CJCE, n° C-212/96, Arrêt de la Cour, Paul Chevassus-Marche contre Conseil régional de la Réunion, 19 février 1998

  • Association des pays et territoires d'outre-mer·
  • Libre circulation des marchandises·
  • Mise en œuvre par le conseil·
  • Obligations des institutions·
  • Taxes d'effet équivalent·
  • Impositions intérieures·
  • Communauté européenne·
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  • Condition·
  • Fiscalité

Chronologie de l’affaire

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Conseil Constitutionnel · Conseil constitutionnel · 7 décembre 2018

Commentaire Décision n° 2018-750/751 QPC du 7 décembre 2018 Société Long Horn International et autre (Régime juridique de l'octroi de mer) Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêts nos 892 et 893 du même jour) de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) posées par la société Long Horn International et la société de distribution martiniquaise (Sodimar), relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 1er, 2, 4, 5, 6, 7, 28, 29 et 37 de …

 
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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 19 févr. 1998, Chevassus-Marche, C-212/96
Numéro(s) : C-212/96
Arrêt de la Cour du 19 février 1998. # Paul Chevassus-Marche contre Conseil régional de la Réunion. # Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion - France. # Octroi de mer - Régime fiscal des départements d'outre-mer - Décision 89/688/CEE - Taxes d'effet équivalant à un droit de douane - Impositions intérieures. # Affaire C-212/96.
Date de dépôt : 25 juin 1996
Précédents jurisprudentiels : 16 juillet 1992, Legros e.a. ( C-163/90, Rec. p. I-4625
27 février 1980, Commission/France, 168/78
arrêt du 7 novembre 1996, Cadi Surgelés e.a., C-126/94, Rec. p. I-5647
Lancry e.a. ( C-363/93 et C-407/93 à C-411/93, Rec. p. I-3957
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61996CJ0212
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1998:68
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61996J0212

Arrêt de la Cour du 19 février 1998. – Paul Chevassus-Marche contre Conseil régional de la Réunion. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion – France. – Octroi de mer – Régime fiscal des départements d’outre-mer – Décision 89/688/CEE – Taxes d’effet équivalant à un droit de douane – Impositions intérieures. – Affaire C-212/96.


Recueil de jurisprudence 1998 page I-00743


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


Association des pays et territoires d’outre-mer – Mise en oeuvre par le Conseil – Développement économique et social des départements français d’outre-mer – Obligations des institutions – Décision du Conseil autorisant temporairement et sous contrôle de la Commission des exonérations à l’octroi de mer appliqué dans les départements français d’outre-mer – Validité – Condition

(Traité CE, art. 9, 12, 13, 95, 226 et 227, § 2; décision du Conseil 89/688)

Sommaire


La décision 89/688 relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer, dans la mesure où elle autorise un système d’exonération, assorti d’une procédure de contrôle par la Commission, de la taxe dénommée «octroi de mer», en faveur des produits des départements français d’outre-mer, à condition que l’octroi d’une telle exonération respecte les conditions strictes qu’elle prévoit, n’est pas incompatible avec les articles 9, 12 et 13 du traité et les dérogations temporaires à l’article 95 qu’elle prévoit sont justifiées conformément à l’article 227, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 226 du traité.

En effet, il ressort de l’article 227, paragraphe 2, troisième alinéa, du traité que les institutions de la Communauté sont tenues d’utiliser pleinement les procédures prévues par le traité et notamment celles mentionnées à l’article 226 afin de permettre le développement économique et social des départements français d’outre-mer. Ce dernier article précise que les mesures urgentes de sauvegarde ne sauraient être adoptées unilatéralement par les États membres, mais nécessitent l’intervention des institutions communautaires qui ne peuvent autoriser que les dérogations strictement nécessaires et limitées dans le temps, choisissant prioritairement les mesures qui apportent le moins de perturbations au fonctionnement du marché commun.

A cet égard, l’imposition des conditions strictes prévues à l’article 2, paragraphe 3, de la décision 89/688, interprétées à la lumière des limites prévues à l’article 226 du traité pour déroger aux dispositions du traité, est apte à assurer la compatibilité du système des exonérations précisément déterminées avec les dispositions du traité.

