un espace aménagé à l’ intérieur d’ un magasin « multiproduits ».

133 Toutefois, il ressort de la fiche utilisée lors de l’ évaluation de la candidature de la société Rocadis pour le centre Leclerc de Poitiers (voir points 46 et 47 ci-dessus) que les critères du Contrat concernant les vitrines peuvent être interprétés comme se référant aux « vitrines » d’ un espace aménagé à l’ intérieur d’ un point de vente, et non aux vitrines extérieures.

134 Dans ces circonstances, il suffit de constater qu’ il appartiendra aux juridictions ou aux autorités nationales compétentes de veiller à ce que les critères concernant l’ apparence extérieure du point de vente, y compris ceux concernant les vitrines, ne soient pas appliqués d’ une manière discriminatoire ou disproportionnée.

° La vente d’ autres marchandises de nature à déprécier l’ image de la marque Givenchy

135 Le Galec conteste la licéité du point II.6 du Contrat selon laquelle « l’ environnement des autres produits distribués dans le lieu de vente ne doit pas déprécier l’ image de la marque Givenchy ».

136 Il y a lieu de constater que ni le Contrat ni la fiche d’ évaluation ne précisent les produits dont la vente dans le même lieu pourrait être de nature à déprécier l’ image de la marque Givenchy. Dans la Décision, la Commission se borne à constater que cette disposition a pour objet de sauvegarder, dans la perception du public, l’ aura de prestige et d’ exclusivité inhérente aux produits en cause, « en évitant ainsi toute assimilation à des marchandises de qualité inférieure » (point II.A.5, cinquième alinéa).

137 Il convient donc de relever que le point II.6 du Contrat manque de précision et de clarté et se prête à une application subjective et éventuellement discriminatoire.

138 Toutefois, le Tribunal rappelle que la Commission considère qu’ un hypermarché ne peut pas être exclu du réseau du seul fait qu’ il vend d’ autres marchandises (voir point II.A.5, cinquième et sixième alinéas, de la Décision et points 156 et suivants ci-après). En outre, les parties intervenantes n’ ont pas identifié les produits dont la distribution serait de nature à déprécier l’ « image » des produits, à l’ exception des produits d’ alimentation ou d’ entretien.

139 Dans ces circonstances, le Tribunal considère que la Décision doit être interprétée en ce sens que la vente des autres marchandises typiquement trouvées dans un hypermarché n’ est pas en soi de nature à nuire à l’ « image de luxe » des produits en cause, pourvu que l’ emplacement ou l’ espace consacré à la vente des cosmétiques de luxe soit aménagé de façon à ce que ces produits soient présentés dans des conditions valorisantes. Un tel aménagement peut exiger que certains autres produits, tels que les produits d’ alimentation ou d’ entretien, ne soient pas distribués « à proximité » des cosmétiques de luxe, ou qu’ il y ait une séparation adéquate entre la vente des cosmétiques de luxe et la vente d’ autres produits de qualité inférieure (voir point II.A.5, cinquième alinéa, de la Décision).

140 A la lumière de ces précisions, le Tribunal estime que le contrôle qui sera exercé, en cas de difficultés, par les juridictions ou autorités nationales compétentes est de nature à contrebalancer le manque de clarté de ce critère. En effet, il leur appartient de veiller à ce que cette disposition ne soit pas appliquée d’ une manière discriminatoire ou disproportionnée.

° L’ importance des autres activités exercées dans le point de vente

141 A l’ appui de la critique qu’ il fait, dans la requête, des critères relatifs à l’ installation du point de vente et à la vente des autres marchandises, le Galec a mis en cause, à l’ audience, la rubrique « m) Activité du magasin » de la partie « Éléments d’ appréciation intérieure » de la fiche d’ évaluation de Givenchy. Il ressort de cette rubrique, qui reçoit la pondération maximale de 30 points, que si l’ activité de parfumerie du magasin est minoritaire par rapport à l’ ensemble des autres activités, ou si la parfumerie occupe moins de 50 % des linéaires, le candidat concerné reçoit la note zéro. Le Galec considère que cette rubrique est discriminatoire.

142 Il est vrai que cette rubrique n’ est pas mentionnée dans la Décision. Le Tribunal rappelle toutefois que celle-ci constate que les critères de Givenchy concernant l’ installation du point de vente et la vente d’ autres marchandises, visés au point II.6 du Contrat, ne relèvent pas de l’ article 85, paragraphe 1, du traité (point II.A.5, cinquième et sixième alinéas). Étant donné que la fiche d’ évaluation fait partie intégrante dudit point II.6, il s’ ensuit que la Décision doit être également interprétée comme décidant qu’ un critère tel que celui prévu par la rubrique m) ne relève pas de l’ article 85, paragraphe 1, du traité.

143 Bien que, selon la fiche d’ évaluation, un candidat ne soit éliminé que s’ il obtient quatre zéros sur la totalité des quinze rubriques, la rubrique m) de la fiche d’ évaluation n’ en contribue pas moins à l’ élimination des candidats, tels que les magasins « multiproduits », dont l’ activité de parfumerie représente moins de 50 % de leurs activités, et ce même s’ ils disposent d’ un emplacement spécialisé pour la vente des produits en cause.

