Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 15 septembre 2016, n° 2013/22133

  • Action en responsabilité contractuelle·
  • Présence d'un dirigeant du saisissant·
  • Validité de la saisie-contrefaçon·
  • Assignation dans le délai requis·
  • Préjudice subi par le défendeur·
  • Impression visuelle d'ensemble·
  • Validité du constat d'huissier·
  • Saisie-contrefaçon abusive·
  • Prescription quinquennale·
  • Caractère fonctionnel

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE ARRÊT AU FOND DU 15 septembre 2016

2e Chambre

Rôle N° 13/22133

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 19 septembre 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 11/12092.

APPELANT Monsieur Bruno E représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE assisté et plaidant par Me Christian L, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Bruno C, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMES Monsieur Bernard J commerçant sous le nom commercial BJ DIFFUSION à l’enseigne TENDANCES D’ICI ET D’AILLEURS

SARL ANASTACIA PRODUCTION, demeurant […] – 30400 VILLENEUVE LES AVIGNON

SARL MARIDA nom commercial VANILLE-FRAISE, demeurant […] – 66700 ARGELES SUR MER tous trois intimés représentés par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistés et plaidant par Me Michel B, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Jean A, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

COMPOSITION DE LA COUR L’affaire a été débattue le 16 juin 2016 en audience publique. Conformément à l’article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur FOHLEN, conseiller a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de : Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller qui en ont délibéré. Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER. Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2016

ARRÊT

Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2016, Signé par Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS-PROCEDURE – DEMANDES : Monsieur Bruno E a déposé à l’Institut National de la Propriété Industrielle le 1er mars 1999, pour un objet intitulé <culotte de maillot de bain, maillot de bain une pièce> et dénommé GLORIS, deux modèles et quatre reproductions [en réalité onze, dont pour la culotte une où le bandeau ou ceinture est porté haut (reproduction 1-2), et une où le bandeau ou ceinture est retourné (reproduction 1-6)], le tout sous les numéros d’enregistrement 99 1481 et de publication 554 662 à 554 665.

Par acte notarié du 30 septembre 2005 Monsieur E a vendu à la S.A.R.L. ANASTACIA P, pour le prix de 300 000 € 00, un fonds de commerce <de fabrication de maillots de bains et de ligne de plage en sous-traitance, commercialisation de ces produits, import- export de tissus et maillots de bains> connu sous l’enseigne ANASTACIA, situé à Lyon, et qui sera exploité à Villeneuve les Avignon (84) siège social de l’acquéreur.

La licence d’exploitation d’une durée d’un an prévue par cette vente pour les 2 modèles déposés, qui devait être ratifiée au plus tard le 31 décembre 2005, a donné lieu à un contrat daté du 6 octobre 2005 stipulant pour Monsieur E une rémunération de 3 € 00 par modèle fabriqué, qui cependant n’a pas été signé par les parties.

Le 4 août 2011 Monsieur E a fait établir par Huissier de Justice un constat sur le site http://www.anastacia-beachwear.com/.

Une ordonnance du 8 août 2011 a autorisé Monsieur E à faire procéder à des saisies contrefaçons de culottes de maillot de bain de marque ANASTACIA, l’Huissier de Justice étant autorisé à être assisté de l’intéressé :

- au siège de cette société;

- dans le magasin VANILLE FRAISE à Argelès sur Mer (66) géré par la S.A.R.L. MARIDA;

- dans le magasin TENDANCES D’ICI ET D’AILLEURS à Gruissan (11) dont l’exploitant individuel est Monsieur Bernard J.

La signification de 3 copies de cette ordonnance a été faite le 29 août 2011 avec le même jour établissement de 3 procès-verbaux de saisie contrefaçon :

- au siège de la société ANASTACIA à Villeneuve les Avignon par Maître TROUPEL H de Justice, en présence à la fois du gérant de cette société Monsieur R et de Monsieur E;

- dans le magasin de Gruissan par Maître SAUZEL-MARY H de Justice;

- dans le magasin d’Argelès par Maître BIELLMANN H de Justice.

