Tribunal de grande instance de Paris, 19e chambre correctionnelle, 13 avril 2015, n° 12/00317

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 19e ch. corr., 13 avr. 2015, n° 12/00317
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 12/00317

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

A Z

c/ D Y

RG : 12/00317

République française

Au nom du Peuple français

19e chambre correctionnelle

N° d’affaire : 1020932308 Jugement du : 13 avril 2015 n° :

NATURE DES INFRACTIONS : PROXÉNÉTISME AGGRAVE : VICTIME LIVRÉE A LA PROSTITUTION A SON ARRIVÉE SUR LE TERRITOIRE DE LA RÉPUBLIQUE, PROXÉNÉTISME AGGRAVE :O P, Q R S T, […].

TRIBUNAL SAISI PAR : Jugement de renvoi de la 14e chambre correctionnelle – section 1 du 30 juillet 2012.

PARTIE CIVILE :

Nom : Z A

Domicile : ASSOCIATION “BUS DES FEMMES”

[…]

[…]

Comparution : Non comparante, représentée par Me Anne BOUILLON, avocat au barreau de Nantes

B C :

Nom : Y D

Domicile : 53 RUE JEAN-E F

3e ETAGE, CHAMBRE 336

[…]

Comparution : Non comparante

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement de ce siège (14e chambre/1) en date du 30 juillet 2012, contradictoire et définitif, le tribunal a :

— déclaré D Y coupable de proxénétisme aggravé avec contraintes et Q , traite d’être humain sur la B de A Z, faits commis de courant 2008 au 15 juin 2011 à Paris,

— reçu A Z en sa constitution de partie civile,

— déclaré D Y entièrement responsable des conséquences dommageables des faits délictueux,

— avant-dire droit sur le préjudice corporel de A Z commis en qualité d’experts les docteurs SALAMA – J et X,

— condamné D Y à verser à A Z une indemnité provisionnelle de 10000€ à valoir sur la réparation de son préjudice corporel,

— renvoyé la cause devant la présente chambre.

Le docteur I J a procédé à sa mission et, aux termes d’un rapport dressé le 20 décembre 2012, a conclu ainsi que suit :

— blessures subies : prostitution forcée pendant deux ans avec Q fréquentes ( coups de ceinture , griffures sur le visage ) , deux IVG suite à préservatifs rompus

— ralentissement d’activité : total pendant les deux années de prostitution,

— consolidation des blessures : 28 novembre 2012,

— séquelles : douleurs abdominales , vomissements , impossibilité des rapports sexuels, troubles du sommeil, troubles psychosomatiques importants,

— déficit fonctionnel : 7 %,

— souffrances : 2/7 sur le plan physique et 5/7 sur le plan psychique,

— préjudice esthétique : 1/7 ( cicatrices sur les membres inférieurs) et temporaire de 3/7 ( image dégradée pendant la prostitution),

— préjudice sexuel : n’a pu avoir de rapports sexuels depuis les faits.

Le docteur X a procédé à sa mission et, aux termes d’un rapport dressé le 14 février 2015, a conclu ainsi que suit :

— ralentissement d’activité : de classe IV pendant les deux années de prostitution , de classe III du 1er janvier au 1er juin 2011 , de classe II du 2 juin 2011 au 29 juillet 2012,

— consolidation des blessures : 30 juillet 2012,

— séquelles : symptomatologie post traumatique avec syndrome de répétition centré sur des cauchemars de mort et de poursuite , ruminations, intense déplétion narcissique centrée sur un vécu d’abandon , d’éloignement de sa culture et de sa famille et sentiment de culpabilité, rejet de la sexualité,

— déficit fonctionnel : 12 %,

— souffrances : 4,5/7,

— préjudice esthétique : 1/7 ( cicatrices sur les membres inférieurs) et temporaire de 3/7 ( image dégradée pendant la prostitution).

Au vu de ce rapport, A Z demande à titre de réparation, avec exécution provisoire, la condamnation de D Y à lui payer les sommes suivantes :

— au titre des pertes de gains temporaire, 28000€.

