Infirmation partielle 5 mars 2025
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Sur la décision
| Référence : | CA Agen, ch. civ., 5 mars 2025, n° 23/01035 |
|---|---|
| Juridiction : | Cour d'appel d'Agen |
| Numéro(s) : | 23/01035 |
| Importance : | Inédit |
| Décision précédente : | Tribunal judiciaire d'Auch, 14 novembre 2023, N° 23/00804 |
| Dispositif : | Autre |
| Date de dernière mise à jour : | 10 mars 2025 |
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Sur les parties
| Avocat(s) : | |
|---|---|
| Parties : | E.A.R.L. DE [ M ] c/ Compagnie d'assurance AREAS DOMMAGES |
Texte intégral
ARRÊT DU
05 Mars 2025
DB/CH
— --------------------
N° RG 23/01035 -
N° Portalis DBVO-V-B7H-DFT4
— --------------------
E.A.R.L. DE [M]
C/
Compagnie d’assurance AREAS DOMMAGES
— -----------------
GROSSES le
aux avocats
ARRÊT n°
COUR D’APPEL D’AGEN
Chambre Civile
LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,
ENTRE :
S.C.E.A. DE [M]
RCS DE AUCH 344 542 113
Lieu-dit '[Adresse 4]'
[Localité 1]
représentée par Me Christine FAIVRE, avocat au barreau du GERS
APPELANTE d’un jugement du Tribunal Judiciaire d’Auch du 15 Novembre 2023, RG 23/00804
D’une part,
ET :
Société d’assurance mutuelleAREAS DOMMAGES
RCS DE PARIS 775 670 466
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Clara BOLAC, avocat au barreau du GERS
INTIMÉE
D’autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 08 Janvier 2025 devant la cour composée de :
Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre,
Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l’audience,
Jean-Yves SEGONNES, Conseiller
Greffière : Catherine HUC
ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
' '
'
FAITS :
La société Vivadour a souscrit, auprès des compagnies Aréas Dommages et Swiss Recorporate, un contrat d’assurance de groupe au profit de ses agriculteurs adhérents pour la campagne 2017/2018, la compagnie Aréas Dommages étant chargée de la gestion des sinistres.
Ce contrat garantit les pertes de rendement du fait de la survenue de certains aléas, et notamment l’excès de précipitations.
Le 15 mai 2018, l’EARL De [M], et son gérant [H] [O], ont adhéré à ce contrat, par l’intermédiaire de la SAS Assurances Agrosolutions, pour les cultures suivantes :
— déclaration d’assolement DE-70947-8788 : tous aléas pour la culture de 'lin graines bio printemps',
— déclaration d’assolement DE-70947-8789 : tous aléas pour la culture de 'pois chiche bio',
— déclaration d’assolement DE-70947-8790 : tous aléas 'lentilles bio'.
Les 24 mai et 15 juin 2018, l’EARL De [M] a déclaré un sinistre lié à la grêle et à un excès d’eau ayant affecté l’ensemble des parcelles cultivées.
La compagnie Aréas Dommages a missionné MM. [S], du cabinet Terrexpert, et [L] du cabinet Texa, lesquels se sont rendus sur les lieux le 9 juillet 2018.
Ce même jour, ils ont établi trois procès-verbaux de reconnaissance et un procès-verbal récapitulatif :
— 'lin graines bio printemps’ : surface assurée 155,17 ha ; surface constatée 156,29 ha ; rendement 1 t/ha,
— 'pois chiche bio’ : surface assurée 94,43 ha ; surface constatée 95,49 ha ; rendement 1,2 t/ha,
— 'lentilles bio’ : surface assurée 82,48 ha ; surface constatée 95,49 ha ; rendement 1,2t/ha.
[J] [O], gérant de l’EARL De [M], a signé les procès-verbaux relatifs aux 'pois chiche bio’ mais a refusé de signer ceux relatifs aux deux autres cultures mentionnant un excès d’eau, de l’enherbement et des semis tardif.