Parties


Dans l’affaire C-212/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 177 du traité CE, par le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion (France) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Paul Chevassus-Marche

et

Conseil régional de la Réunion,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation des articles 9, 12, 13 et 95, deuxième alinéa, du traité CE, ainsi que sur l’interprétation et la validité de la décision 89/688/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer (JO L 399, p. 46),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H. Ragnemalm et M. Wathelet, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward (rapporteur), J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et L. Sevón, juges,

avocat général: M. G. Tesauro,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

— pour le conseil régional de la Réunion, par Me Pierre Soler-Couteaux, avocat au barreau de Strasbourg,

— pour le gouvernement français, par Mmes Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Anne de Bourgoing, chargé de mission à la même direction, en qualité d’agents,

— pour le Conseil de l’Union européenne, par M. Ramon Torrent, directeur du service juridique, en qualité d’agent,

— pour la Commission des Communautés européennes, par M. Michel Nolin, membre du service juridique, en qualité d’agent,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales du conseil régional de la Réunion, représenté par Me Katia Merten, avocat au barreau de Strasbourg, du gouvernement français, représenté par M. Jean-François Dobelle, directeur adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d’agent, et Mme Anne de Bourgoing, du Conseil, représenté par M. Ramon Torrent, et de la Commission, représentée par M. Michel Nolin, à l’audience du 15 janvier 1997,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 mars 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1 Par jugement du 5 juin 1996, parvenu à la Cour le 25 juin suivant, le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a posé, en application de l’article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l’interprétation des articles 9, 12, 13 et 95, deuxième alinéa, de ce traité, ainsi que sur l’interprétation et la validité de la décision 89/688/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer (JO L 399, p. 46).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un recours introduit par M. Chevassus-Marche, agent commercial domicilié en métropole, visant à obtenir l’annulation de la délibération du 11 décembre 1992 du conseil régional de la Réunion adoptant les nouveaux taux d’octroi de mer applicables dans ce département, au motif que les marchandises produites localement peuvent en être exonérées.

3 Selon le requérant au principal, cette délibération est incompatible avec la décision 89/688.

4 La décision 89/688 a été adoptée par le Conseil sur le fondement des articles 227, paragraphe 2, et 235 du traité CEE, tout comme la décision 89/687/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, instituant un programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité des départements français d’outre-mer (Poséidom) (JO L 399, p. 39, ci-après la «décision Poséidom»), décisions qui ont été adoptées le même jour.

5 Il y a lieu de relever que, en vertu d’une loi de 1946, une taxe dénommée «octroi de mer» (ci-après l'«ancien octroi de mer») a été perçue dans les départements d’outre-mer français (ci-après les «DOM»), frappant la totalité des marchandises de toute origine (y compris celles originaires de France métropolitaine et, en principe, également celles provenant des autres DOM) du fait de leur introduction dans le DOM concerné. En revanche, les produits de ce DOM étaient exonérés de l’ancien octroi de mer ou de toute taxe équivalente interne. La recette provenant de l’ancien octroi de mer servait essentiellement à financer, selon les règles de l’autonomie régionale, le budget des collectivités locales.

6 Selon le premier considérant de la décision 89/688, les pouvoirs d’action requis pour permettre le développement économique et social des DOM n’avaient pas été prévus à l’article 227, paragraphe 2, du traité, de sorte qu'«il convient en conséquence de recourir à l’article 235 du traité».

7 Selon le cinquième considérant, le régime de l’ancien octroi de mer comportait des éléments qui rendaient nécessaire sa réforme afin d’intégrer pleinement les DOM dans le processus d’achèvement du marché intérieur, tout en tenant compte de leurs structures économiques fragiles.

8 Il ressort du sixième considérant qu’il convenait d’aménager le régime de l’octroi de mer en un régime fiscal interne applicable à l’ensemble des produits commercialisés dans les DOM.

9 Il résulte du septième considérant que, afin de permettre la création, le maintien et le développement d’activités dans ces départements, il s’avérait opportun d’autoriser les autorités locales à exonérer, totalement ou partiellement, selon les besoins économiques, les activités locales de l’application de ce nouvel octroi de mer pour une période de temps ne dépassant pas, en principe, dix années.

10 Selon le neuvième considérant, au terme de cette période de dix années, le régime fiscal devra être pleinement conforme aux principes de l’article 95 du traité, étant entendu que des mesures de soutien visant les mêmes objectifs pourront toujours être prises dans le cadre des aides régionales et dans le respect des dispositions des articles 92, 93 et 94 du traité CE. La Commission devra soumettre, avant l’expiration du délai de dix ans, un rapport au Conseil sur l’application du régime et son incidence sur le développement des DOM, assorti, le cas échéant, d’une proposition visant à maintenir la possibilité d’exonérations.

