Tribunal administratif de Nice, 30 décembre 2023, n° 2306478

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Nice, 30 déc. 2023, n° 2306478
Juridiction : Tribunal administratif de Nice
Numéro : 2306478
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 2 janvier 2024

Sur les parties

Texte intégral

Vu les procédures suivantes :

I). Par une requête, enregistrée sous le n° 2306478, le 29 décembre 2023, l’association Ligue des Droits de l’Homme (LDH), prise en la personne de son président en exercice, et l’association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), prise en la personne de son représentant légal, représentées par Me Lendom, demandent au juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’arrêté du 27 décembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit la manifestation de soutien au peuple palestinien organisée par le Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, le samedi 30 décembre 2023, de 15 h 30 à 17 h 00, place Garibaldi, à Nice ;

2°) de suspendre la décision du préfet des Alpes-Maritimes révélée par les arrêtés précédents et les prises de position publiques d’interdire systématiquement les manifestations projetées par les mêmes requérants et ayant le même objet ;

3°) d’enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de supprimer de son compte X et des autres comptes réseaux sociaux toute publication non mise à jour informant de l’interdiction de la manifestation projetée, dans un délai d’une demi-heure suivant la notification de l’arrêté aux parties ;

4°) de mettre à la charge de l’État une somme de 4 000 euros à chacune des associations requérantes en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

— la situation d’urgence est remplie, dès lors que l’administration interdit une manifestation prévue le lendemain ; depuis le 28 octobre 2023, les 9 manifestations, qui ont fait l’objet d’interdictions préfectorales, n’ont entraîné aucun incident ;

— il est porté une atteinte illégale et disproportionnée aux libertés fondamentales d’expression et de réunion ; aucun des motifs évoqués par le préfet dans sa décision en litige ne peut justifier une telle atteinte à ces libertés ;

— une manifestation ne peut être interdite du seul fait qu’elle a pour objet de soutenir la population palestinienne ; les actes antisémites constatés à Nice ne peuvent, en aucun cas, être rattachés au Collectif ; l’impossibilité de maintenir l’ordre public n’est pas démontrée ;

— la méconnaissance alléguée de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 dans la décision en litige est dénuée de tout fondement ;

— l’arrêté est disproportionné ; le risque de trouble à l’ordre public allégué n’est pas établi ;

— il existe une décision d’interdiction systématique des manifestations organisées par les mêmes requérants, portant sur le même objet et ayant le même parcours et la même durée ; une telle décision, alors qu’aucune circonstance nouvelle ne peut le justifier, porte une atteinte grave et immédiate aux libertés fondamentales de manifestation, d’expression et au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion ainsi qu’au droit à un recours effectif ; ces interdictions systématiques sont constitutives d’un harcèlement envers les associations composant le Collectif pour la paix ;

— il doit être enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de supprimer toute publication sur l’ensemble des réseaux sociaux animés par la préfecture dans la demi-heure suivant la notification de la décision aux parties.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2023, le préfet des Alpes-Maritimes conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

— l’existence d’une condition d’urgence n’est pas établie ;

— les moyens soulevés par les associations requérantes ne sont pas fondés à l’encontre d’une décision nécessaire, adaptée et justifiée par une menace prévisible à l’ordre public ; le département des Alpes-Maritimes est un des départements les plus touchés par le nombre d’actes antisémites dont certains se sont matérialisés à l’occasion de rassemblements contre l’antisémitisme.

II). Par une requête, enregistrée sous le n° 2306480 le 29 décembre 2023, l’association comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), prise en la personne de son président en exercice, et l’association France Palestine Solidarité (AFPS), section de Nice, prise en la personne de sa présidente en exercice, représentées par Me Damiano, demandent au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté du 27 décembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit le rassemblement en soutien au peuple palestinien organisée par le Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens le samedi 30 décembre 2023, à compter de 15 h 30 à Nice ;

2°) de suspendre l’exécution de la décision révélée du préfet des Alpes-Maritimes d’interdire systématiquement les manifestations ayant pour objet une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens organisées par les mêmes requérantes ;

3°) d’enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de supprimer, le cas échéant, de son compte X l’information selon laquelle la manifestation du 30 décembre 2023 est interdite et ce à réception immédiate de la décision à intervenir ;

