Cour d'appel d'Agen, Chambre commerciale 1ère chambre, 2 mai 2011, n° 09/01820

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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LLA Avocats · 10 février 2023

La rédaction des clauses de non-concurrence est fondamentale car se pose souvent des problèmes d'interprétation qui peuvent rendres ces clauses inefficaces si elles sont mal rédigées. Petit rappel sur la validité et l'interprétation des clauses de non-concurrence Validité d'une clause de non-concurrence Selon la jurisprudence constante, la validité d'une clause de non-concurrence en droit commercial impose les conditions suivantes (Cour de cassation – chambre commerciale 20 septembre 2016, n° 15-13.263) : La limitation dans le temps et dans l'espace ; Une justification par de la protection …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Agen, ch. com. 1re ch., 2 mai 2011, n° 09/01820
Juridiction : Cour d'appel d'Agen
Numéro(s) : 09/01820
Décision précédente : Tribunal de commerce d'Agen, 20 octobre 2009

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DU

02 Mai 2011

F.C / N.C**


RG N° : 09/01820


S.A.R.L. CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE

C/

XXX

SAS Y


ARRÊT n° 462/11

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Commerciale

Prononcé par mise à disposition au greffe conformément au second alinéa de l’article 450 et 453 du Code de procédure civile le deux Mai deux mille onze, par Raymond MULLER, Président de Chambre, assisté de Nathalie CAILHETON, Greffier

LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1re Chambre dans l’affaire,

ENTRE :

S.A.R.L. CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE, prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège

XXX

XXX

représentée par la SCP TANDONNET Henri, avoués

assistée de Me VIGON, avocat

APPELANTE d’un jugement rendu par le Tribunal de Commerce d’AGEN en date du 21 Octobre 2009

D’une part,

ET :

XXX, prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège

XXX

XXX

représentée par Me Jean Michel BURG, avoué

assistée de Me Ludovic VALAY, avocat

SAS Y, prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège

XXX

XXX

représentée par la SCP NARRAN GUY, avoués

assistée de Me Nathalie SACREZ, membre de la société FIDAL, avocat

INTIMES

D’autre part,

a rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique, le 07 Mars 2011, devant Raymond MULLER, Président de Chambre, François CERTNER, Conseiller (lequel, désigné par le Président de Chambre, a fait un rapport oral préalable) et Chantal AUBER, Conseiller, assistés de Nathalie CAILHETON, Greffier, et qu’il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées par le Président, à l’issue des débats, que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe à la date qu’il indique.

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EXPOSE DU LITIGE :

Dans des conditions de régularité de forme et de délai non discutées, la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » a interjeté appel contre toutes parties du jugement prononcé par le Tribunal de Commerce d’AGEN le 21 octobre 2009 :

— l’ayant débouté de sa demande tendant à obtenir que soit ordonnée la cessation de l’activité de vente de chaussures et chaussettes au sein de l’établissement « LA FOIR’X » de la S.A.S. Y,

— ayant autorisé la S.A.S. Y à poursuivre son activité de chaussant au sein de son établissement,

— l’ayant condamné à payer à la S.A.S. Y la somme de 500 Euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

— l’ayant débouté de ses prétentions envers la XXX,

— l’ayant condamné à payer à la XXX la somme de 500 Euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

— ayant dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.

Les faits de la cause ont été relatés par les premiers Juges en des énonciations auxquelles la Cour se réfère expressement, sauf à préciser ceci :

Par acte en date du 25 janvier 2005, la XXX a donné à bail commercial à la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » des locaux commerciaux destinés à l’exercice d’une activité de vente de chaussures, maroquinerie et tous articles s’y rapportant.

Cet acte comporte la clause de non-concurrence suivante : « la bailleresse s’interdit d’exploiter, directement ou indirectement, y compris par la location à un tiers, dans le reste de l’immeuble ou des immeubles adjacents, pendant la durée du bail, de ses prorogations et de ses renouvellements éventuels, l’un des commerces que le preneur a déclaré exercer, soit l’activité de chaussures, maroquinerie, et tous articles s’y rapportant ».

