ADLC, Décision du 24 octobre 2001 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la mélasse et du rhum à la Réunion, 01-D-70

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Sur la décision

Référence :
Cons. conc., déc. n° 01-D-70 du 24 oct. 2001
Numéro(s) : 01-D-70
Textes appliqués :
462-8, L.464-6
Identifiant ADLC : 01-D-70
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Texte intégral

CONSEIL DE LA CONCURRENCE Décision n° 01-D-70 du 24 octobre 2001 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la mélasse et du rhum à La Réunion Le Conseil de la concurrence (section III), Vu la lettre enregistrée le 13 juin 1997 sous le numéro F 967, par laquelle la société Jean Chatel a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques commerciales dans le secteur de la mélasse et du rhum à La Réunion ; Vu la lettre en date du 12 janvier 1998 par laquelle la société J. Chatel a déclaré retirer sa saisine ; Vu la décision en date du 5 février 1998 enregistrée sous le numéro F 1018, par laquelle le Conseil de la concurrence a décidé de s’autosaisir de la situation de la concurrence dans le secteur de la mélasse et du rhum à La Réunion ; Vu le livre IV du code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l’application de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par les sociétés Groupe Bourbon, Quartier Français et Sucrière de La Réunion, par le GIE Rhums Réunion ainsi que par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement ainsi que les représentants des sociétés Jean Chatel, Sucrière de La Réunion, Groupe Bourbon, Groupe Quartier Français et GIE Rhums Réunion entendus lors de la séance du 26 juillet 2001 ; la SA Etablissements Isautier ayant été régulièrement convoquée. Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés : I. – Constatations 1. – Le secteur d’activité à La Réunion Compte tenu de l’imbrication étroite et de la complémentarité des différentes activités, il est d’usage de parler de " filière canne – sucre – rhum ". Si la production de sucre de La Réunion (en moyenne 200 000 tonnes par an) ne représente que 1,20 % de la

production européenne et 4,3 % de la production nationale, cette activité demeure importante pour l’économie de ce département. Selon un rapport du Conseil économique et social régional (" L’organisation commune du marché du sucre (OCM Sucre) , quelques pistes de réflexion pour la prochaine OCM « - assemblée plénière du 16 novembre 1999), la filière génère environ 20 000 emplois directs et concerne »

plus de la moitié de la population agricole ", la production de canne à sucre représentant environ un tiers des productions agricoles ; A la suite d’un certain nombre de restructurations, l’activité industrielle de la filière est actuellement assurée par deux groupes qui sont le groupe Quartier Français, d’une part, et le groupe Bourbon, d’autre part. Le premier, présidé par M. Xavier Thieblin, a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 1,3 milliards de francs en 1998. Outre sa présence dans la filière canne à sucre, ce groupe intervient dans des activités industrielles diversifiées. Le second, présidé par M. Jacques de Chateauvieux, également présent dans différents secteurs d’activité, a réalisé un chiffre d’affaires de l’ordre de 7 milliards de francs en 1999. La production de sucre est encadrée par un système de quotas et de prix, lequel résulte des dispositions prises au niveau communautaire dans le cadre de l’Organisation Commune de Marché (OCM). Le prix de base, payé par les industriels pour la canne à sucre à La Réunion, est fixé dans une convention signée entre le syndicat des fabricants de sucre et les organisations agricoles représentatives, sous l’égide du préfet. Le prix de la tonne de canne livrée a ainsi été fixé à 258,38 F pour la campagne 1996-1997, ce prix " tenant compte de la recette sucre et mélasse des industriels ", qui représente les revenus tirés de la valorisation de la mélasse et de la bagasse à La Réunion. La production de sucre et de mélasse On estime généralement qu’une tonne de canne à sucre produit 103 kg de sucre et 33 kg de mélasse, le rendement en alcool de ce produit étant estimé à 4,8 kg pour un litre d’alcool pur (LAP). La production de mélasse s’est élevée à 62 000 tonnes au cours de la campagne 1996/1997. La mélasse permet de produire : ● du rhum traditionnel de sucrerie distillé à moins de 96° et comprenant un minimum de 225 gr par hectolitre d’alcool pur (HLAP) de substances dites « non alcool » ; ● du rhum léger distillé à moins de 96° et comprenant entre 60 et 225 gr par HLAP de substances dites « non alcool » ; ● de l’alcool dénommé " alcool cru de canne « , distillé à moins de 96° et comprenant plus de 45 gr par HLAP de substances dites » non alcool ", destiné à la fabrication de spiritueux composés (punchs, liqueurs…). Le rhum léger et le rhum traditionnel de sucrerie peuvent être déclassés en alcool de canne pour satisfaire les besoins des liquoristes ; ● du rhum vieux, qui est du rhum traditionnel comportant un minimum de 325 gr par HLAP de substances dites « non alcool » et vieilli en fûts de bois de chêne pendant au moins 3 ans. Le rhum traditionnel et le rhum léger, fabriqués à partir de la mélasse, sont destinés à être consommés en