MM. [S] et [L] se sont à nouveau présentés sur les lieux le 5 novembre 2018 et ont établi trois nouveaux procès-verbaux.
Finalement, ces experts ont proposé une indemnisation de 80 599,98 Euros à l’EARL De [M] et de 10 208,70 Euros à M. [O] sur la base des pertes suivantes:
— 'lin graines bio printemps’ : 0,314 t/ha,
— 'pois chiche bio’ : 0,356 t/ha,
— 'lentilles bio’ : 0,300 t/ha.
L’Earl De [M] n’a pas accepté ces conclusions et a transmis une évaluation de ses pertes établie par son expert amiable, M. [A], d’un montant de 320 013,78 Euros pour elle-même et de 44 203,67 Euros pour celles de M. [O].
A défaut d’acceptation de sa réclamation, elle a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire d’Auch qui, par ordonnance du 7 janvier 2020, a ordonné une expertise judiciaire du sinistre confiée à [B] [K].
M. [K] a établi son rapport le 31 janvier 2022.
Il a ainsi chiffré les pertes :
— à l’EARL De [M] : 354 368,87 Euros, soit une indemnité de 290 559,39 Euros après déduction de la franchise contractuelle,
— à M. [O] : 54 412,37 Euros, soit une indemnité de 41 396,28 Euros après déduction de la franchise contractuelle.
La compagnie Aréas Dommages a refusé de verser les indemnités calculées par l’expert judiciaire et a déclaré s’en tenir à sa proposition initiale.
Une procédure de sauvegarde a été ouverte au profit de l’EARL De [M] par jugement du 8 décembre 2022.
Après autorisation du 20 septembre 2023, par acte du 28 juin 2023, l’EARL De [M] a fait assigner à jour fixe la compagnie Aréas Dommages devant le tribunal judiciaire d’Auch afin d’obtenir le paiement de la différence entre l’indemnité calculée par l’expert judiciaire et la somme de 80 599,98 Euros versée par l’assureur, soit 209 959,41Euros.
La compagnie Aréas Dommages a mis en cause l’impartialité de l’expertise judiciaire en indiquant qu’elle avait été rendue sur des documents fournis par l’assuré dépourvus de fiabilité, en invoquant un enherbement excessif, des semis tardifs et les rendements calculés, et en prétendant à l’existence de récoltes dissimulées.
Par jugement rendu le 15 novembre 2023, le tribunal judiciaire d’Auch a :
— débouté l’EARL De [M] de sa demande,
— condamné l’EARL De [M] à verser à la société Aréas Dommages la somme de 3 000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné l’EARL De [M] au paiement des entiers dépens, en ce compris la moitié du coût de l’expertise judiciaire,
— rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire.
Le tribunal a considéré :
— qu’il n’existait aucune preuve d’une fausse déclaration sur les rendements : l’avis du cabinet Loubet sur lequel se fonde l’assureur n’étant pas fiable faute que ce cabinet ait accepté de répondre à l’expert ; l’attestation Bio-Gascogne ne procédant que de spéculations ; le lin, qui n’était pas cultivé entre 2013 et 2015, ayant fait l’objet de moyennes de rendement ;
— que l’expert judiciaire a écarté tout enherbement excessif et l’existence de semis tardifs, la charge de la preuve de ces exclusions incombant à l’assureur ;
— que toutefois, l’expert a pris en compte les rendements résultant de l’attestation du cabinet d’expertise comptable Apodis, lequel s’est fondé sur les factures qui lui ont été communiquées qui attestent de rendements très faibles ; que plusieurs îlots n’ont fait l’objet d’aucun bon de récolte alors que l’EARL de [M] prétend que toutes ses parcelles ont été récoltées et admet que tous les noms de lieux-dits n’apparaissent pas dans les bons de récolte ; qu’il en résulte que le rendement résiduel déclaré est faux, ce qui implique la déchéance de l’assuré pour toute indemnisation.
Par jugement du 7 décembre 2023, le plan de sauvegarde de l’EARL De [M] a été homologué.
