Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-1, 5 mars 2021, n° 20/01347

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 4-1, 5 mars 2021, n° 20/01347
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 20/01347
Décision précédente : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 23 mars 2017
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

ARRÊT AU FOND

DU 05 MARS 2021

N°2021/141

Rôle N° RG 20/01347 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BFQOI

SA D F

C/

C X

Copie exécutoire délivrée

le :

05 MARS 2021

à :

Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN G MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Arrêt en date du 05 Mars 2021 prononcé sur saisine de la Cour suite à l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 11 septembre 2019 , qui a cassé et annulé l’arrêt rendu le 24 mars 2017 par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence.

DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION

SA D F Venant aux droits et obligations, à compter du 1er janvier 2020 (Ordonnance n°2019-552 du 3 Juin 2019, Décret n° 2019-1589 du 31 décembre 2019), de D E, Société Anonyme au capital de 157.789.960 €, immatriculée au RCS de Bobigny

n° 519 037 584, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, demeurant 9 rue Jean-Philippe Rameau – 93200 SAINT DENIS

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN G MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Henri GUYOT, avocat au barreau de PARIS, Me Micheline DREVET DE TRETAIGNE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

DÉFENDEUR SUR RENVOI DE CASSATION

Monsieur C X, demeurant […]

représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 14 Décembre 2020 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame AH AI, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Nathalie FRENOY, Conseiller

Mme AE BOUZIGE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2021.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2021

Signé par Madame AH AI, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur C X, soutenant avoir été exposé quotidiennement à l’inhalation de poussières d’amiante sur des sites de la D situés dans le secteur de Marseille sur lesquels il a travaillé pendant plusieurs années, a saisi le 5 juin 2013 le conseil de prud’hommes de Marseille de demandes en paiement de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice d’anxiété et d’un préjudice résultant d’un boulversement dans ses conditions d’existence.

Par jugement du 23 février 2016, le conseil de prud’hommes de Marseille a déclaré recevable l’action de Monsieur C X, a constaté que le salarié avait été exposé à l’amiante, a condamné la D E à payer à Monsieur C X 8000 euros au titre du préjudice subi et 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, a débouté Monsieur C X du surplus de ses demandes, a débouté la D E de ses demandes reconventionnelles et a condamné cette dernière aux entiers dépens.

Suite à l’appel interjeté par la D E le 23 mars 2016, la 18e chambre B de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a, par arrêt du 24 mars 2017, infirmé le jugement, rejeté les demandes de Monsieur C X, débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et condamné Monsieur C X aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Statuant sur le pourvoi formé par Monsieur C X, la Cour de cassation a, par arrêt du 11 septembre 2019, cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 24 mars 2017, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, remis en conséquence la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée, a condamné la société D E aux dépens et l’a

condamnée à payer à l’ensemble des salariés la somme globale de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La SA D F venant aux droits de la D E a saisi la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée par déclaration du 28 janvier 2020.

Elle demande à la Cour de :

Vu l’article 9 du Code de procédure civile,

Vu l’article 122 du Code de procedure,

Vu l’article L.1471-1 du Code du Travail,

Vu l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998,

Vu l’article R.4412-120 du Code du Travail,

REFORMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Marseille du 23 février 2016

STATUANT DE NOUVEAU

1- Sur la carence probatoire de Monsieur X

-CONSTATER que Monsieur X n’apporte pas la preuve d’une exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave ;

-CONSTATER que Monsieur X n’apporte pas la preuve d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;

-CONSTATER que Monsieur X n’apporte pas la preuve du préjudice d’anxiété qu’il allègue ;

-CONSTATER que Monsieur X n’apporte pas la preuve d’un lien de causalité entre le manquement allégué et le préjudice d’anxiété ;

En conséquence,

-DEBOUTER Monsieur X de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d’anxiété ;

2- Sur le quantum sollicité par Monsieur X

-CONSTATER que Monsieur X ne justifie ni de la réalité ni de l’ampleur du préjudice qu’il prétend avoir subi du fait de son exposition à l’amiante

En conséquence,

- A titre principal, DEBOUTER Monsieur X de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d’anxiété

- A titre subsidiaire, RAMENER le montant de son préjudice à la somme de 2.160 euros

En tout état de cause,

- DEBOUTER Monsieur X de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions

- CONDAMNER Monsieur X à payer à D F la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Monsieur C X conclut à ce qu’il plaise à la Cour, vu l’article 1231-1 du Code civil (anciennement 1147 du Code civil) et vu les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, de :

CONFIRMER la décision rendue par le conseil de prud’hommes de Marseille le 23 février 2016 en ce qu’elle a retenu la responsabilité de la D,

STATUANT A NOUVEAU :

DECLARER l’action de l’appelant recevable car non prescrite,

CONSTATER que Monsieur C X a été exposé à l’inhalation de fibres d’amiante au sein de la D, dans des conditions constitutives d’un manquement à l’obligation de sécurité de résultat de son employeur et qu’il subit des préjudices qu’il convient de réparer,

CONDAMNER la D à indemniser Monsieur C X de la manière suivante :

En réparation du préjudice d’anxiété (comprenant l’inquiétude permanente et le bouleversement dans les conditions d’existence) : 20 000 euros

Ordonner en outre à la D de verser à Monsieur C X la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer aux décisions de justice et aux écritures déposées, oralement reprises.

SUR CE :

Sur la prescription :

La SA D F précise, à titre liminaire, qu’elle ne soulève pas la prescription de l’action de Monsieur X dans la mesure où sa saisine est antérieure au 18 juin 2013 à 24h00.

Les moyens développés par Monsieur C X sur l’absence de prescription de son action, sans objet, n’ont pas lieu d’être examinés ni discutés devant la Cour de céans.

