Cour d'appel de Paris, Pôle 5, 26 février 2016, n° 2015/13243

  • Marque contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs·
  • Demande d'enregistrement·
  • Enregistrement·
  • Propriété industrielle·
  • Marque·
  • Publication·
  • Ordre public·
  • Demande·
  • Recours·
  • Refus

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

La demande d’enregistrement de la marque LES SANS DENTS, désignant des produits et services de consommation courante, doit être rejetée comme étant contraire à l’ordre public. Ce signe sera perçu, non comme un indicateur de l’origine des produits et services, mais comme une incitation à contrevenir à des principes essentiels au bon fonctionnement de la société ou comme une offense pour une partie du public concerné. Ressortent, en effet, de l’ordre public, tant la préservation de l’État et de ses institutions, que le respect des lois pénales qui répriment les atteintes portées à l’honneur et à la considération des personnes ainsi qu’à leur dignité, tout comme les comportements discriminants. En l’espèce, le signe demandé ne pouvait être perçu que comme une référence au propos dégradant prêté au chef de l’État par son ancienne compagne dans un ouvrage pour qualifier les personnes démunies, et non, ainsi que le prétend le déposant, comme désignant les nourrissons ou des personnes dépourvues d’agressivité ou encore ne souriant jamais. Toutefois, si le déposant se prévaut du nécessaire respect de la liberté d’expression, l’expression « Les sans dents » pouvant être utilisée à des fins humoristiques, son exercice est soumis à des restrictions s’il apparaît qu’il est porté atteinte à l’ordre social.

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Commentaires3

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TAoMA Partners · 4 juillet 2019

Si l'expression anglaise « FUCK » ou équivalent, est aujourd'hui largement répandue, qu'en est-il de sa protection au titre du droit des marques ? Telle était la question débattue devant la Cour Suprême des États-Unis dans le cadre de l'affaire Iancu v. Brunetti. En 2011, Erik Brunetti, fondateur d'une marque de vêtement d'esprit « street-wear », a présenté une demande enregistrement auprès du Bureau Américain des Brevets et des Marques de commerce (USPTO) sur le signe . L'examinateur refusa l'enregistrement de cette marque au motif que l'élément verbal « FUCT » était phonétiquement …

 

Laure Marino · Gazette du Palais · 28 juin 2016
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5, 26 févr. 2016, n° 15/13243
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 2015/13243
Publication : Propriétés intellectuelles, 60, juillet 2016, p. 353-354, note de Julien Canlorbe ; PIBD 2016, 1047, IIIM-286
Décision précédente : Institut national de la propriété industrielle, 11 septembre 2014, N° 144116401
Décision(s) liée(s) :
  • Projet de décision du directeur général de l'INPI du 26 mars 2015 devenu définitif le 9 juin 2015,14/4116401
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Référence INPI : M20160097
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Texte intégral

COUR D’APPEL DE PARIS ARRET DU 26 FEVRIER 2016

Pôle 5 – Chambre 2

(n°30, 5 pages) Numéro d’inscription au répertoire général : 14/20555 Jonction avec le dossier 15/13243 Décisions déférées à la Cour : 1/ décision de refus provisoire de publication du 12 septembre 2014 -Institut National de la Propriété Industrielle – n°14/4116401 – 2/ projet de décision du 26 mars 2015 devenu définitif le 9 juin 2015 – Institut National de la Propriété Industrielle – n°14 4 116 401/FR-FOND R2/GDA

DECLARANTE AU RECOURS Mme Fabienne Marie-Madeleine C Comparante Non assistée

EN PRESENCE DE MONSIEUR L DE L’INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE (INPI) […] CS 50001 92677 COURBEVOIE CEDEX Représenté par M. Laurent MERLATIER, chargé de mission

COMPOSITION DE LA COUR : Après rapport oral, l’affaire a été débattue le 14 janvier 2016, en audience publique, devant la Cour composée de : Mme Colette PERRIN, Présidente Mme Sylvie NEROT, Conseillère Mme Véronique RENARD, Conseillère qui en ont délibéré

Greffière lors des débats : Mme Carole T Le dossier a préalablement été transmis au Ministère Public, représenté lors des débats par Mme Brigitte G, Substitute Générale, qui a fait connaître son avis

ARRET : Contradictoire Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile Signé par Mme Colette PERRIN, Présidente, et par Mme Carole T, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

Vu la demande d’enregistrement n°14/4116401 déposée le 08 septembre 2014 par Madame Fabienne C portant sur la marque verbale « les sans dents » pour désigner des produits et services en classes 16 (« produits de l’imprimerie;… »), 28 («jeux, jouets ;…»), 38 (« télécommunications ;…» et 41 (« éducation ;…»),