Par acte du 27 décembre 2023, l’EARL De [M] a déclaré former appel du jugement du 15 novembre 2023 en indiquant que l’appel porte sur la totalité du dispositif du jugement, qu’elle cite dans son acte d’appel.
La clôture a été prononcée le 27 novembre 2024 et l’affaire fixée à l’audience de la Cour du 8 janvier 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Par dernières conclusions notifiées le 9 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, la SCEA De [M] (anciennement EARL De [M]) présente l’argumentation suivante :
— Le principe de la garantie lui est acquis : elle a régulièrement adhéré au contrat de groupe et les dommages ont pour cause un événement garanti : l’excès d’eau.
— Le montant calculé par l’expert judiciaire est justifié :
* les assolements sont démontrés par les documents PAC, ses déclarations, et ont été vérifiés par l’expert judiciaire.
* les rendements assurés sont de 1 t/ha pour le lin, 1,2 t/ha pour les poids chiche, et 1,08 t/ha pour les lentilles bio ; et le contrat définit le mode de calcul du rendement historique ; ces éléments ne sont pas remis en cause par le cabinet Loubet dont l’expert a estimé que l’attestation n’était pas crédible.
* l’expert judiciaire a écarté les explications de l’assureur sur un enherbement excessif et des semis tardifs et a calculé une perte totale de 354 368,87 Euros.
— Les conditions d’une déchéance de garantie ne sont pas réunies :
* en vertu de l’article L. 112-4 du code des assurances, toutes clauses édictant des nullités, déchéances ou exclusions doivent être mentionnées en caractère très apparents, alors que les conditions générales contenant la clause de déchéance ne lui ont pas été transmises, qu’elles ne sont pas signées par Vivadour, et sont 'noyées’ dans le paragraphe 6-1 intitulé 'déclaration de sinistre'.
* l’assureur a renoncé à cette déchéance en payant, en 2018, une partie de l’indemnité et en déclarant, après l’expertise, s’en tenir au chiffre de ses experts, puis dans ses premières conclusions devant le tribunal, en ne se saisissant pas de la fraude à l’assurance invoquée et en proposant une indemnité.
* le rendement moindre que prévu caractérise le sinistre dont elle a été victime et, compte tenu des particularités de l’agriculture biologique, les conséquences des aléas climatiques peuvent différer entre les exploitations.
* le contrat ne lui fait aucune obligation d’établir des bons de récolte par parcelle : la récolte de plusieurs îlots peut être effectuée avec une même caisse, le bon portant alors le numéro du seul dernier îlot ramassé.
* l’assureur a procédé à l’examen de vues aériennes selon lesquelles il y aurait eu des récoltes certains jours alors qu’aucun bon n’était établi ; mais il faut tenir compte qu’en cette matière, les parcelles sont d’abord fauchées, les andains (= plantes fauchées laissées en ligne) sont laissés sur place pour sécher et récoltés seulement ensuite avec une moissonneuse batteuse, comme l’atteste le bulletin technique qu’elle produit.
* l’assureur n’a pas tenu compte de l’utilisation d’une machine Shelbourne.
— L’appel incident n’est pas fondé : la demande de restitution de l’indemnité versée n’est pas recevable : la société Aréas Dommages n’a pas déclaré de créance de restitution d’indu à la procédure de sauvegarde, de sorte qu’en application de l’article L. 622-26 du code de commerce, elle ne peut s’en prévaloir.
Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :
— infirmer le jugement,
— condamner la société Aréas Dommages à lui payer la somme de 209 959,41 Euros avec intérêts, capitalisés, au taux légal à compter de l’assignation du 28 juin 2023,
— la condamner aux dépens, incluant le coût de l’expertise judiciaire réalisée par M. [K] en exécution de l’ordonnance de référé du 7 janvier 2020,
— déclarer irrecevables les demandes présentées par la société Aréas Dommages ou subsidiairement l’en débouter,
— la condamner à lui payer la somme de 15 000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
*
* *
Par dernières conclusions notifiées le 6 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, la société d’assurance mutuelle Aréas Dommages présente l’argumentation suivante :
— Le rapport d’expertise judiciaire est partial :
* M. [K] travaille régulièrement avec M. [A], expert de la famille [O].