Par acte en date du 03 août 2005, la XXX a donné à bail commercial à la S.A.S. Y, exerçant sous l’enseigne « LA FOIR’X » des locaux dans un immeuble adjacent à celui exploité par la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE ».

Par ordonnance sur requête en date du 24 juin 2006, le Président du Tribunal de Commerce de MARMANDE a commis Me BONNIN, huissier, à l’effet de procéder à diverses constatations dans les locaux commerciaux de la S.A.S. Y, notamment de vérifier si des chaussures, chaussettes, maroquinerie et tous produits s’y rapportant y étaient commercialisés, de les décrire avec précision et de déterminer le métrage des linéaires qui y seraient dédiés.

L’huissier constatant a établi son procès-verbal le 30 juin 2006.

Vu les ultimes écritures déposées par l’appelante le 03 février 2011 aux termes desquelles elle conclut à l’infirmation de la décision entreprise et demande à la Cour :

I – au principal :

* de dire que la S.A.S. Y devra cesser son activité de vente de chaussures et de chaussettes au sein de son établissement à l’enseigne de la « LA FOIR’X », situé à XXX,

II – subsidiairement, dans l’hypothèse où sa demande à l’encontre de la S.A.S. Y serait écartée :

* de condamner la XXX, sous astreinte de 500 Euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, à mettre en oeuvre les moyens nécessaires au respect par la S.A.S. Y, de la clause de non-concurrence insérée au bail aux fins de cessation de l’activité de vente de chaussures et de chaussettes,

* de condamner la XXX à lui verser la somme de 30.000 Euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir,

III – en tout état de cause de condamner la XXX, outre à supporter les entiers dépens, à lui verser la somme de 2.000 Euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

A l’appui de ses prétentions, elle fait essentiellement valoir l’argumentation suivante :

1°) le procès-verbal de constat d’huissier dressé sur autorisation judiciaire démontre que la S.A.S. Y -qui ne le nie pas et précise même qu’elles font partie de la nomenclature des produits dont la vente lui est imposée par son contrat de distribution- commercialise des chaussures et des chaussettes ; ces produits -chaussures de plage et de sport, mules, tongs, etc- sont identiques à ceux qu’elle commercialise elle-même ; la concurrence prohibée est caractérisée compte tenu d’une part de l’identité de la gamme des produits, de la taille des présentoirs de « LA FOIR’X » et de l’éventail des prix pratiqués chez l’une et l’autre ; contrairement à ce qu’affirment ses adversaires, il importe peu que la vente de produits d’été -notamment des « tongs »- constitue pour elle comme pour son concurrent une activité accessoire ; il est tout aussi indifférent que la concurrence ne soit prétendument que « partielle » ; en dépit des dénégations des intimées, les produits litigieux entrent parfaitement dans la définition et l’énumération données à cet égard dans la clause de non-concurrence invoquée,

2°) son action à l’encontre de la société bailleresse se fonde sur les dispositions des articles 1134 et 1147 du Code Civil ; la bailleresse a manqué à ses obligations contractuelles et ne saurait trouver un fait justificatif à ses agissements dans la création d’un pôle commercial prétendument attractif pour tous les commerçants du secteur ; l’insertion dans le bail d’une clause de non-concurrence constituait pour elle la garantie de ne pas avoir à subir la concurrence de la grande distribution dans sa zone de chalandise,

3°) la concurrence existe bien pour le chaland, déjà client de « LA FOIR’X », et qui connaît les produits proposés par cette dernière ; la concurrence est aussi avérée pour le client qui se rend chez cette dernière sans intention d’achat précise mais qui, s’il y achète chaussures ou chaussettes, est un client désormais perdu pour elle ; il y a, soit perte ou détournement de clientèle, soit perte de chance de capter le chaland potentiellement désireux d’acheter ce type de produit,