l’état ou utilisés pour la fabrication de punchs, après déclassement. Selon la société Groupe Bourbon, " l’alcool cru de canne (initialement alcool de canne du cru) est une pure construction administrative locale à l’initiative des douanes visant à faire bénéficier aux liquoristes des dispositions fiscales favorables au rhum traditionnel les produits dérivés en les assimilant à ces derniers. Le droit de consommation applicable au rhum traditionnel, produit et vendu dans le département est de 250 F HLAP auquel s’ajoute une taxe régionale de 700 F soit au total 950 F. Il est de 9 510 F par HLAP pour tous les autres alcools, y compris le rhum léger. C’est pour permettre aux liquoristes qui préfèrent utiliser le rhum léger plutôt que le rhum traditionnel pour fabriquer leur punch et liqueurs, qu’a été instauré l’alcool cru de canne que l’on assimile fiscalement au rhum traditionnel. L’alcool cru de canne n’est donc pas un produit spécifique de La Réunion. L’appellation désigne simplement du rhum traditionnel ou du rhum léger déclassé en fonction de l’utilisation qui en est faite. Il n’y a pas de fabrication particulière pour les liquoristes ". Les deux producteurs de mélasse à La Réunion sont : la SA Sucrière de La Réunion (Groupe Quartier Français) et la SAS Sucrerie de Bois Rouge (Groupe Bourbon). La SA Sucrière de La Réunion, qui a pour activité principale la production et la commercialisation du sucre et de la mélasse, procède aussi accessoirement au négoce du rhum. Le capital de cette société est détenu à 54,96 % par le groupe Quartier Français et à 36,64 % par le groupe Eridiana Beghin Say, le reste (8,39 %) étant détenu par une filiale de la Générale Sucrière. Les participations, détenues par cette société dans les entreprises intervenant dans la production ou la distribution du rhum, sont les suivantes : 36,83 % du capital du GIE Rhums Réunion (ex GIE Rhum) et 20,35 % du capital de la société concurrente, SA Sucrerie de Bois Rouge. Le groupe, auquel appartient la société Sucrière de la Réunion, détient par ailleurs des participations dans les sociétés suivantes : 99,75 % de la SA Distillerie Rivière du Mât , 99,6 % de celui de la société de distribution Soraco, 20 % de celui de la SA Distillerie de Savanna (appartenant au groupe concurrent Bourbon) et indirectement 14,24 % du GIE Rhums Réunion. Selon le directeur administratif et financier de la société (PV du 11 janvier 2000), le tonnage de mélasse produit en 1996 et 1997 par la société Sucrière de La Réunion s’est élevé respectivement à 43 755 et 48 010 tonnes et les ventes ont atteint respectivement 54 023 et 37 654 tonnes au cours des mêmes exercices (dont respectivement 25 933 et 6 781 tonnes à l’exportation). La société dispose, en effet, d’une capacité de stockage de l’ordre de 20 000 tonnes. Le tonnage exporté s’est, enfin, élevé à 7 440 tonnes en 1998 pour une production de 39 672 tonnes et des ventes totales de 45 639 tonnes. Les prix nets moyens de vente pondérés de mélasse ont varié, au cours de la période considérée, de 259,79 F à 495 F/tonne, pour la mélasse transformée localement. Ce prix s’est élevé à 210 F/tonne au cours de la même période pour la mélasse exportée ou destinée à la fabrication des rhums non contingentés et à environ 505 F/tonne pour la mélasse vendue aux éleveurs et aux fabricants d’aliments pour bétail. Parmi les clients de Sucrière de La Réunion, acheteurs de mélasse, figurent les trois distillateurs de rhum de La Réunion. La SAS Sucrerie de Bois Rouge , dont le capital est détenu à 79,65 % par le Groupe Bourbon, et à 20,35 % par la SA Sucrière de la Réunion, a également pour activité la production et la commercialisation du sucre et de mélasse. Cette société est présidée par la société Groupe Bourbon, elle-même dirigée par un comité de direction. M. Jacques de Chateauvieux représente la personne morale « Groupe Bourbon » au sein du conseil d’administration de cette société qui ne possède, hormis la part qu’elle détient dans le GIE Rhums Réunion , aucune autre participation dans des sociétés intervenant dans la production ou la distribution de rhum. Sa

société holding « Groupe Bourbon » détient en revanche les participations suivantes : 78,2 % de la SA Distillerie de Savanna , 28,8 % de la S.A. SOPAVI (liquoristerie) et 57 % de la SOGIM (liquoristerie). La totalité de la mélasse produite à l’usine de Saint-André est vendue à la société Distillerie de Savanna, le prix net pratiqué « départ usine » s’étant élevé à 275 F/tonne en 1996 et à 480 F/tonne de 1997 à 1999. Les quantités commercialisées ont atteint respectivement à 18 227 et 20 753 tonnes en 1996 et 1997. La production d’alcool et de rhum à La Réunion L’évolution de la production de rhum à La Réunion (en HLAP) apparaît dans le tableau suivant : CATEGORIES 1994 1995 1996 1997 1998 Rhum traditionnel agricole
- 1 249
-
-
- Rhum traditionnel de sucrerie 37 844 47 384 43 016 47 743 39 451 Rhum léger 20 145 22 522 29 165 24 079 28 718 TOTAL 57 989 71 155 72 181 71 822 68 169 Source : Direction régionale des douanes et droits indirects. Sur ces quantités, environ 6 000 HLAP ont été commercialisées sous la dénomination « alcool de canne » en 1996. Trois entreprises interviennent dans la production du rhum à La Réunion. Il s’agit de la SA Distillerie Rivière du Mât , de la SA Distillerie de Savanna et de la SA Établissements Isautier . ● La société Distillerie Rivière du Mât qui appartient au Groupe Quartier Français a produit environ 22 000 HLAP de rhum traditionnel de sucrerie en 1996. A ces quantités, il convient d’ajouter celles, produites pour le compte de la SA Établissements Isautier (2 895 HLAP en 1996) au prix de 4 F/HLAP. La quasi-totalité du rhum de la société Sucrière de La Réunion était commercialisée par le GIE Rhum au prix moyen de 31,22 F/LAP en 1996. ● La société Distillerie de Savanna, qui appartient au Groupe Bourbon, s’approvisionne en mélasse principalement auprès de la SA Sucrière de Bois Rouge, appartenant au même groupe, au prix unitaire de 275 F/tonne en 1996 pour 480 F/tonne de 1997 à 1999. Le potentiel de production de la distillerie (90 000 HL/an), installée dans l’enceinte même de la sucrerie Sucrière de Bois Rouge, est utilisé à moins de 50 %.