4°) d’ordonner la publication dans le quotidien Nice Matin aux frais de l’Etat du dispositif de l’ordonnance à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l’État une somme de 3 000 euros à leur verser en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

— la situation d’urgence est remplie, dès lors que l’administration interdit une manifestation prévue à court délai ;

— il est porté une atteinte illégale et disproportionnée aux libertés fondamentales d’expression et de réunion ;

— le préfet ne présente aucun élément de nature à ne pas permettre la manifestation consistant en l’expression d’une revendication de paix et de cessez-le-feu ;

— le risque de trouble à l’ordre public allégué n’est pas démontré et la mesure d’interdiction est disproportionnée : les faits antisémites relevés dans le département sont dénués de tout lien avec les requérantes ; la tenue successive des manifestations qui se sont déroulées à depuis le 28 octobre 2023 n’ont donné lieu à aucun débordement ; le service d’ordre est parfaitement assuré par les diverses associations présentes ;

— la décision d’interdire systématiquement, par des arrêtés identiques, toute manifestation telle que révélée par les propos tenus auprès des médias ou sur les réseaux sociaux existe de façon indiscutable et porte une atteinte immédiate, grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation, à la liberté d’expression et au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion ainsi qu’au droit à un recours effectif ; la présente manifestation est réduite à un simple rassemblement de courte durée.

III). Par une requête, enregistrée sous le n° 2306484, le 29 décembre 2023, l’association Ligue des Droits de l’Homme (LDH), prise en la personne de son président en exercice, et l’association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), prise en la personne de son représentant légal, représentées par Me Lendom, demandent au juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’arrêté n° 2023-1204 du 29 décembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit la manifestation de soutien au peuple palestinien organisée par le Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, le samedi 30 décembre 2023, de 15 h 30 à 17 h 00, place Garibaldi, à Nice ;

2°) de suspendre la décision du préfet des Alpes-Maritimes révélée par les arrêtés précédents et les prises de position publiques d’interdire systématiquement les manifestations projetées par les mêmes requérants et ayant le même objet ;

3°) d’enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de supprimer de son compte X et des autres comptes réseaux sociaux toute publication non mise à jour informant de l’interdiction de la manifestation projetée, dans un délai d’une demi-heure suivant la notification de l’arrêté aux parties ;

4°) d’enjoindre au préfet d’informer par tout moyen de l’ordonnance à intervenir, y compris par l’insertion et la publication du dispositif dans Nice-Matin ;

5°) de mettre à la charge de l’État une somme de 4 000 euros à chacune des associations requérantes en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que l’arrêté du 29 décembre 2023 est illégal par les mêmes moyens et arguments que ceux qu’elles ont développés dans l’affaire n° 2306478.

IV). Par une requête, enregistrée sous le n° 2306485 le 29 décembre 2023, l’association comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), prise en la personne de son président en exercice, et l’association France Palestine Solidarité (AFPS), section de Nice, prise en la personne de sa présidente en exercice, représentées par Me Damiano, demandent au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté du 29 décembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit le rassemblement en soutien au peuple palestinien organisée par le Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens le samedi 30 décembre 2023, à compter de 15 h 30 à Nice ;

2°) de suspendre l’exécution de la décision révélée du préfet des Alpes-Maritimes d’interdire systématiquement les manifestations ayant pour objet une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens organisées par les mêmes requérantes ;

3°) d’enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de supprimer, le cas échéant, de son compte X l’information selon laquelle la manifestation du 30 décembre 2023 est interdite et ce à réception immédiate de la décision à intervenir ;

4°) d’ordonner la publication dans le quotidien Nice Matin aux frais de l’Etat du dispositif de l’ordonnance à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l’État une somme de 3 000 euros à leur verser en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que l’arrêté du 29 décembre 2023 est illégal par les mêmes moyens et arguments que ceux qu’elles ont développés dans l’affaire n° 2306480.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

— la Constitution, notamment son Préambule ;

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’hommes et des libertés fondamentales ;

— le code pénal ;

— le code de la sécurité intérieure ;

— la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

— le code de justice administrative ;

La présidente du tribunal a désigné M. Pascal vice-président, en application de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, pour statuer en matière de référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu, au cours de l’audience publique du 30 décembre 2023 :

— le rapport de M. Pascal, juge des référés, assisté de Mme Labeau, greffière ;

— les observations de Me Lendom, représentant la LDH et l’ADELICO, qui reprend ses écritures et qui, pour l’ensemble des associations requérantes, insiste sur le procédé discutable et déloyal du préfet des Alpes-Maritimes qui a annulé son arrêté du 27 décembre 2023 et pris un nouvel arrêté, la veille du rassemblement. Or, le nouvel arrêté se borne à reprendre les mêmes éléments qui ne concernent pas les membres du Collectif 06 et à faire mention de la présence d’une association qui ne fait pas partie de ce Collectif.