144 Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la rubrique m) de la fiche d’ évaluation doit être considérée comme disproportionnée dans la mesure où le seul fait que l’ activité parfumerie d’ un magasin représente moins de 50 % de ses activités totales n’ a en soi aucun rapport avec l’ exigence légitime de la préservation de l’ image de luxe des produits concernés.

145 Par ailleurs, le Tribunal estime que la rubrique m) est discriminatoire dans la mesure où elle tend à favoriser la candidature d’ une parfumerie spécialisée au détriment de celle d’ un magasin « multiproduits » disposant d’ un emplacement spécialisé aménagé de manière à satisfaire aux conditions qualitatives appropriées pour la vente des cosmétiques de luxe.

146 Il s’ ensuit que cette rubrique est de par sa nature même susceptible de restreindre ou de fausser la concurrence au sens de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où elle a pour effet de défavoriser un candidat du seul fait que son activité parfum est minoritaire par rapport aux autres activités du magasin.

147 Bien que la fiche d’ évaluation fasse partie intégrante des dispositions du point II.6 du Contrat et de la procédure d’ accès au réseau Givenchy, force est de constater que le point II.A.5 de la Décision ne contient aucune motivation quant à la justification de la rubrique en cause. La Décision est donc entachée d’ un défaut de motivation à cet égard.

148 Il y a ainsi lieu d’ annuler la Décision dans la mesure où celle-ci décide qu’ une disposition autorisant Givenchy à défavoriser la candidature de distributeurs du seul fait que leur activité de parfumerie est minoritaire n’ est pas visée par l’ article 85, paragraphe 1, du traité.

c) Le critère de l’ enseigne

149 Le Galec critique comme subjective, discriminatoire et disproportionnée la clause II.8 du Contrat qui dispose que « est exclue une enseigne existante ayant construit son image sur une restriction du décor ou des services. Est exclue également une nouvelle enseigne dont la perception par le public implique une restriction du décor ou des services. Il est cependant précisé que la politique de prix habituelle d’ une enseigne ne saurait être considérée comme un élément dévalorisant ». La Commission et les parties intervenantes considèrent que cette disposition est nécessaire pour préserver le caractère de luxe des produits et l’ image de luxe de la marque Givenchy.

150 Le Tribunal estime qu’ un critère qui a pour seul objet de veiller à ce que l’ enseigne du détaillant ne soit pas de nature à dévaloriser l’ image de luxe des cosmétiques de luxe constitue en principe une exigence légitime de la distribution de tels produits et ne relève donc pas nécessairement de l’ article 85, paragraphe 1, du traité. En effet, il est à craindre que, en l’ absence d’ un tel critère, l’ image de luxe des cosmétiques de luxe, et donc leur nature même, soit atteinte par la vente de ces produits par des détaillants dont l’ enseigne est manifestement dévalorisante aux yeux des consommateurs.

151 Toutefois, eu égard au fait que, à la différence des critères qui visent les aspects matériels d’ un point de vente, le critère de l’ enseigne n’ est pas susceptible d’ être vérifié par un reportage photographique ou une inspection sur place, il incombe aux juridictions ou aux autorités nationales compétentes de veiller tout particulièrement à ce que ce critère ne soit pas appliqué d’ une façon injustifiée ou disproportionnée.

152 En effet, premièrement, ce critère ne peut se référer qu’ à la perception actuelle de l’ enseigne en cause aux yeux des consommateurs. Il s’ ensuit que la première phrase de la clause II.8 du Contrat, selon laquelle « est exclue une enseigne existante ayant construit son image sur une restriction du décor ou des services », ne saurait être interprétée comme excluant des formes modernes de commerce qui se sont fondées, à leurs débuts, sur une restriction du décor ou des services, mais qui ont, depuis lors, développé de nouveaux procédés de valorisation pour la vente des produits de luxe, de sorte que leur enseigne n’ est plus considérée comme dévalorisante à cet égard.

153 Deuxièmement, conformément aux principes que le Tribunal vient d’ indiquer (voir points 121 et suivants ci-dessus), la perception de l’ enseigne en question ne relève pas de la seule discrétion du fabricant mais doit être établie d’ une façon aussi objective que possible. En cas de contestation, des éléments de preuve objectifs, tels que des sondages ou des études de marché, devraient, le cas échéant, être soumis à l’ appréciation des juridictions ou des autorités nationales compétentes.

154 Troisièmement, comme la défenderesse l’ a relevé elle-même, la Décision précise au point II.A.5 que l’ image qui découle de la « politique habituelle de prix du distributeur » ne doit pas être considérée comme dévalorisante. En effet, le critère de l’ enseigne ne saurait être utilisé à seule fin d’ exclure des magasins capables d’ offrir les produits à des prix réduits, mais dans des conditions valorisantes.

