Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 4e chambre a, 1er juin 2017, n° 14/17062

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, 4e ch. a, 1er juin 2017, n° 14/17062
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 14/17062
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nice, 11 mai 2014, N° 10/04289
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE 4e Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 01 JUIN 2017

bm

N° 2017/ 470 Rôle N° 14/17062

Z A épouse B C

C/

XXX

Grosse délivrée

le :

à: Me Dany ZOHAR

Me Michaela SCHREYER

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 12 Mai 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 10/04289.

APPELANTE

Madame Z A épouse B C

XXX

représentée par Me Dany ZOHAR de la SELARL DAZ AVOCATS, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

XXX

dont le siège social est XXX

représentée par Me Michaela SCHREYER, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR L’affaire a été débattue le 30 Mars 2017 en audience publique. Conformément à l’article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Bernadette MALGRAS,Conseiller, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Hélène GIAMI, Conseiller, faisant fonction de Président de chambre

Madame Bernadette MALGRAS, Conseiller

Madame Agnès MOULET, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2017

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2017,

Signé par Madame Hélène GIAMI, Conseiller, faisant fonction de Président de chambre, et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS et PROCÉDURE ' MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES

Madame Z A B C est propriétaire de la Villa Cyrnos à Roquebrune Cap Martin (06), qui jouxte la Villa Y, dont la société ECI COMMERCIAL est propriétaire ; ces deux villas sont intégrées dans un ensemble résidentiel de haut standing.

Un litige est né entre les propriétaires, la société ECI COMMERCIAL se plaignant de troubles de voisinage résultant d’incinérations répétées de végétaux à l’origine de nuisances et de risques incendie.

Suivant ordonnance de référé en date du 13 octobre 2006, le tribunal de grande instance de Nice a interdit sous astreinte, à la demande de la société ECI COMMERCIAL, à madame A B C de procéder à toutes opérations d’incinérations sur sa propriété ; la décision a été confirmée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 6 mars 2008, la cour ajoutant que pour l’avenir, interdiction est faite à madame B C de procéder ou faire procéder à des opérations d’incinération sur sa propriété à l’exception d’une journée par mois calendaire en période verte et sous réserve de respecter la réglementation imposée par l’arrêté préfectoral du 19 juin 2002.

Le juge de l’exécution a prononcé la liquidation d’astreinte ; suivant arrêt du 29 octobre 2009, la cour, confirmant le jugement attaqué sauf sur le montant de la liquidation de l’astreinte, a liquidé l’astreinte ordonnée par le juge des référés le 13 octobre 2006 à la somme de 12 000 euros.

Par exploit du 12 juillet 2010, madame Z A B C a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nice la société ECI COMMERCIAL afin de voir dire qu’elle est en droit d’incinérer les végétaux de sa propriété sous réserve de respecter la réglementation applicable, de voir dire que la condamnation au paiement de la somme de 12 000 euros au titre de la liquidation de l’astreinte en application de l’ordonnance rendue le 13 octobre 2006 n’était pas justifiée et de voir condamner la société ECI COMMERCIAL à lui payer la somme de 12 000 euros, outre 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal, par jugement du 12 mai 2014, a notamment :

— débouté madame Z A B C de ses demandes

— dit que les incinérations répétées de végétaux de madame Z A B C constituent des troubles anormaux de voisinage

— fait interdiction à madame Z A B C sous astreinte de 5000 euros par infraction constatée, passé un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, de procéder à des opérations d’incinération de végétaux ou d’écobuage, sauf un jour par mois, sous réserve de respecter les dispositions de la circulaire interministérielle du 18 novembre 2011 ainsi que la réglementation préfectorale

— ordonné l’exécution provisoire de la décision

— condamné madame Z A B C à payer à la société ECI COMMERCIAL la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

— condamné madame Z A B C aux dépens.

Madame Z A B C a régulièrement relevé appel, le 4 septembre 2014, de ce jugement en vue de sa réformation.

Elle demande à la cour, selon conclusions déposées le 18 décembre 2014 par X, de :

Vu les articles 544 du code civil, 30, 31, 488 du code de procédure civile,

— dire et juger l’appel recevable et fondé

— infirmer le jugement du tribunal de grande instance en date du 12 mai 2014, en toutes ses dispositions

Et statuant à nouveau

— dire et juger que madame B C est en droit d’incinérer les végétaux de sa propriété sous réserve de respecter la réglementation applicable comme tout autre propriétaire immobilier résidant sur le territoire des Alpes-Maritimes

— dire et juger que la condamnation au paiement de la somme de 12 000 euros au titre de la liquidation de l’astreinte en application de l’ordonnance du 23 octobre 2006 interdisant toute incinération des végétaux n’était pas justifiée, cette interdiction étant générale et absolue et donc prohibée

— dire et juger que la responsabilité de madame B C n’est par ailleurs pas établie

— condamner en conséquence la société ECI COMMERCIAL à rembourser la somme de 12.000 euros à madame B C – débouter la société ECI COMMERCIAL de l’intégralité de ses moyens, demandes, fins et conclusions

— condamner la société ECI COMMERCIAL à verser à madame B C la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

— condamner la société ECI COMMERCIAL aux entiers dépens.