11 L’article 1er de la décision 89/688 dispose:

«D’ici au 31 décembre 1992 au plus tard, les autorités françaises prennent les mesures nécessaires pour que le régime de l’octroi de mer actuellement en vigueur dans les départements d’outre-mer soit applicable indistinctement, selon les principes et modalités énoncés aux articles 2 et 3, aux produits introduits et aux produits obtenus dans ces régions.»

12 L’article 2 de cette même décision prévoit:

«1. La recette de la taxe est affectée par les autorités compétentes de chaque département d’outre-mer de manière à y favoriser le plus efficacement possible le développement économique et social. La Commission est informée dans les meilleurs délais des dispositions prises par les autorités compétentes en vue de la réalisation de cet objectif.

2. Les autorités compétentes de chaque département d’outre-mer fixent un taux d’imposition de base. Ce taux peut être modulé selon les catégories de produits. Cette modulation ne doit en aucun cas être de nature à maintenir ou à introduire des discriminations à l’encontre des produits en provenance de la Communauté.

3. Compte tenu des contraintes particulières des départements d’outre-mer et aux fins de la réalisation de l’objectif visé à l’article 227, paragraphe 2, du traité, des exonérations de la taxe, partielles ou totales selon les besoins économiques, peuvent être autorisées en faveur des productions locales pour une période ne dépassant pas dix ans à partir de l’introduction du système de taxe en question, dans les conditions prévues à l’article 3. Ces exonérations doivent contribuer à la promotion ou au maintien d’une activité économique dans les départements d’outre-mer et s’insérer dans la stratégie de développement économique et social de chaque département d’outre-mer, compte tenu de son cadre communautaire d’appui, sans être pour autant de nature à altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

Les régimes d’exonération retenus par les autorités compétentes de chaque département d’outre-mer sont notifiés à la Commission, qui en informe les États membres et prend position dans un délai de deux mois sur la base des critères indiqués ci-dessus. Si la Commission ne s’est pas prononcée dans ce délai, le régime est réputé approuvé.

La Commission présente au Conseil un rapport sur l’application du régime d’exonération au plus tard cinq ans après l’introduction du système de la taxe en question.»

13 L’article 3 de la décision 89/688 dispose:

«Un an au plus tard avant l’expiration du délai prévu à l’article 2, paragraphe 3, la Commission soumet au Conseil un rapport sur l’application du régime visé à l’article 2, afin de vérifier l’incidence des mesures prises sur l’économie des départements d’outre-mer et leur contribution à la promotion ou au maintien des activités économiques locales. Ce rapport doit faire notamment état de l’effet du système de taxe en question sur le rattrapage économique et social des départements d’outre-mer, en prenant notamment comme critères le taux de chômage, la balance commerciale, le produit intérieur brut régional, ainsi que sur la libre circulation des produits à l’intérieur de la Communauté et sur la coopération régionale entre les départements d’outre-mer et leurs voisins.

Compte tenu des conclusions du rapport visé au premier alinéa, la Commission, en prenant en considération l’objectif de développement économique et social des départements d’outre-mer visé à l’article 227, paragraphe 2, du traité, soumet, le cas échéant, simultanément au Conseil une proposition visant à maintenir la possibilité d’exonérations.

Des mesures de soutien visant les mêmes objectifs peuvent être prises dans le cadre des aides régionales.»

14 Selon l’article 4 de la décision 89/688, la République française était autorisée à maintenir jusqu’au 31 décembre 1992 au plus tard, et dans l’attente de la mise en application de la réforme prévue à l’article 1er, l’ancien octroi de mer.

15 Enfin, l’article 5 dispose que la République française est destinataire de la décision.

16 La République française a adopté, le 17 juillet 1992, la loi n_ 92-676 relative à l’octroi de mer et portant mise en oeuvre de la décision 89/688 (ci-après le «nouvel octroi de mer»).

17 La juridiction de renvoi estime que la solution du litige dont elle est saisie implique une appréciation de la conformité de la décision 89/688 avec le traité, pour autant que cette décision permet, en son article 2, paragraphe 3, d’exonérer du nouvel octroi de mer la production locale des entreprises situées dans les DOM. Elle a donc sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) La décision 89/688/CEE du Conseil, qui autorise le maintien de l’octroi de mer appliqué aux produits importés aussi bien qu’aux marchandises produites par des entreprises situées dans un département d’outre-mer, est-elle conforme au traité et plus précisément à ses articles 9, 12 et 13 en ce qu’elle admet la possibilité d’exonération au bénéfice des entreprises locales, sous la seule réserve que celles-ci contribuent au développement ou au maintien d’une activité économique?