Le président directeur général de la société Distillerie de Savanna, également directeur général de la société Sucrerie de Bois Rouge, appartenant au même groupe, a déclaré, lors de son audition, le 25 janvier 2000 : " La production de rhum traditionnel et de rhum léger est de l’ordre de 40 000 HLAP/an. (……). Les ventes à « RHUMS REUNION » représentent de 8 500 à 9 000 HLAP/an. Les prix ont été de :/- 30,20 F/LAP (1996) pour le rhum traditionnel ;/- 31,22 F/LAP, puis 32,16 F/LAP (1977) ;/- 32,16 F/LAP, puis 33,12 F/LAP (1998) (…….) Pour ces mêmes années, les prix de vente du rhum destiné aux liquoristes ont été de :/- 21,09 F/LAP pour le rhum traditionnel/- 23,10 F/LAP pour le rhum léger.

- l’alcool de canne Cet alcool est destiné à la confection des liqueurs, punchs et autres spiritueux. Ses ventes sont de l’ordre de 4 000 HLAP/an, dont 3 000 HLAP en moyenne à « J. Chatel SARL ». Les prix de vente ont été de 12,16 F/LAP en 1996 et 1997, puis 6,35 F/LAP en 1998 et 1999 pour Chatel, et de 12,16 F/LAP pour les autres liquoristes de 1996 à 1999 ". Les conditions générales de vente pour le marché local, mises à jour au 21 juillet 1999 annexées audit procès- verbal, font ressortir les prix suivants :

- " rhum traditionnel déclassé – alcool cru de canne " : de 21,09 F/LAP (jusqu’à 1 000 HLAP) à 15,620 /LAP (pour des volumes supérieurs à 4 500 HLAP) ;

- " rhum léger déclassé – alcool cru de canne " : de 12,16 F/LAP (jusqu’à 1 000 HLAP) à 6,1595 F/LAP (pour des volumes supérieurs à 4 500 HLAP). ● La société Établissements Isautier : Le capital de cette société anonyme, qui a pour activité la production de rhum, est détenu par des membres de la famille Isautier. Le chiffre d’affaires annuel est de l’ordre de 7 millions de francs. Cette société détient 6,8 % du capital du GIE Rhums réunion et 34,66 % de celui de la société anonyme SOPAVI, liquoriste concurrent de la société Jean Chatel. La production de la distillerie, implantée à Saint-Pierre, a varié d’environ 1 000 HLAP à 2 500 HLAP au cours de la période 1996-1999, cette production étant complétée par de la sous-traitance réalisée par la société Distillerie Rivière du Mât (de 1 000 à 2 900 HLAP au cours de la même période), la mélasse nécessaire étant achetée directement par la SA Établissements Isautier auprès de la société Sucrière de La Réunion. Le rhum traditionnel de sucrerie destiné à la consommation locale est commercialisé en totalité par le GIE Rhums Réunion (environ 1 100 HLAP/an). Le prix unitaire (en F/LAP – livraison incluse -) a varié de 31,22 F à 34,19 F de 1996 à 1999. Le directeur général de la société a déclaré, lors de son audition, le 4 février 2000 : " - Le rhum traditionnel de sucrerie

Il est en partie fabriqué par la distillerie de la société et pour le reste sous-traité à la SA « Distillerie Rivière du Mât » (……….) Les Établissements Isautier vendent également du rhum traditionnel déclassé en alcool de canne. Les quantités vendues ont été de (……) 1 554 HLAP en 1996, aux prix moyens de (…….) 6,64 F/LAP en 1997 et 6,50 F/LAP en 1996. /- Cet alcool de canne est vendu uniquement à la société SOPAVI (….). - le rhum léger Sa fabrication est sous-traitée à la « Distillerie Rivière du Mât ». /-(……..) Une partie de ce rhum est déclassée en alcool de canne et vendu également à la « SOPAVI » Le secteur du stockage et de l’embouteillage Le capital social du GIE " Rhums Réunion « (anciennement » GIE Rhum « ), présidé par M. Xavier Thieblin, était détenu au moment des faits à 42,12 % par la société » Distillerie de Savanna « (Groupe Bourbon), 36,83 % par la société » Sucrière de La Réunion « (Groupe Quartier Français), 14,24 % par la société » Distillerie Rivière du Mât « et à hauteur de 6,8 % par la société » Établissements Isautier « , la société » Sucrerie de Bois Rouge " ne détenant qu’une part symbolique. Le GIE a pour activité principale l’achat en vrac de rhum auprès de ses membres (à l’exception de la " Sucrerie de Bois Rouge « ) pour la revente. Le rhum livré en vrac est stocké, assemblé, embouteillé puis commercialisé, principalement sous la marque » Charrette « (rhum traditionnel de sucrerie à 49°) et accessoirement sous les marques » Cocktail « (rhum léger à 45°) et » Vieux rhum de Savanna " (rhum vieux à 49°), la vente des deux derniers produits étant marginale (moins de 0,10 % du total). Depuis avril 1997, les quatre fournisseurs commercialisent l’intégralité de leur rhum traditionnel de sucrerie sous la marque " Charrette ", lequel représente la quasi totalité des ventes du GIE. Outre son activité de négoce, le GIE Rhums Réunion assure également une activité de stockage du rhum léger et traditionnel de ses membres, destiné à l’exportation, ceci en contrepartie d’une rémunération de 20 F/HLAP. Par ailleurs, jusqu’en novembre 1996, le GIE Rhums Réunion a vendu et facturé du rhum traditionnel et de l’alcool de canne aux producteurs de punchs et liqueurs, pour le compte de la société Distillerie de Savanna. Les prix unitaires facturés s’élevaient à 21,09 F/LAP pour le rhum traditionnel et à 12,16 F/LAP pour l’alcool de canne (Cf. PV d’audition de M. Alain Macé du 17 janvier 2000 – facture Distillerie de Savanna à GIE Rhum du 31/10/96). Les statuts du GIE Rhums Réunion, tels qu’applicables au moment des faits, stipulaient à l’article 9 qu’" un membre du groupement ne peut céder ses parts qu’à un autre membre du Syndicat des producteurs de Rhum ". Cette disposition a été supprimée lors de l’assemblée générale mixte ordinaire et extraordinaire du