4°) ses documents chiffrés démontrent une perte de 34 % de chiffre d’affaires depuis l’implantation de ce rayon chez son concurrent voisin ; d’ailleurs, la S.A.S. Y admet réaliser un chiffre d’affaire dans ce rayon particulier de l’ordre de 6.500 Euros par an ; au reste, la preuve d’un préjudice chiffré n’est pas une condition indispensable au succès de sa demande ; la simple démonstration de la violation d’une clause de non-concurrence, de la perte de clientèle ou même de la perte d’une chance suffisent à établir le préjudice,

5°) ainsi qu’il a été jugé par la Cour de Cassation, « le locataire bénéficiaire d’une clause d’exclusivité qui lui a été consentie par son bailleur est en droit d’exiger que ce dernier fasse respecter cette clause par ses autres locataires, même si ceux-ci ne sont pas partie au contrat contenant cette stipulation » ; de même, il a été jugé que la circonstance selon laquelle le locataire avait été autorisé par son bail à exercer l’activité prohibée ne dispensait pas le bailleur de mettre en oeuvre les moyens d’exécuter son obligation en nature et de faire cesser l’exploitation par son locataire du commerce en cause.

Vu les écritures déposées par la XXX le 26 octobre 2010 aux termes desquelles elle conclut à la confirmation du jugement querellé et demande à la Cour de :

* « déclarer irrecevables toutes les demandes formées à l’encontre de la S.A.S. Y »,

* « dire et juger qu’elle serait seule à supporter les conséquences éventuelles du non-respect de la clause de non-concurrence »,

* débouter « à titre principal » l’appelante de l’ensemble de ses demandes,

* « constater l’absence de caractérisation d’exercice d’une activité concurrentielle similaire »,

* « constater par ailleurs qu’il n’y a aucun exercice d’activité commerciale préjudiciable » à l’appelante,

* « constater au contraire que le développement de la zone commerciale ne peut que favoriser les intérêts et le développement » de cette dernière,

* « constater au surplus qu’elle ne justifie d’aucun chiffre ni d’aucune démonstration qu’elle ait pu subir une baisse d’activité et par voie de conséquence un préjudice autre que virtuel » (sic),

* condamner l’appelante, outre aux entiers dépens, à lui verser la somme de 2.500 Euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

Elle développe essentiellement l’argumentation suivante :

1°) les demandes de l’appelante dirigées à l’encontre de la S.A.S. Y sont infondées ; il n’existe en effet entre ces deux sociétés aucune relation contractuelle, ni aucun lien délictuel ; ces demandes ne pouvaient exclusivement qu’être articulées à son encontre,

2°) le constat d’huissier ne concerne qu’un jour en particulier et des produits estivaux ; depuis son établissement, plus aucun incident n’a été mis en exergue,

3°) les chaussettes ne sont pas visées dans la clause de non-concurrence et ne peuvent être assimilées à des articles "se rapportant à l’activité de chaussures et de maroquinerie ; les « tongs » et « autres mules », sauf à recourir à une conception extensive, ne peuvent recevoir le qualificatif de chaussures ; « LA FOIR’X » ne fait aucune concurrence à l’appelante : elle ne vend pas d’articles similaires et les prix qu’elle pratique sont totalement différents de ceux de l’appelante ; d’ailleurs, la clientèle de « LA FOIR’X » y vient sans but d’achat précis autre que de réaliser une bonne affaire et non en vue d’y acquérir des chaussures ou de la maroquinerie,

4°) elle est parvenue à obtenir l’implantation de « LA FOIR’X » et d’autres grandes enseignes dans un même périmètre, ce qui renforce la venue et le passage des clients par attirance réciproque, provoque des synergies commerciales et stimule l’activité ; l’appelante lui est redevable de cette stratégie de développement de la commercialité du site qui, loin de lui nuire, tout au contraire lui est largement profitable économiquement, au lieu de tenter d’obtenir la réparation d’un préjudice quasiment moral,

5°) les quelques données chiffrées avancées par cette dernière pour tenter de justifier de son préjudice et de son montant n’offrent aucune fiabilité.

