Tribunal administratif de Strasbourg, Juge unique (3), 16 janvier 2024, n° 2308686

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Strasbourg, juge unique (3), 16 janv. 2024, n° 2308686
Juridiction : Tribunal administratif de Strasbourg
Numéro : 2308686
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 17 janvier 2024

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 5 décembre 2023, Mme A D, représentée par Me Snoeckx, demande au tribunal :

1°) l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d’annuler l’arrêté du 9 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin n’a pas renouvelé son attestation de demande d’asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination, et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée d’un an ;

3°) à titre subsidiaire, de suspendre l’exécution de la décision l’obligeant à quitter le territoire français jusqu’à la lecture de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ou, le cas échéant, jusqu’à la date de la notification d’une ordonnance de ladite Cour ;

4°) d’enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une attestation de demandeur d’asile dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement ;

5°) de mettre à la charge de l’État une somme de 1 500 euros toutes taxes comprises au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur l’obligation de quitter le territoire français :

— le signataire de cette décision ne bénéficiait pas d’une délégation de signature régulièrement publiée à cet effet ;

— la décision est contraire aux stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

— la décision est contraire aux stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur les décisions prononçant une interdiction de retour :

— l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire français prive de base légale la décision d’interdiction de retour sur le territoire français ;

— elle est entachée d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation ;

Sur la demande de suspension de l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français :

— sa situation justifie que l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français soit suspendue et qu’elle puisse présenter sa situation devant la CNDA.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens ne peuvent qu’être écartés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

— le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 8 janvier 2024 :

— le rapport de M. Julien Iggert, magistrat désigné,

— les observations de Me Snoeckx, représentant Mme D, qui reprend les éléments contenus dans sa requête ;

— et les observations de Mme D, assistée de M. E, interprète en langue albanaise.

La préfète du Bas-Rhin, régulièrement convoquée, n’était ni présente, ni représentée.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D, ressortissante albanaise née en 1989, est entrée en France le 8 février 2023. Elle a déposé une demande d’asile qui a été rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 12 juin 2023. Par un arrêté du 9 novembre 2023, la préfète du Bas-Rhin n’a pas renouvelé son attestation de demande d’asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d’être éloignée et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant un an. La requérante en demande l’annulation.

Sur la publicité de l’audience :

2. Aux termes des dispositions de l’article L. 731-1 du code de justice administrative : « Par dérogation aux dispositions de l’article L. 6, le président de la formation de jugement peut, à titre exceptionnel, décider que l’audience aura lieu ou se poursuivra hors la présence du public, si la sauvegarde de l’ordre public ou le respect de l’intimité des personnes ou de secrets protégés par la loi l’exige. ». Dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de la demande formulée en ce sens par Mme D et des circonstances de l’affaire, il a été fait application de ces dispositions en tenant, à titre exceptionnel, l’audience hors la présence du public.

Sur la demande d’admission provisoire à l’aide juridictionnelle :

3. Aux termes de l’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique : « Dans les cas d’urgence, sous réserve de l’application des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d’aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président () ».

4. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’admettre Mme D, à titre provisoire, au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, par un arrêté du 7 septembre 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Bas-Rhin le 8 septembre 2023, la préfète du Bas-Rhin a donné délégation, en cas d’absence ou d’empêchement de M. B C, chef du bureau de l’asile et de la lutte contre l’immigration irrégulière, à Mme F G, adjointe au chef de bureau, à l’effet de signer notamment les assignations à résidence. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C n’aurait pas été absent ou empêché à la date de la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence de la signataire de cette décision doit être écarté.

6. En second lieu, aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

7. Si Mme D se prévaut d’une activité de bénévolat au sein d’une association, de sa participation à des cours d’apprentissage de la langue française et de liens amicaux noués en France, toutefois, la durée de son séjour en France, qui est de dix mois à la date de sa décision en litige, demeure très limitée. La requérante n’apporte pas, par les pièces qu’elle produit, d’éléments suffisants de nature à établir l’intensité et la stabilité des liens qu’elle aurait noué en France, et n’établit pas être dépourvue d’attaches dans son pays d’origine, où vit sa famille. Il s’ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté. Pour ces mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la préfète du Bas-Rhin aurait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de Mme D doit également être écarté.