2) Au cas où il serait répondu positivement à la première question: la décision 89/688 peut-elle être regardée, au regard des dispositions de l’article 95, deuxième alinéa, du traité CE, comme permettant une différenciation fiscale poursuivant des objectifs économiques compatibles avec les exigences du traité et du droit dérivé et justifiée par les conditions économiques propres aux départements d’outre-mer?»

18 Par ces deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la validité de la décision 89/688. Ces questions portent en effet sur la conformité de l’article 2, paragraphe 3, de cette décision avec les dispositions des articles 9, 12, 13 et 95 du traité, en ce qu’il autorise l’exonération totale des produits des DOM par rapport à ceux qui sont importés ou, à tout le moins, opère une différenciation entre ces deux catégories de produits en ce qui concerne le taux de la taxe.

19 Il y a lieu de souligner qu’il ne s’agit pas, dans la présente affaire, d’apprécier les modalités d’application de la décision 89/688.

20 A titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une même imposition ne peut pas simultanément appartenir à la catégorie des taxes d’effet équivalant à un droit de douane, au sens des articles 9 et 12, et à celle des impositions intérieures, au sens de l’article 95 du traité (arrêt du 7 mai 1987, Co-Frutta, 193/85, Rec. p. 2085, points 8 à 11). La caractéristique essentielle d’une taxe d’effet équivalant à un droit de douane et qui la distingue d’une imposition intérieure est que la première frappe exclusivement le produit importé en tant que tel, tandis que la seconde frappe à la fois les produits importés et les produits nationaux, appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l’origine des produits (voir arrêt du 3 février 1981, Commission/France, 90/79, Rec. p. 283, points 12 à 14).

21 Dans les arrêts du 16 juillet 1992, Legros e.a. (C-163/90, Rec. p. I-4625), et du 9 août 1994, Lancry e.a. (C-363/93 et C-407/93 à C-411/93, Rec. p. I-3957), la Cour a dit pour droit qu’une taxe telle que l’ancien octroi de mer, qui frappait uniquement les importations dans les DOM, constituait une taxe d’effet équivalant à un droit de douane à l’importation.

22 Dès lors, s’agissant des produits en provenance de la Communauté, y compris de France métropolitaine, ou de pays liés par un accord de libre-échange, la Cour a jugé une taxe telle que l’ancien octroi de mer incompatible avec les dispositions du traité (voir arrêt Lancry e.a., précité) ou de l’accord (voir arrêt Legros e.a., précité). Par conséquent, la Cour a déclaré la décision 89/688 invalide en tant que, en son article 4, elle autorisait la République française à maintenir en vigueur, jusqu’au 31 décembre 1992, le régime de l’ancien octroi de mer (arrêt Lancry e.a., précité, point 2 du dispositif).

23 S’agissant des produits en provenance de pays tiers non liés par un tel accord, la Cour a également jugé une taxe telle que l’ancien octroi de mer incompatible avec le traité sauf si, eu égard à toutes ses caractéristiques essentielles, elle devait être considérée comme une taxe existant au 1er juillet 1968, à condition toutefois que le niveau de la taxe n’ait pas été augmenté (arrêt du 7 novembre 1996, Cadi Surgelés e.a., C-126/94, Rec. p. I-5647).

24 Dans l’arrêt du 7 décembre 1995, Ayuntamiento de Ceuta (C-45/94, Rec. p. I-4385), la Cour a examiné la compatibilité avec le traité d’un régime d’imposition qui frappe, en principe, tant les produits locaux que les produits importés, mais qui prévoit l’exonération de produits locaux. La Cour a jugé que, pour déterminer si une telle taxe est à qualifier de taxe équivalant à un droit de douane, relevant des articles 9 et 12 du traité, ou d’imposition interne, relevant de l’article 95 du traité, elle doit être analysée par rapport au libellé des textes qui l’imposent ainsi qu’en relation avec la manière dont l’administration l’applique. Une taxe de nature à frapper les produits importés ou certaines catégories de ceux-ci, à l’exclusion des produits locaux de même catégorie, serait, en tout état de cause, incompatible avec le traité.