Sur la demande d’indemnisation :

La SA D F soutient que :

— les salariés n’ayant pas travaillé sur un site classé ou non éligibles à l’ACAATA sont tenus, en application des règles de droit commun, d’apporter la preuve :

— d’une exposition à l’amiante,

— laquelle doit générer un risque élevé de développer une pathologie grave ;

— d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;

— d’un préjudice d’anxiété personnellement subi ;

— d’un lien de causalité entre le manquement allégué et le préjudice d’anxiété personnel allégué;

en précisant que :

— le manquement de l’employeur ne peut pas résulter de la seule exposition à l’amiante (Ass. Plé. 5 avril 2019, n° 18-17. 442) ;

— aucun manquement ne peut être caractérisé dès lors que l’employeur justifie avoir pris les mesures prévues par le code du travail en vigueur à l’époque des faits (Ass. Plé. 5 avril 2019, n° 18-17. 442) ;

— premièrement, Monsieur X n’apporte pas la preuve d’une exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave ; il ne fournit, au soutien de sa demande, aucun élément ni donnée scientifique permettant d’évaluer le risque de développement d’une pathologie après une exposition professionnelle à l’amiante ; il ne démontre pas l’existence d’un risque de développer une pathologie grave, ni en quoi ce risque serait suffisamment élevé pour justifier une éventuelle anxiété dont il pourrait demander l’indemnisation ; le rapport d’expertise commandé en 1997 par l’Inserm met en avant que pour une exposition continue, c’est-à-dire correspondant à 1920 heures par an pendant 20 ans à un niveau de 0,5 fibres/ml, le risque de développer une pathologie grave est respectivement :

— entre 0,22 et 1,2 %, avec une valeur médiane de 0,52 % pour le cancer du poumon,

— entre 0,38 et 1,05 %, avec une valeur médiane de 0,48 % pour le mésothéliome ;

Or, l’intensité de cette exposition est presque exactement celle à laquelle pouvaient être confrontés les agents de la D ; le risque de développer une pathologie grave est en réalité très faible ; il dépend de la durée et de l’intensité de l’exposition ; au cas d’espèce, Monsieur X ne justifie, ni du nombre d’heures d’exposition, ni de son intensité ; il y a lieu de rappeler que Monsieur X, aujourd’hui âgé de 71 ans, n’a déclaré aucune maladie professionnelle du fait de son exposition à l’amiante, ni développé une pathologie grave, et son exposition à l’amiante a cessé en 1986, soit il y a 34 ans ;

— deuxièmement, le demandeur n’apporte pas la preuve d’un manquement de la SA D F à son obligation de sécurité, alors que le demandeur à la réparation du préjudice d’anxiété ne saurait faire exclusivement peser sur l’employeur la charge de la preuve qu’il a exécuté son obligation de sécurité et respecté la règlementation applicable en l’absence de toute atteinte à sa santé et sa sécurité démontrée par le salarié ;

Un manquement à l’obligation de sécurité ne saurait être reproché à la concluante antérieurement aux premières études sur les dangers de l’amiante en 1995 (ainsi que jugé par le Conseil d’État dans 4 arrêts rendus le 3 mars 2004 s’agissant de la responsabilité de l’État) ; la D, dès 1987, a mis en place des procédés visant à assurer la sécurité des salariés travaillant dans un environnement amianté (Consigne générale interne D PS9f1 du 21 septembre 1987), notamment la captation des poussières d’amiante, leur humidification et, lorsque cela n’était pas possible, le port obligatoire d’un masque et de gants de protection, ainsi qu’un contrôle du taux effectué une fois par trimestre ; par conséquent, il ne peut être reproché à la SA D F un quelconque manquement à son obligation de sécurité avant 1995 au plus tôt ; au cas d’espèce, Monsieur X a été exposé à l’amiante entre 1976 et 1986, avant l’entrée en vigueur du décret n° 77-949 du 17 août 1977 (qui limitait la concentration moyenne en fibres d’amiante par un salarié pendant sa journée de travail à deux fibres par millilitres d’air), avant l’entrée en vigueur de la consigne de 1987 et avant que ne soit imposée à D F la mise en 'uvre de mesures de protection individuelle ou collective ; dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la SA D F un quelconque manquement à son obligation de sécurité ;

— troisièmement, Monsieur X n’apporte pas la preuve de la réalité et de l’ampleur du préjudice d’anxiété qu’il allègue avoir personnellement subi ; il ne produit aucun certificat médical ou témoignage probant pour attester d’une anxiété telle qu’elle aurait bouleversé ses conditions d’existence ; les quelques attestations produites par Monsieur X proviennent, soit de sa famille proche qui a tout intérêt à témoigner en sa faveur, soit de collègues qui demandent également réparation d’une prétendue anxiété, les attestations « croisées » versées par les salariés n’ayant pas de valeur probante ;

— la Cour ne pourra que constater la carence de l’intimé dans l’administration de la preuve et débouter celui-ci de ses prétentions ;

— subsidiairement, le montant de l’indemnité accordée dépend de la durée d’exposition du salarié à l’amiante, de l’intensité de l’exposition à la poussière d’amiante au regard des fonctions exercées et de la réalité de l’anxiété ressentie, alors que le conseil de prud’hommes a octroyé à l’ensemble des agents un montant identique indépendamment de la durée d’exposition ; les sommes réclamées sont disproportionnées par rapport aux sommes perçues par les salariés ayant développé une maladie professionnelle ; il est évident que le préjudice d’anxiété allégué par le demandeur ne saurait conduire à une indemnisation plus favorable que celle allouée aux salariés atteints d’une maladie professionnelle; il ressort des décisions rendues en matière de préjudice d’anxiété que le quantum des condamnations est globalement compris entre 500 et 7000 euros, soit une moyenne de 216 euros par année d’exposition; Monsieur X a été exposé pendant une période totale de 10 ans, dès lors son préjudice ne saurait être supérieur à 2160 euros ; par conséquent, si par extraordinaire la Cour faisait droit à l’indemnisation de Monsieur X au titre du préjudice d’anxiété, elle devra ramener le montant sollicité à de plus justes proportions.

