Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5 mars 2015, n° 13/15079

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE

10e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 05 MARS 2015

N° 2015/99

Rôle N° 13/15079

K L C

F Z

C/

I E

Grosse délivrée

le :

à :

Me Tollinchi

Me Boulan

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 21 Mai 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 07/02813.

APPELANTS

Madame K L C

née le XXX, XXX

représentée par Me Charles TOLLINCHI, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Monique VANGIONI, avocat au barreau de NICE,

Monsieur F Z

né le XXX, XXX

représentée par Me Charles TOLLINCHI, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Monique VANGIONI, avocat au barreau de NICE,

INTIME

Monsieur I E, XXX

représenté par Me Françoise BOULAN de la SARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

assisté de Me Hervé ZUELGARAY de l’ASSOCIATION ANDREI – ZUELGARAY, avocat au barreau de NICE,

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 20 Janvier 2015 en audience publique. Conformément à l’article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Lise LEROY-GISSINGER, Conseiller, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Christiane BELIERES, Présidente

Madame Lise LEROY-GISSINGER, Conseiller

Madame RACHEL ISABEY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2015,

Signé par Madame Christiane BELIERES, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Le 11 mai 2004, Mme C a accouché à la clinique Santa K, d’un bébé prénommé Jasmine, par césarienne pratiquée par le Dr E, à 37 semaines et 2 jours d’aménorrhée. Le même jour à 18h30, l’enfant a été transféré au service de néonatalogie de l’hôpital Lenval, puis dans le service de réanimation de l’Hôpital Larcher II, où il est décédé le 14 mai à 4h30.

Statuant sur l’assignation délivrée par Mme C à M. E tendant à voir établir sa responsabilité dans le décès de son enfant, et sur l’assignation délivrée par ce dernier au CHU de L’Archet et à la fondation Lenval, le tribunal de grande instance de Nice, par jugement du 18 novembre 2008, a annulé l’expertise réalisée à la suite d’une ordonnance de référé et ordonné une nouvelle expertise médicale confiée au Dr D, qui a été remplacé par ordonnance du juge de la mise en état du 26 janvier 2009, par le Dr H et le Dr Y, qui ont remis leur rapport le 27 août 2010.

Par ordonnance du 5 décembre 2011, le juge de la mise en état a déclaré le tribunal de grande instance de Nice incompétent pour connaître de la responsabilité du CHU de l’Archet II.

Par jugement du 21 mai 2013, le tribunal de grande instance de Nice a, avec exécution provisoire,

— déclaré parfait le désistement d’instance et d’action du Dr E à l’égard du centre hospitalier L’archet II et de la Fondation Lenval et dit que chacune de ces parties conservera les dépens qu’elle a engagés,

— déclaré irrecevable, pour défaut de droit à agir, l’intervention volontaire de M. Z,

— Dit que M. E a commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle lors de la réalisation de la césarienne subie par Mme C à un âge gestationnel trop précoce élevant le risque de détresse respiratoire au moment de la naissance et en l’absence de justification médicale,

— Dit que du fait de cette faute, Mme C a perdu une chance d’éviter la mort de son enfant Jasmine et fixé cette perte de chance à 50%,

— condamné le Dr E à payer à Mme C la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral,

— Débouté Mme C de ses demandes présentées au titre des frais matériels consécutifs à l’intervention et de la perte de chance de grossesse,

— Condamné le Dr E à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 18 juillet 2013 dont la recevabilité et la régularité ne sont pas contestées, Mme C et M. Z ont formé un appel général contre cette décision intimant le Dr E. Par conclusions du 12 novembre 2013, le Dr E a formé un appel incident.

Prétentions et moyens des parties :

Par leurs conclusions du 18 octobre 2013, Mme C et M. Z ont sollicité l’homologation du rapport des experts et la confirmation du jugement sur le principe de la responsabilité du Dr E, mais sa réformation en ce qui concerne leurs préjudices.

Ils ont sollicité la condamnation de l’intimé à verser à Mme C la somme de 500 000 euros en réparation de son préjudice moral, celle de 100 000 euros à raison d’une perte de chance, celle de 12 869, 36 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils ont demandé la condamnation du médecin à verser à M. A la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral et 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’intervention volontaire de M. Z, ils indiquent avoir versé aux débats de nouvelles attestations établissant son concubinage avec Mme C avant l’accouchement et sa paternité.

Mme C estime que le rapport d’expertise a mis en évidence la faute du Dr E, qui a décidé de pratiquer une césarienne avant tout travail à 37 semaines et 2 jours, sans qu’il soit établi une menace d’accouchement prématuré. Elle soutient que les experts sont affirmatifs sur le fait que la complication d’hypertension artérielle pulmonaire présentée par le nouveau né peut être liée à l’évolution défavorable de la détresse respiratoire complexe elle-même liée à la césarienne réalisée trop précocement et que celle-ci a incontestablement entraîné une élévation du risque que l’enfant présente une détresse respiratoire.