25 Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que la Cour a jugé dans son arrêt du 22 mars 1977, Steinike et Weinlig (78/76, Rec. p. 595, points 28 et 30), que, s’il s’agissait d’une taxe exigée à l’occasion ou en raison de l’importation et frappant spécifiquement un produit importé à l’exclusion du produit national similaire, elle aurait sur la libre circulation des marchandises la même incidence restrictive qu’un droit de douane et serait donc incompatible avec les articles 9, 12, et 13 du traité. Si, en revanche, le prélèvement en question relevait d’un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères, il pourrait néanmoins enfreindre l’article 95, dès lors qu’il frapperait les produits nationaux et les produits importés de manière différente dans le taux, dans l’assiette ou dans les modalités de perception.

26 Or, il résulte du libellé même de l’article 2, paragraphe 3, de la décision 89/688 que cette disposition autorise un système d’exonération, totale ou partielle, du nouvel octroi de mer en faveur des produits des DOM. Un tel système d’exonération serait, en principe, contraire aux dispositions précitées du traité. D’ailleurs, le neuvième considérant de la décision 89/688 reconnaît l’incompatibilité du système d’exonération qu’elle prévoit avec les dispositions de l’article 95 du traité.

27 Il convient, toutefois, d’examiner si le traité permet au Conseil d’autoriser un système d’exonération de la production locale, tel que prévu par la décision 89/688, assorti d’une procédure de contrôle par la Commission, à titre temporaire et transitoire. Il est constant, à cet égard, que seul l’article 227 du traité, éventuellement lu en combinaison avec l’article 235, serait susceptible de fournir la base juridique d’une telle dérogation.

28 L’article 227, paragraphe 2, premier alinéa, du traité prévoit que sont applicables aux DOM, dès l’entrée en vigueur du traité, les dispositions particulières et générales du traité relatives:

— à la libre circulation des marchandises, – à l’agriculture, à l’exception de l’article 40, paragraphe 4, – à la libération des services, – aux règles de concurrence, – aux mesures de sauvegarde prévues aux articles 109 H, 109 I et 226, – aux institutions.

29 L’article 227, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité prévoit que les conditions d’application des dispositions du traité autres que celles énumérées au premier alinéa seront déterminées au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur du traité par des décisions du Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission.

30 L’article 227, paragraphe 2, troisième alinéa, du traité charge les institutions de la Communauté de veiller, dans le cadre des procédures prévues par le traité et notamment de l’article 226 du traité, à permettre le développement économique et social des DOM.

31 Aux termes de l’article 226 du traité:

«1. Au cours de la période de transition, en cas de difficultés graves et susceptibles de persister dans un secteur de l’activité économique ainsi que de difficultés pouvant se traduire par l’altération grave d’une situation économique régionale, un État membre peut demander à être autorisé à adopter des mesures de sauvegarde permettant de rééquilibrer la situation et d’adapter le secteur intéressé à l’économie du marché commun.

2. Sur demande de l’État intéressé, la Commission, par une procédure d’urgence, fixe sans délai les mesures de sauvegarde qu’elle estime nécessaires, en précisant les conditions et les modalités d’application.

3. Les mesures autorisées aux termes du paragraphe 2 peuvent comporter des dérogations aux règles du présent traité, dans la mesure et pour les délais strictement nécessaires pour atteindre les buts visés au paragraphe 1. Par priorité devront être choisies les mesures qui apportent le moins de perturbations au fonctionnement du marché commun.»

32 Dans l’arrêt du 10 octobre 1978, Hansen (148/77, Rec. p. 1787, point 9), la Cour a rappelé que l’article 227, paragraphe 2, a prévu que l’application du traité aux DOM se ferait par étapes en ménageant, au surplus, les plus larges possibilités de prévoir des dispositions particulières, adaptées aux exigences spécifiques de ces parties du territoire français.

33 En ce qui concerne les matières figurant à l’article 227, paragraphe 2, premier alinéa, la Cour a constaté, au point 10 de l’arrêt Hansen, précité, que cet alinéa indique de manière précise certains chapitres et articles qui sont applicables dès l’entrée en vigueur du traité.

34 A cet égard, il y a lieu d’observer que «les règles de concurrence», qui constituent le chapitre I de l’ancien titre I de la troisième partie du traité, intitulé «Les règles communes», qui est devenu le titre V du traité, intitulé «Les règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations», figurent parmi les dispositions mentionnées à l’article 227, paragraphe 2, premier alinéa, alors que les «Dispositions fiscales» qui constituent le chapitre 2 du même titre V n’y figurent pas.