Vu la décision de refus provisoire de publication du 12 septembre 2014 relative à cette demande d’enregistrement rendue par le Directeur de l’Institut national de la propriété industrielle [ci-après : INPI], au visa des articles L 411-4, L 411-5, L 712-2, L 712- 7, R 712-2, R 712-3, R 712-8, R 712-10 et R 712-11 du code de la propriété intellectuelle, notifiée par pli recommandé adressé à Madame C le même jour et reçu le 13 septembre 2014, laquelle, par un article unique, décide que la demande d’enregistrement précitée ne fera pas l’objet d’une publication au Bulletin officiel de la propriété industrielle,

Vu le recours exercé par Madame Fabienne C à l’encontre de cette décision rendue le 12 septembre 2014, selon déclaration parvenue au greffe le 13 octobre 2014, et le mémoire de la requérante reçu le 13 novembre 2014 qui poursuit l’annulation de cette décision en invoquant tant des moyens de forme que de fond (affaire enregistrée au Répertoire général sous le n° 14/20880),

Vu la décision de refus provisoire de publication du 14 novembre 2014 relative à cette même demande d’enregistrement rendue par le Directeur de l’INPI], sous ce même visa et notifiée par pli recommandé adressé à Madame C le même jour, aux termes de laquelle :

« Article 1er : la notification de refus provisoire de publication du 12 septembre 2014 relative à la demande d’enregistrement n° 14/4116401 est rapportée.

Article 2 : la demande d’enregistrement n° 14/4116401 ne sera pas publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle pour les motifs susvisés.

(à savoir : « (') qu’appliqué aux produits et services visés dans la demande d’enregistrement, le signe déposé apparaît contraire à l’ordre public en ce qu’il fait référence à des propos polémiques prêtés à Monsieur François Hollande, président de la République française et porte ainsi atteinte à la fonction de chef de l’État (…)»

Article 3 : Madame Fabienne C dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de la présente notification pour présenter d’éventuelles observations.

Sur simple demande reçue à l’Institut avant l’expiration du délai précité, ce dernier peut être prolongé de trois mois supplémentaires.

A défaut de réception par l’INPI, dans le délai imparti, d’observations de nature à lever l’objection émise, la demande d’enregistrement en cause ne sera pas publiée. »

Vu le projet de décision du Directeur Général de l’INPI portant rejet d’une demande d’enregistrement de marque adressé par lettre recommandée à Madame Fabienne C le 26 mars 2015, établi au vu de l’objection provisoire émise ainsi que des observations en réponse de cette dernière, laquelle décision est devenue définitive, faute de contestation dans le délai de deux mois à compter de sa réception,

Vu le recours exercé par Madame Fabienne C à l’encontre de ce projet de décision du 26 mars 2015 devenu définitif, selon déclaration reçue au greffe le 29 juin 2015, le mémoire de la requérante reçu le 29 juillet 2015 ainsi que son mémoire en réponse à celui de l’INPI parvenu au greffe le 14 janvier 2016 (affaire enregistrée au Répertoire général sous le n°15/13243),

Vu les observations de l’INPI visant les deux procédures successivement enregistrées, parvenues au greffe le 28 décembre 2015,

Le Ministère public entendu en ses réquisitions,

SUR CE,

Sur la jonction d’instances Considérant qu’il ressort des éléments des procédures sus-visées qu’il existe entre les instances pendantes devant la cour un lien tel qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de les juger ensemble ;

Que la jonction en sera donc ordonnée, décision à laquelle au demeurant les intéressés adhèrent, ainsi qu’il ressort du mémoire de la requérante reçu au greffe le 29 juillet 2015 et des observations de l’INPI visant les deux procédures successivement enregistrées ;

Sur la décision de refus provisoire de publication du 12 septembre 2014

Considérant que dans son mémoire reçu au greffe le 29 juillet 2015 Madame C, reprenant la chronologie de la procédure devant l’INPI, expose qu’il ne s’agit plus pour elle de faire état des manquements procéduraux constatés lors du prononcé de cette décision et qu’elle n’en demande plus l’annulation, donnant acte au Directeur de l’INPI, précise-t-elle, qu’il voulait que cette décision ne soit que provisoire ;

Considérant que dès lors que la décision querellée a été rapportée, aux termes de l’article premier de la décision rendue le 14 novembre 2014, le recours est devenu sans objet ;

Qu’il y a donc lieu de s’en tenir au fond du litige, ainsi que requis par Madame C, en se prononçant sur le recours contre le projet de décision du 26 mars 2015 devenu définitif ;