— et celles de Me Damiano, représentant le MRAP et l’AFPS, qui dénonce également le procédé déloyal du préfet qui n’a pas informé le déclarant du rassemblement du 30 décembre 2023, M. A, qu’il avait pris le 29 décembre un nouvel arrêté annulant celui du 27 décembre 2023. L’article de Nice Matin du 29 décembre 2023 dont le titre annonce l’interdiction du rassemblement du 30 décembre 2023 procède de la même stratégie du préfet visant à dissuader les gens à se rassembler alors que les manifestations sont systématiquement autorisées par le juge administratif.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. Le Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens a souhaité organiser une manifestation le samedi 30 décembre 2023 à partir de 15 h 30 à Nice. M. A a déposé, le 25 décembre 2023, au nom de ce Collectif, une déclaration à la préfecture. Les organisateurs ont déclaré vouloir organiser un rassemblement, place Garibaldi de 15 h 30 à 17 h 00. Par un arrêté du 27 décembre 2023, le préfet des Alpes-Maritimes a interdit la manifestation ainsi déclarée, lequel arrêté a été annulé et remplacé par l’arrêté n° 2023-1204 du 29 décembre 2023 qui interdit le même rassemblement prévu le 30 décembre 2023. Par quatre requêtes, qu’il y a lieu de joindre pour y statuer par une seule ordonnance, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), l’association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) des Alpes-Maritimes et l’association France Palestine Solidarité (AFPS) section de Nice demandent au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre cet arrêté, de suspendre la décision du préfet des Alpes-Maritimes d’interdire systématiquement les manifestations ayant pour objet une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens qu’elles organisent et d’enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de supprimer des comptes sociaux gérés par la préfecture l’information selon laquelle la manifestation du 30 décembre 2023 est interdite.

2. Les conclusions à fin d’annulation doivent être regardées comme dirigées contre l’arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 29 décembre 2023 qui s’est substitué à l’arrêté du n° 2023-1197 du 27 décembre 20232 qu’il a annulé.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

3. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » Aux termes de l’article L. 522-1 dudit code : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique () ». Enfin, aux termes du premier alinéa de l’article R. 522-1 dudit code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit () justifier de l’urgence de l’affaire ».

4. L’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure soumet à l’obligation de déclaration préalable « tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ». Il résulte des articles L. 211-4 et R. 211-1 de ce code qu’il appartient au représentant de l’Etat dans le département, au préfet de police des Bouches-du-Rhône ou au préfet de police d’interdire par arrêté toute « manifestation projetée de nature à troubler l’ordre public ».

5. Le respect de la liberté de manifestation et de la liberté d’expression, qui ont le caractère de libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, doit être concilié avec l’exigence constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police, lorsqu’elle est saisie de la déclaration préalable prévue à l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ou en présence d’informations relatives à un ou des appels à manifester, d’apprécier le risque de troubles à l’ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles, au nombre desquelles figure, le cas échéant, l’interdiction de la manifestation, si une telle mesure présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances, en tenant compte des moyens humains, matériels et juridiques dont elle dispose. Une mesure d’interdiction, qui ne peut être prise qu’en dernier recours, peut être motivée par le risque de troubles matériels à l’ordre public, en particulier de violences contre les personnes et de dégradations des biens, et par la nécessité de prévenir la commission suffisamment certaine et imminente d’infractions pénales susceptibles de mettre en cause la sauvegarde de l’ordre public même en l’absence de troubles matériels.