GIE , qui s’est tenue le 22 juin 2001. Le président du GIE Rhums Réunion a déclaré, lors de son audition : " les prix de vente du rhum en vrac au « GIE Rhum » sont les mêmes pour tous les producteurs et les augmentations de ces prix se font aux mêmes dates pour tous : ces prix et ces hausses sont fixés par le GIE ". Le secteur des autres spiritueux fabriqués localement Il s’agit essentiellement des punchs locaux et des liqueurs fabriqués à partir d’alcool de canne et de rhum « déclassé ». Quatre entreprises interviennent dans ce secteur qui se situe en aval de celui de la production d’alcool de canne. Il s’agit de la société Jean Chatel, de la Sopavi, de la Sogim et de la Distillerie de Vue Belle. Selon les résultats de l’enquête, le groupe Jean Chatel disposerait avec la Distillerie de Vue Belle d’environ 70 % du marché concerné. Bien qu’elle ne distille plus d’alcool depuis de nombreuses années, la société Jean Chatel continue à commercialiser, sous sa propre marque, du rhum en bouteille qu’elle se procure en vrac auprès des distilleries locales. Au moment des faits, le capital de la société anonyme Sopavi était détenu à 65,12 % par la société Cilam, elle même contrôlée par le groupe Bourbon, et à 34,66 % par la société Établissements Isautier, laquelle assurait l’approvisionnement de la Sopavi en alcool de canne aux prix de 6,50 F/LAP en 1996 et de 6,64 F/LAP en 1997. La quasi-totalité de la production de punchs et de liqueurs de la Sopavi était vendue à la société Cilam, laquelle la commercialisait ensuite auprès de la grande distribution dans laquelle le groupe Bourbon détenait des participations. La consommation de boissons alcoolisées à La Réunion Le tableau suivant fait ressortir l’évolution de la consommation des principales boissons alcoolisées à La Réunion (source : Douanes, en HL d’alcool pur) :

1980 1999

Rhum 47 % 30 % Spiritueux locaux 13 % 10 % Spiritueux importés 9 % 10 % Bière 12 % 22 % Vin 19 % 28 %

La population de l’île est passée de 501 000 à 705 000 habitants au cours de cette période et la consommation d’alcool par habitant variée de – 16 %. Le rapport présenté par le Conseil Interprofessionnel du Rhum Traditionnel des DOM (CIRTDOM) au groupe de travail interministériel chargé de " préparer les échéances 2000-2002-2003 " (document établi en janvier 2000 et versé au dossier par le GIE Rhums Réunion en annexe à ses observations) reconnaît, au sujet du rhum en général, que l’" élasticité croisée de la demande de rhum en cas de hausse du prix du rhum et de stabilité des prix des autres boissons n’est pas mesurable aisément « . La brochure intitulée » Le livre blanc du rhum « , publiée par le Syndicat des producteurs de Rhum de La Réunion souligne, de fait, la » place privilégiée « occupée par le rhum de consommation courante produit localement et les multiples utilisations du rhum dans les » traditions réunionnaises « . La société Groupe Bourbon a enfin déclaré, au sujet du prix des boissons spiritueuses consommées à La Réunion : » On pourra observer en magasin qu’à La Réunion cet avantage comparatif fiscal se retrouve largement au niveau du consommateur local, qui achète son rhum à 49 degrés autour de 35 F le litre contre 90 F pour un whisky en moyenne. En métropole, la part de l’avantage retournée au consommateur sur rayon dépasse rarement 5 à 10 F du litre, avec un rhum autour de 80 F (au mieux) pour un whisky à 90 F ". 2 – Les faits Le 20 novembre 1995, le gérant de la société Jean Chatel qui est un liquoriste s’adresse au président du GIE Rhums Réunion, dans ces termes : " Nous venons par la présente attirer votre attention sur la dangereuse dérive inflationniste du prix de vente de l’alcool de canne depuis ces quatre dernières années./- Le prix de l’alcool a en effet augmenté de plus de trente quatre pour cent en quatre ans, pénalisant ainsi fortement nos produits par rapport aux produits d’importation, malgré une fiscalité différentielle avantageuse./- Durant cette même période, le prix de certains produits spiritueux d’importation est resté stable, tels certains whiskys ou certains apéritifs. (…)/- Nous avons, en outre, respecté une attitude de retrait vis-à-vis de la commercialisation de produits susceptibles de concurrencer le rhum Charrette et ce, malgré de nombreuses invectives de nos clients distributeurs./- Nous n’avons guère rencontré de votre part une attitude constructive, concertée et volontariste./-Nous avons au contraire subi des augmentations tarifaires soutenues chaque année, sans le moindre aménagement des conditions que nous sommes aujourd’hui en droit d’attendre de par le volume d’achat que nous représentons./- Nous avons de surcroît assisté à l’arrivée de concurrents nouveaux sur nos segments de marché opérant pour certains dans un contexte privilégié. Nous sommes, en outre, placés devant une situation d’unicité de l’offre nous privant ainsi du libre jeu de la libre concurrence. Ce contexte s’apparente à une situation d’abus de position dominante que nous tenons aujourd’hui à dénoncer vigoureusement./- Nous vous demandons, en conséquence, de reconsidérer cette position et d’introduire une nouvelle politique tarifaire concertée et réaliste ".