155 Enfin, le Tribunal estime que le critère de l’ enseigne doit être appliqué d’ une manière particulièrement prudente lorsqu’ il ne fait aucun doute que le détaillant a fait les investissements nécessaires pour satisfaire à toutes les exigences concernant les conditions matérielles de vente (aménagement, séparation des autres articles, personnel qualifié, etc.) et a accepté les obligations de stockage, de chiffre minimal d’ achats annuels, de coopération publicitaire, etc. Dans un tel cas, il appartient aux juridictions ou aux autorités nationales compétentes de vérifier que le critère de l’ enseigne n’ est pas utilisé à seule fin d’ exclure du réseau un point de vente apte à vendre les produits concernés, sans qu’ il existe de risque réel d’ atteinte à l’ image de ces derniers.

C ° Sur les moyens et arguments du requérant portant sur la question de savoir si ses affiliés sont exclus a priori du réseau Givenchy et sur l’ attitude des consommateurs à cet égard

156 A la lumière de ce qui précède, il convient, à ce stade du raisonnement, d’ aborder les moyens et arguments du Galec portant sur la question de savoir si ses affiliés sont exclus a priori du réseau Givenchy par le cumul des critères de sélection et sur l’ attitude des consommateurs à cet égard.

157 Le Tribunal rappelle tout d’ abord que la Commission a souligné à maintes reprises en cours d’ instance que la Décision n’ envisage pas l’ exclusion a priori des formes modernes de commerce, telles que les hypermarchés exploités par les centres Leclerc (voir points 71 et 72 ci-dessus). Givenchy, pour sa part, a souligné qu’ elle n’ avait pas d’ a priori à l’ encontre des hypermarchés ou d’ autres formes modernes de distribution ni à l’ encontre des centres Leclerc (voir points 84 et 91 ci-dessus). Les trois autres parties intervenantes, elles aussi, ont fait valoir que la Décision n’ exclut pas en soi la forme de distribution opérée par les affiliés du Galec ou d’ autres formes modernes de distribution. Au contraire, les parties intervenantes ont notamment fait valoir l’ existence, dans plusieurs États membres, de distributeurs agréés « multiproduits » afin de démontrer la nature non restrictive du système Givenchy.

158 Il en résulte qu’ aucune des parties n’ a fait valoir devant le Tribunal l’ inaptitude de principe des hypermarchés ou d’ autres formes de distribution « multiproduits » à vendre des cosmétiques de luxe. La Commission et les parties intervenantes admettent que cette possibilité est envisagée par la Décision, pourvu que de tels points de vente soient aménagés de façon appropriée et qu’ ils acceptent des obligations équivalentes à celles acceptées par d’ autres distributeurs agréés. Le Tribunal estime d’ ailleurs que, s’ il en était autrement, le réseau Givenchy violerait l’ article 85, paragraphe 1, du traité, en excluant a priori une catégorie de revendeurs potentiels du système (voir point 116 ci-dessus).

159 Même si, aux points II.A.5, sixième alinéa, et II.B.5, quatrième alinéa, de la Décision, la Commission s’ est exprimée avec une certaine ambiguïté en utilisant l’ expression « grands magasins », qui vise normalement une forme de commerce traditionnel, et en soulignant qu’ elle « n’ a pu constater » que la diffusion des systèmes de distribution sélective dans le domaine des produits cosmétiques de luxe écarte « par principe » certaines formes modernes de distribution, elle a précisé, en cours d’ instance, qu’ en adoptant la Décision elle n’ avait pas l’ intention d’ exclure des formes de commerce telles que les hypermarchés des affiliés du Galec et que les termes « grands magasins » dans la Décision englobent de telles formes de commerce (voir point 72 ci-dessus).

160 Par ailleurs, le Tribunal a souligné dans le présent arrêt le rôle des juridictions ou autorités nationales compétentes dans l’ application non discriminatoire et proportionnée des critères en cause (voir points 121 et suivants ci-dessus).

161 Il en résulte que le requérant n’ a pas établi à suffisance de droit qu’ il existe actuellement des barrières à l’ entrée de la grande distribution dans la distribution des cosmétiques de luxe, pourvu que ses points de vente soient adaptés d’ une façon appropriée à la vente de tels produits.

162 En effet, il appartient au Galec ou à ses affiliés de poser leur candidature et, le cas échéant, aux juridictions ou aux autorités nationales compétentes de décider si un refus d’ adhésion dans un cas concret est compatible avec l’ article 85, paragraphe 1, du traité, à la lumière de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal. Par ailleurs, il appartient à la Commission de veiller, notamment en cas de demande de renouvellement de la Décision, à ce que les formes modernes de distribution ne soient pas exclues du réseau Givenchy ou de réseaux semblables d’ une manière injustifiée.

163 Il en résulte que l’ allégation du Galec, selon laquelle ses affiliés sont exclus a priori du réseau Givenchy, doit être rejetée.

164 Il convient de rejeter également les moyens et/ou arguments du Galec selon lesquels la Commission n’ a pas motivé son affirmation que les critères qualitatifs énoncés dans la Décision sont les seuls inhérents à la sélectivité des parfums de luxe et/ou que les procédés de valorisation propres à la grande distribution sont inadéquats pour leur distribution. En effet, la Décision ne peut être interprétée comme contenant une telle affirmation.