Le 13 septembre 2011 Monsieur E a fait assigner la société ANASTACIA en contrefaçon et concurrence déloyale devant le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE, devant lequel la société MARIDA et Monsieur J sont intervenus volontairement par conclusions du 18-20 janvier 2012. Un jugement du 19 septembre 2013 a :

* déclaré recevables les interventions volontaires de la société MARIDA et de Monsieur J;

* annulé les 3 procès-verbaux de saisie contrefaçon dressés le 29 août 2011 :

— par Maître T, Huissier de Justice à Villeneuve les Avignon;

— par Maître B, Huissier de Justice à Argelès;

— par Maître S, Huissier de Justice à Narbonne; * déclaré nul, pour défaut de nouveauté et de caractère propre, le modèle français de culotte de maillot de bain n° 99 1431 déposé le 1er mars 1999 à l’I.N.P.I.;

* dit que la présente décision, une fois devenue définitive, sera transmise à l’I.N.P.I. aux fins d’inscription au Registre National des Marques par la partie la plus diligente; * dit que le modèle de culotte de maillot de bain GLORIS n’est pas éligible à la protection par le droit d’auteur; * débouté Monsieur E de l’ensemble de ses demandes formées au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale; * condamné Monsieur E à verser à la société ANASTACIA la somme de 10 000 € 00 à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive; * condamné Monsieur E à verser à la société MARIDA la somme de 2 000 € 00 à titre de dommages et intérêts pour le préjudice occasionné par la saisie contrefaçon; * condamné Monsieur E à verser à la société ANASTACIA la somme de 3 000 € 00 au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile; * condamné Monsieur E à verser à la société MARIDA et à Monsieur JAURES la somme totale de 1 000 € 00 au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile;

* débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples et contraires;

* dit que les dépens seront à la charge de Monsieur E;

* dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire. Monsieur Bruno E a régulièrement interjeté appel le 14-15 novembre 2013. Par conclusions du 29 mars 2016 il soutient notamment que :

— l’originalité et la nouveauté de son modèle GLORIS est la présence, en haut de la culotte de maillot de bain, d’un bandeau qui peut se porter haut sur le ventre ou retourné;

- malgré son engagement à ratifier un contrat de licence la société ANASTACIA ne l’a pas signé; à partir de 2011 les deux magasins d’Argelès et de Gruissan, qui auparavant ne commercialisaient pas les culottes de maillots de bain, l’ont fait pour un modèle contrefaisant GLORIS; depuis plusieurs années cette société fait fabriquer en Tunisie ces culottes;

- la société ANASTACIA s’est engagée sans réserve ni condition à devenir sa licenciée, mais a refusé de signer le contrat de licence :

. à titre principal cette société a rompu des pourparlers très avancés, et engage donc sa responsabilité délictuelle; elle a invoqué des contrefaçons de la création de Monsieur E mais sans en justifier; dès 2006 la société ANASTACIA a fabriqué et commercialisé des produits reproduisant le modèle déposé, ce qui est une intention de nuire et un manque de loyauté;

. à titre très subsidiaire cette société n’a pas respecté le contrat de licence prévu par la vente du 30 septembre 2005 au plus tard le 31 décembre et la liant à Monsieur E, puisqu’elle a fabriqué et commercialisé des produits reproduisant le dessin protégé sans verser les redevances convenues; sa responsabilité contractuelle est donc engagée;

— Monsieur E a assigné à la fois en contrefaçon et en concurrence déloyale, et le second motif recouvre le refus de signer le contrat de licence;

— la société ANASTACIA a toujours reconnu avoir contrefait les caractéristiques du dessin déposé et protégé de Monsieur E;

- l’article L. 521-4 du Code de la Propriété Intellectuelle n’interdit pas au requérant d’être présent lors de la saisie contrefaçon, d’autant que l’ordonnance du 8 août 2011 a autorisé la présence de Monsieur E; le gérant de la société ANASTACIA Monsieur RATNI était lui aussi présent, et n’a pas contesté les propos de Monsieur E sur la contrefaçon des maillots;