Vu les écritures déposées par la S.A.S. Y le 20 décembre 2010 aux termes desquelles elle conclut à la confirmation de la décision appelée, sauf à condamner supplémentairement, d’une part la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » à lui verser la somme de 5.000 Euros de dommages-intérêts pour procédure abusive, d’autre part in solidum la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » et la XXX à lui verser la somme de 7.000 Euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ; à titre subsidiaire, elle réclame que la XXX soit condamnée à la garantir de l’intégralité de son préjudice dans le cas où elle serait condamnée à la cessation partielle de son activité et à lui verser en réparation la somme « minimale » de 242.098 Euros à parfaire le cas échéant.

Elle développe essentiellement l’argumentation suivante :

1°) le bail qu’elle a conclu avec la XXX ne comporte aucune clause limitative d’activité, sauf l’alimentation, ni référence à une clause de non-concurrence bénéficiant à un tiers ; l’appelante ne saurait dès lors l’accuser de concurrence déloyale ; exerçant une activité autorisée par son bail, elle ne peut avoir commis la moindre faute délictuelle susceptible de lui être reprochée ;

2°) le procès-verbal de constat d’huissier ne concerne qu’un seul jour et une seule heure et a mis en lumière qu’il n’existait dans ses magasins aucun produit assimilable à des chaussures ; il n’a en effet été relevé la présence d’aucun produit susceptible d’entrer dans la définition classique de ce que l’on nomme habituellement chaussure, et notamment des articles en cuir ; il n’a été constaté que la présence de mules, de tongs fantaisie, d’espadrilles et de tennis de toile, ce qui correspond à la notion beaucoup plus floue de « chaussants » ; si elle vend effectivement des chaussettes dans son rayon « petits textiles », il ne s’agit pas d’articles se rapportant à l’activité « chaussures/maroquinerie » ; elle ne se trouve donc nullement dans un rapport de concurrence avec l’appelante d’autant que, pour cette dernière, la vente de tongs et de chaussettes ne constitue en toute hypothèse qu’une activité accessoire ; or, il est constant que les clauses d’exclusivité sont d’interprétation restrictive et ne protègent que le commerce principal autorisé, à l’exclusion des activités connexes, complémentaires ou accessoires ; la clause d’exclusivité invoquée par l’appelante ne la protège donc pas pour ses activités accessoires,

3°) la nomenclature des produits FOIR’X-Y, dans laquelle il est question de rayon chaussettes/chaussants, est contraignante, ce qui implique qu’elle ne saurait y renoncer ; la priver d’un tel rayon dénaturerait l’identité de son commerce, la mettrait en contravention vis à vis du détenteur de la licence de marque et de savoir-faire et l’obligerait à supporter à fonds perdus le coût de la communication publicitaire récurrente -relative aux chaussettes/chaussants- opposable à tous les licenciés du réseau,

4°) l’appelante, en sa qualité de locataire titulaire d’une clause d’exclusivité, ne peut directement lui réclamer de cesser l’activité concurrentielle reprochée ; elle ne peut pas plus demander au bailleur commun de faire cesser la concurrence dommageable dont ce dernier est à l’origine car le preneur, exerçant un commerce concurrent en vertu de son propre contrat, bénéficie d’un droit acquis ; le titulaire d’une clause d’exclusivité n’a qu’un droit à réparation à l’égard du bailleur commun mais ne peut exiger de lui qu’il fasse cesser la concurrence dommageable dont il a lui-même permis la création rn raison du droit acquis de l’autre locataire,

5°) il ne peut être question que, par le fait d’un tiers, il soit mis à sa charge des obligations nouvelles non prévues dans son bail, ce qui vont reviendrait à contrevenir à l’effet relatif des contrats ; son bailleur ne dispose d’aucun moyen de le contraindre, alors qu’il est de parfaite bonne foi, à cesser l’activité litigieuse ; la clause d’exclusivité doit, dans la présente hypothèse, se résoudre en dommages-intérêts,