Monsieur C X fait valoir que :

— il bénéficie d’un suivi post-professionnel et d’une surveillance médicale gratuite, en lien avec son exposition à l’inhalation de poussières d’amiante, ce qui constitue une reconnaissance non équivoque par la D de son exposition à l’inhalation de poussières d’amiante ;

— le régime de l’ACAATA n’est pas applicable aux salariés de la D qui bénéficient toutefois d’un régime spécifique assimilable de cessation anticipée d’activité (article 4 du décret n° 2008-639 du 30 juin 2008) lorsqu’il sont reconnus atteints d’une maladie professionnelle causée par l’amiante dans les conditions fixées par l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;

— enfin, la D indique elle-même, lors de l’envoi des documents relatifs au suivi médical post-professionnel aux agents qui en font la demande, que l’amiante a été utilisée à la D et qu’il est possible que les agents aient "été exposés plus ou moins longtemps à l’inhalation de poussières d’amiante" ;

— des études scientifiques réalisées depuis la fin du 19e siècle démontrent le caractère extrêmement dangereux de toutes les sortes d’amiante ;

— avant le décret du 17 août 1977, s’il n’existait pas une règlementation spécifique aux poussières d’amiante, il existait une règlementation générale sur les poussières, qui s’appliquait également aux poussières d’amiante (loi du 12 juin 1893, décret d’application du 11 mars 1894, décret du 13 décembre 1948) ;

— le fait d’exposer un salarié à un danger sans appliquer les mesures de protection constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l’employeur ; le décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d’hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiante n’a jamais été complètement appliqué au sein de la D ; celle-ci ne rapporte pas la preuve de l’exécution des obligations imposées par le décret de 1977, qu’il s’agisse

de mesures atmosphériques (qui auraient permis de veiller à ce que la concentration moyenne en fibres d’amiante de l’atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne dépasse deux fibres par centimètre cube), du conditionnement des déchets, de la vérification des installations et des appareils de protection collective (installations de captage, d’aération et de ventilation) et individuelle (équipements respiratoires) des salariés, de l’information de l’inspecteur du travail, du service de prévention de la CRAM et des salariés sur les risques auxquels ils étaient soumis et sur la mise en place d’un suivi médical ;

— le concluant rapporte la preuve d’une exposition non protégée à l’amiante par les nombreuses attestations et pièces versées aux débats, par l’existence malheureusement de déclarations de pathologies liées à l’amiante et par les décisions de jurisprudence reconnaissant la faute inexcusable commise par la D ;

— même s’il n’a pas développé de pathologie en lien direct avec l’amiante, il se trouve dans un état d’anxiété permanent du fait de son exposition dans le cadre professionnel, au sein des différents établissements de la D de Marseille et notamment au sein des ateliers du Prado, sur lesquels il a travaillé en tant que freiniste ; il a conscience d’avoir été exposé pendant de nombreuses années à un agent cancérigène et est donc nécessairement inquiet, bénéficiant à ce titre d’un suivi post-professionnel et ayant également fait l’objet de plusieurs examens médicaux en raison de son exposition professionnelle à l’amiante ; les attestations rédigées par ses proches sont révélatrices de l’angoisse dans laquelle Monsieur X se trouve ;

— il est par conséquent en droit de solliciter une indemnisation en réparation de son préjudice né du manquement à l’obligation de sécurité de résultat de son employeur à hauteur de 20 000 euros.

***************

Monsieur C X produit les pièces suivantes :

— son "attestation d’exposition à l’inhalation de poussières d’amiante« (informations relatives au suivi médical), établie le 1er septembre 2004 par le médecin du travail et précisant une exposition à l’inhalation des poussières d’amiante de novembre 1976 à décembre 1986 (en qualité de »freiniste – chauffage vapeur" à l’établissement du Prado) ;

— l’ "accord de prise en charge suivi post-professionnel Exposition AMIANTE" en date du 7 juin 2010 de la Caisse de Prévoyance et de Retraite du personnel de la D, pour un examen clinique, une radio des pourmons, une radio des poumons numérisée et une exploration fonctionnelle respiratoire ;

— les résultats d’une radiographie des poumons du 7 décembre 2012 ;

— son attestation du 20 janvier 2013 précisant qu’il a travaillé à partir de 1976 aux ateliers du Prado, dans l’équipe Frein/chauffage vapeur et qu’il a été en contact avec les poussières d’amiante ;

— l’attestation du 28 décembre 2012 de Monsieur G H qui certifie « avoir travaillé avec Monsieur X C aux ateliers de Marseille Prado pendant la période de 1976 date de mon embauche jusqu’en 1982 date à laquelle j’ai quitté les ateliers de Marseille Prado. Durant cette période nous avons travaillé ensemble à l’équipe frein et chauffage-vapeur. Toute notre activité consistait à calorifuger et recalorifuger les conduites de chauffage de vapeur situées sous les voitures D. Ce travail s’effectuait sur fosse, au courant d’air avec ces poussières qui nous environnaient ou bien dans des fosses à l’intérieur du hangar dans un environnement confiné. Notre travail consistait également à remplacer les semelles de frein composite composées en partie d’amiante et de nettoyer à la brosse métallique les rapports et la timonerie de frein sur lesquelles se désposaient les poussières d’amiante. Et puis chaque fin de semaine on balayait, avec d’autres collègues de l’équipe ces résidus d’amiante qui jonchaient le sol de ces fosses. De plus les électriciens manipulaient également de l’amiante (relais, disjoncteurs, plaques de protection derrière les radiateurs). Ils soufflaient l’ensemble de ce matériel qui étaie dans des coffrets sous les voitures D. Des poussières d’amiante volaient de partout, tout près de nous, que nous respirions inconsciemment sans en connaître la dangerosité. Les ateliers n’étaient pas ventilés, pas de protection individuelle ou collective. Pas de tenue et aucun masque n’étaient fournis aux personnels. Aucune mention sur la dangerosité de ces fibres d’amiante que nous respirions n’ont été communiquées par la direction de l’établissement ou la médecine D'» ;

— l’attestation du 15 février 2013 de Monsieur I J, ayant travaillé notamment au dépôt de Marseille Blancarde du 1er décembre 1959 au 1er mars 1961 (électricien à l’atelier, responsable de la partie électrique sur les machines à vapeur 141R) puis du 24 décembre 1962 au 30 juin 1965 (au service autorail), qui déclare : « J’étais en permanence à l’atelier en contact avec l’amiante surtout sur les machines en GVG (grande visite générale). Ces machines étaient démontées intégralement et remises à neuf. Des nuages de fibres d’amiante étaient en suspension dans l’air donnant l’impression de flocons de neige. Nous n’avions aucune protection pour pallier à ce fléau’ Du 01.07.1965 au 30.06.1971 j’ai travaillé comme électricien à la section électrique de Marseille. Dans les sous-stations le travail consistait à remettre en état les cheminées de soufflage des disjoncteurs 1500 v. Ces cheminées de disjoncteurs étaient constituées de plaques de fibro-ciment (amiante) ; elles étaient grattées pour supprimer la carbonisation provoquée par les nombreux déclenchements, puis soufflées avant d’aspirer les poussières restées au sol. Nous n’avions aucune restriction de notre hiérarchie ni de précautions établies par la médecine du travail.