Mme C estime que son préjudice est constitué par

— les frais qu’elle a engagés pour les tentatives de fécondation in vitro qu’elle réalisées entre juillet et décembre 2012,

— son préjudice moral à la suite du décès, celui-ci ayant par ailleurs entraîné la séparation du couple.

Par conclusions du 12 novembre 2013, le Dr E a sollicité la réformation du jugement en ce qu’il a admis une perte de chance d’éviter le décès de l’enfant et conclu au rejet de l’ensemble des demandes de Mme C.

Subsidiairement, il a sollicité la confirmation du jugement en ce qu’il a limité à 50% cette perte de chance et demandé la limitation de l’indemnisation à la somme de 15 000 euros.

Il a conclu en tout état de cause au rejet des demandes formées au titre d’une perte de chance de grossesse, des frais matériels consécutifs à l’intervention et à l’irrecevabilité de l’intervention volontaire de M. Z.

Il a, enfin, demandé la condamnation de Mme C et de M. Z à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir en premier lieu que le rapport du Dr B, qui a été annulé par le jugement du 18 novembre 2008 ne peut servir de fondement à la discussion.

Il soutient que seul le fait d’avoir pratiqué une césarienne à 37 semaines d’aménorrhée au lieu de 39 a été retenu comme constitutif d’une imprudence par les experts mais qu’en l’absence d’autopsie pratiquée sur l’enfant, la cause du décès demeure indéterminée, de sorte que le lien de causalité entre la faute et une perte de chance de vie de l’enfant n’est pas établi, cette chance étant purement hypothétique.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité du Dr E :

En application de l’article L. 1142-1-I du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. Mme C doit donc établir que le Dr E a commis une faute, à l’origine d’un préjudice direct et certain, pour obtenir sa condamnation à l’indemniser.

Il n’est pas contesté que Mme C, après une grossesse suivie durant sa totalité par le Dr E, a accouché le 11 mai 2004, par césarienne pratiquée à 37 semaines d’aménorrhée et 2 jours, donnant naissance, à 15h28, à une petite fille, pesant 2820 g.

L’enfant a été transféré à l’hôpital Lenval le jour même à 18 heures, pour détresse respiratoire s’aggravant. A l’entrée dans cet hôpital le nouveau-né présentait une détresse respiratoire complexe, sans souffle ni signe d’insuffisance cardiaque ou de cardiopathie. Devant l’aggravation de son état, il est transféré au CHU de Nice le 13 mai 2004 à 11 heures ou, malgré une prise en charge constante, il est décédé le 14 mai 2004 à 4h30.

Selon les experts, l’enfant Jasmine est décédée d’une détresse respiratoire complexe compliquée par une hypertension artérielle pulmonaire, liée à une évolution défavorable de cette détresse respiratoire.

Ils ont considéré qu’étant donné la conjonction des éléments péjoratifs tenant à la présence chez Mme C d’un bassin anormal (généralement rétréci, chez une femme mesurant 1,58cm et présentant une maladie de Charcot), contre indiquant les efforts expulsifs et une anesthésie péridurale, une césarienne pouvait légitimement être proposée d’emblée à la patiente. Selon eux, cette césarienne a été effectuée dans les règles de l’art.

Ils ont cependant indiqué : 'il est reconnu et admis en 2004 que la réalisation d’une césarienne en dehors du travail fait courir un risque de morbidité respiratoire néonatale plus élevé qu’une césarienne réalisée en cours de travail ou accouchement par voie basse. Afin de réduire ce risque, les recommandations pour la pratique clinique élaborées par le Collège national des Gynécologues obstétriciens français publiées en 2000 précisent que 'sauf indication médicale contraire, il est recommandé de ne réaliser une césarienne avant travail qu’à partir de 39SA'. Il apparaît donc que le Dr E a pratiqué l’accouchement par césarienne avant travail de façon trop précoce au regard des recommandations de sa profession, augmentant ainsi le risque de morbidité respiratoire néonatale.

Si M. E soutient que la réalisation précoce de l’accouchement était justifiée par un risque d’accouchement prématuré lié au fait que Mme C avait présenté des contractions utérines, les experts considèrent qu’il aurait été possible de différer la césarienne jusqu’à l’âge gestationnel plus adéquat. En effet, le dossier médical ne met en évidence que des contractions épisodiques au cours de la grossesse, traitées en ambulatoire par voie médicamenteuse, sans modification significative du col, que Mme C est restée à domicile les deux semaines précédant l’accouchement sans signaler de difficulté particulière et que le monitoring réalisé avant l’accouchement témoignait d’une activité utérine faible (2 contractions en 1h14'). En outre, la date de l’accouchement avait été fixé 3 semaines avant sa réalisation. Enfin, les experts notent que le seul risque qui aurait été pris en différant l’accouchement aurait été celui de pratiquer une césarienne alors que le travail avait été commencé, ce qui aurait été possible compte tenu de l’organisation de la clinique.