À cet effet, elle fait valoir pour l’essentiel que :

— la pratique de l’incinération n’est pas interdite mais seulement réglementée ; le respect des dispositions légales, de la réglementation et du règlement de copropriété exclut l’existence de troubles anormaux de voisinage

— les constats d’huissier et autres documents produits par la ECI COMMERCIAL sont contestables et non probants quant à la réalité des feux

— l’autorisation de brûler un jour par mois équivaut à un véritable arrêt de règlement qui contrevient aux dispositions de l’article 5 du code civil.

Formant appel incident, la société ECI COMMERCIAL sollicite de voir, selon conclusions déposées par X le 17 avril 2015 :

Vu l’article 544 du code civil,

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 12 mai 2014

— rejeter par conséquent l’ensemble des demandes, fins et conclusions de madame B C

— constater l’existence de troubles anormaux de voisinage par les incinérations répétées de madame B C des déchets verts de son importante propriété

— faire interdiction à madame B C de procéder ou de faire procéder à des opérations d’incinération sur sa propriété sauf une journée calendaire par mois et ce sous peine d’astreinte de 5000 euros par infraction constatée

— condamner madame B C à payer à la société ECI COMMERCIAL la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

— condamner madame B C aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Elle expose en substance que :

— les arrêtés préfectoraux invoqués par madame B C en date des 19 juin 2002, 19 juin 2012 et 19 novembre 2012 se limitent à autoriser l’incinération des seuls déchets issus du débroussaillement obligatoire, de la taille des oliviers, mimosas et autres arbres fruitiers, selon un horaire et des conditions strictement encadrés ; ces textes ne sont aucunement une autorisation à venir troubler de manière systématique les voisins

— les opérations d’incinérations pratiquées par madame B C occasionnent des nuisances excédant les inconvénients normaux du voisinage (fumées d’incinération de végétaux, retombées de cendres) – le respect des dispositions légales ou du règlement de copropriété n’exclut pas l’existence de troubles anormaux de voisinage

— l’intéressée peut louer une benne ou déposer ses déchets à la déchetterie dont est équipée la commune de Roquebrune cap Martin

— la réalité des feux sur le fonds B C est démontrée

— madame B C adopte une position contradictoire en prétendant qu’elle n’a jamais procédé aux incinérations à l’origine des troubles de voisinage constatés par les différentes décisions de justice mais en insistant pour que lui soit reconnu un droit général et absolu de procéder à des incinérations sur sa propriété.

Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 14 mars 2017.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les troubles anormaux de voisinage

Le droit pour un propriétaire de jouir de son bien de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

En outre, il est de droit que le respect des dispositions légales n’exclut pas l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.

En l’espèce, la société ECI COMMERCIAL produit aux débats des procès-verbaux de constat d’huissier dresséS le 24 octobre 2005 et le 30 novembre 2005 montrant pour le premier, que dans la propriété voisine B C, des ouvriers font brûler des végétaux et autres objets, matières ou matériels, qu’une fumée dense incommodant les riverains se dégage, pour le second que dans cette propriété, deux feux ont été mis en route, une fumée importante et dense se dirige vers la propriété ECI COMMERCIAL, des particules de cendres se répandent dans les parties d’habitation et dans la cour.

La société ECI COMMERCIAL verse également aux débats un ensemble de 9 procès-verbaux de constat réunis dans un même document, pour la période du 20 octobre 2006 au 11 décembre 2006 ; aux 9 dates concernées, l’huissier de justice instrumentaire a constaté des fumées importantes en provenance de feux dans la propriété B C ; il décrit cette fumée comme épaisse, compacte, parfois noirâtre et se dirigeant vers la propriété ECI COMMERCIAL.

Des constatations similaires ont été effectuées par huissier, les 22 et 24 janvier 2007 ; à ces dates, le procès-verbal mentionne qu’une fumée blanche se dégage du jardin de la villa CYRNOS et que sur le toit de la villa Y, au sol, se trouvent des résidus de végétaux calcinés éparpillés sur toute la surface de la terrasse.

Des photographies sont annexées à ces procès-verbaux corroborant les constatations.

Les différents constats sont particulièrement précis quant à l’origine des feux générateurs des fumées ; madame B C ne peut donc sérieusement contester que la fumée dégagée sur le fonds ECI COMMERCIAL provient de sa propriété ; sur ce point, elle se prévaut de 7 constats d’huissier dressés entre le 27 octobre 2008 et le 23 novembre 2010 pour montrer que la quasi-totalité des villas sur le domaine du Cap brûle ses végétaux sans incinérateur ; ces constatations sont cependant inopérantes, au regard de l’éloignement des propriétés incriminées par madame B C par rapport au fonds ECI COMMERCIAL ; en outre, il convient de relever que devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence saisie d’un appel contre l’ordonnance de référé du 13 octobre 2006, madame B C ne contestait pas les départs de feu dans sa propriété mais simplement leur fréquence, leur dangerosité et le fait qu’ils puissent constituer un trouble pour le voisinage ; au surplus, le gardien de nuit et l’employée de maison de la villa Y attestent de manière circonstanciée de la réalité des fumées en provenance de la villa CYRNOS voisine.

