Tribunal administratif d'Amiens, 4ème chambre, 29 décembre 2023, n° 2003803

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Amiens, 4e ch., 29 déc. 2023, n° 2003803
Juridiction : Tribunal administratif d'Amiens
Numéro : 2003803
Type de recours : Plein contentieux
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 6 janvier 2024

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 novembre 2020, le 3 juin 2021, le 7 février 2022 et le 29 avril 2022, Mme B C, représentée par Me Salquain, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sur son recours préalable en date du 9 juillet 2020, notifié le 17 juillet 2020 ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme totale de 467 000 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) d’enjoindre au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse de reconstituer sa carrière en appliquant les critères les plus favorables de sorte qu’elle puisse disposer d’une rémunération au moins égale ou supérieure à la rémunération des fonctionnaires de catégorie A entrés au service de l’éducation nationale depuis 1990 ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— le contentieux a été valablement lié par sa demande du 9 juillet 2020 ;

— la décision de rejet de son recours indemnitaire préalable est insuffisamment motivée ;

— les dispositions régissant l’avancement des instituteurs et professeurs des écoles sont entachées d’un détournement de pouvoir en ce que le recours à des commissions administratives paritaires composées pour moitié de représentants du personnel favorisait jusqu’au 1er janvier 2020 « le copinage » et la nomination de professeurs syndiqués ou ayant occupé un mandat électif ;

— les dispositions du 1er août 1990 et les circulaires annuelles relatives à l’avancement, à la classification et à la rémunération des professeurs des écoles constituent une discrimination méconnaissant le principe « à travail égal, salaire égal » et le principe d’égalité contenu dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 119 du Traité de Rome, correspondant aujourd’hui à l’article 157 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la directive 75/117/CE du 10 février 1975, la charte pour la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique du 17 décembre 2013 et la circulaire du 3 avril 2017 relative à la mise en œuvre de la politique d’égalité et de lutte contre les discriminations dans la fonction publique ;

— il existe une discrimination salariale dès lors qu’il n’est pas démontré par l’administration que les fonctionnaires classés en catégorie A à la sortie de leur formation à partir des décrets de 1990 seraient placés dans des conditions d’exercice différentes de la profession de maître d’école qui justifierait juridiquement l’existence d’un corps autonome de professeur des écoles auquel les instituteurs ne pourraient accéder que par liste d’aptitude, après des années d’exercice, en étant rétrogradés dans leur échelon et en subissant une baisse de leur notation ; il n’existe aucun intérêt légitime à appliquer une différence de traitement à des agents occupés exactement aux mêmes fonctions, sans restriction de compétences, ni de tâches pour la catégorie B ;

— si nécessaire, il y a lieu pour le tribunal de saisir la cour de justice de l’Union européenne de la question préjudicielle tirée de savoir si les sous-classifications professionnelles et les différents critères existants au sein du corps des professeurs des écoles pour fixer leur rémunération individuelle, entrent en contradiction avec les dispositions de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 119 du traité de Rome et la directive 75/117 des communautés européennes.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 avril 2021 et 8 juin 2022, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse conclut à l’irrecevabilité de la requête ainsi qu’à son rejet.

Il soutient que :

— la requête est irrecevable dès lors que le recours indemnitaire préalable du 9 juillet 2020 a été introduit par le « Collectif des oubliés », qui ne peut justifier légalement d’un mandat lui donnant qualité pour présenter une demande pour le compte de la requérante et que ce recours n’a pu, par conséquent, lier le contentieux au sens des dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative ;

— les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 10 juin 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 12 juillet 2022.

Un mémoire présenté pour Mme C a été enregistré au greffe le 2 décembre 2022 après la clôture de l’instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la Constitution, notamment son Préambule ;

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

— le traité instituant la Communauté économique européenne, devenu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

— la directive 75/117/CEE du Conseil du 10 février 1975 ;

— la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

— la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

— le décret n° 51-1423 du 5 décembre 1951 ;

— le décret n° 90-680 du 1er août 1990 ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Binand, président,

— et les conclusions de Mme Minet, rapporteure publique.