* il a admis tous les arguments de l’assuré et rejeté tous ceux de l’assureur.
* lors de la visite sur place de M. [K], il n’existait plus de récoltes de sorte que l’expert judiciaire n’a rien pu constater.
* elle a néanmoins découvert au cours des opérations d’expertise une double fraude à l’assurance.
— L’assuré est déchu de la garantie pour fausse déclaration de sinistre :
* la clause de garantie est opposable à l’assurée : l’EARL De [M] a adhéré au contrat le 15 mai 2018 et a procédé aux déclarations d’assolement en ligne en validant la mention attestant qu’elle avait pris connaissance de la notice d’information résumant les conditions du contrat d’assurance, laquelle reprend en caractère gras la clause de déchéance ; elle avait également accès au contrat, aux conditions générales, aux déclarations de sinistre et au comptes rendus d’expertise sur son espace personnel 'Diapason'.
* elle n’a pas renoncé à la déchéance de garantie : une telle renonciation doit être dépourvue de toute équivoque ; elle n’a eu connaissance de la fraude qu’après avoir versé, en 2018, la somme de 80 599,98 Euros ; et elle concluait au rejet des demandes devant le tribunal, notamment au vu de la clause de déchéance de garantie.
* l’EARL De [M] a fait de fausses déclarations :
— les rendements historiques ont été surévalués : les experts qu’elle a mandatés les ont évalués à partir de l’attestation du cabinet Loubet de 2017 ; au cours de l’expertise judiciaire, l’assuré a déposé un dire le 24/12/2020 avec des documents relatifs à la société Bio-Gascogne et des bons de livraisons qui ne font pas état de toutes les quantités récoltées ; des éléments attestant de rendements différents sur une même année et une même culture ont été produits et l’expert a lui-même admis que les éléments émanant des cabinet Apodis et Loubet étaient ambigus ; l’expert a fini par admettre les surévaluations en procédant à des calculs à la baisse sur les rendements du lin et des pois chiche.
— il existe des récoltes dissimulées du fait d’un trop important décalage entre les statistiques départementales de l’année 2018 et les déclarations de l’assuré, et l’étude des photographies prises par satellite démontre que des récoltes ont été dissimulées, ce qui a été admis par le tribunal.
— Subsidiairement, il existe des pertes non garanties :
* le contrat ne garantit pas les pertes de quantité et/ou de qualité dues à des événements non garantis.
* il existe un enherbement anormal et excessif : les experts amiables l’avaient constaté et indiqué qu’il était causé par l’absence de façons culturales et correctives pour le combattre ; les pertes non-garanties se montent à 42 942,20 Euros.
* il existe des semis tardifs : l’expert a constaté que les semis ont été réalisés entre le 18 et le 27 avril alors que la période idéale se situe entre le 1er et le 15 avril, comme en attestent les avis des professionnels Terres Inovia et Agribio-Union ; les pertes non-garanties se montent à 54 077 Euros.
* elle conteste les rendements réalisés après récolte que l’expert a retenus : la différence est abyssale entre les estimations des experts amiables avant récoltes, cohérents avec les autres sources du millésime 2018, et les rendements revendiqués par l’EARL De [M] qui sont anormalement inférieurs aux statistiques départementales, aux chiffres de Vivadour et aux résultats des autres agriculteurs gersois.
— Il existe des dissimulations de marchandises :
* au cours de l’expertise, elle a eu accès à la traçabilité de l’assuré et à ses bons de récoltes qui attestent de récoltes non déclarées.
* elle a fait part à l’expert de l’absence de certains îlots dans les documents transmis alors qu’ils étaient censés avoir été récoltés, de sorte qu’il manque d’importantes récoltes.
* en tout état de cause, il existe un différentiel incohérent et injustifié d’un montant de 137 840,60 Euros.