Par la suite j’ai rejoint le central sous stations du 01.07.1971 au 01.04.1984, puis retour sur le terrain jusqu’au 31.12.1990. De 1990 à 1996 retour au central sous stations mais l’amiante était encore présente dans le faux plafond » ;

— l’attestation du 13 mars 2013 de Monsieur K L, affecté en octobre 1952 au dépôt de Marseille Blancarde, attaché à l’équipe de travaux et d’entretien électrique, qui rapporte : « J’intervenais dans l’atelier de levage des locomotives à vapeur 141R pour tout ce qui était partie électrique dans cet atelier, aussi bien machines outils, ponts transbordeurs et locomotives.

Le levage consistait à déshabiller l’ensemble de la locomotive de toute l’amiante en plaque qui isolait le corps de chauffe, ainsi que les tresses d’amiante sur la tuyauterie.

Sous l’action du démontage simultané de 4 locomotives, dans cet atelier ouvert aux quatre vents, les fibres et particules d’amiante volaient et constituaient un nuage sous lequel j’évoluais sans aucune protection et surtout sans information de la part de la hiérarchie sur les risques potentiels de cette mort à retardement.

En 1961 j’ai été muté à la section électrique des sous-stations traction. Là le travail principal consistait à la remise en état des cheminées de soufflage des disjoncteurs 1500 v composées de plaques de fibrociment destinées à souffler les arcs électriques lors des déclenchements. Le grattage manuel de ces plaques à base d’amiante se faisait sans protection et sans information des dangers présentés par les raclures du métal incrustées dans les parois de fibrociment qu’il fallait décaper et remettre à nu.

À partir de 1975 j’ai été affecté au bureau technique dans le bâtiment de la Direction Régionale en gare St Charles, dans les locaux dont le plafond en dalles ou en flocage comportait de l’amiante. L’influence de la climatisation au ras des plafonds pouvait en détacher des particules. Ce bâtiment pratiquement déserté à ce jour est en cours de désamiantage.

À nouveau affecté au groupe d’entretien au dépôt St Charles en 1985 j’ai retrouvé le grattage des cheminées des disjoncteurs et ce jusqu’en 1989 où j’ai pris ma retraite… C’est 3 ans après mon départ de la vie active que grâce à la mutualité j’ai appris les risques encourus durant ses 37 années.

Depuis 1997, je bénéficie de la surveillance médicale post-professionnelle tous les 2 ans et c’est toujours avec angoisse au moindre essoufflement, à la moindre toux rebelle, avant chaque examen du suivi post-professionnel que depuis ce moment, j’ai des doutes sur ma santé future.

Les doutes ont été accentués par les décès de mes camarades et amis que nous avons accompagnés jusqu’à leurs dernières demeures : Matthieu, Y, Z et ceux d’autres services dont A, tous arrachés à la vie par ce poison qui prend son temps et qui peut nous atteindre » ;

— l’attestation du 15 mai 2013 de Monsieur Z M, nommé surveillant du Service Électrique Signalisation en octobre 1964, qui relate : « Le travail consistait à entretenir ou à modifier les installations de signalisation électrique, celles-ci étant généralement installées dans des guérites, situées le long des voies ferrées, dont le toit et les parois étaient en amiante ciment sans autre protection. Ces plaques d’amiante ciment vibraient sous l’effet du vent ou du passage des trains ; de la poussière d’amiante se déposait sur l’appareillage. Une des taches consistait à dépoussiérer l’appareillage à l’aide de pinceaux ou de brosses plates. Ce travail s’effectuait sans aucune protection et aucune information sur sa nocivité n’était donnée par la D ou les dirigeants locaux. J’ai également été amené à percer ces plaques, les scier et les manipuler lors de travaux de modification d’installation. À proximité des guérites se trouvaient des caisses en amiante ciment contenant des piles et accumulateurs qu’il fallait également dépoussiérer sans autre protection. Aucune mise en garde, information ou directive n’était donnée par la D sur les risques liés à l’exposition aux fibres d’amiante. Aucune protection individuelle ou collective n’était fournie. J’ai effectué ce travail d’octobre 1964 à octobre 1970 sur la section Equipement de Nice.

Ce n’est que dans les années 1990 que, suite à des demandes des organisations syndicales, la D a finalement reconnu cette exposition à l’amiante des agents du Service Electrique Signalisation. Ceux-ci devaient être suivis médicalement et bénéficier à la retraite d’un suivi post professionnel.

Le décès de plusieurs camarades de travail ayant effectué ce même travail me fait craindre pour mon avenir. Chaque fois que j’ai des difficultés respiratoires ou que j’effectue les visites médicales liées au suivi post professionnel, je suis très anxieux. Cette anxiété me gagne petit à petit et chaque jour j’y pense. Je crains de ne plus pouvoir partager ma vieillesse avec mon épouse, de ne pas voir grandir mes petits-enfants ou de mourir dans d’atroces souffrances » ;

— l’attestation du 29 décembre 2012 de Monsieur N O, ayant travaillé au dépôt D de Marseille-Blancarde de 1961 à 1999 en qualité d’ouvrier ajusteur, qui rapporte : « J’ai travaillé indistinctement dans les différents ateliers comme ouvrier-monteur, démonteur dans toutes les spécialités, suivant l’évolution et le modernisme des machines (Locomotives à vapeur, autorails, diesels-électriques, électriques/électroniques).

J’ai été exposé à l’inhalation des poussières d’amiante contenues dans les locomotives, au cours des opérations de révisions, de réparations (démontage et remontage des pièces). À notre époque toutes les catégories de locomotives comportaient ces fibres d’amiante.

