Tribunal de grande instance de Paris, Référés, 22 décembre 2017, n° 17/60640

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, réf., 22 déc. 2017, n° 17/60640
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 17/60640

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

N° RG :

17/60640

BF/N° : 1

Assignation du :

30 Novembre 2017

ORDONNANCE

EN LA FORME DES RÉFÉRÉS

rendue le 22 décembre 2017

par Z A, Vice-Président au Tribunal de Grande Instance de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de X Y, faisant fonction de Greffier.

DEMANDERESSE

Société DÉMÉNAGEMENT HIBLE

[…]

[…]

représentée par Me Camille CROS, avocat au barreau de PARIS – #P0014, substitué

DÉFENDERESSE

S.A. EDF

[…]

[…]

représentée par Maître Antoine ALONSO GARCIA de l’AARPI ALMA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS – #C2517

DÉBATS

A l’audience du 14 décembre 2017, tenue publiquement, présidée par Z A, Vice-Président, assisté de Juliette JARRY, Greffier,

EXPOSE DU LITIGE, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société anonyme EDF a lancé une procédure de mise en concurrence en vue du renouvellement de marché pour des prestations de déménagement de bureaux, matériels informatiques et bureautiques, archives et manutentions diverses pour toute la France métropolitaine (hors Corse).

Un avis de marché 2017/S 112-226334 a été publié le 14 juin 2017.

Le marché était divisé en sept lots géographiques.

14 sociétés se sont portées candidates, dont la S.A.S DEMENAGEMENT HIBLE, en groupement d’entreprise notamment avec la société PROJECT SERVICES, pour les lots n°1, 2, 3, 4, 5 et 6.

La candidature de ce groupement n’a pas été retenue.

Par acte d’huissier en date du 30 novembre 2017, la S.A.S DEMENAGEMENT HIBLE a fait assigner la S.A. EDF devant le président du tribunal de grande instance de Paris, statuant en la forme des référés, aux fins de voir :

— suspendre les décisions par laquelle EDF a écarté l’offre de la société DEMENAGEMENT HIBLE pour l’attribution des lots ;

— enjoindre à EDF de se conformer les marchés litigieux, de reprendre la procédure de passation en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

— condamner EDF à lui payer la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Suivant écritures déposées à l’audience du 14 décembre 2017 et développées oralement, la société DEMENENAGEMENT HIBLE maintient l’ensemble de ses demandes.

Elle fait valoir notamment que :

— la société EDF a méconnu les dispositions de l’article 99 du décret n°2016- 360 relatif aux marchés publics puisqu’elle n’a pas communiqué une motivation suffisante pour chaque offre rejetée pour les lots en cause ;

— cette absence de communication est susceptible d’avoir lésé les intérêts du candidat dès lors que ce dernier n’est pas en mesure de contester utilement la décision de rejet qui lui est opposée ;

— EDF n’a pas pris en compte les deux critères annoncés dans son règlement de consultation et a donc violé la règle qu’elle s’était elle-même imposée ;

— l’importance de la pondération affectée au critère du prix (soit 100) a pour effet de neutraliser le critère relatif au pourcentage du chiffre d’affaire qui sera réalisé par une entreprise d’insertion ;

— le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de rappeler l’interdiction d’utiliser le critère unique du prix pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse et attribuer un marché d’une certaine complexité ; en l’espèce, il ne s’agit pas d’un marché pour des prestations standardisées ; un mémoire technique était d’ailleurs réclamé ;

— il incombait à EDF d’exiger la production de justificatifs lui permettant de procéder à un contrôle effectif de l’exactitude des informations fournies par les soumissionnaires, ce qu’elle n’a pas fait alors même que le choix des offres portait sur le prix.

Elle relève que dans le courriel du 24 novembre 2017, adressé à la suite de sa demande de justification, il apparaît clairement que seul le prix a été pris en compte. Elle soutient qu’aucun élément ne justifie de la mise en oeuvre du critère “bonus”.

Suivant écritures déposées à l’audience du 14 décembre 2017 et développées oralement, la S.A. EDF, représentée par son conseil, conclut au rejet de l’ensemble des demandes de la société DEMENAGEMENT HIBLE et à sa condamnation à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle précise qu’elle n’a jamais prétendu que le marché avait un cahier des charges standardisé.