— au titre des pertes de gains futurs, 162240€.

— au titre du préjudice exceptionnel d’avilissement , 146900€.

— au titre des frais divers , 690€.

— au titre du déficit fonctionnel temporaire, 27210€.

— au titre de la souffrance, 20000€.

— au titre du déficit fonctionnel permanent, 15000€.

— au titre du préjudice esthétique permanent , 1500€.

— au titre du préjudice esthétique temporaire , 4500€.

— au titre du préjudice sexuel, 20000€.

— au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, 2500€.

D Y a été citée à parquet et n’a pas comparu.

La décision a été mise en délibéré au 13 avril 2015.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’évaluation du préjudice

Au vu de l’ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par A Z, âgée de 22 ans lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu’en application de l’article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d’application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge.

[…]

- Dépenses de santé

Prises en charge par la CPAM: non produit.

Aucune autre somme n’est réclamée à ce titre.

perte de gains actuels

A Z réclame la somme de 28000€, sur la base de 500€ par mois, pendant 56 mois, en invoquant une perte de chance de travailler ; elle expose qu’elle suivait des études de biologie quand elle est arrivée en France, mais elle n’en justifie pas ;

Elle affirme d’autre part qu’au vu de son cursus universitaire, elle n’aurait eu aucune difficulté pour exercer une activité professionnelle en France.

Cette affirmation n’est cependant pas étayée, alors qu’au surplus, A Z ne possédait aucun titre de séjour R de travail à son arrivée en France, ce qui rendait d’autant plus difficile l’exercice d’une activité rémunérée.

La demande sera donc rejetée

Perte de gains futurs

Les conséquences de la prostitution forcée sur A Z ont engendré de graves conséquences sur le plan psychologique chez cette jeune victime, et aussi dans ses relations avec sa famille au Nigéria.

Elle dispose aujourd’hui d’un titre de séjour et elle était suivie en 2012 par l’association “ les amis du bus des femmes” dont une assistante sociale indiquait qu’elle a une grande volonté et des capacités d’apprentissage , mais que le choc post traumatique entrave ses capacités d’insertion.

Dans ces conditions, le tribunal fixera la perte de gains à la somme de 500€ par mois comme demandé, mais sur une durée de 5 années et non à titre viager, rien ne permettant d’affirmer que la victime ne pourra jamais exercer une activité professionnelle.

Il sera en conséquence alloué la somme de 30000€.

Frais divers

Rejet, A Z ne démontrant pas s’être acquittée de l’amende de 600€ prononcée le 23 décembre 2010.

–PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

- Préjudices extra-patrimoniaux temporaires

- Déficit fonctionnel temporaire

Les troubles dans les conditions d’existence subis jusqu’à la consolidation, justifient l’octroi d’une somme de 27120€ comme réclamé sur la base de 600€ par mois et selon les pourcentages suivants :

—  100% d’avril 2008 à décembre 2010 ( époque de prostitution forcée ).

— de classe IV du 1er janvier au 30 juin 2011.

— de classe III du 2 juin 2011 au 29 juillet 2012.

— de classe II du 30 juillet au 28 novembre 2012.

- Préjudice esthétique temporaire

Ce préjudice, évalué à 3/7, correspond à l’image dégradée de la victime pendant la période de prostitution forcée ; il sera réparé à hauteur de 4000€.

[…]

En l’espèce, elle est caractérisée par le traumatisme initial et les traitements subis.

Cotée à 4,5 /7 par l’expert X, elle sera réparée par l’allocation de la somme de 20000€ , compte tenu de l’intensité des souffrances psychologiques analysées par le docteur X dans leur mécanisme, notamment leurs composantes sadiques, blessures atteignant gravement la personnalité et le narcissisme de A Z, dont il convient par ailleurs de rappeler qu’elle a été contrainte de requérir à une IVG à deux reprises.