Aucun des locaux n’était protégé des poussières d’amiante qui s’échappaient des stocks rangés dans les ateliers (Plaques, tresses, bandelettes).

Aucune mention sur la dangerosité de ces fibres inhalées n’était faite au personnel, soit par la hiérarchie ou la médecine D.

Aucune ventilation, aucune tenue, ni masque n’étaient distribués au personnel.

Depuis 1999, la CP/R m’a octroyé et renouvelé le « suivi post professionnel » consécutif à l’exposition et l’inhalation des poussières d’amiante durant toute ma carrière » ;

— l’attestation du 20 avril 2013 de Monsieur P Q, technicien D, qui déclare : « Depuis mon entrée à la D le 1 février 1979 j’exerce le métier de bogie-caisse, j’entretiens principalement les engins moteur thermique du dépôt de Marseille Blancarde ainsi qu’occasionnellement sur certaine série électrique telles = 22200/25600.

Depuis 1979 je suis donc intervenu surtout sur les séries d’engins BB 63000/63400, BB 67000/400, x 4500 x 4900, panoramique ainsi que cocotracteurs les premières années.

Tous ces engins moteurs étaient bourrés d’amiante ! Notamment dans les parties confinées de l’engin comme les compartiments moteur, les cabines de conduite ou plusieurs équipes différentes intervenaient au même endroit lors de visites. Chacun manipulait des pièces amiantés sans le savoir sans aucune protection spécifique. Sans mises en garde de nos directions, ni du médecin du travail pourtant présent sur l’établissement. J’intervenais pour ma part sur toutes les parties de l’engin = portes, capots, filtres, cabines, bogies, semelles de frein, soufflet, isolation portes, insonorisation cabine etc.

J’étais donc en contact constant avec les armoires électriques, la proximité des contacteurs, des calfeutrages d’échappement, joints moteur, résistance, colmatage, calorifugeage, mais également dalles de sol, plaque d’isolation thermique, réchauffe plats… remplacement manuel des plaques d’amiante derrière le radiateur des 63000/63400, semelles de frein etc. L’amiante était également 1 outil de travail, puisque l’outillage (cabinet d’outillage) nous fournissait des plaques d’amiante dont nous nous servions pour isoler des pièces lorsque nous chauffions au chalumeau, pour ne pas endommager des organes sains !

Nous étions tous tributaires les uns des autres, des soufflages notamment, qui occasionnaient des dégagements de poussières d’amiante, et dont tous le monde profitait allègrement !

Nous n’avions il faut le dire, aucune protection adaptée au travail sur l’amiante. Pas de masque efficace, pas de combinaison et gants étanches. Rien qu’un bleu de travail, lui-même souillé par les poussières nocives, ainsi que nos sous-vêtements lavés dans nos machines à laver personnelles, risquant de contaminer jusqu’à nos propres familles.

Pendant plusieurs années j’ai donc travaillé à côté de copains qui ont été contaminés par la « fibre » et pour qui la D a reconnu ses torts. Combien d’autres sont morts de cette maladie sans forcément le savoir !

Depuis quelques années ces séries de machines ont été remplacées par des séries plus modernes sous l’impulsion des CHSCT, des mesures d’assainissement ont été prises ainsi que des mesures pour se protéger de manière correcte. Beaucoup reste encore à faire, toiture en fibrociment, locaux anciens, locomotives anciennes pas totalement assainies etc. » ;

— l’attestation du 18 mai 2013 de Monsieur R S, qui atteste :

« J’ai exercé le métier de chaudronnier à la D, sur des voitures DEV 46, RIO, Rame Inox, Corail et effectué des découpages au chalumeau, des découpages à la meuleuse disqueuse dans les parois isolées à base d’amiante et ce pendant 10 ans. J’ai aussi remplacé des organes de chocs en dessous ces mêmes engins où travaillaient plusieurs corps d’états à proximité immédiate de gaines avec soufflets amiantés et cela sans protection dans des hangars clos, en été comme en hiver.

En 1988 après la fermeture de ces ateliers, j’ai été reclassé au district de Marseille Saint-Charles, qui avait en charge tous les bâtiments du secteur, en outre la direction régionale où un confinement dû à la climatisation de cet ensemble de 4 étages, véhiculait de l’air pulsé dans des gaines munies de clapet coupe-feu fortement armées d’amiantes. A ce jour, ce bâtiment du secteur a été évacué pour son désamiantage complet !

Aux alentours des années 1990 jusqu’aux années 1998, j’ai participé à l’enlèvement partiel de certaine zone afin de poser des cloisons. Vu l’importance de ces travaux et les informations de l’époque, j’ai demandé une formation à L’AFPA de la treille pour avoir des éléments de protection nécessaires, mais plus d’une vingtaine d’années s’étaient déjà écoulées'

Très affecté après avoir perdu un certain nombre de mes collègues des ateliers et du plateau Saint-Charles… je ressens un stress permanent de contracter cette maladie, j’ai vu apparaître des éruptions d’eczéma sur mes mains ; pas un résultat de radio et scanner ou une toux due à une petite bronchite ne manquent de me remémorer cette maladie. Je me demande souvent si j’aurai le plaisir de connaître mes petits-enfants ou de profiter encore longtemps de ma retraite » ;

— l’attestation du 7 juin 2013 de Monsieur T B, agent bogie-caisse jusqu’en décembre 1982 puis freiniste jusqu’en mai 1983, qui déclare : « pendant cette année là, j’ai été en contact avec des pièces détenant de l’amiante comme les plaquettes de freins, les semelles de freins que nous démontions après usures pour remplacement, de plus des agents travaillant à proximité démontaient des parties de ces mêmes voitures, où il se trouvait des matériaux isolants'