- la société ANASTACIA n’avait pas soulevé des saisies contrefaçons nulles au motif de l’absence d’assignations au fond de la société MARIDA et de Monsieur J; la première a été assignée dans le délai; Monsieur E n’a nulle obligation d’assigner toutes les personnes impliquées dans une saisie contrefaçon; cette dernière peut être faite sur copie de l’ordonnance l’autorisant, même sans minute ni copie exécutoire (article 495 du Code de Procédure Civile);

- ses adversaires ne prouvent pas le non-respect des prescriptions afférentes au constat d’Huissier de Justice sur internet du 4 août 2011;

- les faits de contrefaçon sont établis contre la société ANASTACIA;

- la création de Monsieur E est légalement protégée :

. au titre du droit des dessins et modèles par son dépôt le 1er mars 1999 d’un modèle qui présente un caractère nouveau et un caractère propre; aucune antériorité n’est versée qui reproduise ce modèle; ELLE et LES TROIS SUISSES reproduisent un bandeau ou ceinture, mais pas la possibilité de le laisser haut sur le ventre ou de le retourner, d’où l’absence d’impression visuelle d’ensemble identique;

. au titre du droit d’auteur : le choix d’une ceinture ou d’un bandeau ne relève pas d’une contrainte technique ou fonctionnelle, mais procède d’un choix esthétique;

- la société ANASTACIA reconnaît contrefaire le maillot GLORIS en se justifiant par le fait que cette création n’est pas protégeable; pour les années 2009, 2010 et 2011 ont été contrefaisants environ 16 500 produits; le contrat de licence prévoyait 3 € 00 de rémunération par le licencié; cette société a poursuivi ses agissements après l’assignation du 13 septembre 2011;

- la procédure de Monsieur E n’est pas abusive; ayant vendu son fonds de commerce à la société ANASTACIA il était en possession de toutes les informations commerciales sur cette dernière dont les fournisseurs, et n’avait pas besoin de saisies contrefaçons pour récupérer celles-ci;

- la saisie contrefaçon chez la société MARIDA a été faite au préjudice de la société ANASTACIA d’où provenaient les produits litigieux, ce qui n’est pas fautif;

- lui-même ne peut être condamné à rembourser les frais irrépétibles de Monsieur J et de la société MARIDA alors même qu’ils sont intervenus volontairement à la procédure.

L’appelant demande à la Cour, vu les articles L. 111-1, L. 122-4, L. 513-1, L. 511-9, L. 513-4, L. 521-1 et L. 521-7 du Code de la Propriété Intellectuelle; 1134, 1142 et 1147 du Code Civil; 495, 565 et 566 du Code de Procédure Civile; 1382 et 1383 du Code Civil; de :

* réformer intégralement le jugement;

* statuant à nouveau :

— déclarer Monsieur E recevable en ses demandes;

— rejeter l’appel incident des intimés, toutes les demandes et prétentions de la société ANASTACIA, de la société MARIDA et de Monsieur J;

* sur la responsabilité de la société ANASTACIA :

— à titre principal :

. constater que la société ANASTACIA a commis une faute en refusant de signer le contrat de licence qui devait être régularisé au plus tard le 31 décembre 2005, aggravée par sa mauvaise foi et son intention de nuire à Monsieur E;

. dire et juger que cette demande ne constitue pas une prétention nouvelle et qu’elle n’est pas prescrite;

. dire et juger que la société ANASTACIA a engagé sa responsabilité et doit réparer le préjudice subi par Monsieur E;

. en conséquence, condamner la société ANASTACIA à verser à Monsieur E la somme de 50 000 € 00 à titre de dommages et intérêts;

— à titre très subsidiaire :

. constater que la société ANASTACIA était engagée dans les termes d’un contrat de licence avec Monsieur E et qu’elle a manqué à ses obligations contractuelles;

. dire et juger que cette demande ne constitue pas une prétention nouvelle et qu’elle n’est pas prescrite;

. en conséquence, condamner la société ANASTACIA à verser à Monsieur E la somme de 200 000 € 00 à titre de dommages et intérêts;

* sur les actes de contrefaçon :

— protection de la création :

. dire et juger que le modèle déposé de culotte de maillot de bain GLORIS créé par Monsieur E et déposé par lui à l’I.N.P.I. le 1er mars 1999 et qui a été enregistré sous le n° 99 1481 est valide et qu’il répond parfaitement aux conditions de protection posées par le Code de la Propriété Intellectuelle et particulièrement les articles L. 511- 4 et suivants;

