Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 25 mars 2014, n° 11/22364

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, 25 mars 2014, n° 11/22364
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 11/22364
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Bouches-du-Rhône, 5 décembre 2011, N° 9505820

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE

14e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 25 MARS 2014

N°2014/280

Rôle N° 11/22364

COMMISSARIAT A L’ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES

C/

K F

G F

CPCAM DES BOUCHES DU RHONE

MNC – MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D’AUDIT DES ORGANISMES DE SÉCURITÉ SOCIALE

Grosse délivrée le :

à :

Me AF NERET, avocat au barreau de PARIS

Me Serge MIMRAM VALENSI, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

CPCAM DES BOUCHES DU RHONE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 06 Décembre 2011,enregistré au répertoire général sous le n° 9505820.

APPELANTE

COMMISSARIAT A L’ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES, demeurant XXX – XXX

représentée par Me AF NERET, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur K F, demeurant XXX, entrée D – XXX – XXX

représenté par Me Serge MIMRAM VALENSI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Monsieur G F, demeurant XXX, entrée D – XXX – XXX

représenté par Me Serge MIMRAM VALENSI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

CPCAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant XXX – XXX – XXX

représenté par Mme S T en vertu d’un pouvoir spécial

PARTIE INTERVENANTE

MNC – MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D’AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE, demeurant Antenne de Marseille – CS 433 – XXX

non comparant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 18 Février 2014, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Bernadette AUGE, Président, chargé d’instruire l’affaire et Monsieur AF-luc CABAUSSEL, Conseiller.

Le président a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Bernadette AUGE, Président

Madame S MATHIEU-GALLI, Conseiller

Monsieur AF-Luc CABAUSSEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2014

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2014

Signé par Madame Bernadette AUGE, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE – PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le 31 mars 1994, Monsieur E C a été victime d’un accident du travail mortel alors qu’il procédait sur le site de Cadarache avec d’autres salariés du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) devenu Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives au lavage à l’alcool d’une flaque de sodium subsistant au fond d’un réservoir.

Mme K C, épouse de la victime et Monsieur G C, fils de celle-ci ont saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches du Rhône le 13 octobre 1995 afin de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur le CEA.

Une instruction pénale ayant été diligentée, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale a sursis à statuer. L’information s’est terminée par une ordonnance de non-lieu en date du 13 juillet 2005.

Les consorts C ont alors délivré une citation directe à l’encontre du CEA devant le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence. Cette procédure pénale s’est achevée par un arrêt rendu le 11 octobre 2011 par la chambre Criminelle de la Cour de Cassation confirmant l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence ayant déclaré irrecevable l’action des parties civiles.

L’instance devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches du Rhône a été reprise et cette juridiction, par jugement en date du 6 décembre 2011, a :

— déclaré recevable et bien fondé le recours de Madame M K AK C et de Monsieur C G,

— dit que le décès de Monsieur C E au Centre de Cadarache est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA),

— ordonné la majoration de la rente de conjoint survivant servie à Madame M K AK C par la Caisse Primaire Centrale d’Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône, au taux maximum prévu par la loi à compter du 13 octobre 1995,

— fixé l’indemnisation des préjudices complémentaires comme suit :

* 28.000€ en réparation du préjudice moral subi par Madame M K AK C ;

* 17.000€ en réparation du préjudice moral subi par Monsieur C G,

— dit que le CEA sera tenu de rembourser à la Caisse Primaire Centrale d’Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône la majoration de la rente prévue par l’article L 452.2 du Code de la Sécurité Sociale et les sommes de 28 000€ et de 17 000€ correspondant au préjudice moral,

— condamné le CEA à payer à Madame M K AK C et Monsieur C G la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

— rejeté le surplus des demandes,

— ordonné l’exécution provisoire de la décision,

— dit n’y avoir lieu de statuer sur les dépens.

Le CEA a relevé appel de cette décision le 27 décembre 2011.

Par des moyens qui seront analysés dans le corps du présent arrêt, il demande la réformation du jugement, le déboutement des consorts C de leur demande en reconnaissance de faute inexcusable, leur condamnation à rembourser la somme de 5.000 euros versée à titre provisionnel avec intérêts de droit ainsi que le remboursement par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Bouches du Rhône des sommes à elle versées par le CEA en règlement de la majoration de rente et des préjudices des consorts C.