6. D’une part, les hostilités dont le Proche-Orient est actuellement le théâtre, à la suite des attaques commises par des membres du Hamas sur le territoire israélien le 7 octobre 2023, sont à l’origine d’un regain de tensions sur le territoire français, qui s’est notamment traduit par une recrudescence des actes à caractère antisémite. Dans ce contexte, les manifestations sur la voie publique ayant pour objet, directement ou indirectement, de soutenir le Hamas, organisation inscrite sur la liste de celles qui font l’objet de mesures restrictives spécifiques dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, de justifier ou de valoriser les exactions telles que celles du 7 octobre 2023, sont de nature à entraîner des troubles à l’ordre public, résultant notamment d’agissements relevant du délit d’apologie publique du terrorisme. Toutefois, le seul usage du slogan « Palestine vaincra » ou du terme « apartheid », la demande de libération de Georges Ibrahim Abdallah ou l’appel à la protection des populations civiles contre les bombardements israéliens sur Gaza ne sauraient être à eux seuls assimilés à un soutien au Hamas, à des propos antisémites ou à des agissements de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes en raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.

7. D’autre part, il appartient à l’autorité préfectorale, compétente en la matière en vertu des dispositions mentionnées au point 4, d’apprécier, à la date à laquelle elle se prononce, la réalité et l’ampleur des risques de troubles à l’ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont elle dispose pour sécuriser l’évènement. A ce titre, il revient au préfet compétent, sous le contrôle du juge administratif, de déterminer, au vu non seulement du contexte national décrit au point précédent, mais aussi des circonstances locales, s’il y a lieu d’interdire une manifestation présentant un lien direct avec le conflit israélo-palestinien, quelle que soit du reste la partie au conflit qu’elle entend soutenir, sans pouvoir légalement motiver une interdiction du seul fait qu’elle vise à soutenir la population palestinienne.

8. Pour interdire la manifestation en litige, le préfet des Alpes-Maritimes a estimé le risque de menace à l’ordre public élevé en raison, en premier lieu, des répercussions sur le territoire national d’un contexte géopolitique particulièrement tendu à la suite de l’attaque terroriste lancée par le Hamas le 7 octobre 2023 et de la contre-offensive actuelle sur la bande de Gaza qui est à l’origine d’un regain de tensions sur le territoire français, en second lieu, en raison de circonstances locales particulières, en particulier la recrudescence d’actes antisémites et de faits constitutifs de délits d’apologie du terrorisme à Nice et dans le département des Alpes-Maritimes ayant conduit à l’interpellation de 51 personnes dans le département depuis le 7 octobre 2023 et l’existence localement de vives tensions générées par le conflit. L’arrêté en litige relate que lors de la manifestation précédente du 23 décembre 2023, plusieurs pancartes et drapeaux ont été brandis ainsi que des slogans scandés n’ayant d’autre finalité qu’une violente hostilité à l’égard d’Israël et le seul soutien direct ou implicite au peuple palestinien. Il précise que l’association De Nice à Gaza se joint toujours aux manifestations alors qu’elle tient des propos pouvant inciter à la haine. L’arrêté fait également état dans ses motifs de la forte inquiétude de la communauté juive des Alpes-Maritimes nécessitant une vigilance renforcée autour des intérêts de cette communauté, et le risque d’attentat élevé porté à son niveau maximal dans le cadre du plan Vigipirate. Enfin, l’arrêté fait état de la forte mobilisation des forces de l’ordre en période de fin d’année, notamment dans les quartiers de reconquête républicaine.

9. Toutefois, il résulte de l’instruction et des propos tenus à l’audience que le rassemblement prévu ce jour, de 15 h 30 à 17 h 00, place Garibaldi, à l’appel des mêmes organisateurs que les rassemblements et manifestations qui se sont déroulés, chaque semaine, depuis le 28 octobre 2023 sans aucun débordement, ainsi que l’a relaté la presse locale, revendique notamment un cessez-le feu immédiat à Gaza et ses alentours, la levée du blocus et un embargo sur les armes, le déploiement d’une force d’interposition sous l’égide de l’ONU afin de protéger les populations civiles et l’acheminement de l’aide humanitaire et la création d’un corridor humanitaire, le déferrement de tous les criminels de guerre à la justice internationale, la libération des otages et des prisonniers politiques palestiniens, le respect des résolutions internationales, avec notamment la création d’un Etat palestinien, le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, la protestation contre l’interdiction systématique des manifestations et la criminalisation des partisans de la paix. Le préfet ne fait état, dès lors, d’aucune circonstance locale permettant d’établir l’existence d’un risque de troubles à l’ordre public durant le rassemblement en cause, résultant notamment d’agissements relevant du délit d’apologie publique du terrorisme ou de la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes à raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion. En se bornant à mentionner dans l’arrêté en litige la présence de l’association « De Nice à Gaza », qui ne fait pas partie du Collectif 06, au rassemblement du 30 décembre, le préfet n’apporte aucun élément de nature à établir qu’il ne serait pas en mesure d’assurer le maintien de l’ordre public s’agissant d’un rassemblement qui ne devrait réunir que quelques centaines de personnes et qui ne prévoit pas, en tout état de cause, de parcourir les lieux, autres que la place Garibaldi, énumérés à l’article 1er de l’arrêté du 29 décembre 2023. Selon les associations requérantes, toutes les organisations ayant appelé à manifester disposent de leur service d’ordre interne. La situation relevée par le préfet des Alpes-Maritimes ne peut, dès lors, être regardée comme telle que l’interdiction de manifester aujourd’hui au Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens présenterait un caractère adapté, nécessaire et proportionné. Par ailleurs, il ne résulte pas de l’instruction qu’eu égard à la nature du rassemblement projeté d’une durée limitée, le préfet des Alpes-Maritimes ne serait pas en mesure d’assurer le maintien de l’ordre public.