Le 26 avril 1996, le gérant de la société Jean Chatel rappelle au président du GIE Rhums Réunion les engagements que ce dernier aurait pris au sujet d’une proposition de prix, lors d’une entrevue qui se serait tenue, " le 11 avril ". Le 6 mai 1996, le président du GIE Rhums Réunion adresse une proposition de prix relative à la fourniture d’alcool cru de canne " avec effet rétroactif au 1er janvier 1996 et maintien du prix sur 3 ans, sauf dérive importante de l’inflation ou modification sur la fiscalité des alcools". Le prix proposé pour l’alcool destiné à la fabrication de produits destinés au marché local s’élève à 12,160 F/LAP, avec des remises quantitatives variant de 1 à 6 %, le prix proposé pour la fabrication de produits destinés à l’exportation s’élevant à 6,00 F/LAP. Compte tenu des prix proposés par le GIE Rhums Réunion, la société Jean Chatel décide alors de procéder elle-même à la fabrication d’alcool de canne à partir de la mélasse, l’unité de production devant être opérationnelle « début 1997 ». A cette fin, elle se tourne le 19 juin 1996, vers les deux producteurs de mélasse présents sur le marché afin d’obtenir des offres commerciales. Le 14 août 1996, la société Sucrière de La Réunion informe le président de la société Jean Chatel qu’elle " a pour objectif d’optimiser, dans le cadre de contrats pluriannuels, ses disponibilités de mélasse « et que, » dans ce but, elle maintient des relations privilégiées avec les trois distilleries du département, dans l’esprit d’un partenariat industriel à long terme ". Cette société, qui indique qu’elle livre par ailleurs des " petites quantités de mélasse " aux éleveurs de bétail et la société France Mélasse, dans le cadre d’un contrat à long terme, se dit prête à fournir la société Jean Chatel en mélasse, mais en précisant que cela ne pourrait concerner que des " excédents conjoncturels ". Le prix proposé s’élève à 500 F/tonne " stade départ Gol ". Le 24 septembre 1996, la société Jean Chatel informe la société Sucrière de La Réunion que ses besoins de mélasse s’élèvent de 1 200 à 2 000 tonnes par campagne à livrer sous 3 à 5 mois " par 100 à 150 tonnes ". Le 21 octobre 1996, le GIE Rhums Réunion informe la société Jean Chatel que les commandes d’alcool cru de canne devront être adressées " directement aux distilleries « à compter du 1er novembre 1996. Le 29 octobre 1996, la société Jean Chatel adresse une lettre de rappel à la société Sucrière de La Réunion au sujet des commandes de mélasse. Dans une lettre datée du 27 décembre 1996, le président du Groupe Quartier Français déclare à la société Jean Chatel : » Nous faisons suite à votre courrier du 24/09/96 par lequel vous nous demandez de vous céder de la mélasse. Nous vous informons, qu’au-delà de nos relations avec nos clients habituels, nous avons décidé de distiller pour notre propre compte l’ensemble des mélasses dont nous disposons dans le cadre du Groupe Quartier Français. Dans cet esprit, nous sommes prêts à envisager avec vous un partenariat à long terme basé sur un contrat