— Les sommes déjà versées doivent être restituées : la demande de restitution n’est que la conséquence de la déchéance du droit à indemnité qui doit être prononcée, décision qui en constituera le fait générateur.
— Très subsidiairement, les indemnités doivent être calculées en comparaison des données départementales et régionales.
Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :
— débouter la SCEA De [M] de ses demandes,
— la déclarer déchue de toute indemnité pour fausse déclaration,
— déclarer recevable la demande en restitution et la condamner à lui restituer cette indemnité à hauteur de 80 599,98 Euros,
— subsidiairement :
— retenir au titre des pertes non-garanties par le contrat :
* l’enherbement excessif : 42 942,20 Euros à déduire,
* des semis tardif des cultures : 54 077 Euros à déduire,
* des incohérences injustifiées par les conditions climatiques : 137 840,60 Euros à déduire,
— la condamner à lui restituer une partie de l’indemnité perçue, soit 33 900,39 Euros,
— très subsidiairement :
— dire que l’indemnité versée est satisfactoire,
— en tout état de cause :
— rejeter la demande de capitalisation des intérêts,
— condamner la SCEA De [M] à lui payer la somme de 8 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens, incluant le coût de l’expertise judiciaire.
— ------------------
MOTIFS :
1) Sur la clause de déchéance de garantie invoquée par la compagnie Aréas Dommages :
Les clauses édictant des déchéances de garanties sont opposables à l’adhérent à une assurance collective si elles ont été portées à sa connaissance avant la date du sinistre (Civ2 5 mars 2020 n° 18-25192).
En l’espèce, après avoir adhéré au contrat d’assurance WB000001, conformément à ses obligations, le 15 mai 2018, l’EARL De [M] a procédé, par l’intermédiaire de son 'espace adhérent’ sur le site 'Agro Solutions', à trois déclarations d’assolements pour la saison 2017-2018, pour les cultures suivantes à assurer : 'lin graines bio printemps', 'pois chiche bio', 'lentilles bio'.
En bas de chaque déclaration, juste avant la mention '[M] EARL De, le 15 mai 2018" indiquée par l’assuré, figurent les mentions suivantes :
'L’agriculteur déclare avoir pris connaissance de la notice d’information résumant les conditions du contrat d’assurance mise en place par Aréal.
La présente déclaration vaut adhésion au contrat d’assurance.'
La notice d’information de l’assurance récolte pour la police n° WB00001, mise à disposition de l’assuré sur cet 'espace adhérent', dont l’EARL De [M] a déclaré expressément avoir pris connaissance, stipule de façon très apparente, en caractères gras, à la rubrique '5.1 Déclaration de sinistre’ :
'Si l’adhérent-assuré fait de fausses déclarations, notamment sur la nature de la culture, le rendement assuré, le prix assuré, et/ou a prétendu détruit des biens n’existant pas lors du sinistre, et/ou dissimulé ou soustrait tout ou partie des biens assurés, omet sciemment de déclarer l’existence d’autres assurances portant sur les mêmes risques, emploie comme justification des documents inexacts ou use de moyens frauduleux ; il sera entièrement déchu de tout droit à indemnité.'
Cette clause figure également à l’identique dans les conditions générales du 'contrat assurances récoltes’ souscrit mis à disposition de l’assuré sur son 'espace adhérent'.
La clause de déchéance est, par conséquent, opposable à la SCEA De [M].
2) Sur les fausses déclarations invoquées par l’assureur :
L’EARL De [M] a expliqué au cours des opérations d’expertise judiciaire avoir estimé ses pertes sur la base de récoltes effectuées sur la totalité des parcelles assurées, c’est à dire sur une surface totale de 2 000 ha de cultures bio, en précisant que ce type de culture impose une traçabilité complète de la production.
A partir des bons de livraison, de réception et des fiches de traçabilité, la compagnie Aréas Dommages a démontré au cours des opérations d’expertise les éléments suivants :
— Production de lin : les documents font état de récoltes seulement sur les parcelles Malliac et [U] et sont manquants les documents relatifs aux parcelles [F], [D], et Pages.