10. Il résulte de ce qui précède que l’arrêté attaqué porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales d’expression et de réunion et que les requérantes justifient de la condition d’urgence. Dans ces conditions, il y a lieu d’ordonner la suspension de l’arrêté 29 décembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit le rassemblement en soutien au peuple palestinien organisé par le Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, le samedi 30 décembre 2023 de 15 h 30 à 17 h 00, à Nice.

En ce qui concerne la décision du préfet révélée d’interdiction systématique des manifestations projetées par les requérantes :

11. S’agissant de la décision du préfet d’interdiction systématique des manifestations projetées par les requérantes qui serait révélée par ses déclarations dans les médias, son existence, nonobstant la répétition hebdomadaire systématique de l’interdiction à Nice des manifestations en faveur des palestiniens et de la paix au Moyen Orient, n’est pas suffisamment établie alors qu’au demeurant, il reste loisible à tout requérant disposant d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, de déférer lesdites mesures à la juridiction administrative. Les conclusions tendant à la suspension d’une telle décision, inexistante, doivent donc être rejetées comme irrecevables.

En ce qui concerne la publication sur le compte X du préfet des Alpes-Maritimes :

12. La suspension de l’interdiction litigieuse implique nécessairement qu’il soit enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de supprimer de son compte X et des autres comptes réseaux sociaux (facebook, instagram), toute publication non mise à jour informant de l’interdiction de la manifestation projetée, dans un délai d’une demi-heure suivant la notification de la présente ordonnance aux parties. En revanche, la présente ordonnance n’implique pas que le préfet des Alpes-Maritimes fasse publier à ses frais dans le quotidien Nice Matin un communiqué de presse mentionnant le dispositif de la présente ordonnance.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, mettre à la charge de l’Etat, en application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros à verser à chacune des associations requérantes, soit à ce titre, la somme totale de 6 000 euros.

O R D O N N E :

Article 1er : L’exécution de l’arrêté n° 2023-1204 du 29 décembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit le rassemblement en soutien au peuple palestinien organisé par le Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, le samedi 30 décembre 2023 à partir de 15 h 30 à Nice est suspendue.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de supprimer de son compte X et des autres comptes réseaux sociaux (facebook, instagram), toute publication non mise à jour informant de l’interdiction de la manifestation projetée, dans un délai d’une demi-heure suivant la notification de la présente ordonnance aux parties.

Article 3 : Il est mis à la charge de l’Etat, en application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros à verser à chacune des associations requérantes, soit, à ce titre, la somme totale de 6 000 euros, aux associations LDH, ADELICO, au Comité Nice-Grasse du MRAP et à France-Palestine Solidarité (AFPS) section de Nice.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association Ligue des Droits de l’Homme, à l’association comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, à l’association France Palestine Solidarité, section de Nice, à l’association de défense des libertés constitutionnelles et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée pour information au préfet des Alpes-Maritimes et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice.

Fait à Nice, le 30 décembre 2023.

Le juge des référés,

signé

F. Pascal

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

Ou par délégation la greffière,

N°s 236478, 2306480, 2306484, 2306485

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Tribunal administratif de Nice, 30 décembre 2023, n° 2306478