165 Pour les mêmes raisons, l’ allégation du Galec selon laquelle la Commission a commis une erreur manifeste de fait quant à la prétendue exclusion de la grande distribution de la commercialisation des produits en cause doit être rejetée.

166 Pour les mêmes raisons encore, il convient de rejeter le double reproche fait par le Galec à la Commission de ne pas avoir justifié ses affirmations quant à la motivation du consommateur et d’ avoir commis une erreur manifeste de fait sur ce point.

167 A cet égard, il est vrai que la Commission ne s’ est pas fondée sur une expertise indépendante de nature à étayer ses affirmations relatives aux motivations du consommateur, notamment au point II.B.3 de la Décision. Il est également vrai, comme le Galec l’ a affirmé à l’ audience, que les quatre associations françaises de consommateurs qui ont soumis des observations pendant la procédure administrative préalable à l’ adoption de la décision Yves Saint Laurent, à savoir l’ Union féminine civique et sociale (UCS), l’ Institut national de la consommation (INC), la Confédération syndicale du cadre de vie (CSCV) et la Confédération des familles (CSF), n’ ont pas soutenu sans réserve la position adoptée par la Commission. En effet, la CSF et l’ INC ont fait état de leur opposition à la décision proposée, au motif notamment que celle-ci aurait pour effet de maintenir des prix trop élevés et d’ écarter de l’ accès à ces produits une partie importante de la population. L’ UCS, quant à elle, a fait valoir que certaines des dispositions en cause tendaient à rendre plus difficile qu’ avant la venue sur le marché de nouvelles formes de distribution et que ces dispositions « ne vont pas dans le sens de l’ ouverture et de l’ exercice d’ une meilleure concurrence dans le cadre du marché unique, ni dans le sens de l’ intérêt des consommateurs ». La CSCV, pour sa part, a conclu ses observations en faisant remarquer que, « sous couvert d’ une technicité de leurs produits et du prestige d’ une marque, la SA Yves Saint Laurent restreint par des critères de sélection discriminatoires la concurrence et maintient fictivement un prix très élevé pour ses produits ».

168 Force est toutefois de constater que dans la Décision la Commission n’ a pas soutenu que le consommateur ne recherche le luxe que dans le commerce traditionnel. De même, le requérant n’ a pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste de fait ou un défaut de motivation quant aux attentes des consommateurs. En effet, il découle de la Décision que le consommateur qui préfère faire ses achats de cosmétiques de luxe dans un point de vente d’ une grande surface aménagé de façon appropriée doit avoir cette possibilité, tandis que le consommateur du type évoqué dans le rapport du Pr Glais, qui préfère faire ses achats dans une parfumerie spécialisée ou un grand magasin traditionnel, demeure également libre de continuer à fréquenter ces points de vente.

169 Il s’ ensuit que l’ ensemble des moyens et arguments du requérant portant sur la question de savoir si ses affiliés sont exclus a priori de la vente des cosmétiques de luxe, ainsi que ses moyens et arguments connexes quant aux attentes des consommateurs, doivent être rejetés.

D ° Sur la question de savoir si l’ interdiction de l’ article 85, paragraphe 1, du traité trouve à s’ appliquer en raison de l’ existence de réseaux parallèles dans le secteur concerné

170 Le Galec fait encore valoir que, en tout état de cause, l’ article 85, paragraphe 1, du traité a été violé dans le cas d’ espèce du fait que des réseaux semblables à celui de Givenchy existent dans tout le secteur concerné, de sorte qu’ aucune place ne serait laissée à d’ autres formes de distribution et qu’ il n’ y aurait pas de concurrence efficace sur le marché pertinent ° à savoir celui des « parfums de luxe » ° au sens des points 40 à 42 de l’ arrêt Metro II. La Commission et les parties intervenantes considèrent que, en dépit de l’ existence de réseaux parallèles à celui de Givenchy, il existe une concurrence efficace sur le marché pertinent ° qui est celui des « cosmétiques de luxe » ° de sorte que l’ article 85, paragraphe 1, du traité n’ est pas applicable.

171 Le Tribunal rappelle que, au point 40 de son arrêt Metro II, la Cour a jugé que, même si des systèmes de distribution sélective dits « simples » (à savoir des systèmes fondés seulement sur des critères qualitatifs) sont susceptibles de constituer un élément de concurrence conforme à l’ article 85, paragraphe 1, du traité, une restriction ou une élimination de la concurrence peut néanmoins se produire lorsque l’ existence d’ un certain nombre de tels systèmes ne laisse aucune place à d’ autres formes de distribution axées sur une politique concurrentielle de nature différente ou aboutit à une rigidité dans la structure des prix qui n’ est pas contrebalancée par d’ autres facteurs de concurrence entre produits d’ une même marque et par l’ existence d’ une concurrence effective entre marques différentes. Toutefois, selon les points 41 et 42 de ce même arrêt, l’ existence d’ un grand nombre de tels systèmes de distribution sélective pour un produit déterminé ne permet pas, à elle seule, de conclure que la concurrence est restreinte ou faussée au sens de l’ article 85, paragraphe 1. En effet, dans le cas d’ une prolifération des systèmes de distribution sélective « simples », l’ article 85, paragraphe 1 ne s’ applique que si le marché concerné est tellement rigide et structuré qu’ il n’ existe plus une concurrence efficace en matière de prix (voir également les points 44 et 45 de cet arrêt).