Je suis retourné à mon ancien poste où l’on m’a muté aux Ateliers du Prado de mai 86 environ jusqu’au printemps 1988 dans ces ateliers, je faisais partie de la chaîne wagons, on découpait des tôles de ces wagons au chalumeau et avec des EPI comme les gants dont on ignorait la constitution. De plus sur les voies avoisinantes dans cet atelier on entretenait les voitures F du type D.E.V et parfois corail contenant soit comme isolant thermique ou électrique, voir mécanique (patin de friction, semelles et plaquettes de frein) de l’amiante. Les interventions sur ces véhicules étaient effectuées à une trentaine de mètres dans un atelier, chauffé par des groupes thermiques ventilés, fermé de chaque côté. Nous devions tous les vendredis après-midi balayer les résidus de nos travaux, donc les poussières comprises, sans aucune protection respiratoire ni même vestimentaire autre que nos bleus de travail’ muté en tant qu’agent appareilleur électrique au dépôt de Marseille blancarde, poste que j’occupe depuis novembre 1989. Dans les premières années à ce poste, j’ai dépoussiéré, soufflé, sablé les différentes pièces des engins dont nous avions la maintenance’ Sur ces engins nous étions tenus pour la maintenance de nettoyer au pinceau, écouvillon et chiffon les placards dans lesquels il y avait des contacteurs, des cheminées (ou boîte de soufflage), des bancs de résistances, des résistances, des fours et des plaques de séparation constitués de fibrociment amiantés… à cette époque nous n’avions pas de masque pour amiante (PF2) et un aspirateur sans filtre spécial pour ramasser la poussière, le processus demandé étant que pendant la visite des différents appareillages nous faisions tomber toutes les poussières au fond des placards et le lendemain on passait l’aspirateur sur ces fonds et le platelages des couloirs des engins, on grattait les cheminées pour enlever les parties abîmées voir on les sablées en les transportant jusqu’à un atelier (à la main) se trouvant à une centaine de mètres des engins. Le remplacement de ces pièces (cheminées, bancs de résistance, contacteurs, gaines de ventilation) se faisait à la main dans l’espace exigu des locomotives sur les voies de visites, au milieu de notre atelier à la rotonde nord'

Vers l’année 1996 il a été construit la centrale d’aspiration'

Nous avons commencé à être au courant de la dangerosité de l’amiante contenu dans les différentes pièces des locomotives et rames qu’à partir de l’année 1999 surtout par des moyens et des associations extérieures à la D'

À force nous avons réussi à faire progresser les EPI, remplacé en 2003 les « nez de cochon » par des masques avec filtres à cartouches ou papier. Puis vers 2005 nous avons été équipés de masques prenant le visage dans son entier'

Depuis 1989 je me change quand je prends le service à 7h35 et quand je finis service à 16h18 dans un vestiaire où se trouvent tous les placards des agents, que nous en avons 2 placards : 1 pour les affaires civiles et 1 pour les bleus de travail. Bleus de travail qui sont donc proches des affaires civiles et qui n’ont pas pu être décontaminés’ Ce qui fait que la chaîne de décontamination n’a jamais été vraiment respectée’ Ces faits m’inquiètent plus que tout car quand j’étais dans l’ignorance de ce danger, je prenais moins de précautions et je n’avais même pas les moyens de le faire, qu’à l’heure actuelle.

Je pense que j’ai, par l’intermédiaire de cette chaîne de contamination non brisée, amené le danger chez moi là où ma femme et mes filles se trouvent. Je n’arrête pas de me poser des questions, de ruminer ces faits, et j’espère que cela restera qu’une pensée même s’il m’arrive de me réveiller et de ne plus dormir dans la nuit, même si cette pensée me met dans des états de colère et de stress que j’ai parfois du mal à dominer’ Quand vais-je déclarer quelque chose ' J’espère que non’ Que va-t-il se passer ' Le futur j’espère me le dira le plus tard possible pour tous. Même si des doutes se posent sur la mort de certains de mes ex collègues et si d’autres sont touchés, j’espère que cela ne sera jamais’ Pour l’instant c’est non » ;

— l’attestation du 25 mars 2013 de Monsieur A U qui déclare :

« j’atteste avoir été exposé au risque AMIANTE. Entré au dépôt de Marseille Blancarde le 1er janvier 1978 en tant que serrurier-soudeur, j’ai été affecté dans un atelier dénommé « FORGE » où nous manipulions des plaques d’amiante, plaques utilisées lors de soudo-brasage d’oxycoupage, en général sur les nombreuses tuyauteries de l’établissement celui-ci était chauffé par réseau vapeur.

Il est à noter que dans cet atelier se trouvait un « outillage » la Microbilleuse destinée à débrarasser les cheminées de soufflage (amiantées) de leurs impuretés, par projection de sable sous pression.

Cet outillage rustique ne possédait pas de filtre, à cette époque ou artisanal, et tous les cheminots de l’établissement sont passés par cet atelier sans connaître les risques encourus.

Par la suite j’ai intégré l’équipe Bogie-caisse thermique, à cette époque, certaines semelles de frein étaient amiantées série BB67400, ainsi que les plaquettes de frein Ze. Entre autre nous étions amenés à déposer des protections calorifuges contenant de l’amiante, protection radiateur cabine etc.

Depuis 1992, je suis muté au sein de l’entité thermique équipe Moteur diesel transmission (MD/TR). Pour effectuer les différents travaux nous sommes amenés à déposer les calorifuges et tresses d’échappement, remplacer des joints, le tout amianté et ce sans information, sans protection, ni directives pour les mettre en application.

De plus, environnementalement sur une (G.V.G.) Grande visite générale nous étions obligatoirement exposés au risque. En effet l’agent (AE) Appareilleur électrique chargé de nettoyer au pinceau les cheminées de soufflage (poussière amiantée) est protégé par un masque; Donc comment tous les autres corps de métier présents lors de ce travail, sur cette visite n’ont pu être exposés à un moment ou à un autre ' (ceux-ci étaient non protégés).

Pour conclure, je suis en effet anxieux, car ayant effectué toute ma carrière de cheminot au dépôt de Marseille Blancarde, à ce jour deux de mes camarades plus jeunes que moi mais au parcours quasiment similaire, M. V W (équipe MD/TR) et AA AB (équipe AE/Th) sont atteints de plaques pleurales et sont partis sous le régime de retraite anticipée.

Quant à moi depuis presque quatre années à la retraite, je souhaiterais en profiter longtemps encore, tant au niveau de ma vie de couple avec mes enfants et mes futurs petits-enfants du moins je l’espère, mais aussi des loisirs et des actions bénévoles qui me tiennent à coeur » ;

— l’attestation du 9 juin 2015 de Monsieur AC AD, en sa qualité de vice-président de l’association SOS amiante, qui rapporte : « Au sein de notre association, sur 246 personnes, il faut compter environ 200 cheminots des différents services (exploitation, équipement, matériel, sous-station, SES, conducteurs, agents mouvement, personnels administratifs).