. dire et juger que le modèle de culotte de maillot de bain GLORIS créé par Monsieur E est éligible à la protection par le droit d’auteur et qu’il répond parfaitement aux conditions de protection posées par le Code de la Propriété Intellectuelle et particulièrement les articles L. 111-1 et suivants;

— recevabilité des moyens de preuve de la contrefaçon :

. dire et juger que les procès-verbaux d’huissiers en date du 29 août 2011 sont valables et que les huissiers instrumentaires n’ont pas excédé les pouvoirs conférés par les ordonnances ayant autorisé les opérations;

. dire et juger que le constat d’huissier en date du 4 août 2011 présente la force probante attachée à ce mode de preuve;

. dire et juger que la contrefaçon peut être établie par tous moyens;

. constater que la fabrication et la commercialisation des produits argués de contrefaçon sont établies par les autres pièces des parties;

. constater que la fabrication et la commercialisation des produits argués de contrefaçon sont confirmées par les intimés;

— la contrefaçon :

. dire et juger que la société ANASTACIA, Monsieur J et la société MARIDA ont commis des actes de contrefaçon du modèle de culotte de maillot

de bain GLORIS créé par Monsieur E et déposé par lui à l’I.N.P.I. le 1er mars 1999 et qui a été enregistré sous le n° 99 1481;

. dire et juger que la société ANASTACIA, Monsieur J et la société MARIDA ont commis des actes de contrefaçon des droits d’auteur de Monsieur E sur son œuvre le modèle de culotte de maillot de bain GLORIS et qu’ils ont porté atteinte à son droit moral;

— en conséquence :

. condamner solidairement la société ANASTACIA, Monsieur J et la société MARIDA à verser à Monsieur E la somme de 200 000 € 00 à titre de dommages-intérêts en réparation de la contrefaçon de son droit de dessin et modèle et de l’atteinte à ses droits patrimoniaux d’auteur;

. condamner solidairement la société ANASTACIA, Monsieur J et la société MARIDA à verser à Monsieur E la somme de 30 000 € 00 à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral;

. faire interdiction à la société ANASTACIA, Monsieur J et la société MARIDA, sous astreinte de 1 000 € 00 par infraction constatée à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, de fabriquer, faire fabriquer, offrir, mettre sur le marché, importer et détenir des maillots reproduisant les caractéristiques de la culotte GLORIS de Monsieur E, à savoir qui présente une ceinture ou bandeau qui peut se porter haut sur le ventre ou retourné, la Cour se réservant le droit de liquider l’astreinte directement;

. ordonner la destruction de l’ensemble des produits confectionnés

contrefaisant le modèle de culotte de maillot de bain GLORIS de Monsieur E, et ce tant au siège de la société ANASTACIA, de la société MARIDA et de Monsieur JAURES que de leurs établissements secondaires et/ou magasins, usines, sous-traitants, détaillants et grossistes et autres revendeurs, par un Huissier de Justice au choix de Monsieur E;

. ordonner la publication de l’arrêt à intervenir, aux frais de la société

ANASTACIA, dans 5 joumaux ou publications professionnels, au choix de Monsieur E, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 5 000 € 00 H.T. par publication;

. ordonner l’exécution provisoire de l’arrêt à intervenir;

. condamner la société ANASTACIA au remboursement des frais de saisies- contrefaçons;

* condamner solidairement la société ANASTACIA, Monsieur J et la société MARIDA à verser à Monsieur E la somme de 6 000 € 00 au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Concluant le 11 juillet 2014 la S.A.R.L. ANASTASCIA P, la S.A.R.L. MARIDA et Monsieur Bernard J répondent notamment que :

— est nul le procès-verbal de saisie contrefaçon dressé le 29 août 2011 par Maître T, en raison de la présence du requérant Monsieur E qui en outre y a participé activement; cette présence qui est interdite ne peut être couverte par l’autorisation donnée par l’ordonnance du 8 août 2011;