— Production de lentilles : les documents font état de récoltes seulement sur les parcelles Lajaut et [Localité 5] et sont manquants les documents relatifs aux parcelles [Z], [U], Plateau, Noyer, [X] et Village.
— Production de pois chiche : sont manquants les documents relatifs au site Lacassagne.
Il manque ainsi les documents justificatifs relatifs à 45 % de la surface cultivée pour le lin, 63 % de la surface cultivée pour les pois chiche et 35 % de la surface cultivée pour la surface cultivée pour les lentilles.
La compagnie Aréas Dommages a également fait analyser, et soumis à l’expert judiciaire, des photographies satellites en provenance du logiciel Sentinel Hub qui permet de procéder à des comparaisons de l’évolution de zones, utilisé dans le domaine de la gestion des ressources naturelles.
Ces photographies permettent de caractériser l’évolution des cultures sur une même zone.
Ainsi, selon ce que les experts de l’assureur ont expliqué à l’expert judiciaire, sans être contredit par ce dernier, l’étude de ces photographies permet les identifications suivantes :
— Production de lin, lentilles et pois chiche : la date de la récolte peut être identifiée en constatant l’apparition d’une couleur jaune à brun clair qui trouve sa source sans la couleur des chaumes et du sol, la teinte jaune apparaissant de façon moindre pour le lin.
— Déchaumage : cette technique consiste à 'labourer superficiellement après la récolte afin d’enfouir les chaumes’ (dictionnaire de l’Académie Française). Le déchaumage peut être identifié sur toutes les cultures par un changement de couleur de nature marron.
Or, ces photographies mettent en évidence que les récoltes suivantes n’ont pas été déclarées par l’EARL De [M], sans confusion possible avec les opérations de déchaumage, ce qui a eu pour effet de majorer les pertes qu’elle a déclarées :
— Production de lin : une récolte entre le 19 et le 22 août 2018 sur la parcelle Pages.
— Production de pois chiche : une récolte entre le 19 et le 22 août, puis une seconde entre le 22 et le 27 août 2018 sur la parcelle Lacassagne, très éloignée du site principal de l’exploitation.
L’EARL De [M] s’est limitée à des dénégations d’ordre général, sans dénier ces éléments précis et surtout en s’abstenant de produire la justification du total des livraisons de production à Bio-Gascogne et les facturations correspondantes, seuls éléments qui auraient été de nature à contredire les constatations effectuées à partir des photos satellites.
Ses explications, essentiellement sur le fait que certaines bennes peuvent regrouper plusieurs ramassages, ne sont pas susceptibles d’expliquer les volumes objectivement récoltés et non déclarés : 26,53 ha de récolte de lin manquant sur la parcelle [U]: la totalité des parcelles [F], [D] et Pages, étant précisé qu’il est constant que compte tenu de son éloignement, la production de pois chiche sur la parcelle Lacassagne ne peut faire l’objet d’un même ramassage qu’une autre parcelle.
En outre, elle a tenté d’expliquer avoir utilisé un automoteur Shelbourne, mais les photographies satellite ne montrent aucune trace du passage d’un tel engin, ce qui aurait dû être le cas s’il avait été utilisé aux dates prétendues.
Il résulte de ces éléments que l’EARL De [M] a frauduleusement tenté de majorer le préjudice subi en dissimulant une partie de ses récoltes, qu’elle a pu commercialiser, dans des proportions telles qu’elle excluent toute erreur commise de bonne foi.
Par conséquent, en application du contrat d’assurance, elle est déchue de son droit à indemnité.
2) Sur la renonciation à se prévaloir de la déchéance de garantie invoquée par la SCEA De [M] :
Si l’assureur peut tacitement renoncer à se prévaloir de l’application d’une clause de déchéance de garantie pour fausse déclaration dans l’étendue du sinistre, une telle renonciation tacite doit toutefois se traduire par des actes positifs, révélateurs de la volonté non équivoque de l’assureur de renoncer à se prévaloir de cette clause.