172 A la différence de l’ affaire à l’ origine de l’ arrêt Metro II, dans laquelle les produits électroniques de divertissement en cause n’ étaient pas toujours vendus par le canal de la distribution sélective, il est constant en l’ espèce que presque tous les fabricants exerçant leur activité dans le secteur des cosmétiques de luxe utilisent des systèmes de distribution semblables à celui de Givenchy.

173 Toutefois, le Tribunal a déjà constaté que la distribution sélective des cosmétiques de luxe est de nature à améliorer la concurrence dans l’ intérêt du consommateur, notamment en contribuant à la préservation de l’ image « de luxe » des produits par rapport aux autres produits semblables qui ne sont pas dotés d’ une telle image, de sorte que l’ article 85, paragraphe 1, du traité ne s’ applique pas à certains critères qualitatifs visant cet objectif (points 108 et suivants ci-dessus).

174 Dans de telles circonstances, le Tribunal estime que la mention, dans l’ arrêt Metro II, du fait qu’ il y aurait une élimination de la concurrence « lorsque l’ existence d’ un certain nombre de systèmes ne laisse aucune place à d’ autres formes de distribution axées sur une politique concurrentielle de nature différente » ne signifie pas que l’ article 85, paragraphe 1, du traité est automatiquement applicable du seul fait que tous les fabricants dans le secteur des cosmétiques de luxe ont fait le même choix quant à leurs méthodes de distribution. En l’ espèce, les points 40 à 46 de l’ arrêt Metro II doivent être interprétés en ce sens que, si, pris individuellement, certains critères de sélection de Givenchy ne relèvent pas de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, l’ effet cumulatif des autres réseaux n’ est de nature à altérer cette conclusion que s’ il est démontré, premièrement, qu’ il existe des barrières à l’ entrée sur le marché à l’ encontre de nouveaux concurrents aptes à vendre les produits en question, de sorte que les systèmes de distribution sélective en cause ont pour effet de figer la distribution au profit de certains canaux existants (voir l’ arrêt Delimitis, précité, points 15 et suivants), ou, deuxièmement, qu’ il n’ y a pas de concurrence efficace, notamment en matière de prix, compte tenu de la nature des produits en cause.

175 Quant à l’ existence de barrières à l’ entrée de nouveaux concurrents aptes à vendre les produits en question, le Tribunal a déjà constaté que celle-ci n’ a pas été établie en ce qui concerne les hypermarchés affiliés au requérant (voir points 156 et suivants ci-dessus).

176 Plus généralement, quant à la question de savoir s’ il existe une concurrence efficace, il est nécessaire de déterminer préalablement le marché pertinent. En effet, même si dans la Décision la Commission était fondée à traiter l’ ensemble du secteur des cosmétiques de luxe, au motif que les produits de parfumerie, de beauté et de soins de luxe partagent la même image de luxe et sont souvent vendus ensemble sous la même marque, la question de savoir s’ il existe une concurrence efficace ne peut être appréciée que dans le cadre du marché regroupant l’ ensemble des produits qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d’ autres produits (voir l’ arrêt L’ Oréal, précité, point 25).

177 Or, il est constant dans le cas d’ espèce qu’ un parfum n’ est pas interchangeable du point de vue de ses caractéristiques ou de son utilisation avec un produit de beauté (par exemple de maquillage) ou de soins (par exemple une crème de nuit). Il est également constant que, à l’ époque, environ 90 % des ventes totales de Givenchy étaient constituées par des parfums de luxe. Vu l’ importance de ce secteur distinct, il y a lieu de vérifier si les parfums de luxe sont soumis à une concurrence efficace au niveau du commerce de détail, en dépit du fait qu’ ils sont toujours commercialisés par le moyen de la distribution sélective.

178 A cet égard, il convient de rejeter, en premier lieu, l’ argument de la Commission et des parties intervenantes tiré du point B.3, troisième alinéa, de la Décision, selon lequel, « au cas où le client estime secondaire l’ image de la marque ou les services dont s’ entoure la vente au sein du système de distribution sélective, il pourra de toute façon porter son choix sur des articles similaires, relevant d’ un marché voisin et diffusés sans recours à des systèmes de distribution sélective, en sanctionnant ainsi le choix de stratégie commerciale effectué par le producteur ». En effet, la Commission elle-même a constaté dans la Décision que le degré de substituabilité des cosmétiques de luxe avec des produits similaires relevant d’ autres segments du secteur est « généralement modeste » (point I.B, premier alinéa) et que, « eu égard au faible degré de substituabilité qui subsiste dans la perception du consommateur entre les produits cosmétiques de luxe et les produits similaires relevant d’ autres segments du secteur, le marché à prendre en considération en l’ espèce est celui des produits cosmétiques de luxe » (point II.A.8). Par ailleurs, il ressort des points I.B et II.A.8 de la Décision que la Commission a pris en compte la part de marché détenue par le groupe Louis Vuitton Moët-Hennessy pour les produits parfumants de luxe afin de vérifier si les restrictions en question étaient de nature à affecter les échanges intracommunautaires d’ une manière sensible.