- sont nuls les 3 procès-verbaux de saisie contrefaçon établis en exécution d’une simple copie de l’ordonnance précitée, alors qu’étaient nécessaires la minute ou une expédition revêtue de la formule exécutoire; les 3 saisies contrefaçons sont intervenues en même temps dans 3 lieux séparés de plusieurs dizaines de kilomètres;

- sont nuls les procès-verbaux de saisie contrefaçon dressés à GRUISSAN et à ARGELES, faute pour Monsieur E de s’être pourvu au fond contre Monsieur J et la société MARIDA dans le délai du Code de la Propriété Intellectuelle;

- est nul le procès-verbal de constat sur internet du 4 août 2011, l’Huissier de Justice n’ayant pas respecté le formalisme (absences de mention de l’adresse IP qui identifie le matériel, de suppression des caches avant consultation, de vérification que l’ordinateur est connexé à un serveur PROXY, de preuve de l’existence de liens hypertextes vers les pages litigieuses, de suppression des cookies, et de l’heure de début), ce qui ne permet pas d’établir avec certitude que les pages consultées étaient effectivement en ligne au moment où ce constat a été dressé;

- le modèle sont se prévaut Monsieur E n’est pas susceptible de protection : la forme du maillot (hauteur du bandeau ou de la ceinture) est indissociablement liée à sa fonction technique (le porter en taille haute ou basse); l’esthétique retenue par le Tribunal concerne non le maillot mais la personne qui le porte;

- le même modèle n’est pas nouveau et ne présente pas un caractère propre, vu les antériorités de ELLE et de LES TROIS SUISSES;

- Monsieur E n’a jamais mis en demeure la société ANASTACIA de ratifier le contrat de licence de 2005 avant le 18 février 2009, ce qui exclut la concurrence déloyale reprochée par le premier à la seconde;

— la prétendue rupture abusive des pourparlers par cette société est une prétention nouvelle en cause d’appel; bien que datée du 31 décembre 2005 elle n’a pas été invoquée dans l’assignation du 13 septembre 2011, d’où la prescription;

- la société ANASTACIA ne peut avoir violé les termes d’un contrat de licence qui n’existait pas;

- est abusive la procédure de Monsieur E, car celui-ci par la saisie contrefaçon nulle dans les locaux de la société ANASTACIA a pu connaître illicitement les fournisseurs et les clients de celle-ci.

Les intimés demandent à la Cour de :

— dire et juger l’appel recevable en la forme mais manifestement infondé;

— faire droit à l’appel incident des intimés;

— dire et juger que l’action ne saurait prospérer à l’encontre des intimés;

— débouter l’appelant de toutes ses demandes;

* sur la demande en contrefaçon :

— au principal : . prononcer la nullité des 3 procès-verbaux de saisie contrefaçon dressés le 29 août 2011 par Maître T, Huissier de Justice à Villeneuve les Avignon, par Maître B, Huissier de Justice à Argelès et par Maître S, Huissier de Justice à Narbonne;

. écarter des débats les pièces, documents et informations saisis et recueillis lors des opérations de saisie-contrefaçon effectuées le 29 août 2011;

. prononcer la nullité du procès-verbal dressé par Maître T le 4 août 2011 et le déclarer en tous cas inopposable aux intimés;

- subsidiairement, prononcer la nullité du modèle déposé le 1er mars 1999 auprès de l’I.N.P.I. et enregistré sous le n° 99 1481, ce dernier n’étant pas susceptible de protection au regard des dispositions de l’article L. 511-8-1° du Code de la Propriété Intellectuelle;

- très subsidiairement, prononcer la nullité du modèle déposé le 1er mars 1999 auprès de l’I.N.P.I. et enregistré sous le n° 99 1481 pour défaut de nouveauté et de caractère propre en violation des dispositions des articles L. 511-2, -3 et -4 du Code de la Propriété Intellectuelle;

* sur la demande en concurrence déloyale :

- dire et juger qu’il n’existe aucun fait distinct de concurrence déloyale et que cette action est au demeurant prescrite au regard des dispositions des articles 2224 du Code Civil et L. 110-4 du Code de Commerce, de tels faits trouvant selon l’appelant leur

fondement dans l’acte de cession de fonds de commerce en date du 30 septembre 2005;