En l’espèce, la fraude de l’assurée n’est apparue qu’en fin des opérations d’expertise.
Par conséquent, en premier lieu, la SCEA De [M] ne peut se prévaloir du versement de l’indemnité calculée par les experts d’assurance intervenue en 2018.
En deuxième lieu, après le dépôt du rapport d’expertise judiciaire, et donc en connaissance de la fraude commise, par lettre du 30 mai 2022, la compagnie Aréas Dommages a déclaré qu’elle refusait en l’état les conclusions de l’expertise judiciaire et qu’elle s’en tenait au chiffrage amiable.
Cette déclaration n’implique pas renonciation non équivoque à se prévaloir de la clause de déchéance pour fraude.
En troisième lieu, dans ses conclusions déposées devant le tribunal, la compagnie Aréas Dommages a expressément cité la clause de déchéance de garantie et a conclu que 'les photographies satellites prouvent que la date de récole réelle n’est pas celle indiquée sur la traçabilité. Elles prouvent bien que de la marchandise a été récoltée et dissimulée’ et a demandé au tribunal de 'débouter l’EARL De [M] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions’ et de 'juger que l’indemnisation versée par la société Aréas Dommages est satisfactoire.'
La compagnie Aréas Dommages s’est ainsi expressément prévalue de la fraude commise par l’assuré et de la clause de déchéance, en refusant les demandes présentées en justice à son encontre par l’EARL De [M] fondées sur l’application du contrat d’assurance.
Elle ne peut, par conséquent, être considérée comme ayant renoncé à l’application de cette clause, même si elle n’a pas exercée l’action en répétition de l’indu pour la somme qu’elle avait versée en 2018.
3) Sur la demande reconventionnelle en restitution du montant versé présentée en cause d’appel par la compagnie Aréas Dommages :
Aux termes de l’article L. 622-24 du code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde :
'A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leur créance au mandataire judiciaire.'
L’origine d’une créance d’indu est le fait juridique du paiement (Com 20 janvier 1998 n° 95-29274).
La demande de restitution est fondée sur le fait que le paiement effectué en 2018 est apparu indu au cours des opérations d’expertise judiciaire.
Par conséquent, tant le fait générateur de cette créance, qui se situe en 2018, que la connaissance du caractère indu intervenu début 2022, sont antérieurs au jugement ouvrant la procédure de sauvegarde au bénéfice de l’EARL De [M].
Par suite, la compagnie Aréas Dommages devait déclarer cette créance au passif.
Dès lors qu’elle n’a pas procédé à cette déclaration, en application de l’article L. 622-26 du code de commerce, elle ne peut s’en prévaloir à l’encontre de la SCEA De [M].
Par suite, ce chef de demande doit être déclaré irrecevable.
Enfin, d’une part, l’équité nécessite d’allouer à l’intimée, en cause d’appel, la somme de 5 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et, d’autre part, le coût de l’expertise judiciaire sera inclus dans les dépens lesquels sont à la charge de la SCEA De [M], partie succombante.
PAR CES MOTIFS :
— La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
— CONFIRME le jugement SAUF en ce qu’il a mis à la charge de l’EARL De [M] la moitié du coût de l’expertise judiciaire ;
— STATUANT A NOUVEAU sur ce point,
— DIT que le coût de l’expertise judiciaire est inclus dans les dépens et entièrement à la charge de la SCEA De [M] ;
— Y ajoutant,
— DECLARE la demande reconventionnelle en remboursement de l’indemnité d’assurance versée présentée par la société d’assurance mutuelle Aréas Dommages irrecevable ;
— CONDAMNE la SCEA De [M] à payer à la société d’assurance mutuelle Aréas Dommages, en cause d’appel, la somme de 5 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
— CONDAMNE la SCEA De [M] aux dépens de l’appel et dit qu’ils pourront être recouvrés directement par la SCP d’Argaignon – Bolac pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par André BEAUCLAIR, président, et par Catherine HUC, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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