Quatre vingt dix sept cheminots (97) sont décédés à ce jour des suites de maladies liées à l’amiante et tous les autres sont admis au suivi post professionnel. Notre association s’est aperçue que toutes les catégories de personnel (listées ci-dessus) sont touchées par ces maladies.

Ces chiffres indiquent le stress permanent ressenti par l’ensemble des cheminots qui ont travaillé dans cette ambiance amiantée, et pour cause!!!! L’entreprise ne fait aucun effort afin d’informer notre association sur l’ensemble des chiffres exacts qu’elle détient.

A ce jour, il est de plus en plus difficile d’obtenir, lors du départ en retraite, le suivi post-professionnel amiante (égarement des dossiers, archives, demandes systématiquement non faites par le bureau administratif), n’est ce pas volontaire '

Cette petite étude a été faite par plusieurs de mes camarades de la Commission amiante CGT et je souhaite vous la faire partager ».

Les attestations ci-dessus, si elles proviennent de salariés ayant également engagé à l’encontre de la D une action en indemnisation de leur préjudice d’anxiété, ne peuvent être écartées au seul motif qu’il s’agit d’attestations « croisées » alors qu’elles ne sont pas les seuls éléments de preuve versés par Monsieur X et qu’elles sont corroborées par d’autres pièces.

Le salarié produit également une "enquête amiante« menée par la Division des services médicaux de la D en date du 30 juin 1996 (pièce PSE 16) dont il ressort que le personnel relevant de l’Etablissement Matériel et Traction (EMT) de Marseille (dont l’atelier de Marseille Blancarde) était exposé à l’amiante, différents documents recensant les pièces encore utilisées et amiantées aux ateliers de Marseille (PSE 15-Recensement amiante CHSCT-édition du 26 février 2003) et notamment à l’UMP Blancarde (PSE 6-édition du 3 janvier 2002) et le rapport SECAFI (expertise CHSCT-rapports des 15 octobre 2013 et 31 mars 2014) mentionnant la présence d’amiante dans certaines locomotives (dans le périmètre du CHSCT Blancarde-Veynes) et notant que les actions de désamiantage sont réalisées lors d’opérations de maintenance des engins tracteurs à l’occasion d’un accident, en sorte que pour d’autres engins »le cycle de maintenance entraîne l’intervention du désamiantage dans 10, 15 ou 20 ans'« , concluant que »le risque d’exposition des agents est fort".

Il résulte de l’ensemble des éléments ainsi versés par le salarié que celui-ci a bien été exposé à l’inhalation de poussières d’amiante de 1976 à 1986, comme reconnu d’ailleurs par son employeur dans le cadre de la fiche de l’ "attestation d’exposition à l’inhalation de poussières d’amiante« . Il convient de noter que, dans le cadre de la mise en place du suivi médical post professionnel »prévu par l’article D461-25 du code de la sécurité sociale« , la décision d’accord ou de refus de prise en charge par la D est prise après retour du questionnaire rempli par le salarié et enquête réalisée auprès des établissements D concernés, selon les termes du document adressé par l’employeur au salarié (PSE 7) dans lequel la D indique que »L’amiante ayant été utilisée à la D, en particulier à des fins d’isolation thermique ou phonique, il est possible que vous ayez été exposé plus ou moins longtemps à l’inhalation de poussières d’amiante'".

Il ressort d’autres pièces versées par Monsieur X que le risque lié à l’inhalation des poussières d’amiante a été mis en évidence par des études épidémiologiques menées dès la fin du 19e siècle,

que dans les années 1930, le caractère cancérogène de l’amiante a été suspecté, que c’est entre 1951 et 1965, dans le cadre d’enquêtes épidémiologiques et au cours de congrès internationaux, que les liens entre l’exposition professionnelle à l’amiante et l’apparition de pathologies comme le cancer du poumon ou l’asbestose ont été révélés, que de nombreuses études épidémiologiques réalisées dans les années 1980 ont montré que le risque pour les travailleurs de l’amiante de contracter un cancer du poumon est démultiplié et que d’autres types de cancer sont causés également par l’inhalation de fibres d’amiante (Pièces Générales 1 à 57 versées par le salarié).

Par ailleurs, le salarié produit diverses décisions de justice concernant des cheminots atteints de pathologies liées à l’inhalation de poussières d’amiante, ainsi que l’attestation citée ci-dessus de Monsieur AC AD, vice-président de l’association SOS amiante, qui fait état (en 2015) du décès de 97 cheminots des suites de maladiés liées à l’amiante et d’une centaine bénéficiant du suivi post-professionnel (chiffres recueillis dans le cadre de l’association, à défaut de chiffres communiqués par la D).

Si la D F reproche au salarié ne pas fournir de données scientifiques permettant d’évaluer concrètement le risque généré par son exposition, il convient d’observer que celle-ci ne verse pas aux débats de données relatives à des mesures atmosphériques effectuées dans ses locaux, au moins postérieurement au décret n° 77-949 relatif aux mesures particulières d’hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiante, dont l’article 2 précise que "la concentration moyenne en fibres d’amiante de l’atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne doit pas dépasser deux fibres par centimètre cube…« et l’article 6 I. prévoit l’organisation d’un contrôle »au moins une fois par mois…« (périodicité »portée à trois mois si, au cours des trois contrôles précédents, les résultats des mesures ont montré que la concentration moyenne définie à l’article 2 ne dépassait pas une fibre par centimètre cube d’air").

La SA D F ne peut prétendre que l’intensité de l’exposition à laquelle pouvaient être confrontés ses agents était limitée à "0,5 fibres/cm3 lorsque la crocidolite est la seule variété d’amiante utilisé« , au motif que cette norme est celle annoncée dans le document de »Consigne Générale Sécurité du personnel« de la D en date du 21 septembre 1987 (pièce I.16), alors qu’elle ne verse aucun résultat des contrôles périodiques pourtant prévus dans sa propre »Consigne Générale Sécurité du personnel".