- dire et juger que la prétendue rupture abusive de pourparlers très avancés constitue de nouvelles prétentions irrecevables en cause d’appel conformément aux dispositions de l’article 564 du Code de Procédure Civile, et en tout cas manifestement prescrites;

- dire et juger que la prétention selon laquelle la société ANASTACIA aurait violé les termes d’un contrat de licence non régularisé entre les parties constitue une nouvelle prétention irrecevable en cause d’appel conformément aux dispositions de l’article 564 du Code de Procédure Civile, et ne saurait constituer des faits de concurrence déloyale susceptibles d’engager la responsabilité de la société ANASTACIA sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil puisqu’ils trouveraient leur fondement dans un contrat de cession de fonds de commerce en date du 30 septembre 2005;

— dire et juger que de telles prétentions sont également prescrites au regard des dispositions des articles 2224 du Code Civil et L. 110-4 du Code de Commerce;

— subsidiairement, dire et juger que de telles prétentions sont dépourvues de tout fondement;

* sur la demande reconventionnelle :

— faire droit à la demande reconventionnelle de la société ANASTACIA;

— dire et juger que les trois saisies pratiquées et la procédure présentent un caractère manifestement abusif, celles-ci ayant été effectuées :

. en contradiction avec les principes du droit à un procès équitable consacré par l’article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales;

. en faisant procéder à trois exécutions simultanées et distinctes de la même ordonnance sur requête, en possession d’une simple copie de la minute et donc illégalement;

. sur le fondement d’un titre de propriété industrielle qui se révèle être sans valeur alors même que c’est un professionnel de la création qui entend s’en prévaloir;

- condamner l’appelant au paiement d’une somme de 80 000 € 00 à titre de dommages et intérêts en raison du caractère manifestement abusif de la présente procédure et des saisies pratiquées dans la plus totale illégalité;

- condamner l’appelant au paiement d’une somme de 15 000 € 00 au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile;

* sur les demandes en intervention volontaire de la société MARIDA et de Monsieur J :

— prononcer la nullité des opérations de saisie-contrefaçon pratiquées le 29 août 2011 par Maître S à Gruissan et par Maître B à Argelès, faute pour l’appelant de s’être pourvu au fond à l’encontre des saisis, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article L. 521-4 du Code de la Propriété Intellectuelle dans le délai fixé par l’article R. 521-1 de ce même Code;

- prononcer la nullité des opérations de saisie-contrefaçon susvisées, celles-ci ayant été réalisées simultanément alors même que les huissiers instrumentaires n’étaient en possession que d’une simple copie de l’ordonnance et non de la minute, en contravention des dispositions des articles 495 alinéa 2 et 502 du Code de Procédure Civile;

- condamner l’appelant au paiement d’une somme de 5 000 € 00 au profit de la société MARIDA en raison des préjudices pécuniaire et moral qui lui ont été occasionnées à l’occasion de la saisie pratiquée dans la plus totale illégalité;

- condamner l’appelant au paiement d’une somme de 15 000 € 00 au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2016.

MOTIFS DE L’ARRET:

Sur la licence d’exploitation :

La vente le 30 septembre 2005 du fonds de commerce de Monsieur E à la société ANASTACIA stipulait en page 5 la conclusion d’un contrat de licence par celui-là en faveur de celle-ci pour le modèle GLORIS déposé par lui, la ratification dudit contrat devant intervenir au plus tard le 31 décembre. La licence d’exploitation correspondante, bien que datée du 6 octobre, n’a cependant jamais été signée par l’une ou l’autre de ces 2 parties, et la lettre du 19 juin 2006 dans laquelle la société ANASTACIA a informé Monsieur E ne plus pouvoir honorer les termes de ce contrat au motif que le modèle de culotte de maillot de bain GLORIA (sic) est fabriqué et distribué par d’autres entreprises ne suffit pas à démontrer la réalité de l’exécution volontaire de cette licence par la société ANASTACIA.

Les seules lettres adressées par Monsieur E à la société ANASTACIA, qui datent des 18 et 23 février et 10 avril 2009, ne font pas de référence spécifique au contrat de licence d’exploitation. Le seul acte visant l’absence de signature de cet acte par cette société est l’assignation délivrée le 13 septembre 2011 par Monsieur E.