35 Il convient ensuite de rappeler que la Cour a jugé, dans l’arrêt Hansen, précité, point 10, que l’article 95 du traité, qui fait partie de ces dispositions fiscales, n’était pas applicable aux DOM dès l’entrée en vigueur du traité. En revanche, en l’absence de décisions prises par le Conseil sur proposition de la Commission au titre de l’article 227, paragraphe 2, deuxième alinéa, toutes les autres dispositions du traité, y compris l’article 95, devenaient applicables de plein droit aux DOM.

36 Dans l’arrêt Lancry e.a., précité, point 37, la Cour a précisé que l’article 227, paragraphe 2, en autorisant explicitement le Conseil à déterminer les conditions d’application uniquement des dispositions du traité qui ne sont pas énumérées au premier alinéa, exclut la possibilité de déroger à l’application dans les DOM des dispositions qui y sont mentionnées, y compris celles relatives à la libre circulation des marchandises. Interpréter l’article 235 du traité en ce sens qu’il permet au Conseil de suspendre, ne serait-ce qu’à titre temporaire, l’application dans les DOM des articles 9, 12 et 13 du traité méconnaîtrait la distinction fondamentale établie par l’article 227, paragraphe 2, et priverait d’effet utile son premier alinéa.

37 Il s’ensuit que le Conseil ne peut pas, en tout état de cause, autoriser un système d’exonération d’ordre général ou systématique susceptible d’aboutir à la réintroduction d’une taxe équivalant à un droit de douane contraire aux articles 9, 12 et 13 du traité.

38 Selon le gouvernement français et la Commission, l’article 227, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, lu en combinaison avec son troisième alinéa, permet au Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, même une fois le délai de deux ans après l’entrée en vigueur du traité expiré, de moduler l’application aux DOM des dispositions du traité autres que celles figurant au premier alinéa, dont l’article 95 du traité. Ils rappellent, à cet égard, que la Cour, dans l’arrêt Hansen, précité, point 10, a reconnu la possibilité, après l’entrée en vigueur pour les DOM de l’ensemble des dispositions du traité, de prévoir ultérieurement des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires. Les exonérations autorisées par la décision 89/688 seraient ainsi justifiées par l’article 227, paragraphe 2, troisième alinéa, du traité, compte tenu des graves difficultés économiques auxquelles les DOM sont confrontés et qui sont dues à leur insularité, à leur éloignement et à leurs besoins spécifiques de développement.

39 La Commission invoque, par voie d’analogie, le régime des aides d’État. Des exonérations fiscales en faveur des productions locales et en faveur des entreprises productrices locales pourraient ainsi constituer des mesures d’aide au développement économique et social des DOM en tant que régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi.

40 Il ressort, en effet, de l’article 227, paragraphe 2, troisième alinéa, du traité que les institutions de la Communauté sont tenues d’utiliser pleinement les procédures prévues par le traité et notamment celles mentionnées à l’article 226 afin de permettre le développement économique et social des DOM.

41 S’il est vrai que l’article 226 du traité ne s’appliquait, selon ses propres termes, que pendant la période de transition, il y a lieu d’observer que l’article 227, paragraphe 2, troisième alinéa, du traité renvoie aux procédures prévues à cet article. En effet, celui-ci précise que les mesures urgentes de sauvegarde ne sauraient être adoptées unilatéralement par les États membres, mais nécessitent l’intervention des institutions communautaires qui ne peuvent autoriser que les dérogations strictement nécessaires et limitées dans le temps, choisissant prioritairement les mesures qui apportent le moins de perturbations au fonctionnement du marché commun.

42 De telles conditions limitatives de la possibilité de déroger aux règles du traité sont d’autant plus nécessaires dans le présent contexte que, parmi les dispositions du traité s’appliquant aux DOM dès l’expiration du délai de deux ans, figurent non seulement l’article 95 du traité qui constitue un complément aux dispositions relatives à la suppression des droits de douane et des taxes d’effet équivalent (arrêt du 27 février 1980, Commission/France, 168/78, Rec. p. 347, point 4), mais également les dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs et d’autres personnes physiques et morales. En effet, il ne saurait être admis que la jouissance, par les ressortissants communautaires, des droits consacrés par les dispositions du traité visées à l’article 227, paragraphe 2, deuxième alinéa, droits faisant partie de leur patrimoine juridique, soit susceptible d’être altérée, au fil du temps, par des décisions du Conseil.