Madame B C ne peut davantage contester le caractère répété et massif des incinérations effectuées sur sa propriété ; ainsi les fumées sont décrites comme denses et des particules de cendres se répandent dans la propriété ECI COMMERCIAL, parfois même dans les parties d’habitation ; les opérations d’incinérations sont fréquentes ; des salariés de la société ECI COMMERCIAL attestent de difficultés pour leur santé, de problèmes oculaires, ou encore de difficultés fréquentes pour le bon déroulement du travail car certaines tâches ne peuvent être faites qu’en extérieur et doivent être reportées à cause de la fumée.

S’il entre dans les inconvénients normaux de voisinage de subir, de temps à autre des fumées en provenance des opérations ponctuelles d’écobuage ou d’incinération de végétaux pratiquées sur le terrain limitrophe, tel n’est pas le cas des incinérations opérées sur le fonds de madame B C, lesquelles provoquent des nuisances répétées et importantes, d’autant plus anormales qu’elles se déroulent dans un secteur résidentiel de luxe et dans un environnement méditerranéen boisé propice aux incendies, où chacun est en droit de jouir de son terrain sans être incommodé par la fumée.

Pour être exonérée de toute responsabilité au titre d’un trouble anormal de voisinage, madame B C ne saurait enfin se retrancher derrière le respect de la réglementation et notamment les arrêtés préfectoraux des 19 juin 2002, 19 juin 2012 et 19 novembre 2012, portant réglementation en vue de prévenir les incendies de forêt dans le département des Alpes-Maritimes ; elle ne peut davantage exciper du respect du règlement de copropriété du domaine Cap Martin ; en effet, le respect des dispositions légales n’exclut pas l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage ; ainsi que l’a relevé le premier juge, il est indifférent que ces différents arrêtés soient respectés, madame B C ayant fait au contraire un usage excessif de l’autorisation de brûler les déchets végétaux ; de même, l’absence de preuve de manquements au règlement de copropriété n’autorise pas un voisin à occasionner une gêne importante et répétée.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

— dit que les incinérations répétées de végétaux par madame B C constituent des troubles anormaux de voisinage

— débouté l’intéressée de sa demande de remboursement de la somme de 12 000 euros au titre de la liquidation d’astreinte, prononcée suivant arrêt du 29 octobre 2009 ayant liquidé l’astreinte ordonnée par le juge des référés le 13 octobre 2006.

Sur l’interdiction des opérations d’incinérations

En présence d’un dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage, il est de droit que le juge peut prescrire toute mesure propre à faire cesser le trouble anormal de voisinage.

En l’espèce, le tribunal de Nice a fait interdiction à l’appelante, sous astreinte de 5000 euros par infraction constatée, passé un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, de procéder à des opérations d’incinération de végétaux ou d’écobuage, sauf un jour par mois, sous réserve de respecter les dispositions de la circulaire interministérielle du 18 novembre 2011 ainsi que la réglementation préfectorale. Compte tenu du principe de la séparation des pouvoirs, il n’appartient pas au juge judiciaire de réglementer l’incinération des végétaux ou l’écobuage et d’ajouter, pour ce qui concerne une partie, des dispositions à la réglementation existante.

Il apparaît dans ces conditions que le premier juge a excédé ses pouvoirs en autorisant, sans limite dans le temps, madame B C à procéder à des opérations d’incinération de végétaux ou d’écobuage un jour par mois ; il appartient à l’intéressée de se conformer à la réglementation existante et de veiller à ne pas occasionner un trouble anormal de voisinage en allumant sur son fonds des feux provoquant des fumées importantes et répétées.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Succombant sur son appel, madame B C doit être condamnée aux dépens, ainsi qu’à payer à la société ECI COMMERCIAL la somme de 5000 euros au titre des frais non taxables que celle-ci a dû exposer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Réforme le jugement du tribunal de grande instance de Nice en date du 12 mai 2014, mais seulement en ce qu’il a :

— fait interdiction à madame Z A B C, sous astreinte de 5000 euros par infraction constatée, passé un délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision, de procéder à des opérations d’incinération de végétaux ou d’écobuage, sauf un jour par mois, sous réserve de respecter les dispositions de la circulaire interministérielle du 18 novembre 2011 ainsi que la réglementation préfectorale,

Statuant à nouveau de ce chef,

Déboute la société ECI COMMERCIAL de sa demande tendant à faire interdiction à madame Z A B C de procéder ou de faire procéder à des opérations d’incinération sur sa propriété sauf une journée calendaire par mois, sous peine d’astreinte de 5000 euros par infraction constatée,

Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires,

Condamne madame Z A B C aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la société ECI COMMERCIAL la somme de 5000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président

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  2. Code civil
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