Le délai de prescription en matière d’action personnelle et commerciale est fixé à 5 ans par les articles 2224 du Code Civil et L. 110-4 du Code de Commerce; plus de 5 années se sont écoulées entre la date prévue pour ratifier le contrat de licence (31 décembre 2005) et celle de l’assignation de la société ANASTACIA par Monsieur E (13 septembre 2011). C’est donc à juste titre que les intimés invoquent la prescription de l’action de l’appelante relative tant au refus qu’à l’inexécution de la licence d’exploitation, ce qui dispense la Cour d’examiner si cette action est ou non nouvelle en cause d’appel.

Sur les 3 saisies contrefaçons :

Selon l’article 495 du Code de Procédure Civile un texte général 'L’ordonnance sur requête (…) est exécutoire au seul vu de la minute. Copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée'. Mais le texte spécial en matière de modèles, soit l’article R. 521-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, précise que 'l’huissier (…) doit, avant de procéder à la saisie, donner copie aux détenteurs des objets [litigieux] de l’ordonnance'. La combinaison de ces 2 articles fait que l’Huissier de Justice doit, avant de procéder à une saisie contrefaçon contre une personne, remettre à celle-ci non la minute de cette ordonnance mais simplement une copie de celle-ci, ce qui s’est effectivement passé le 8 août 2011.

Les 3 intimés ne peuvent donc reprocher à Monsieur E d’avoir fait procéder à des saisies contrefaçons simultanées dans 3 lieux distincts en l’absence de la minute de cette ordonnance, dans la mesure où le nombre de copies n’est pas limité à 1. Les 3 Huissiers de Justice désignés par l’ordonnance précitée, qui autorisait une saisie contrefaçon dans les établissements de chacun des 3 intimés (siège de la société ANASTACIA à Villeneuve les Avignon; magasin VANILLE FRAISE à Argelès sur Mer géré par la société MARIDA; magasin TENDANCES D’ICI ET D’AILLEURS à Gruissan exploité à titre individuelle par Monsieur J), ont le 29 suivant d’une part signifié ladite ordonnance à ces 3 défendeurs, et d’autre part remis à chacun d’eux copies tant de la requête que de l’ordonnance.

Cette dernière a certes autorisé l’Huissier de Justice désigné à être 'assisté du requérant’ Monsieur E, reprenant sur ce point la requête de l’intéressé. Mais l’article L. 521-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, qui prime sur ladite décision, ne prévoit outre l’Huissier de Justice qu’une seule catégorie de personnes qui puisse être présente pour l’assister, qui sont des 'experts'; Monsieur E n’est pas un expert puisqu’elle est une partie, et sa présence (active selon les pages 1 et 3 du procès- verbal de saisie contrefaçon) lors de cette mesure de contrainte vis-à-vis de la société ANASTACIA contrevient tant à ce texte qu’au principe du procès équitable fixé par l’article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.

Les articles L. 521-4 précité et R. 521-1 du même Code imposent au demandeur à la saisie de 'se pourvoir au fond’ au plus tard dans les 31 jours civils à compter de la date de l’ordonnance ayant autorisé cette saisie, et ce à peine d’annulation à la demande du saisi'. 2 des 3 saisis, qui sont la société MARIDA et Monsieur J, n’ont pas été assignés par Monsieur E même après ce délai et, suite à leurs interventions volontaires en première instance, étaient fondées à demander la nullité des 2 saisies contrefaçons les concernant; si Monsieur E était libre de ne pas assigner ces 2 personnes, il ne peut cependant aujourd’hui réclamer leur condamnation en sa faveur.

Le jugement est donc confirmé pour avoir annulé les 3 procès-verbaux de saisie contrefaçon dressés le 29 août 2011.

Enfin les préjudices subis du fait des saisies contrefaçons nulles tant par la société ANASTACIA que la société MARIDA, constitués par la connaissance illicite par Monsieur E de leurs informations commerciales (fournisseurs, clients) et comptables suite aux saisies contrefaçons engagées par celui-ci à ses risques et périls, ont été

justement chiffrés par le Tribunal aux sommes respectives de 10 000 € 00 pour procédure abusive quant à la première société et de 2 000 € 00 à titre de dommages et intérêts concernant la seconde. Le jugement est confirmé sur ce point, les demandes d’augmentation de ces sommes devant la Cour n’étant pas justifiées.