Une note en délibéré présentée pour Mme C a été enregistrée au greffe le 2 mai 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B C alors institutrice, a été intégrée après 1990 dans le corps des professeurs des écoles. Par un courrier en date du 9 juillet 2020, reçu par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse le 17 juillet 2020, elle a demandé à l’Etat de l’indemniser à hauteur de 467 000 euros des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison de l’inégalité salariale entre les professeurs des écoles issus du corps des instituteurs et les professeurs des écoles nommés à partir de 1990. Par un courrier du 21 septembre 2020, Mme C a demandé à l’administration de lui communiquer les motifs de la décision implicite de rejet de sa demande. En l’absence de réponse, Mme C par une requête enregistrée le 25 novembre 2020, demande au tribunal d’annuler cette décision et de condamner l’Etat à lui verser la somme de 467 000 euros en réparation de ses préjudices.

Sur les conclusions à fin d’annulation de la décision du 18 septembre 2020 :

2. La décision par laquelle le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse a implicitement rejeté la réclamation indemnitaire de Mme C a eu pour seul effet de lier le contentieux. Au regard de l’objet d’une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l’intéressée à percevoir la somme qu’elle réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Il en résulte que les conclusions à fin d’annulation de la décision du 18 septembre 2020 présentées par Mme C ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

3. Mme C soutient que l’Etat a entaché le décret du 1er août 1990 portant statut particulier des professeurs des écoles d’une illégalité fautive en ne respectant pas le principe d’égalité salariale et de carrière entre d’une part les instituteurs, d’autre part les instituteurs intégrés dans le corps des professeurs des écoles à partir de 1990 et enfin les professeurs des écoles nommés directement dans ce corps à partir de 1990.

4. Aux termes de l’article 58 de la loi du 11 janvier 1984, dans sa version en vigueur du 7 juillet 2010 au 8 août 2019, " L 'avancement de grade a lieu de façon continue d’un grade au grade immédiatement supérieur. Il peut être dérogé à cette règle dans les cas où l’avancement est subordonné à une sélection professionnelle. L’avancement de grade peut être subordonné à la justification d’une durée minimale de formation professionnelle au cours de la carrière. / Sauf pour les emplois laissés à la décision du Gouvernement, l’avancement de grade a lieu, selon les proportions définies par les statuts particuliers, suivant l’une ou plusieurs des modalités ci-après : 1° Soit au choix, par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle des agents et des acquis de l’expérience professionnelle des agents ; 2° Soit par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, après une sélection par voie d’examen professionnel ; 3° Soit par sélection opérée exclusivement par voie de concours professionnel ".

5. Aux termes des articles 24 et 25 du décret du 1er août 1990 dans leur version en vigueur jusqu’au 1er janvier 2020, « le tableau d’avancement est arrêté chaque année, dans chaque département, par le recteur, après avis de la commission administrative paritaire compétente, selon des orientations définies par le ministre chargé de l’éducation nationale. »

6. En premier lieu, Mme C soutient qu’en confiant aux commissions administratives paritaires la compétence d’établir les listes académiques dont dépend l’avancement d’un professeur des écoles, l’Etat a méconnu le principe d’égalité de traitement et d’avancement basé sur la seule compétence professionnelle, en faisant valoir, pour cela, que le recours à des commissions composées pour moitié de représentants du personnel favorisait jusqu’au 1er janvier 2020 « le copinage » et la nomination de professeurs syndiqués ou ayant occupé un mandat électif. Toutefois, d’une part, il résulte des articles 24 et 25 du décret du 1er août 1990, cités au point 5, que la compétence d’arrêter le tableau d’avancement appartient au seul recteur qui jusqu’au 1er janvier 2020, conformément à l’article 58 de la loi du 11 janvier 1984, consultait pour avis la commission administrative paritaire. D’autre part, il ne résulte pas de l’instruction que la consultation des commissions administratives paritaires départementales ait donné lieu à des différences de traitements illégales ou constitutives de discriminations entre les professeurs de écoles issus du corps des instituteurs et les professeurs des écoles nommés à partir de 1990. Par conséquent, la requérante n’est pas fondée à invoquer la méconnaissance du principe d’égalité entre professeurs des écoles en raison de l’avis donné au recteur par la commission administrative paritaire avant le 1er janvier 2020.