179 Il s’ ensuit que, pour déterminer si les parfums de luxe sont soumis à une concurrence efficace, il n’ est pas approprié de prendre en considération la prétendue concurrence des parfums qui ne sont pas de luxe.

180 Il convient de rejeter également l’ argument avancé par la Commission et les parties intervenantes, selon lequel l’ existence d’ une concurrence efficace peut être inférée du fait que, selon le point I.B, troisième alinéa, de la Décision, qui se fonde sur le rapport du Pr Weber, les produits commercialisés au moyen de réseaux de distributeurs agréés « représentaient, en 1987, une part de 24,7 % dans la République fédérale d’ Allemagne, de 30,3 % en France, de 36,2 % en Italie et 22,4 % au Royaume-Uni par rapport au total des ventes de produits cosmétiques ». En effet, ces chiffres proviennent du tableau n 22 du rapport Pr Weber et représentent la proportion des ventes réalisées par le canal de la distribution sélective, exprimée comme un pourcentage du total des ventes de toutes les catégories de cosmétiques confondues, à savoir les parfums, les produits de beauté, les produits de soins, les produits capillaires (notamment les shampoings) et les produits de toilette (dentifrice, savons, déodorants, etc.). En outre, il ressort dudit rapport (p. 89) qu’ en Italie la proportion des parfums vendus par le canal de la distribution sélective était de 81 % et que la proportion en France était de 65 %. Selon les chiffres produits par la FIP, la proportion des parfums vendus par le canal de la distribution sélective en France est de 73 % (voir l’ annexe I à son mémoire en intervention, p. 17). Les chiffres cités au point I.B, troisième alinéa, de la Décision ne sont donc pas utiles pour apprécier l’ efficacité de la concurrence dans un domaine spécifique tel que celui des parfums de luxe.

181 Toutefois, la Commission et les parties intervenantes font valoir que, même sur le marché des parfums de luxe considéré en tant que tel, il existe une concurrence efficace tant entre les fabricants (inter brand) qu’ entre les distributeurs agréés de Givenchy (intra brand).

182 A cet égard, le Tribunal considère que la position de la Commission et des parties intervenantes n’ est pas appuyée par le rapport du Pr Weber, dont il ressort, notamment aux pages 71, 89 à 96, 105 et 110, qu’ en 1987 il n’ y avait qu’ une concurrence très limitée entre les distributeurs de parfums de luxe et entre les différentes formes de distribution. Toutefois, il y a lieu de constater que, avant d’ adopter la Décision en 1992, la Commission a exigé de Givenchy de nombreuses modifications de ses contrats, parmi lesquelles l’ élimination de tous les critères de sélection purement quantitatifs, la suppression des clauses restreignant la liberté des distributeurs de revendre les produits à d’ autres membres du réseau sélectif, la suppression des clauses limitant la liberté de choix du revendeur en ce qui concerne les autres marques pouvant être offertes dans son point de vente et la reconnaissance expresse de la liberté du revendeur de fixer ses prix de façon indépendante. En outre, ainsi que le Tribunal vient de le constater, la Décision envisage la possibilité que de nouvelles formes de commerce aptes à distribuer les produits en question aient accès au réseau Givenchy.

183 Dans ces circonstances, il incombait au Galec de fournir des éléments de preuve de nature à établir à suffisance de droit que, par suite de la Décision, le marché est devenu tellement rigide et structuré qu’ il n’ existe plus de concurrence efficace entre les distributeurs agréés des parfums de luxe, notamment en matière de prix (voir l’ arrêt Metro II, points 42 et 44). Le Galec n’ ayant produit aucun élément concret à cet égard, le Tribunal constate que de tels éléments de preuve font défaut en l’ espèce.

184 Il résulte de l’ ensemble de ce qui précède que les moyens et arguments du requérant tirés d’ une violation de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, ainsi que ses autres moyens et arguments connexes, doivent être rejetés, sauf en ce qui concerne la disposition visée au point 148 ci-dessus.