6°) seul un préjudice certain peut donner lieu à indemnisation ; l’appelante n’en rapporte pas la preuve, se contentant de faire valoir un préjudice simplement éventuel,

7°) son bailleur, qui ne l’a jamais avisé de l’existence de la clause d’exclusivité bénéficiant à l’appelante, lui doit garantie en raison de ses manquements contractuels ; si elle devait être interdite -partiellement- d’exercer son activité dans le domaine chaussettes/chaussants de sa nomenclature, elle serait en faute envers le détenteur de la licence de marque et de savoir-faire et subirait une perte de marge et des coûts insusceptibles d’être rentabilisés ; elle chiffre son préjudice à la somme de 242.098 Euros et estime que son bailleur lui en est redevable en vertu des articles 1719 et suivants du Code Civil.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Le contrat de bail commercial conclu entre la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » et la XXX le 25 janvier 2005 comporte une clause :

— intitulée « destination » (page 3) rédigée en substance de la manière suivante : « les lieux loués devront servir exclusivement à l’activité de chaussures, maroquinerie, tous articles s’y rapportant »,

— intitulée « clause de non concurrence par le bailleur (page 7) rédigée en substance de la manière suivante : »le bailleur s’interdit d’exploiter, directement ou indirectement, y compris par la location à un tiers, dans le reste de l’immeuble ou des immeubles adjacents pendant la durée du bail, de ses prorogations et de ses renouvellements éventuels, l’un des commerces que le preneur a déclaré exercer, soit l’activité de chaussures, maroquinerie, tous articles s’y rapportant" ;

Par acte en date du 03 août 2005, la XXX a donné à bail à la S.A.S. Y des locaux, dont nul ne discute qu’ils sont adjacents à ceux loués par la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE ».

Dans ce contrat, il était indiqué à la clause « destination » que l’immeuble à usage commercial pris à bail par la S.A.S. Y était « destiné à tous commerces, sauf alimentation ».

Le 30 juin 2006, l’appelante a fait dresser un procès-verbal de constat dans les locaux exploités par la S.A.S. Y à l’enseigne de la « LA FOIR’X » par ministère d’Huissier de Justice lequel a pu constater :

> que le métrage de deux linéaires dédiés aux chaussures est respectivement de 4,10 mètres de long sur une hauteur de 1,90, et de 0,95 mètres pour une même hauteur,

> que sur ces linéaires sont offerts à la vente des chaussures, des mules, des « tongs », des espadrilles, des tennis, des « entre-doigts », des sandalettes, des chaussures de sport, des chaussettes,

> qu’à l’arrière du magasin se trouve une paire de chaussure type « rangers ».

Il ressort de ce qui précède que la société bailleresse, après avoir conclu un accord d’exclusivité avec l’appelante, a consenti un bail tous commerces à peine quelque mois plus tard à la S.A.S. Y au mépris de ses engagements préalables.

D’une part, la clause d’exclusivité est valable, ce que nul ne discute, pour être limitée dans le temps et l’espace ;

D’autre part, il est constant que les clauses de ce type sont d’interprétation restrictive et ne protègent que le commerce principal autorisé, à l’exclusion des activités connexes, complémentaires ou accessoires, sauf stipulations contraires précises, ici absentes .

Au cas précis, le commerce principal autorisé à l’appelante antérieurement à celui de la S.A.S. Y est le commerce de chaussures et de maroquinerie.

En dépit de tentatives d’analyses sémantiques pour le moins laborieuses, voire acrobatiques, la XXX ne parvient pas à démontrer que les produits commercialisés par la S.A.S. Y à l’enseigne de la « LA FOIR’X », tels qu’ils ont été inventoriés par l’huissier constatant, n’entrent pas dans la catégorie « chaussures » dont il est question dans le bail qu’elle a souscrit avec la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » ; au demeurant, le terme de « chaussants », qui est générique et dont le sens, dans sa notion d’utilisation, est identique à celui de chaussures, ne figure que dans le cahier des charges de la licence de marque et de prestation de services de « LA FOIR’X », cahier des charges rigoureusement inopposable à l’appelante.