Elle allègue notamment que :

— afin de départager les offres au regard du critère relatif au prix, elle a élaboré une simulation dite “panier type” afin de comparer l’ensemble des offres de prix sur une base de prestation identique ;

— elle ne s’est pas fondée sur un critère unique mais sur une pluralité de critères pondérés ; pour le critère de mieux disance, elle a appliqué un système de pourcentage valorisant les offres des candidats en fonction du pourcentage de leur chiffre d’affaire qu’ils réalisent avec les sociétés d’insertion, appliqué à un “panier type” de 4000 euros (10 % et plus : 10 %, 400 euros, entre 5 et 9 % : 3 % soit 120 euros, moins de 5 % : 0 euro) ; ce critère a eu un poids dans le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse ;

— elle n’a violé aucun texte en procédant comme elle l’a fait ;

— il y a eu au préalable une phase de recevabilité technique permettant de s’assurer que les offres respectaient bien le cahier des charges ;

— elle a lancé une procédure de passation en vue du renouvellement du marché de prestations de déménagement ; elle était donc parfaitement au fait des tarifs pratiqués et les prix proposés par les candidats étaient proches de cette estimation ;

— le courriel du 24 novembre 2017 répond parfaitement aux exigences posées par l’article 99 du décret précité ; les informations transmises motivent et explicitent pleinement le choix des attributaires des différents lots.

Il est renvoyé aux conclusions sus-visées des parties pour un plus ample exposé des moyens qui y sont contenus sur le fondement de l’article 446-1 du code de procédure civile.

L’affaire a été mise en délibéré au 22 décembre 2017, date de la présente ordonnance.

SUR CE

— Sur la demande principale :

Il convient d’examiner en premier lieu le moyen tiré des critères d’attribution, la question des conditions du rejet des offres au sens des dispositions de l’article 99 du décret n° 2016-360 n’intervenant que dans un second temps d’un point de vue chronologique.

Aux termes de l’article 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics :

“I. – Les offres régulières, acceptables et appropriées, et qui n’ont pas été rejetées en application des articles 60 ou 61, sont classées par ordre décroissant en appliquant les critères d’attribution.

II. – Pour attribuer le marché public au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, l’acheteur se fonde :

1° Soit sur un critère unique qui peut être :

a) Le prix, à condition que le marché public ait pour seul objet l’achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d’un opérateur économique à l’autre ;

b) Le coût, déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie au sens de l’article 63 ;

2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l’objet du marché public ou à ses conditions d’exécution au sens de l’article 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s’agir, par exemple, des critères suivants :

a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l’accessibilité, l’apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l’environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture, d’insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal ;

b) Les délais d’exécution, les conditions de livraison, le service après-vente et l’assistance technique, la sécurité des approvisionnements, l’interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles ;

c) L’organisation, les qualifications et l’expérience du personnel assigné à l’exécution du marché public lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d’exécution du marché public.

D’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché public ou ses conditions d’exécution.

III. – En cas de dialogue compétitif et pour les partenariats d’innovation, l’offre économiquement la plus avantageuse est identifiée sur la base d’une pluralité de critères conformément au 2° du II.

IV. – Les critères ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation.

Pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée, les critères d’attribution font l’objet d’une pondération ou, lorsque la pondération n’est pas possible pour des raisons objectives, sont indiqués par ordre décroissant d’importance. La pondération peut être exprimée sous forme d’une fourchette avec un écart maximum approprié.

V. – L’acheteur s’assure que les critères d’attribution retenus puissent être appliqués tant aux variantes qu’aux offres de base.”

Il appartient à l’autorité adjudicatrice d’indiquer les critères d’attribution du marché et les conditions de leur mise en oeuvre selon les modalités appropriées à l’objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné.

En l’espèce, il résulte du règlement de consultation que “le critère d’attribution” du marché est celui de la mieux disance (meilleur rapport qualité/prix) : “le marché est attribué à l’Offre Economiquement La Plus Avantageuse (OELPA) au regard des critères suivants :

— Critère 1 : le prix – Pondération 100,

— Critère 2 : le % du chiffre d’affaire de votre entreprise réalisé avec des sociétés d’insertion pour ce contrat – Pondération 10".

La société EDF a choisi un système de classement des offres fondée sur une pondération.

Pour être effectif, ce système de pondération implique que l’Offre économiquement la plus avantageuse soit évaluée globalement, au regard de l’ensemble des critères pondérés qui la composent.

Il n’est pas expressément contesté par la société EDF, compte tenu des prestations objet du marché, qui peuvent comprendre par exemple la destruction sécurisée d’archives, le stockage de meubles ou le déménagement de charges lourdes, sur des sites variés et pour certains sensibles, que le marché ne consiste nullement en l’achat de services ou de fournitures standardisés.