II ° Sur le bien-fondé de la Décision au regard de l’ article 85, paragraphe 3, du traité

Exposé sommaire des arguments des parties

185 En ce qui concerne l’ exemption accordée, le Galec avance cinq arguments principaux pour démontrer que les conditions de l’ article 85, paragraphe 3, du traité ne sont pas remplies. Premièrement, la Commission ne concevrait l’ amélioration de la production et de la distribution des parfums de luxe que dans un cadre d’ exclusivité (voir point II.B.2, premier alinéa, de la Décision), alors que les obligations additionnelles énumérées au point II.B.2, deuxième à sixième alinéa, de la Décision pourraient être satisfaites par la grande distribution. Deuxièmement, pour ce qui est des avantages pour les utilisateurs, la Commission aurait retenu une conception surannée des comportements et des attentes des consommateurs. Troisièmement, la Commission aurait légitimé une absence totale de concurrence par les prix à l’ intérieur de la marque, concurrence qui aurait pu être assurée par la grande distribution. Quatrièmement, en contradiction avec le principe de proportionnalité, la Commission aurait omis de comparer la distribution sélective par l’ intermédiaire de détaillants spécialisés avec une distribution sélective faisant appel à d’ autres formes de commerce, ignorant ainsi le fait que les revendeurs de la grande distribution seraient assujettis aux mêmes devoirs et charges que tout autre distributeur agréé (voir, notamment, le point II.B.4, deuxième alinéa, in fine, de la Décision). Cinquièmement, en imposant aux autres formes de distribution une « modification partielle de leurs méthodes particulières de commercialisation », la Décision éliminerait la concurrence de la part de ces formes de distribution, en dehors des cas marginaux des grands magasins et des shoppings. En tout état de cause, la Commission ne se serait pas préoccupée de la situation concrète qui prévaut actuellement sur le marché et n’ aurait pas précisé quelles sont les modifications à adopter.

186 En réponse, la défenderesse précise que l’ exemption accordée ne concerne que la procédure d’ admission, le chiffre minimal d’ achats annuels, les obligations concernant le stock et la coopération publicitaire et promotionnelle, l’ interdiction de vendre un produit qui n’ a pas encore été lancé, le contrôle des factures par Givenchy et, dans le cas où le client est lui-même un distributeur, la vérification de son appartenance au réseau officiel de distribution ° obligations que le requérant n’ aurait pas critiquées au regard de l’ article 85, paragraphe 1. La partie défenderesse soutient qu’ elle n’ avait pas à examiner si les critères ne tombant pas sous l’ interdiction de l’ article 85, paragraphe 1, du traité remplissaient les conditions prévues par l’ article 85, paragraphe 3.

187 Par ailleurs, les critiques du requérant ne seraient pas pertinentes. En particulier, l’ affirmation selon laquelle la Commission a abandonné toute préoccupation de concurrence « intra brand » par les prix serait inexacte [voir point I.C, sous b), c), e) et f) et point II.A.5, quatrième alinéa, de la Décision] et, en tout état de cause, la Cour aurait jugé qu’ une certaine limitation de la concurrence sur le plan des prix est inhérente à tout système de distribution sélective, cette limitation étant contrebalancée par une concurrence sur la qualité des prestations (arrêt Metro II, point 45). Quant aux consommateurs, il s’ agirait d’ arguments déjà réfutés dans le cadre de l’ examen du Contrat au regard de l’ article 85, paragraphe 1. En ce qui concerne la prétendue atteinte au principe de proportionnalité, la Commission affirme qu’ elle ne s’ est pas livrée à une comparaison trompeuse et rappelle que la prise en compte du coût supporté par les distributeurs du réseau en raison de la charge des obligations résultant de l’ agrément a été soulignée par la Cour au point 45 de l’ arrêt Metro II. En ce qui concerne l’ élimination de la concurrence, la Décision préciserait explicitement que certaines formes modernes de distribution ne sont pas écartées par principe et relèverait l’ existence d’ une concurrence entre les marques comme entre les distributeurs agréés. En ce qui concerne la « modification partielle » des méthodes de certaines formes modernes de distribution, la Commission aurait procédé à une juste appréciation de la situation telle qu’ elle se présente. Si la Décision ne précise pas les modifications à apporter à ces méthodes particulières de commercialisation, ce serait parce que celles-ci relèvent d’ une appréciation au cas par cas.

188 Les arguments des parties intervenantes soutiennent la position de la Commission.

Appréciation du Tribunal

189 Ainsi que la Commission l’ a fait valoir à juste titre, la motivation du point II.B de la Décision ne concerne que les aspects du Contrat considérés par elle comme relevant de l’ article 85, paragraphe 1, du traité, à savoir ceux concernant, notamment, la procédure d’ accès au réseau, le stockage, le montant minimal d’ achats annuels, la présence dans le point de vente de marques concurrentes, le lancement de nouveaux produits et la coopération publicitaire et promotionnelle. Or, dans son recours le Galec n’ a pas critiqué ces aspects du Contrat.

190 Quant au premier argument du Galec, selon lequel la Commission n’ envisage une amélioration de la production et de la distribution que dans le cadre de l’ « exclusivité », le Tribunal estime que la constatation de la Commission, au point II.B.2, premier alinéa, de la Décision, selon laquelle « une marque de cosmétiques de luxe ne saurait être distribuée qu’ en respectant sa vocation d’ exclusivité », se réfère au souci de la Commission de préserver le caractère exclusif ou luxueux des produits en cause (voir point II.B.3, deuxième alinéa). Cette phrase ne peut donc être interprétée comme signifiant que la grande distribution est exclue d’ office de la distribution des produits en cause et que la distribution de ces produits est réservée exclusivement aux canaux traditionnels tels que les parfumeries et les grands magasins au sens strict du terme.