Sur la décision fixant le pays de destination :

8. Aux termes des stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ».

9. Si Mme D soutient qu’elle risque d’être soumise à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Albanie en raison de son orientation sexuelle de ce que ses parents l’ont mariée de force et que son fiancé l’aurait forcée à se prostituer, les éléments qu’elle produit ne sont pas de nature à justifier de la réalité de ses allégations. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut qu’être écarté.

Sur la décision d’interdiction de retour sur le territoire français :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme D n’est pas fondée à exciper de l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire français à l’encontre de l’interdiction de retour sur le territoire français.

11. En second lieu, aux termes de l’article L. 612-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Lorsque l’étranger n’est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l’autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l’expiration d’une durée, fixée par l’autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français ». Aux termes de l’article L. 612-10 du même code : « Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l’autorité administrative tient compte de la durée de présence de l’étranger sur le territoire français, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu’il a déjà fait l’objet ou non d’une mesure d’éloignement et de la menace pour l’ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l’édiction et la durée de l’interdiction de retour mentionnée à l’article L. 612-8 () ».

12. Il ressort des pièces du dossier que Mme D est arrivée très récemment en France. La circonstance alléguée qu’elle ne représente pas une menace pour l’ordre public et qu’elle n’a jamais fait l’objet d’une mesure d’éloignement ne sont pas de nature à établir qu’en adoptant à son encontre la décision contestée, la préfète du Bas-Rhin aurait commis une erreur de droit ou une erreur d’appréciation. Dès lors, ces moyens doivent être écartés.

Sur la demande de suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement :

13. Aux termes de l’article L. 542-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Lorsque le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des b, c ou d du 1° de l’article L. 542-2, l’étranger peut demander la suspension de l’exécution de la décision d’éloignement. Cette demande est présentée dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 752-5 à L. 752-12 lorsque le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l’article L. 542-2 ». Aux termes de l’article L. 752-5 du même code : « L’étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l’article L. 542-2 et qui fait l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l’exécution de cette décision jusqu’à l’expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu’à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s’il est statué par ordonnance, jusqu’à la date de la notification de celle-ci ». Aux termes de l’article L. 752-6 de ce code : « Lorsque le juge n’a pas encore statué sur le recours en annulation formé contre la décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l’article L. 614-1, l’étranger peut demander au juge déjà saisi de suspendre l’exécution de cette décision ». Aux termes, enfin, de l’article L. 752-11 de ce code : « Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné, saisi en application des articles L. 752-6 ou L. 752-7, fait droit à la demande de l’étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d’asile, son maintien sur le territoire durant l’examen de son recours par la Cour nationale du droit d’asile ».

14. Il est fait droit à la demande de suspension de la mesure d’éloignement si le juge a un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision de rejet ou d’irrecevabilité opposée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à la demande de protection, au regard des risques de persécutions allégués ou des autres motifs retenus par l’Office.

15. En l’état du dossier, le récit de Mme D et ses explications complémentaires à l’audience sont de nature à créer un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision susmentionnée du 12 juin 2023 de l’OFPRA, et par suite de nature à justifier son maintien sur le territoire durant l’examen du recours qu’elle a formé contre cette décision devant la Cour nationale du droit d’asile. L’exécution de l’obligation de quitter le territoire français doit dès lors être suspendue dans les conditions fixées à l’article L.752-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile jusqu’à la décision de la Cour nationale du droit d’asile.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation présentée par Mme D doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction.

17. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D É C I D E :

Article 1 : Mme D est admise à titre provisoire au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Article 2 : L’exécution de l’obligation de quitter le territoire français est suspendue jusqu’à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s’il est statué par ordonnance, jusqu’à la date de la notification de celle-ci.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme A D, à Me Snoeckx et à préfète du Bas-Rhin.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024.

Le magistrat désigné,

J. IGGERT

Le greffier,

S. PILLET

La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

No 2308686

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