7. En deuxième lieu, s’agissant des règles régissant les fonctionnaires, le principe d’égalité n’est en principe susceptible de s’appliquer qu’entre les agents appartenant à un même corps, sauf à ce que la norme en cause ne soit, en raison de son contenu, pas limitée à un même corps ou à un même cadre d’emplois de fonctionnaires. Il en découle que la requérante ne peut utilement invoquer le principe d’égalité pour contester la différence de traitement dont les instituteurs et les professeurs des écoles feraient l’objet dans le déroulement de leur carrière à raison de l’appartenance de leur corps respectif à des catégories différentes. En outre, le décret du 1er août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, prévoir des règles différentes pour le classement des agents intégrant le corps des professeurs des écoles par la voie de concours externes, d’une part, et le reclassement avec reprise d’ancienneté des fonctionnaires qui appartenaient au corps des instituteurs intégrant ce corps par la voie de concours internes ou d’inscription sur des listes d’aptitude, d’autre part, dès lors que ces règles ne s’appliquent qu’à l’entrée dans le corps et que la carrière des agents recrutés par les différentes voies est ensuite régie par les mêmes dispositions. A cet égard, la circonstance que l’application des dispositions du décret du 1er août 1990 et du décret du 5 décembre 1951 portant règlement d’administration publique pour la fixation des règles suivant lesquelles doit être déterminée l’ancienneté du personnel nommé dans l’un des corps de fonctionnaires de l’enseignement relevant du ministère de l’éducation nationale, qui prennent en compte, pour les agents nommés professeurs des écoles ayant antérieurement la qualité de fonctionnaire, l’échelon détenu dans leur ancien corps, entraîne pour eux, dans certains cas, un classement moins favorable que celui des agents non titulaires nommés dans ce même corps, ne méconnaît pas le principe de l’égalité de traitement entre fonctionnaires d’un même corps, dès lors que les dispositions ne s’appliquent qu’à l’entrée dans le corps et que la carrière des agents est ensuite régie par les mêmes dispositions, quel qu’ait été leur statut avant leur entrée dans le corps. Enfin, en tout état de cause, le principe d’égalité n’étant pas méconnu, le principe « à travail égal, salaire égal » ne peut, être utilement invoqué.

8. En troisième lieu, si la requérante invoque une méconnaissance de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, elle ne se prévaut d’aucun droit ou liberté reconnu par la convention à la jouissance desquels le décret du 1er août 1990 porterait atteinte de manière discriminatoire. Ce moyen ne peut, dès lors et en tout état de cause, qu’être écarté.

9. En quatrième lieu, il ne résulte pas davantage de l’instruction que les conditions de rémunération des fonctionnaires du corps des professeurs des écoles telles qu’elles sont fixées par les dispositions réglementaires applicables aux agents de ce corps méconnaissent le principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins. Dès lors, et sans qu’il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, doivent être écartés les moyens tirés, respectivement, de la violation de l’article 119 du Traité de Rome, correspondant aujourd’hui à l’article 157 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et de la directive 75/117/CE du 10 février 1975, cette directive ayant, au demeurant, été abrogée par une directive n° 2006/54/CE1 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, transposée en droit interne par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 et le décret n° 2008-799 du 20 août 2008.

10. En cinquième lieu, les moyens tirés de l’atteinte portée, par le décret du 1er août 1990, à la charte pour la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique et à la circulaire du 3 avril 2017 relative à la mise en œuvre de la politique d’égalité, de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité dans la fonction publique, doivent être écartés comme dépourvus des précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C ne peut se prévaloir d’aucune illégalité fautive de nature à lui ouvrir droit à réparation des préjudices qu’elle invoque ni davantage au prononcé, par le tribunal, de l’injonction à reconstitution de carrière qu’elle sollicite. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, la requête de Mme C doit être rejetée en toutes ses conclusions, en ce compris celles présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B C et au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l’audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :

— M. Binand, président,

— Mme Beaucourt, conseillère,

— M. A, magistrat honoraire.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé

C. BINANDL’assesseure la plus ancienne

dans l’ordre du tableau,

Signé

P. BEAUCOURT

Le greffier,

Signé

N. VERJOT

La République mande et ordonne au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun entre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent jugement.

N°2003803

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