Les consorts C sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il a reconnu la faute inexcusable du CEA et ordonné la majoration de rente avec effet rétroactif au jour du décès et formant appel incident sur les indemnisations, ils demandent la condamnation du CEA à payer à Madame C la somme de 60.000 euros et à Monsieur G C celle de 38.000 euros en réparation de leur préjudice moral. Subsidiairement ils demandent la confirmation des sommes allouées par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale.

Enfin, ils concluent à la condamnation du CEA à payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

La Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Bouches du Rhône s’en rapporte sur le mérite de l’action en faute inexcusable et dans l’hypothèse où celle-ci serait retenue, elle demande que le CEA soit condamné à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l’avance.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer aux écritures de celles-ci reprises oralement à l’audience.

La MNC, régulièrement avisée ne comparaît pas.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu qu’il résulte des explications des parties et des pièces versées aux débats que le Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives exerce une partie de ses activités de recherche sur le site de Cadarache (Bouches-du-Rhône) ;

Que sur ce site, a été notamment construite, entre 1961 et 1966, une Installation Nucléaire de Base (INB) dénommée A, constituant le premier réacteur expérimental français à neutrons rapides ; que ce réacteur, refroidi au sodium liquide, est resté en fonctionnement de 1967 à 1983 ; qu’il a par la suite été démantelé, cette opération incluant l’élimination du sodium servant au refroidissement ;

Attendu qu’une partie de ce sodium était constitué par les trente-sept tonnes contenues dans le circuit primaire qui, étant souillées par des produits radioactifs, ont nécessité des opérations d’épuration avant élimination ;

Que pour ce faire, le sodium du circuit primaire a d’abord été vidangé dans un réservoir ReNa 300, puis transvasé à travers des filtres dans le réservoir ReNa 302 afin de réduire sa radioactivité puis enfin détruit par transformation en soude ;

Que pour effectuer cette transformation, une installation de «Destruction du Sodium A» (DESORA) a été mise en place dans l’enceinte du réacteur, permettant ainsi la destruction des trente-sept tonnes de sodium du ReNa 302 en deux mois d’exploitation continue du 29 novembre 1993 à fin février 1994 ;

Attendu que cette opération étant réalisée, il fallait aussi nettoyer le fond de cuve du réservoir ReNa 302 où subsistait une flaque de sodium au-dessous du niveau de départ de la tuyauterie de vidange, et qui ne pouvait, de ce fait, être évacuée ; que le lavage de la flaque a été effectué au moyen d’un procédé par injection d’alcool et plus exactement d’éthylcarbitol, qui est un alcool lourd ; que l’alcool était injecté par quantités successives de 50 litres et produisait au contact du sodium un alcoolate (l’éthylcarbitolate de sodium) et de l’hydrogène qui était évacué en partie haute du réservoir ;

Attendu que l’opération de lavage a débuté le jeudi 24 mars 1994 et s’est poursuivie jusqu’au jeudi 31 mars à 17 heures 26 minutes et 17 secondes, instant de l’accident provoqué par une élévation anormale du niveau de pression, un dégagement très important de gaz, l’explosion du réservoir de stockage et l’écroulement de la dalle entraînant le décès de Monsieur C et les blessures de quatre autres salariés ;

Attendu que le CEA reproche au jugement dont appel d’avoir retenu sa faute inexcusable dans la survenance du décès de Monsieur E C ;

Attendu que l’employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses salariés du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise ou de l’activité de celle-ci ;

Que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ;

Qu’il importe de rappeler que pour faire retenir la faute inexcusable de l’employeur, le salarié doit nécessairement établir de manière circonstanciée d’une part l’imputabilité de l’accident à son activité au sein de l’entreprise et donc qualifier l’exposition au risque et d’autre part la réalité de la conscience du danger auquel l’employeur exposait ses salariés ;

Attendu que l’imputabilité de l’accident dont Monsieur C a été victime à son activité au sein de l’entreprise n’est ni discutée, ni discutable ; qu’en revanche, le CEA conteste avoir eu conscience que son salarié était exposé à un danger et ce, dès lors que l’emballement qui s’est produit et le dégagement gazeux brutal ont présenté un caractère imprévisible ;