Monsieur C X établit, au vu des pièces examinées ci-dessus, que le danger auquel il a été exposé sur les sites amiantés sur lesquels il a travaillé génère un risque élevé de développer une pathologie grave.

Des textes antérieurs à l’année 1977 (au décret du 17 août 1977) ont consacré une réglementation préventive contre les affections respiratoires (loi du 12 juin 1893, décret d’application du 11 mars 1894, décret du 13 décembre 1948). Ainsi, la loi du 12 juin 1893 prévoyait la mise en place de mesures de protection des salariés notamment en ce qui concerne l’aération ou la ventilation et l’évacuation des poussières quelles qu’elles soient et, dans les cas exceptionnels où serait reconnue l’impossibilité d’exécuter des mesures de protection collective contre les poussières, le décret du 13 décembre 1948 prévoyait l’obligation pour le chef d’entreprise de mettre à disposition des travailleurs des masques et dispositifs de protection appropriés.

Or, il résulte des témoignages et autres éléments versés par Monsieur X que les agents travaillaient au milieu des poussières d’amiante sans aucune protection collective ou individuelle.

La SA D F ne pouvait ignorer, au vu des études épidémiologiques réalisées depuis le milieu des années cinquante, que l’exposition aux poussières d’amiante présentait de graves dangers pour la santé des travailleurs, ce alors que les fibroses pulmonaires consécutives à l’inhalation de poussières de silice ou d’amiante ont été inscrites, par l’ordonnance du 2 août 1945, au tableau des maladies professionnelles, de même que l’asbestose professionnelle, décrite comme la fibrose broncho-pulmonaire consécutive à l’inhalation de poussières d’amiante, par les décrets des 31 août 1950 et 3 octobre 1951.

Elle ne justifie d’aucune mesure qu’elle aurait prise, avant 1996, pour préserver ses agents des risques liés à l’inhalation de poussières d’amiante, ni ne démontre avoir cherché à évaluer ces risques.

La D ne justifie pas plus avoir appliqué les mesures d’hygiène prévues par le décret n° 77-749 du 17 août 1977 applicables dans tous les établissements, dont ceux de la D, aux fins d’assurer la protection du personnel exposé à l’inhalation de poussières d’amiante, telles que des mesures atmosphériques régulières, la mise en place d’installations de captage, de filtration et de ventilation, la fourniture d’équipements respiratoires anti-poussière et de vêtements de protection et le traitement sécurisé des déchets.

Si elle produit la "Consigne Générale Sécurité du personnel -Dispositions, d’ordre technique, concernant l’utilisation de l’amiante ou de composés pouvant dégager des poussières d’amiante« en date du 21 septembre 1987, »prise en application du Règlement sur la prévention des maladies professionnelles ou à caractère professionnel homologué par le Ministère de Tutelle après avis de la Commission Nationale Mixte d’Hygiène et de Sécurité« , prenant »compte des modifications apportées par le décret 87-232 du 27 mars 1987 intégrant dans la réglementation française les directives du Conseil des communautés européennes", la D ne verse toutefois aucun élément susceptible de démontrer qu’elle a appliqué la réglementation et sa propre consigne interne relative à la prévention, à la mise à disposition du personnel exposé aux poussières d’amiante de vêtements de protection (avec coiffure et gants) et de masques respiratoires, au contrôle de l’empoussièrement (au moins une fois par trimestre), à la mise en place d’équipements de captation et aspiration des poussières, au contrôle des appareils de protection collective, à l’évacuation et élimination des déchets et à ses obligations de déclaration à l’inspection du travail et d’information du CHSCT.

Or, il résulte des éléments versés par le salarié que le personnel de la D était encore exposé à l’amiante, notamment dans les ateliers de Marseille ("enquête amiante" menée par la Division des services médicaux de la D en date du 30 juin 1996 ; recensements des pièces amiantées en 2002-2003 ; présence d’amiante dans des locomotives, constatée en 2014 dans le cadre du rapport SECAFI) et que les mesures de protection individuelle et collective n’ont pas été mises en place avant 1996 (pas d’aspiration dans les locaux et pas de masque ; la centrale d’aspiration a été construite vers 1996, selon le témoignage de M. B, et les masques avec filtres fournis en 2003).

Il résulte de ce qui précède que la D n’a pas mis en oeuvre de mesures (avant 1996) pour assurer la sécurité et la protection de la santé de son salarié exposé aux poussières d’amiante, exposition générant un risque élevé de développer une pathologie grave.

Afin de justifier de son préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, Monsieur C X verse, outre les témoignages cités ci-dessus et les examens médicaux réalisés dans le cadre de son suivi post professionnel, l’attestation du 5 janvier 2013 de sa fille, Mademoiselle AE X, qui décrit l’état d’inquiétude de son père, aggravé par le décès de six collègues de travail, et l’attestation du 6 janvier 2013 d’un ami, Monsieur AF AG, qui témoigne de l’anxiété permanente de Monsieur X face au risque de développer une maladie liée à l’amiante, anxiété qui " provoque des troubles psychiques et moraux qui le mine dans son existence, y compris sa famille et ses amis".

Monsieur X fait donc état d’éléments personnels et circonstanciés pertinents pour justifier du préjudice d’anxiété qu’il invoque, caractérisé par sa prise de conscience du risque élevé de développer une pathologie grave en lien avec son exposition à l’amiante et la durée de cette exposition (10 ans).

Au vu des éléments versés, la Cour accorde à Monsieur C X la somme de 4500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d’anxiété.

Sur l’article 700 du code de procédure civile :

Il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et en matière prud’homale,

Confirme le jugement rendu le 23 février 2016 par le conseil de prud’hommes de Marseille en ce qu’il a reconnu l’existence d’un préjudice d’anxiété subi par Monsieur C X et en ce qu’il a alloué au salarié 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Le réforme sur le quantum des dommages intérêts alloués,

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Condamne la SA D F venant aux droits de la D E à payer à Monsieur C X la somme de 4500 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice d’anxiété,

Condamne la SA D F aux dépens d’appel et à payer à Monsieur C X 1000 euros supplémentaires au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-1, 5 mars 2021, n° 20/01347