191 Le Tribunal ayant déjà constaté que la Commission n’ avait pas l’ intention d’ exclure la grande distribution de la distribution des produits en cause (voir points 156 et suivants ci-dessus), l’ argument du Galec, selon lequel la Commission n’ aurait conçu l’ amélioration de la production et la distribution, au sens de l’ article 85, paragraphe 3, du traité, que dans un cadre qui exclut la grande distribution de la distribution des produits en cause, doit être rejeté.

192 Quant au deuxième argument du Galec, selon lequel la Commission aurait retenu une conception surannée des attentes des consommateurs, le Tribunal rappelle qu’ il a déjà rejeté les arguments portant sur les motivations des consommateurs aux points 166 et suivants ci-dessus.

193 En ce qui concerne le troisième argument du Galec, selon lequel la Commission aurait légitimé une absence totale de concurrence par les prix à l’ intérieur de la marque, le Tribunal a déjà constaté que le Galec n’ a pas apporté la preuve que tel est bien le cas (voir point 183 ci-dessus).

194 Pour ce qui est du quatrième argument du Galec, selon lequel la Commission aurait comparé la distribution sélective par détaillants spécialisés à la distribution généralisée, ignorant ainsi la possibilité d’ une distribution sélective par l’ intermédiaire d’ autres formes de commerce, le Tribunal constate que la Commission n’ a pas fait une telle comparaison.

195 Quant au cinquième argument du Galec, selon lequel l’ imposition d’ une « modification partielle de ses méthodes particulières de commercialisation » éliminerait la grande distribution du secteur des cosmétiques de luxe, il a été établi en cours d’ instance que la Décision n’ envisage pas l’ élimination de la grande distribution du secteur des cosmétiques de luxe. La référence à une « modification partielle de ses méthodes particulières de commercialisation » doit donc être interprétée comme exigeant des aménagements de ce type à l’ intérieur du magasin et non pas des aménagements de nature à altérer radicalement la nature même du magasin en tant que supermarché ou hypermarché. Bien qu’ il eût été souhaitable que la Décision précise ce point plus clairement, le fait que la Commission n’ a pas identifié, même en termes généraux, quelles sont les modifications à adopter n’ est pas en soi suffisant pour entacher la Décision d’ illégalité, étant donné notamment que les cas concrets seront soumis, le cas échéant, au contrôle des juridictions ou des autorités nationales compétentes.

196 Il s’ ensuit que les moyens et arguments du requérant tirés d’ une violation de l’ article 85, paragraphe 3, du traité doivent être rejetés.

197 Il résulte de l’ ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté, sauf en ce qui concerne la partie de la Décision précisée au point 148 ci-dessus.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

198 Aux termes de l’ article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’ il est conclu en ce sens. Selon l’ article 87, paragraphe 4, dernier alinéa, le Tribunal peut ordonner qu’ une partie intervenante autre qu’ un État membre ou une institution supporte ses propres dépens.

199 Le requérant ayant succombé en l’ essentiel de ses conclusions, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission, de même que les dépens de la partie intervenante Givenchy, destinataire de la Décision.

200 En ce qui concerne les parties intervenantes, la FIP, le Colipa et la FEPD, le Tribunal considère que l’ intérêt de ces trois associations à la solution du litige était moins direct que celui de Givenchy. S’ agissant d’ une affaire dans laquelle ces trois autres parties intervenantes ont exprimé des considérations générales dans l’ intérêt de leurs membres, sans ajouter d’ éléments décisifs aux arguments de la Commission, le Tribunal estime qu’ il sera fait une juste application de l’ article 87, paragraphe 4, dernier alinéa, du règlement de procédure en les condamnant à supporter leurs propres dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête:

1) La décision 92/428/CEE de la Commission, du 24 juillet 1992, relative à une procédure d’ application de l’ article 85 du traité CEE (IV/33.542 ° Système de distribution sélective de Parfums Givenchy), est annulée dans la mesure où elle décide qu’ une disposition autorisant Givenchy à défavoriser la candidature de distributeurs du seul fait que leur activité de parfumerie est minoritaire n’ est pas visée par l’ article 85, paragraphe 1, du traité.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Le requérant supportera les dépens de la Commission et de la partie intervenante Parfums Givenchy SA, ainsi que ses propres dépens.

4) Chacune des parties intervenantes, la Fédération des industries de la parfumerie, le Comité de liaison des syndicats européens de l’ industrie de la parfumerie et des cosmétiques et la Fédération européenne des parfumeurs détaillants, supportera ses propres dépens.

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Textes cités dans la décision

  1. Loi n°72-652 du 11 juillet 1972
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CJCE, n° T-88/92, Arrêt du Tribunal, Groupement d'achat Édouard Leclerc contre Commission des Communautés européennes, 12 décembre 1996