Qu’il soutient notamment que l’opération de lavage de la flaque de sodium présente au fond du réservoir ReNa 300 avait été réalisée par ce procédé à l’alcool en juin 1986 ; que la même opération avait été réalisée pour les réservoirs R5 et R6 de l’installation Y de juin à septembre 1986 et pour le ReNa 351 (de l’installation A) en janvier 1987 sans aucun incident ;

Qu’elle avait été précédée par toute une série d’études menées notamment par le Département des Procédés Techniques de l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) en liaison avec l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Rennes, par le Département des Réacteurs à Neutrons Rapides du CEA/Cadarache et par la société INTERA TOM, société allemande de construction de réacteurs nucléaires ;

Que Monsieur E F, le responsable de l’opération de lavage était l’ingénieur français le plus expérimenté en matière de lavage du sodium à l’éthylcarbitol ; qu’il avait notamment rédigé la fiche d’exécution pour mener à bien l’opération de lavage du ReNa 300 qu’il avait personnellement participé au lavage de ce réservoir et avait réalisé celui du ReNa 351 ;

Qu’enfin, ce procédé était considéré, tant en France qu’à l’étranger, comme présentant de nombreux avantages, et qu’en particulier sa sécurité était soulignée par tous les documents publiés présentant les résultats des opérations réalisées et retenant l’absence de réactions violentes ;

Attendu que le CEA rappelle que la victime elle-même avait participé à plusieurs essais et à la rédaction de leur compte rendu d’où il ressortait que la méthode utilisée présentait toute sécurité ;

Qu’il s’agit notamment du rapport CEA-R-5137 de septembre 1981, 'Méthode de transformation des déchets de sodium métal contaminés en solution de soude, par réaction avec un alcool suivie d’une hydrolyse’ qui conclut 'la destruction chimique du sodium par l’éthylcarbitol peut se faire en toute sécurité.. . L’avantage du procédé réside dans l’utilisation d’un corps susceptible de solubiliser le sodium métallique sans risque de réaction violente ou explosive', de la conférence LIMET 88 : 'Expériences de nettoyage à l’éthylcarbitol de réservoirs et de circuits en sodium’ : 'ce procédé ne provoque pas de réaction violente. Dans les expériences faites, nous n’avons jamais observé de danger à utiliser l’éthylcarbitol’ et de la note technique IRDI/DERPE/SEER/4700D2034 du 26 février 1987 : « Destruction du sodium contenu dans le réservoir ReNa 351 rédigée par Monsieur C qui indique 'aucune déflagration ou phénomènes violents n’ont été enregistrés ou même provoqués en laboratoire avec un chauffage puissant’ ;

Attendu que le CEA ajoute enfin que plusieurs opérations identiques avaient déjà eu lieu sans faire apparaître de problèmes majeurs ;

Attendu que cependant, une expertise a été ordonnée au cours de l’instruction pénale et confiée à Max X expert en explosions et incendies et à Q R ingénieur Chimiste spécialiste en pétrole et gaz qui se sont adjoint O P, spécialisé en informatique industrielle et en instrumentation des procédés, I J spécialisé en métallurgie, AF-G AH, spécialisé en génie civil ainsi que Gilbert MILLE, AF-AQ AR et AM-AN AO spécialisés en chimie analytique ;

Que comme le soutiennent à juste titre les intimés, non seulement l’expertise a été diligentée avec le concours du CEA au cours des opérations sur place mais encore, les experts ont pris en compte les rapports de ce dernier et d’autres organismes indépendants établis après les opérations de 1986 et 1987 ; qu’enfin, le CEA a pu discuter dans le cadre du présent litige le contenu du rapport d’expertise et qu’en conséquence celui-ci peut être retenu comme un des éléments probants ;

Que les experts après avoir rappelé la chronologie des opérations de lavage depuis le 24 mars 1994 et les constatations faites au cours de cette opération ont analysé l’explosion elle-même, due à la libération de gaz explosibles par l’éclatement du réservoir soumis à une pression excessive ;

Qu’ils ont ensuite repris les études réalisées avant l’opération en cause et notamment les retours d’expérience rédigés par le CEA après le nettoyage du réservoir ReNa 300 en juin 1986, celui du réservoir R6 de l’installation Y et celui du réservoir R5 de la même installation, toutes opérations réalisées à CADARACHE ;