Dès lors, ce marché ne peut avoir pour seul critère le prix, conformément aux dispositions précitées.

Or, en attribuant une pondération de 100 %, il ne saurait être considéré que la société EDF ait prévu plusieurs critères.

En effet, la présentation par la société EDF d’un double critère se trouve de facto démentie par l’affectation d’un tel pourcentage à l’un d’entre eux, qui annihile l’autre.

Il en résulte que le critère lié au pourcentage du chiffre d’affaires qui sera réalisé avec une entreprise est surabondant et ne peut intervenir directement dans l’attribution des lots litigieux puisque 100 % des points est attribué au “prix”.

Le règlement de consultation précise d’ailleurs que EDF se réserve la possibilité d’attribuer le marché selon les prix initialement remis ou selon les prix obtenus après négociation limitées aux entreprises ayant remis les meilleures offres initiales.

En outre, en ne précisant pas comment cette pondération est appliquée, sur une base totale de “110 %”, ni même comment le “bonus” relatif à l’insertion est susceptible d’influer sur l’attribution du marché et selon quelles modalités, la société défenderesse ne permettait nullement aux soumissionnaires de connaître avec la précision nécessaire les modalités d’examen de leur offre et de la présenter utilement.

Il résulte du courriel du 24 novembre 2017 de la société EDF à la suite de la sollicitation par la demanderesse des motifs du rejet que pour les 6 lots pour lesquels elle avait soumis une offre (lots n°1 à 6), la société DEMENAGEMENTS HIBLE n’a bénéficié d’aucun bonus pour le critère “société d’insertion”.

En outre, cette pondération au titre du prix ne tient aucunement compte du caractère particulièrement technique voire sensible des prestations attendues, tel qu’il résulte pourtant du cahier des charges fonctionnel. Ainsi, la valeur technique, pourtant déterminante, au regard de ce cahier des charges, n’intervient nullement dans le calcul de cette pondération. Le mémoire technique n’ayant été pris en compte qu’au stade de la recevabilité.

Il en ressort que l’offre la moins chère sera systématiquement privilégiée au détriment de l’offre économiquement la plus avantageuse.

L’absence de pondération réelle a nécessairement causé grief à la demanderesse en ce qu’elle a pu avoir une influence sur son classement et l’absence d’attribution des lots à son profit.

La société EDF a manqué à ses obligations au regard des dispositions de l’article 62 du décret précité.

Il résulte suffisamment de ce qui précède et sans qu’il ne soit besoin d’examiner les autres moyens que la demanderesse est fondée à contester la procédure de passation de marché.

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 :

“A la demande du requérant, le juge peut prendre des mesures tendant à ce que la personne morale responsable du manquement se conforme à ses obligations, dans un délai qu’il fixe, et à ce que soit suspendue l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat. Il peut, en outre, prononcer une astreinte provisoire courant à compter de l’expiration des délais impartis.

Le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter.

Si, à la liquidation de l’astreinte provisoire, le manquement constaté n’a pas été corrigé, le juge peut prononcer une astreinte définitive.

L’astreinte, qu’elle soit provisoire ou définitive, est indépendante des dommages et intérêts.

L’astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère.”

Il y a lieu en l’espèce :

— d’ordonner la suspension de toute décision qui se rapporte à la passation, pour les lots 1 à 6 du marché de prestations de déménagement de bureaux, matériels informatiques et bureautiques, archives et manutentions diverses pour toute la France métropolitaine, lancé par la société EDF,

— d’enjoindre à la société EDF, si elle entend conclure les marchés litigieux, de reprendre la procédure de passation en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Il n’y a pas lieu de prononcer d’astreinte en l’espèce.

- Sur les demandes accessoires :

La S.A. EDF, partie succombante, sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement en la forme des référés, par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Ordonnons la suspension de toute décision qui se rapporte à la passation, pour les lots n°1, 2, 3, 4, 5, et 6 du marché de prestations de déménagement de bureaux, matériels informatiques et bureautiques, archives et manutentions diverses pour toute la France métropolitaine, lancé par la société EDF ;

Enjoignons à la société EDF, si elle entend conclure les marchés litigieux, de reprendre la procédure de passation en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, découlant notamment des dispositions de l’article 62 du décret du 25 mars 2016 ;

Rejetons le surplus des demandes ;

Condamnons la S.A. EDF à payer à la S.A.S DEMENAGEMENT HIBLE la somme de 2000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamnons la S.A. EDF aux entiers dépens de l’instance ;

Fait à Paris le 22 décembre 2017

Le Greffier, Le Président,

X Y Z A

1:

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