pluriannuel au titre duquel nous vous fournirions de l’alcool de canne au prix de 7,60 FF par litre d’alcool pur, sur la base d’une quantité annuelle minimum de 3 000 hectolitres d’alcool pur « . Le 4 février 1997, le gérant de la société Jean Chatel invite le directeur de la société Distillerie de Savanna à lui adresser une proposition de prix » sous un délai de quinze jours " et l’informe qu’en l’absence de proposition, il se tournera vers la groupe Quartier Français. Le 20 mars 1997, la société Distillerie de Savanna adresse un projet de contrat à la société Jean Chatel, dans lequel il est proposé au fabricant de punchs et liqueurs la fourniture d’alcool cru de canne au prix de 6,35 F/LAP. Dans une lettre adressée, le 12 mai 1997, à la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Saint-Denis de La Réunion, le directeur de la société Rivière du Mât déclare : " Stratégie de notre société en matière de valorisation des mélasses./ – Si l’on retient une utilisation moyenne de 4,8 kg de mélasse par litre AP, la production maximale possible est de 90 000 HLAP, ce qui est devenu possible depuis 1996 avec une capacité de production de 2 800 HLAP par semaine X 47 semaines, soit 131 600 HLAP en annuel. Nous sommes donc en phase de recherche active de nouveaux débouchés de produits à base de rhums et devons, pour la première fois, durant l’inter-campagne 1997, distiller 8 000 HLAP de flegmes pour notre plus gros client Ryssen, un des plus grands opérateurs européens ; celui-ci, si le premier contrat se révèle satisfaisant, s’est engagé à prendre toute notre production d’alcool de canne. 7. Proposition faite aux Établissements Chatel de lui fabriquer de l’alcool cru de canne sur la base de 7,60 F par litre AP. Nous connaissons le mécontentement des Ets Chatel sur les prix de vente d’alcool cru de canne qui lui étaient proposés par Savanna. Dans le cadre de notre stratégie d’utilisation de la totalité de la mélasse produite par la Sucrière de La Réunion (….), nous avons fait une proposition de contrat pluriannuel de vente d’une quantité significative d’alcool cru de canne qui nous semblait équilibrée (en répondant aux soucis de l’acquéreur tout en nous préservant une marge raisonnable) ". Un protocole d’accord est finalement signé, le 11 décembre 1997, entre la société Distillerie de Savanna et la société Jean Chatel, protocole aux termes duquel le prix de l’alcool cru de canne est fixé à 6,35 F/LAP, départ usine, pour un volume minimum de 3 000 HLAP, alors que le prix facturé, jusque là, s’élevait à 12,16 F/LAP. Des remises sont consenties pour des volumes supérieurs. Le prix, ainsi fixé, s’applique rétroactivement à compter du 1er janvier 1997. En outre, une indemnisation d’un montant de 950 000 F du groupe Chatel est prévue par le contrat (article 5) au sujet du préjudice causé du fait de l’abandon du projet de construction d’une distillerie et d’un chais de vieillissement du rhum devant permettre à ce groupe de

« fabriquer, à partir de la mélasse, sa propre matière première ». Le protocole précise enfin (article 3) que la validité de l’accord est subordonnée au retrait de la plainte devant le Conseil de la concurrence et qu’en cas de poursuite de la part du Conseil de la concurrence, les éventuelles pénalités seront " déduites de l’indemnité prévue à l’article 5 ".

L’enquête réalisée localement a permis d’établir que la société Sucrière de La Réunion se livrait, au moment des faits, à des exportations de mélasse (25 796 tonnes en 1996 et 6 781 tonnes en 1997), et ce, à des prix inférieurs à ceux pratiqués sur le plan local (210 F en 1996 – 144 F en 1997 contre 480 F et plus pour les ventes effectuées auprès des industriels locaux). 3 – Rappel des griefs notifiés Les griefs retenus dans le rapport définitif ont été notifiés dans les termes suivants : " Le premier grief notifié à la société Sucrière de La Réunion du chef d’abus de position dominante pour s’être opposé, par des manoeuvres dilatoires, à la vente de mélasse à la société Jean Chatel, est retenu à ce stade du débat contradictoire. Le second grief, notifié aux sociétés Groupe Bourbon, Groupe Quartier Français et Etablissements Isautier, du chef d’abus de position dominante collective pour s’être livré à la vente d’alcool de canne à un prix artificiellement élevé à la société Jean Chatel, antérieurement à la fin de l’année 1996, puis en 1997 vis-à- vis d’autres sociétés, est également retenu à ce stade du débat contradictoire. Le troisième grief, notifié aux sociétés Groupe Bourbon, Groupe Quartier Français et Établissements Isautier ainsi qu’au GIE Rhums Réunion, du chef d’entente anticoncurrentielle pour la politique commerciale commune adoptée par ses membres et son caractère « fermé » n’est plus retenu, à ce stade du débat contradictoire, qu’en raison du caractère « fermé » du GIE. Le GIE Rhums Réunion, auquel avait également été notifié le grief, est en revanche mis hors de cause, en raison du caractère transparent de cette organisation ". II. – Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil, Sur la demande de retrait de saisine de la société Jean Chatel Considérant que, par lettre en date du 12 janvier 1998, la société Jean Chatel a demandé le retrait de saisine ; qu’il y a lieu de lui en donner acte ; Considérant toutefois que, par une décision du 5 février 1998, le Conseil de la concurrence a décidé de s’autosaisir de la situation de la concurrence dans le secteur de la mélasse et du rhum à La Réunion ; que, par suite, il y a lieu pour lui d’examiner les faits relatés ci-dessus ; Sur les marchés Considérant que les fabricants de boissons alcoolisées de type punchs ou liqueurs installés à La Réunion estiment nécessaire, compte tenu des préférences des consommateurs locaux ainsi que de la nécessité d’afficher, sur les autres marchés, la provenance de leurs produits, d’utiliser de l’alcool distillé à partir de mélasses issues de canne à sucre cultivée dans le département de La Réunion ; qu’ainsi, bien que la mélasse de canne à sucre fasse l’objet d’un commerce international et que d’autres produits intermédiaires puissent