Qu’en effet, les études comparatives réalisées après l’accident entre l’opération ReNa 302 et les opération antérieures par la Commission d’Enquête Interne (CEI), l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), l’Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques (INERIS), le CHSCT ainsi que la DRIRE entre juillet 1994 et octobre 1995, ont repris les constatations faites au cours de ces opérations précédentes et les incidents apparus ;

Attendu que le rapport de la CEI mentionne que l’opération R6 d’Y avait mis en évidence que 'des montées brutales en pression… ou en hydrogène ont été notées malgré des capacités importantes de balayage en azote : un important résidu noir carboné épais a été trouvé dans le fond du réservoir… et des analyses de gaz ont révélé des quantités significatives de méthane, éthylène et éthane, indiquant nettement une décomposition thermique’ ; qu’il conclut que ' l’ensemble des lavages fait apparaître des difficultés dans l’application de ce procédé ainsi qu’une méconnaissance de la chimie de l’éthylcarbitolate et de son mélange avec l’éthylcarbitol et que la température pendant la phase d’attaque à l’alcool ne doit pas dépasser 150°C où une décomposition thermique du mélange EC-ECNa a lieu’ ;

Attendu que le rapport de l’INERIS rappelle que le procédé d’injection discontinue d’alcool avait été préconisé avant les opérations ReNa 300 et Y R5 et R6 et que juste avant la première de ces opérations une étude du CEA du 14 mai 1986 avait constaté que ' le chauffage d’un mélange Na-EcNa présente certains risques. Il semble qu’au-delà de 200°C il y ait une possibilité de réaction entre les deux produits qui conduit essentiellement à un type de carbonisation’ ; que les experts judiciaires ont observé qu’il n’a pas été déduit de cette constatation que si une carbonisation se produisait, d’autres composés à chaînes carbonées courtes allaient nécessairement se former ;

Que le rapport de l’INERIS rappelle qu’en juin 1986, au cours de l’opération ReNa 300 était apparu un saut important de température de 95°C à 140°C, qu’au cours des opérations R5 et R6 la production d’éthylène avait été mise en évidence ainsi qu’un saut de température de 50°C et de 150mbars de pression et qu’enfin, au cours de l’opération ReNa 351 il avait été constaté ' une élévation de température qui peut être due à un chauffage indirect par la paroi, cette élévation ne peut que provoquer un gradient vertical élevé favorable aux réactions de décomposition’ ;

Attendu que le rapport de l’IPSN rappelle les constatations réalisées après les opérations précédentes et notamment celles concernant les réservoirs R5 et R6 :

— Réservoir R6 ; ' l’analyse a montré la présence d’hydrogène mais également d’hydrocarbures, signe de la décomposition thermique d’un produit organique… En fin d’opération, la présence de 850 l de résidus noirâtres contenant du carbone libre visible sur une épaisseur d’environ 20 cm au fond du réservoir a confirmé la décomposition thermique d’un produit organique (alcool et/ou alcoolate),

— Réservoir R6 : ' l’analyse des gaz prélevés a mis en évidence l’existence dès 150°C de produits gazeux venant de la décomposition thermique d’un produit organique’ ;

Que ce rapport retient la constatation de dégagements d’hydrocarbures gazeux et de formation de résidus carbonés à la suite du lavage de ces réservoirs et s’étonne que le lavage à l’éthylcarbitol ait été considéré comme adapté après ces constatations ;

Attendu enfin qu’à la suite des opérations de lavage Y, le compte rendu d’une réunion tenue le 15 octobre 1986 au CEA mentionne :

'Anomalies constatées : la production de CH4, CO, C2H4 s’explique mal à des températures aussi basses. Il semble que cette thermolyse puisse se produire à basse température en présence d’un catalyseur tel que la soude ou le Na. Cette hypothèse est à vérifier.',

Conclusions : Les lavages à l’EC réalisés sur R5 et R6 apportent des renseignements précieux. Il faudrait tirer de cette opération un maximum d’informations. Les lavages effectués à Y et A présentent des caractéristiques différentes. L’ensemble de ces lavages font apparaître des difficultés dans l’application de ce procédé ainsi qu’une méconnaissance de la chimie de l’éthylcarbitolate de sodium et de son mélange avec l’éthylcarbitol’ ;