43 Il y a donc lieu d’examiner la décision 89/688 pour vérifier si elle respecte les conditions précitées.

44 Il convient de rappeler, en premier lieu, que la décision 89/688 a été adoptée par le Conseil sur le fondement des articles 227, paragraphe 2, et 235 du traité, à la suite de la décision Poséidom. Le programme prévu par cette dernière décision renforce le soutien apporté par la Communauté aux DOM en vue de promouvoir leur développement économique et social, ceux-ci subissant en effet un retard structurel important.

45 En deuxième lieu, le système d’exonération autorisé par l’article 2, paragraphe 3, de la décision 89/688 constitue une exception à la règle générale, formulée aux articles 1er et 2 de cette même décision, selon laquelle le régime du nouvel octroi de mer s’impose indistinctement aux produits introduits et aux produits obtenus dans les DOM.

46 En troisième lieu, le système d’exonération, en tant que mesure de soutien aux productions locales qui subissent des difficultés liées à leur éloignement et à leur insularité, est assorti de conditions strictes.

47 Tout d’abord, selon l’article 2, paragraphe 3, premier alinéa, de la décision 89/688, les exonérations doivent contribuer à la promotion ou au maintien d’une activité économique et sociale dans les DOM et s’insérer dans la stratégie de développement économique et social de chaque DOM, compte tenu de son cadre communautaire d’appui.

48 Ce cadre communautaire d’appui est réservé aux interventions structurelles communautaires et est établi par la Commission sur le fondement d’un plan de développement régional présenté par l’État membre concerné et prévu par le règlement (CEE) n_ 2081/93 du Conseil, du 20 juillet 1993, modifiant le règlement (CEE) n_ 2052/88 concernant les missions des Fonds à finalité structurelle, leur efficacité ainsi que la coordination de leurs interventions entre elles et celles de la Banque européenne d’investissement et des autres instruments financiers existants (JO L 193, p. 5).

49 La décision n’autorise donc que les exonérations nécessaires, proportionnelles et précisément déterminées.

50 Ensuite, selon l’article 2, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la décision 89/688, le régime d’exonération est notifié à la Commission qui prend position, dans un délai de deux mois, sur la base des conditions imposées pour bénéficier d’une exonération – conditions parmi lesquelles figure celle de ne pas altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun -, ce qui permet un contrôle strict, par la Commission, des productions locales bénéficiant de ladite exonération.

51 Enfin, selon l’article 3, premier alinéa, de la décision 89/688, la Commission doit soumettre au Conseil un rapport sur l’application du régime d’exonération afin de vérifier son incidence sur, notamment, la libre circulation des produits à l’intérieur de la Communauté.

52 Il y a lieu de constater que l’imposition des conditions strictes prévues à l’article 2, paragraphe 3, de la décision 89/688, interprétées à la lumière des limites prévues à l’article 226 du traité pour déroger aux dispositions du traité, est apte à assurer la compatibilité du système des exonérations précisément déterminées avec les dispositions du traité.

53 Il s’ensuit que la décision 89/688, dans la mesure où elle autorise un système d’exonération de la taxe dénommée «octroi de mer», à condition que l’octroi d’une telle exonération respecte les conditions strictes qu’elle prévoit, n’est pas incompatible avec les articles 9, 12 et 13 du traité et que les dérogations temporaires à l’article 95 qu’elle prévoit sont justifiées conformément à l’article 227, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 226 du traité.

54 Par conséquent, il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi que l’examen de la décision 89/688, en ce qu’elle autorise un système d’exonération de la taxe dénommée «octroi de mer» assorti de conditions strictes qu’elle prévoit, n’a fait apparaître aucun élément de nature à affecter sa validité.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

55 Les frais exposés par le gouvernement français ainsi que par le Conseil de l’Union européenne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion, par jugement du 5 juin 1996, dit pour droit:

L’examen de la décision 89/688/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer, en ce qu’elle autorise un système d’exonération de la taxe dénommée «octroi de mer» assorti de conditions strictes qu’elle prévoit, n’a fait apparaître aucun élément de nature à affecter sa validité.

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CJCE, n° C-212/96, Arrêt de la Cour, Paul Chevassus-Marche contre Conseil régional de la Réunion, 19 février 1998