- Préjudice d’avilissement

Il s’agit d’un préjudice spécifique liée à l’exploitation sexuelle de la victime, tenue dans un état de quasi esclave sexuelle , mais aussi économique, perdant toute dignité

En l’espèce cet état a duré 33 mois ; A Z réclame la somme de 146900€, soit 3300€ par mois x 33 mois, estimant qu’il s’agit de la somme remise à Mme Y pendant cette période.

Il est admis que la victime, contrainte de se prostituer, est en droit de demander à son souteneur la restitution des produits de la prostitution qu’elle lui a servis, au titre du préjudice exceptionnel d’avilissement.

En l’espèce, l’information judiciaire ne permet pas de calculer avec précision les sommes remises à Mme Y, notamment les 50000€ correspondant au “ droit de passage”, si ce n’est que la victime lui remettait chaque dimanche 700€ , également 200€ par mois pour garder sa place rue Saint Denis et régler un loyer de 300€.

Il sera donc alloué la somme de 49500€ ( 1500€ x 33 mois ).

- Préjudices extra-patrimoniaux permanents

- Déficit fonctionnel permanent

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d’existence. [Il comporte en conséquence une part du préjudice dont il est demandé l’indemnisation au titre du préjudice d’agrément et qui sera réparé ici.]

La victime étant âgée de 24 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 15000€ comme réclamé.

- Préjudice esthétique

Fixé à 1/7 en raison de cicatrices sur les membres inférieurs résultant de Q subies dans le cadre de sa prostitution forcée, il justifie l’octroi de la somme de 1500€.

[…]

Ce préjudice sera réparé par la somme de 15000€, compte tenu de son importance chez une jeune femme contrainte à la prostitution sous la violence pendant de longs mois, alors qu’elle n’avait pas eu de rapports sexuels avant les faits et que son image de la sexualité est nécessairement dégradée, ce qui rendra difficile pour cette jeune femme de bâtir une relation amoureuse confiante et de concevoir une image épanouissante de la sexualité.

***

A Z recevra en conséquence au titre de la réparation de son préjudice corporel, la somme totale de 135000€, en deniers R quittances, provisions non déduites.

Conservant en toute hypothèse le droit de réclamer ultérieurement la réparation du préjudice qui résulterait de l’aggravation de son état de santé, il est inutile de lui donner acte de ses réserves sur ce point.

Sur les demandes accessoires

L’ancienneté des faits justifie que soit ordonnée l’exécution provisoire sollicitée.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie civile la totalité des frais et honoraires exposés par elle et non compris dans les frais de justice. Il lui sera donc alloué à ce titre la somme de 2000€.

Si les frais de justice sont à la charge de l’Etat, en vertu de l’article 800-1 du code de procédure pénale, les frais de l’expertise médicale ordonnée par le tribunal correctionnel seront mis à la charge de Mme Y, conformément aux dispositions de l’article 10 alinéa 2 du même code.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement pour A Z, par défaut à l’encontre de D Y et en premier ressort :

Condamne D Y à verser à A Z :

* la somme de 135000€ à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers R quittances, provisions non déduites,

* la somme de 2000€ en vertu de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement

Informe la partie civile qu’elle a la possibilité de saisir la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions dans les conditions prévues par les articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale ;

Informe D Y de la possibilité pour la partie civile non éligible à la CIVI de saisir le SARVI s’il ne procède pas au paiement des dommages intérêts auxquels il a été condamné dans le délai de 2 mois courant à compter du jour R la décision est devenue définitive, le SARVI pouvant alors recouvrer auprès de lui les sommes ainsi allouées en les majorant d’une pénalité ;

Laisse les frais de justice à la charge de l’Etat à l’exception des frais d’expertise qui seront mis à la charge de D Y.

Fait et jugé à l’audience publique de la 19e Chambre Correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris le 02 mars 2015, mis en délibéré au 13 avril 2015 et prononcé ce jour,

Le président : Monsieur K L

Le greffier : Madame M N

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Tribunal de grande instance de Paris, 19e chambre correctionnelle, 13 avril 2015, n° 12/00317