Attendu qu’il résulte non seulement du rapport d’expertise mais également de ceux établis par le CEA lui-même et par d’autres organismes que l’existence de réactions de décomposition de mélanges EC-ECNa était connue avant 1994 ; que ces réactions avaient été constatées lors des opérations R6 et R5 en 1986 et confirmées par D en 1988 et par le centre nucléaire de recherches de Karlsruhe en 1993 et qu’en 1994, les réactions de décomposition de ces mélanges étaient connues et leur occurrence prévisible par le retour d’expérience ;

Attendu que l’ensemble de ces éléments permet de retenir que le CEA qui avait déjà procédé à des opérations de lavage de réservoirs et installations contenant du sodium au cours desquelles avaient été constatées des élévations de température et de pression, même réduites, et la présence de résidus de décomposition thermique donnant lieu à l’émission de produits gazeux sous l’effet de la température, qui était informé de ces éléments ainsi que des difficultés dans l’application du procédé, ne pouvait ignorer que l’opération à laquelle devait procéder Monsieur C présentait un danger pour les intervenants ;

Attendu qu’en effet la conscience du danger doit être analysée en tenant compte de la nature de l’activité, de l’importance de l’entreprise et des informations qu’elle détenait sur l’activité devant être exercée par le salarié ; que les opérations de même nature réalisées sur le même site durant les années précédentes et leur analyse avaient révélé des anomalies et une connaissance insuffisante du procédé de sorte que le CEA ne pouvait ignorer que le lavage d’un réservoir contenant une flaque de sodium au moyen d’un alcool lourd n’était pas exempt de tout danger pour les salariés affectés à l’opération ; que l’opération menée par Monsieur C n’était ni courante ni banale puisque la précédente avait eu lieu 7 ans plus tôt ;

Attendu qu’il lui appartenait donc de mettre en oeuvre les mesures de nature à éviter la survenance de l’accident ;

Attendu que les rapports rédigés à la suite des opérations précédentes conduites en 1986 et 1987 faisaient état de la méconnaissance de la chimie de l’éthylcarbitolate de sodium et de son mélange avec l’éthylcarbitol, du caractère partiel du retour d’expérience, de la grande confusion dans l’organisation de la transmission de l’expérience acquise et des graves lacunes dans les suites données aux besoins exprimés à l’issue de l’expérience acquise ; que le livre des connaissances SYFRA du 30 novembre 1992 rappelait qu’à partir de 150°C il existe un risque de pyrolyse de l’alcoolate, qu’un maintien de la température entre 60°C et 80°C était recommandée et qu’un contrôle de la réaction devait être effectué en surveillant en permanence la température par l’implantation de thermocouples ;

Attendu que malgré les incidents qui s’étaient produits lors des opérations précédentes, les experts ont constaté qu’il n’a pas été tenu compte des recommandations faites par les rapports rédigés postérieurement à ces opérations ; que l’intervention de 1994 a été une simple reprise des précédentes comme l’indique d’ailleurs l’appelant dans ses conclusions 'l’opération de lavage, parce qu’elle consistait en la reconduite du procédé qui avait préalablement donné toute satisfaction, justifiait d’une information de l’ASN mais ne nécessitait pas de sa part une autorisation’ ; qu’ainsi, malgré les constatations effectuées précédemment, le CEA s’est borné à reproduire la même opération que sept ans auparavant sans prendre les mesures supplémentaires de sécurité que les incidents constatés imposaient ; qu’au contraire, les experts ont constaté des carences dans la préparation et l’organisation de l’opération de 1994 par rapport à celles de 1986 et 1987 ;

Attendu que notamment, il a été constaté que la cuve n’était équipée que de deux thermocouples placés au même endroit dans un doigt de gant et proches d’une extrémité du réservoir ne permettant pas de mesurer la température du liquide au milieu du réservoir ni aux différents points de celui-ci et donc de la limiter ; que cette constatation n’est pas contestée par l’appelant ;

Attendu que les experts ont également retenu que l’opération avait été reproduite alors qu’elle était très différente sur de nombreux points à savoir la précision moindre relative à la quantité de sodium à détruire, l’installation différente de l’instrumentation (température et mesure de pression) et des équipements différents (absence de condenseur, soupape en point bas) ;