être utilisés pour fabriquer des punchs ou des liqueurs, il existe une demande spécifique d’alcools issus de mélasse réunionnaise adressée par les fabricants de punchs et liqueurs installés à La Réunion aux distillateurs de ce département ; que, de même, les distillateurs qui désirent fabriquer de l’alcool de canne réunionnais adressent aux sucreries une demande spécifique de mélasse issue de canne cultivée à La Réunion ; qu’il suit de là qu’il existe un marché de la mélasse issue de canne à sucre cultivée à La Réunion et un marché de l’alcool fabriqué à partir de cette mélasse ; Considérant que si, avec 60 % de parts de marché, il n’est pas exclu que la société Sucrière de La Réunion se soit trouvée en position dominante sur le marché de la mélasse issue de cannes cultivées à La Réunion, il n’est pas nécessaire de trancher ce point dès lors qu’en tout état de cause et, comme il sera ultérieurement démontré, cette société ne s’est pas livrée à une pratique susceptible d’être qualifiée d’abus de position dominante ; que, de la même façon, s’il n’est pas exclu que les sociétés Quartier Français, Groupe Bourbon et Etablissements Isautier, compte tenu de leurs parts de marché et des liens qui les unissent au travers du GIE Rhums Réunion, détiennent une position dominante collective sur le marché de l’alcool de canne issue de mélasse de La Réunion, il n’est pas nécessaire de trancher ce point dès lors qu’en tout état de cause et, ainsi qu’il sera démontré ultérieurement, les pratiques qui leur sont imputables ne sont pas susceptibles d’être qualifiées d’abus de position dominante collective ; Sur le grief de refus de vente de mélasse opposé à la société Jean Chatel par la société sucrière de la Réunion Considérant que le grief notifié à la société Sucrière de la Réunion reposait sur l’analyse que le refus opposé à la demande de mélasse présentée par la société Jean Chatel était destiné à empêcher cette dernière de créer une nouvelle activité de distillation, concurrente des activités mises en œuvre par d’autres sociétés du Groupe Quartier Français, auquel appartient la société Sucrière de La Réunion ; Mais considérant, en premier lieu, que la société Jean Chatel a fait savoir, le 19 juin 1996, aux deux producteurs de mélasse que, compte tenu des prix proposés par le GIE Rhums Réunion pour lui fournir de l’alcool cru de canne, elle envisageait de procéder elle-même à la fabrication d’alcool de canne à partir de la mélasse et qu’elle sollicitait de leur part des offres commerciales ; qu’en réponse, le 14 août 1996, la société Sucrière de La Réunion s’est déclarée prête à " étudier l’opportunité d’un partenariat industriel " avec la société Jean Chatel et a indiqué que le prix pratiqué était de 500 F/tonne ; que cette société ajoutait que, compte tenu de ses engagements, cela ne pourrait concerner que des « excédents conjoncturels » ; qu’il résulte des termes employés que, cette société n’a pas opposé une fin de non recevoir la demande de la société Jean Chatel mais a consenti au principe de livraisons de mélasse qui ne pourraient toutefois obéir à aucune régularité car conditionnées par l’existence d’excédents ; Considérant, en deuxième lieu, qu’il est loisible à un groupe, dont une filiale produit un bien intermédiaire qui pour la plus grande partie alimente une autre filiale fabricant un produit fini, de réserver à cette seconde filiale la partie de sa production amont qui lui est nécessaire ; que, de même, lorsque des contrats d’approvisionnement de long terme ont été passés avec des clients, il est licite pour un producteur même en position dominante de refuser de répondre à une nouvelle demande qui excède ses capacités de production restant disponibles ;

Considérant, en troisième lieu, que si le prix de cession envisagé, soit 500 F/tonne, était supérieur à celui que la société Sucrière de La Réunion pouvait espérer obtenir à l’exportation, il est constant que les exportations effectuées par cette société étaient variables et correspondaient à des excédents conjoncturels ; qu’ainsi, ces exportations se sont élevées à 25 796 tonnes en 1996 mais à 6 781 tonnes seulement en 1997 et 7 440 tonnes en 1998 ; que la position, soutenue lors de la séance par cette société, selon laquelle, en dehors de ses débouchés habituels, elle ne disposait que de surplus en quantité variable, susceptibles d’être exportés mais qu’elle aurait tout aussi bien pu vendre à la société Jean Chatel, apparaît plausible ; Considérant, enfin, que la préférence marquée par le Groupe Quartier Français en faveur d’un approvisionnement prioritaire de sa propre distillerie (Rivière du mât) peut s’expliquer par la circonstance qu’un nouveau débouché durable se manifestait pour les alcools qu’elle produisait du fait des propositions de son plus gros client extérieur, Ryssen ; Considérant qu’il suit de là qu’il n’est pas établi que le refus d’approvisionner la société Jean Chatel en mélasse, autrement que sur la base d’excédents conjoncturels, soit constitutif d’un abus de position dominante de la part de la société Sucrière de La Réunion ; Sur le grief notifié aux sociétés Groupe Bourbon, Groupe Quartier Français et Etablissements Isautier pour avoir cédé l’alcool de canne à un prix artificiellement élevé Considérant que le prix facturé par le GIE Rhums Réunion, pour le compte de la société Distillerie de Savanna à la société Jean Chatel était de 12,16 F/LAP en 1995 ; que ce prix assurait incontestablement au groupe Bourbon, auquel la société Distillerie de Savanna appartient, des marges très élevées puisque en 1997 les deux partenaires se sont mis d’accord pour un prix de 6,35 F/LAP sans qu’il apparaisse que les coûts de production aient significativement évolué au cours de la période ; que, d’ailleurs, à l’époque des faits, au sein du groupe Isautier, les cessions d’alcools entre la distillerie et le liquoriste s’effectuaient sur une base de 6,50 F/LAP, ce qui donne un élément de comparaison ; Considérant que si les entreprises sont libres de fixer leurs prix comme elle l’entendent, un prix manifestement trop élevé pratiqué par une entreprise en position dominante peut constituer un abus d’exploitation de ladite position ; que pour qu’une telle pratique puisse être qualifiée d’abus, il faut, cependant, que le prix pratiqué, une fois son caractère manifestement élevé établi, trouve sa cause dans la position dominante ; Considérant qu’en l’espèce, la société Jean Chatel, unique acheteur d’alcool indépendant de La Réunion, était, pour les distillateurs, un client professionnel important et expérimenté ; Considérant que le dossier ne comporte pas d’élément démontrant que la société Jean Chatel ait entrepris avant la fin de l’année 1995 d’obtenir des prix plus bas pour la fourniture d’alcool cru de canne ; qu’à partir du 20 novembre 1995, cette société a commencé à exercer des pressions sur son fournisseur habituel, la société Distillerie de Savanna, par l’intermédiaire du GIE Rhums Réunion qui la représentait ; que ces pressions ont abouti, le 6 mai 1996, à l’obtention d’une remise quantitative de 6 % avec effet rétroactif au 1er janvier 1996 ; que, par la suite, la société Jean Chatel a fait jouer la concurrence en envisageant d’abord une stratégie fondée sur l’achat de mélasse et la mise en route d’une activité propre de distillation, puis en