Sur le procès-verbal de constat sur internet :

Un tel acte ne peut être effectué par un Huissier de Justice qu’à la condition de respecter la norme NF Z67-147 de septembre 2010, dont les articles 4.2.1 et 4.2.2 détaillent sur 2 pages entières un certain nombre de travaux; or le procès-verbal de constat sur internet effectué le 4 août 2011 à la requête de Monsieur E sur le site http://www.anastacia-beachwear.com/. de la société ANASTACIA ne comporte aucune mention de ces travaux obligatoires tels que la mention de l’adresse IP qui identifie le matériel, la suppression des caches avant consultation, la vérification que l’ordinateur est connexé à un serveur PROXY, la preuve de l’existence de liens hypertextes vers les pages litigieuses, la suppression des cookies, et l’heure de début, ce qui démontre une violation de cette norme puisque l’Huissier de Justice s’est contenté de faire usage du moteur de recherches Google comme tout un chacun.

Par suite la société ANASTACIA est fondée à demander la nullité de cet acte.

Sur le modèle de culotte de maillot de bain déposé par Monsieur E à l’I.N.P.I. le 1er mars 1999 :

Le Code de la Propriété Intellectuelle précise pour les dessins ou modèles :

- article L. 511-2 : 'Seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre ;
- article L. 511-4 : 'Un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant (…) ;
- article L. 511-8 : 'N’est pas susceptible de protection : 1° L’apparence dont les caractéristiques sont exclusivement imposées par la fonction technique du produit (…)'.

Le modèle de culotte de maillot de bain déposé par Monsieur E le 1er mars 1999, caractérisé par en haut un bandeau ou ceinture de forme horizontale qui est soit porté haut soit retourné, a une impression visuelle d’ensemble comparable aux culottes de maillots de bain divulgués :

- principalement dans le numéro du 11 mars 1985 du magazine ELLE en page 204, avec la précision essentielle que la bande du haut peut être roulée (ce qui équivaut à un retournement) pour faire un mini-slip;

- accessoirement dans le catalogue LES TROIS SUISSES printemps-été 1998 en pages 151 produit J et 153 produit I.

Les modèles déposés par Monsieur E ne sont donc pas nouveaux ni à caractère propre.

Le choix de laisser le bandeau ou ceinture situé au sommet de la culotte de maillot de bain soit porté haut soit retourné a un motif essentiellement fonctionnel et technique qui est de pouvoir agrandir la surface de peau découverte afin de mieux bronzer, et très accessoirement esthétique comme l’a retenu à tort le Tribunal.

Mais ce dernier était fondé à annuler le modèle déposé, même en ne retenant que le critère d’absence de nouveauté et de caractère propre.

Sur le droit d’auteur de Monsieur E pour la culotte de maillot de bain :

Les 3 antériorités précitées enlèvent toute originalité, ainsi que toute empreinte de la personnalité de Monsieur E, à la culotte de maillot de bain qu’il revendique comme une oeuvre protégée par les articles L. 111-1 à L. 113-10 du Code de la Propriété Intellectuelle, ainsi que l’a justement retenu le jugement.

DECISION

La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.

Confirme le jugement du 19 septembre 2013. En outre prononce la nullité du procès-verbal de constat établi le 4 août 2011 par Maître TROUPEL H de Justice à Villeneuve les Avignon à la requête de Monsieur Bruno E sur le site internet http://www.anastacia-beachwear.com/. de la S.A.R.L. ANASTACIA P.

Vu l’article 700 du Code de Procédure Civile condamne Monsieur Bruno E à payer au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens : * une indemnité de 7 500 € 00 à la S.A.R.L. ANASTASCIA P; * une indemnité unique de 7 500 € 00 à la S.A.R.L. MARIDA et à Monsieur Bernard J.

Condamne Monsieur Bruno E aux dépens d’appel, avec application de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 15 septembre 2016, n° 2013/22133