Il y a donc lieu de retenir que le Dr E a commis une faute dans la prise en charge de sa patiente.

Cette faute a eu pour conséquence d’aggraver le risque de survenue d’une détresse respiratoire du nouveau-né. En effet, selon les experts, ce risque est inversement proportionnel à l’âge gestationnel et est majoré par la réalisation d’une césarienne avant travail. Si cette dernière circonstance n’est pas constitutive d’une faute en l’espèce, ainsi qu’il a été indiqué précédemment, le fait d’avoir pratiqué cette césarienne avant 39 semaines d’aménorrhée (39SA) était fautif.

Si, selon les experts, le risque de mortalité dans ce cas demeure exceptionnel (1/4000) selon une étude récente et qu’une autopsie aurait pu permettre d’éliminer la présence chez l’enfant d’une malformation cardiaque rare comme un retour veineux pulmonaire anormal, ils ont, en réponse à un dire du conseil du Dr E, précisé que la réalisation de la césarienne après 39SA au lieu de 37 SA et 2 jours aurait nettement réduit le risque de survenue du décès de l’enfant. Le risque que l’enfant présente une détresse respiratoire, à 39 semaines révolues d’aménorrhée, était donc réduit et celui que l’enfant en décède également.

Dans ces conditions, Mme C a perdu une chance certaine d’éviter que son enfant présente une détresse respiratoire et en décède. Au regard de la probabilité de non survenue de cette complication si l’accouchement avait été pratiqué à 39 semaines, la décision des premiers juges, ayant retenu une perte de chance de 50% est justifiée.

Sur le préjudice de Mme C :

* Le préjudice moral

Le préjudice moral, invoqué par Mme C, qui s’analyse en un préjudice d’affection, est indéniablement important puisqu’elle a perdu son bébé deux jours après la naissance, alors qu’il s’agissait d’un premier accouchement, et a connu un état dépressif après ce décès (attestations pièces 6, 7 et 8). Ce préjudice doit prendre en compte également, d’une

part, le fait que Mme C n’a pas eu un d’autre enfant par la suite, malgré son désir de devenir mère, d’autre part, les perturbations que ce décès a causé dans sa relation de couple avec son concubin, père de l’enfant.

Cependant, ce préjudice ne peut intégrer une perte de chance, pour Mme C de devenir mère, la faute commise par le Dr E n’ayant eu aucune incidence sur les chances de Mme C de devenir mère.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le préjudice d’affection de Mme C sera évalué à la somme de 60 000 euros, de sorte que le Dr E sera condamné à lui verser la somme de 30 000 euros, après réduction liée à la perte de chance. La décision de première instance sera donc confirmée de ce chef.

* Le préjudice matériel

A ce titre Mme C sollicite le remboursement de divers frais liés aux tentatives d’insémination artificielle qu’elle a faites en 2012 et 2013. Cependant, ainsi que l’a considéré le tribunal, ce préjudice n’est pas en lien direct avec les faits reprochés à M. E, la faute qu’il a commise n’ayant eu aucune incidence sur la fertilité de Mme C. La décision sera donc confirmée de ce chef.

Sur le préjudice de M. Z :

Il résulte des attestations produites (pièces 6, 7 et 8) que M. Z et Mme C vivaient bien en concubinage ensemble à Amsterdam avant l’accouchement et que M. Z est probablement le père de l’enfant décédé.

Son action est donc recevable, puisqu’il est une victime indirecte des fautes commises par le Dr E. Elle est en outre bien fondée puisque le fait qu’il ait vécu avec la mère de l’enfant décédé avant et après l’accouchement et ait été considéré par leur entourage comme le père de celui-ci justifie qu’il soit indemnisé de son préjudice d’affection à la suite de son décès.

Cependant, il ressort des attestations susvisées et de l’attestation de M. Z lui-même que sa souffrance n’a pas été de la même nature que celle ressentie par la mère, aucun élément du dossier ne permettant d’ailleurs de penser qu’il se trouvait en France au moment de l’accouchement. Il lui sera donc alloué la somme de 20 000 euros avant application du taux de perte de chance qui lui est opposable, de sorte que le Dr E sera condamné à lui verser la somme de 10 000 euros.

Sur les demandes annexes :

Le Dr X succombant, il sera condamné à supporter les dépens de l’instance d’appel. Il sera également condamné à verser à Mme C et M. Z, qui ont fait le choix d’une défense commune, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement, sauf en ce qui concerne l’irrecevabilité de l’action de M. Z,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

— Déclare recevable l’action de M. Z,

— Fixe le préjudice d’affection de M. Z à la somme de 20 000 euros,

— Condamne le Dr E à lui verser la somme de 10 000 euros,

— Condamne le Dr E à verser à Mme C et M. Z la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— Déboute le Dr E de la demande qu’il a formée sur le même fondement,

— Condamne le Dr E aux dépens de l’instance d’appel et dit qu’ils pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,

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