Qu’ils ont également relevé la présence d’une équipe réduite par rapport aux opérations précédentes et l’absence de l’ingénieur sécurité Monsieur B qui était en congés pendant la conduite de l’opération, l’absence d’appui technique en chimie et le pilotage de l’opération par Monsieur C seul qui avait été absent peu avant le début de celle-ci pour raison de santé sans qu’aucune modification du calendrier ou de la composition de l’équipe ne soit intervenue ;

Que les modifications de l’installation du réservoir ReNa 302 étaient insuffisantes par rapport à celles effectuées sur les installations ReNa 300 et notamment l’absence de système de purge et de récupération des condensats, l’absence de raccordement du condenseur à un groupe froid, le montage de la soupape de sûreté du réservoir sur la même ligne que celle utilisée pour l’évacuation des effluents gaz réduisant ainsi les possibilités d’évacuation des gaz, l’importance des parties horizontales du circuit d’effluents gazeux s’opposant à une bonne évacuation des produits ;

Attendu enfin que l’instrumentation d’origine du réservoir ReNa 302 n’était pas adaptée à l’opération et présentait de nombreuses lacunes et notamment :

— échelle de mesure du capteur de pression inadéquate pour contrôler de faibles variations et présentant un défaut d’étalonnage,

— mauvaise implantation et insuffisance en nombre des thermocouples, malgré l’importance du suivi de l’évolution de la température,

— absence de contrôle de la température des gaz,

— absence de mesure du débit des gaz rejetés à la cheminée ne permettant pas ainsi la connaissance précise du débit d’hydrogène,

— emplacement des analyseurs d’hydrogène et d’oxygène en point bas de l’installation et absence d’épuration des gaz provoquant la perte des mesures par la saturation en vapeurs d’alcool,

— absence de limitation de la teneur en hydrogène dans le réservoir,

— absence de report de l’alarme au poste de conduite de l’explosimètre installé à l’entrée des filtres de la cheminée,

— alimentation électrique du poste de conduite non secourue provoquant la perte des données pendant 20 mn dans l’après-midi de l’accident ;

Attendu qu’il apparaît donc que le réservoir ReNa 302 en 1994 était moins bien équipé que le ReNa 300 en 1986 et qu’aucune étude spécifique n’a été diligentée afin de déterminer les adaptations nécessaires et ce, alors même que le responsable des études d’adaptation de l’installation, du suivi et de la réception des travaux en 1986 Monsieur Z, a indiqué aux experts ' Il n’était pas possible de reconduire cette opération sans faire une analyse intégrant ces différences. Le bilan de la première journée suffisait à prévoir une dérive par rapport à 1986" ;

Attendu qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que malgré la connaissance que le CEA, eu égard à son importance, à son activité et aux opérations précédentes, aurait du avoir des risques auxquels Monsieur C était exposé au cours de l’intervention sur le réservoir ReNa 302, cet employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en protéger ;

Que c’est à juste titre que le premier juge a retenu la faute inexcusable du CEA dans la survenance de l’accident dont a été victime Monsieur E C ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Attendu qu’en ce qui concerne l’indemnisation des préjudices subis, l’évaluation faite par le tribunal apparaît insuffisante ; qu’il sera alloué à Mme C la somme de 35.000 euros et à G C celle de 20.000 euros ; que la majoration de la rente d’ayant droit versée à Mme C interviendra à compter du jour de son attribution soit le 1er avril 1994 ;

Attendu que le CEA sera condamné au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

Attendu que la procédure devant les juridictions de la sécurité sociale est gratuite et sans frais conformément aux dispositions de l’article R 144-6 du Code de la Sécurité Sociale et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer sur les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt réputé contradictoire, par défaut en matière de sécurité sociale,

Confirme le jugement entrepris, sauf en celles de ses dispositions concernant l’indemnisation des préjudices,

Et statuant à nouveau sur ces chefs,

Dit que la majoration de la rente de conjoint survivant versée à Mme C sera calculée à compter du 1er avril 1994,

Fixe ainsi qu’il suit l’indemnisation du préjudice personnel des ayants droit de E C :

— Mme K C : 35.000 euros

— Monsieur G C : 20.000 euros,

Condamne le CEA à payer aux consorts C la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile, en sus de celle allouée en première instance de ce chef,

Dit n’y avoir lieu à statuer sur les dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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