Les produits décrits dans le procès-verbal précité sont très exactement identiques à ceux commercialisés par l’appelante ainsi qu’il résulte tant d’un procès-verbal de constat dressé dans ses locaux à sa propre initiative le 02 juin 2008 et du détail de ses achats tel qu’il figure dans son compte de résultat de l’exercice 2007.

Quant aux considérations économiques, au demeurant guère convaincantes développées par la S.C.I. BLEY SUD, elles ne constituent en toute hypothèse que des simples arguties insusceptibles de constituer, de près ou de loin, un moyen juridique.

Dans ce contexte, la XXX est tenue de sa faute, caractérisée par la violation de la clause d’exclusivité stipulée au profit de la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » ; le trouble de jouissance qui en est résulté pour cette dernière peut s’apprécier à partir des tableaux de chiffres d’affaires comparés des années 2006 à 2009 certifiés par l’expert comptable de l’appelante ; si en 2006, année au cours de laquelle s’est mise en place la concurrence de la « LA FOIR’X », le chiffre d’affaire « chaussures » s’est globalement élevé à 23.000 €, il est descendu à environ 15.500 € en 2007, 7.300 en 2008 et 6.000 €.

Cela étant, il s’agit de chiffre d’affaires et pas de marge, seule notion à considérer en la matière ; compte tenu de facteurs de déperdition de clientèle ne tenant pas spécialement à la concurrence exercée par la « LA FOIR’X », de la situation de crise lors des années considérées et des marges bénéficiaires habituellement pratiquées dans le secteur, il y a lieu de condamner la XXX à dédommager l’appelante du préjudice subi par le fait fautif de la bailleresse par l’allocation de la somme de 8.000 Euros de dommages-intérêts.

Les éventuelles pertes de marge sur les chaussettes n’ont pas à être prises en compte, attendu que les clauses d’exclusivité ne protègent, comme il a été dit plus haut, que le commerce principal autorisé, à l’exclusion des activités connexes, complémentaires ou accessoires et qu’il s’agit en l’occurrence d’une « zone marginale commune ».

Bref, en concluant avec la S.A.S. Y un bail tous commerces sans exclure l’activité de « chaussures, maroquinerie, tous articles s’y rapportant », la XXX a incontestablement violé la clause d’exclusivité qu’elle avait précédemment consentie à la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE », ce qui engage sa responsabilité.

Il ne résulte de rien que la S.A.S. Y ait eu connaissance ou ait pu avoir connaissance, au moment de signer son contrat de location commerciale, de l’existence de la clause d’exclusivité profitant à l’appelante, mais incompatible avec les termes de son propre bail ; aucune mauvaise foi ne peut lui être imputée de sorte qu’aucune limitation des droits qu’elle tire du bail qu’elle a souscrit ne peut lui être imposée puisqu’elle exploite son fonds régulièrement, de manière conforme à ses stipulations.

Elle ne pouvait être attraite à l’instance par l’appelante, ni sur le fondement contractuel, ni sur le fondement délictuel, faute de relation juridique directe entre elles.

Nul ne saurait dès lors lui interdire de poursuivre cette exploitation, dans tous ses aspects, au motif tiré d’un acte passé par son bailleur avec un tiers, sans lui imposer des obligations qui n’ont pas été prévues dans le contrat la liant au propriétaire ; l’exécution d’une condamnation sanctionnant la violation du premier contrat -celui conclu entre la XXX et l’appelante- ne peut exercer aucune influence sur les obligations d’un tiers à ce contrat dans l’exécution d’une deuxième convention -celle conclue entre la XXX et la S.A.S. Y- sauf à contrevenir aux dispositions de l’art. 1165 du Code Civil instituant le principe de l’effet relatif des conventions.