Sur le projet de décision du 26 mars 2015 devenu définitif

Considérant que pour contester le rejet de sa demande d’enregistrement de la marque « les sans dents » motivé par sa contrariété à l’ordre public, Madame C reproche en particulier au Directeur de l’INPI de s’être prononcé comme il l’a fait sur le trouble à l’ordre public alors que, depuis la parution de l’ouvrage Merci pour ce moment de l’ancienne compagne du chef de l’Etat qui lui prêtait ces propos pour qualifier les personnes démunies, l’expression a été utilisée par les médias ou la publicité sans donner lieu à allégation d’un tel trouble ou ouverture de procédures et que l’humour a la faveur du chef de l’Etat lui-même ;

Qu’elle fait valoir que l’expression est polysémique et que l’acception que lui donne le Directeur de l’INPI est « hasardeuse » et subjective ; que quand bien même cette expression serait à mettre en relation avec la polémique suscitée par cet ouvrage, tant les juridictions nationales que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaissent le droit à la satire ;

Considérant, ceci rappelé, que pour être adopté comme marque un signe doit tout à la fois être distinctif, licite et disponible et qu’aux termes de l’article L 711-3 du code de la propriété intellectuelle « Ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe : () b) contraire à l’ordre public (…) » ; que selon l’article L 712-7 sous b) du même code, la demande d’enregistrement est rejetée si le signe ne satisfait pas à cette condition de fond ;

Qu’en l’espèce, il est indifférent que l’expression « les sans dents » ait pu être utilisée, comme pourrait le faire Madame C dans le libre exercice de sa liberté d’expression, pour être associée à des revendications de manifestants, à des dessins ou à des messages publicitaires à connotation humoristique, tels ceux qu’elle verse aux débats, dès lors que, par sa demande d’enregistrement, elle entend se voir attribuer un droit privatif sur un signe qui ne peut être adopté que s’il satisfait aux exigences requises par le législateur au Livre VII du code de la propriété intellectuelle ;

Qu’en se plaçant au jour où la demande d’enregistrement a été déposée (soit 04 jours après la parution de l’ouvrage dont s’agit) alors que la polémique, largement relayée par la presse, battait son plein et en retenant que les produits et services, de consommation courante, visés par la demande d’enregistrement sont destinés au grand public, il y a lieu de considérer que le signe demandé à l’enregistrement ne pouvait être perçu autrement que comme une référence au propos

dégradant prêté au chef de l’État, contrairement à ce que prétend Madame C qui invoque la possibilité qu’il puisse être compris comme désignant les nourrissons ou des personnes dépourvues d’agressivité ou encore ne souriant jamais ;

Que parmi ses diverses acceptions, l’ordre public vise à réguler les comportements portant atteinte à l’ordre social et que si la requérante se prévaut du nécessaire respect de la liberté d’expression, son exercice peut être soumis à des restrictions s’il apparaît qu’il est porté atteinte à cet ordre social ;

Qu’en déposant, qui plus est, une demande d’enregistrement de ce signe destiné à être apposé sur les produits ou services qu’il désigne ou à les accompagner afin de se voir octroyer le bénéfice de la protection accordée par le droit des marques, Madame Cosic doit se voir opposer les dispositions légales précitées ;

Qu’à cet égard, ressortent de l’ordre public tant la préservation de l’État et de ses institutions que le respect des lois pénales qui répriment les atteintes portées à l’honneur et à la considération des personnes ainsi qu’à leur dignité, tout comme les comportements discriminants ;

Qu’en contemplation du contexte particulier du cas d’espèce ci-avant évoqué, le signe « les sans dents » dont Madame C poursuit l’enregistrement à titre de marque sera perçu non point, selon sa fonction essentielle, comme un indicateur de l’origine des produits et services qu’elle désigne mais comme une incitation à contrevenir à des principes essentiels au bon fonctionnement de la société ou comme une offense pour une partie du public concerné ;

Qu’il s’infère de tout ce qui précède que le recours de Madame C doit être rejeté ;

Qu’il n’y a pas lieu de prononcer une condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Ordonne la jonction des affaires inscrites au Répertoire Général sous les numéros 14/20555 et 15/13243;

Constate qu’est devenu sans objet le recours contre la notification de refus de publication du 12 septembre 2014 ;

Rejette le recours à l’encontre du projet de décision du 26 mars 2015 devenu définitif ;

Dit que la présente décision sera notifiée à Madame Fabienne C et à Monsieur l Général de l’INPI, ceci par les soins du greffe et par lettre recommandée avec accusé de réception.

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5, 26 février 2016, n° 2015/13243