négociant avec la société Distillerie de la Rivière du Mât, filiale du Groupe Quartier Français ; que cette société, concurrente de son fournisseur habituel, lui a proposé, le 27 décembre 1996, un prix de 7,60 F/LAP, très inférieur au prix pratiqué par la société Distillerie de Savanna ; que cette dernière, en réaction à l’offre faite par la société Distillerie de la Rivière du Mât a, le 20 mars 1997, proposé un prix de 6,35 F/LAP ; que si, avant cette dernière proposition, la société Jean Chatel avait laissé entendre qu’elle pourrait saisir les autorités de concurrence, cette saisine n’était pas encore intervenue à la date du 20 mars 1997 ; que le fait de recourir à de telles menaces, dans le cadre d’une négociation commerciale difficile, ne suffit pas à démontrer que l’acheteur est victime d’une pratique anticoncurrentielle ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société Jean Chatel est parvenue à faire baisser les prix à partir du moment où elle a mis en œuvre une stratégie adéquate ; que la lenteur du processus peut s’expliquer par la forte position du fournisseur habituel de cette société et par l’ancienneté de leurs relations commerciales ; que, dans ces conditions, il n’est pas établi que le prix initial de l’alcool vendu à la société Jean Chatel par la société Distillerie de Savanna résultait uniquement de l’éventuelle position dominante détenue collectivement par cette dernière avec le Groupe Quartier Français et les Etablissements Isautier sur le marché de l’alcool de canne à La Réunion ; qu’au surplus, l’existence même d’une position dominante collective détenue par les membres du GIE Rhum Réunion, leur permettant de résister aux pressions d’un client important, paraît douteuse eu égard à la relative facilité avec laquelle un prix beaucoup plus bas a été obtenu auprès d’un distillateur concurrent de la société Distillerie de Savanna ; Considérant qu’il suit de là que la réalité du deuxième grief n’est pas établie ; Sur le grief relatif au caractère « fermé » du GIE Rhums Réunion Considérant que les statuts du GIE Rhums Réunion, tels qu’ils étaient en vigueur au moment des faits, stipulaient à l’article 9 qu’ "un membre du groupement ne peut céder ses parts qu’à un autre membre du syndicat des Producteurs de Rhums » ; Considérant qu’il est loisible à des entreprises de constituer entre elles des groupements et, le cas échéant, d’en limiter l’accès à leur gré, sous réserve de ne pas porter atteinte au fonctionnement de la libre concurrence ; que la « fermeture » d’un groupement, c’est à dire le fait d’en réserver l’adhésion à ses fondateurs ou à des entreprises acceptées par eux, n’est susceptible d’entraver le libre jeu de la concurrence que si la participation au groupement est la condition de l’accès au marché ; Considérant qu’en l’espèce, le GIE Rhums Réunion a pour objet la fabrication et la commercialisation de rhums et notamment du rhum réunionnais vendu sous la marque « Charette » ; qu’en dépit de la forte position qu’occupe cette marque de rhum sur le marché local, aucun élément du dossier ne permet de penser que le lancement par un distillateur de sa propre marque se heurterait à des obstacles de nature à vouer par avance un tel projet à l’échec ; que les dépenses, de publicité notamment, qu’impliquerait une telle opération ne semblent pas devoir dépasser les frais que supporte tout nouvel entrant sur un marché où les marques jouent un rôle important, étant, d’ailleurs, observé à cet égard que, selon les précisions fournies lors de la séance, l’apparition de la marque « Charette » ne remonte pas à plus de seize ans ; que, dans ces conditions, la participation au GIE Rhums Réunion n’est pas une condition de l’accès à un éventuel marché du rhum de La Réunion ni, a fortiori, à d’autres marchés de boissons alcoolisées ; que le troisième grief n’est pas fondé ;

Considérant qu’aucune de pratiques reprochées aux sociétés Sucrière de La Réunion, Groupe Bourbon, Groupe Quartier Français et Etablissements Isautier et au GIE Rhums Réunion n’étant établie, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 464-6 du code de commerce : DÉCIDE Article 1er : Il est donné acte du désistement de la société Jean Chatel. Article 2 : Il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure à l’encontre des sociétés Sucrière de La Réunion, Groupe Bourbon, Groupe Quartier Français et Etablissements Isautier ni à l’encontre du GIE Rhums Réunion. Délibéré sur le rapport de M. Bourhis, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente et M. Charrière-Bournazel, membre.

La secrétaire de séance, La présidente, Françoise Hazaël-Massieux Marie-Dominique Hagelsteen © Conseil de la concurrence

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    • Décision n° 01-D-70 du 24 octobre 2001 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la méasse et du rhum à La Réunion

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ADLC, Décision du 24 octobre 2001 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la mélasse et du rhum à la Réunion, 01-D-70