Il convient en conséquence de dire que la S.A.S. Y en peut se voir interdire, à la demande de l’appelante, d’exercer son activité de vente de chaussures et de chaussettes au sein de son établissement à l’enseigne de la « LA FOIR’X », situé à MARMANDE.

L’équité commande de condamner la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » qui l’a attraite au procès, à lui verser la somme de 750 Euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile en sus de celle de 500 Euros qui lui a été allouée par les premiers Juges sur le même fondement.

La demande en dommages-intérêts formée par la S.A.S. Y ne saurait prospérer dès lors qu’il ne résulte, ni des pièces produites par elle, ni des circonstances de l’espèce la preuve de ce que l’action de la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE », qui ne pouvait connaître le contenu du bail liant ses deux adversaires, aurait dégénéré en abus du droit d’ester en Justice.

Il n’y a pas lieu de faire droit aux demandes subsidiaires de la S.A.S. Y devenues sans objet ;

Il ne peut non plus être question de confirmer la disposition superflue du jugement appelé selon laquelle la S.A.S. Y est autorisée à poursuivre son activité de « chaussants » au sein de son établissement.

Cela étant, la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE », qui est bénéficiaire d’une clause d’exclusivité qui lui a été consentie par son bailleur, est en droit d’exiger -faute de pouvoir le faire directement auprès de sa concurrente- que ce dernier fasse respecter cette clause par ses autres locataires, même si ceux-ci ne sont pas partie au contrat contenant cette stipulation car cette circonstance ne dispense pas la XXX de tenter d’exécuter son obligation en nature ; cette dernière doit faire respecter pour le présent l’exclusivité dont bénéficie son premier locataire, exclusivité prioritaire, ce qui est acquis sous forme de réparation compensatrice, mais aussi pour l’avenir.

A ce stade, elle ne justifie d’aucune démarche en ce sens de sorte qu’il y a lieu de la condamner à mettre en oeuvre les moyens permettant d’obtenir de la S.A.S. Y qu’elle cesse la vente de chaussures ; une astreinte provisoire doit venir assortir cette mesure et prendra effet à l’issue du délai de trois mois suivant la signification du présent arrêt ; cette astreinte sera de 20 Euros par jour de retard pendant les quatre premiers mois, puis de 30 Euros par jour de retard pendant les quatre mois suivants ;

Les parties doivent être déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires.

La condamnation de l’appelante au profit de la XXX au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile par le premier juge ne peut qu’être rapportée.

L’équité doit au contraire amener à condamner la XXX à verser à l’appelante la somme de 2.000 Euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Les dépens de première instance et d’appel doivent être mis à la charge de la XXX qui succombe.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

Réforme la décision déférée, sauf en ce qu’elle a débouté la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » de sa demande de cessation d’activité de vente de chaussures et chaussettes au sein de l’établissement « LA FOIR’X » dirigée à l’encontre de la S.A.S. Y et condamné à payer à cette dernière la somme de 500 Euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamne la XXX à verser à la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » la somme de 8.000 Euros de dommages-intérêts,

Condamne la XXX à mettre en oeuvre les moyens lui permettant d’obtenir de la S.A.S. Y qu’elle cesse la vente de chaussures,

Assortit cette condamnation d’une astreinte provisoire commençant à courir à l’issue du délai de trois mois suivant la signification du présent arrêt,

Dit que cette astreinte sera de 20 Euros par jour de retard pendant les quatre premiers mois suivant le délai de trois mois précité, puis de 30 Euros par jour de retard durant les quatre mois suivants,

Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » à verser à la S.A.S. Y la somme de 750 Euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamne la XXX à verser à la S.A.R.L. « CHAUSS’FAMILLE SHOES ELITE » la somme de 2.000 Euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamne la XXX aux entiers dépens de première instance et d’appel,

Autorise les Avoués de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision.

Le présent arrêt a été signé par Raymond MULLER, Président de Chambre, et par Nathalie CAILHETON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

Nathalie CAILHETON Raymond MULLER



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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel d'Agen, Chambre commerciale 1ère chambre, 2 mai 2011, n° 09/01820