Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 2 juin 2020, n° 18/03859

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Sur la décision

Référence :
CA Amiens, 1re ch. civ., 2 juin 2020, n° 18/03859
Juridiction : Cour d'appel d'Amiens
Numéro(s) : 18/03859
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

ARRET

S.A.R.L. MATIMO

S.A.R.L. L M

S.A.R.L. E

C/

C

C

C

C

C

C

C

R

T

T

AJ-AK

X

W

MS/IR

COUR D’APPEL D’AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT

Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 18/03859 – N° Portalis DBV4-V-B7C-HCWN

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE COMPIEGNE DU DIX JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT

PARTIES EN CAUSE :

S.A.R.L. MATIMO

[…]

[…]

et

S.A.R.L. L M

[…]

[…]

et

S.A.R.L. E

[…]

[…]

Représentés par Me Gérard FERREIRA, avocat au barreau de COMPIEGNE

APPELANTES

ET

Madame F-AL C

née le […] à […]

de nationalité Française

289, cours de la Libération

[…]

Monsieur N C

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame F-AD C épouse Y

née le […] à […]

de nationalité Française

25, rue N Curie

[…]

Madame F-AE C épouse Z

née le […] à […]

de nationalité Française

291, cours de la Libération

[…]

Monsieur P C

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Monsieur Q C

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame F C épouse A

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame F R

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame F-AG T

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame S T épouse B

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Monsieur AO AJ-AK

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame U X épouse AJ-AK

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Représentés par Me Charlotte DE BOISLAVILLE, avocat au barreau de COMPIEGNE

Madame V W

de nationalité Française

[…]

[…]

Représentée par Me Franck DERBISE de la SCP LEBEGUE PAUWELS DERBISE, avocat au barreau D’AMIENS substitué par Me DEFER, avocat au barreau d’AMIENS

INTIMES

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L’affaire est venue à l’audience publique du 03 mars 2020 devant la cour composée de M. Fabrice DELBANO, Président de chambre, M. Vincent ADRIAN et Mme AA AB, Conseillers, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l’audience, la cour était assistée de Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffier.

Sur le rapport de Mme AA AB et à l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 05 mai 2020, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Les parties ont été informées par voie électronique du prorogé du délibéré au 2 Juin 2020 et du prononcé de l’arrêt par sa mise à disposition au greffe;

Le 02 juin 2020, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Fabrice DELBANO, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.

*

* *

DECISION :

EXPOSE DU LITIGE

Par acte reçu le 21 novembre 2013 reçu par Me W (le notaire), les consorts C (les vendeurs) ont consenti une promesse de vente à M. D sur plusieurs immeubles situés à Lacroix-Saint-Ouen, pour la réalisation d’un projet immobilier auquel la société Matimo a participé. Cette promesse devenue caduque, une nouvelle promesse authentique a été régularisée, le 19 décembre 2014, au profit des sociétés Matimo, E et L M (les acquéreurs), portant sur trois des immeubles concernés par la précédente promesse, au prix de 484 900 euros, à savoir :

— une maison d’habitation au […],

— un immeuble au […], loué à usage commercial (article 2),

— deux maisons d’habitation et une grange au 129 et […].

Diverses conditions suspensives étaient prévues dont celle de non-exercice de son droit de préemption par le locataire commercial, la vente pouvant dans ce cas se poursuivre sur les biens restant.

Par acte du 13 janvier 2015, les vendeurs ont informé le locataire commercial de la vente du bien article 2, offre que celui-ci a acceptée le 30 janvier 2015.

Le 23 juin 2015, le notaire a adressé à la mairie de Lacroix-Saint-Ouen des déclarations d’intention d’aliéner concernant les biens articles 2 et 3, article 3 sur lequel la commune a exercé son droit de préemption par décision du 21 juillet 2015.

Un recours a été formé devant le juge administratif contre cette décision qui a été annulée par le

tribunal administratif d’Amiens le 3 octobre 2017.

Les 21 et 25 novembre 2015, les biens articles 3 et 2, ont été respectivement vendus à la commune et au locataire commercial.

Les acquéreurs évincés estimant le notaire responsable de l’échec de leur projet immobilier, l’ont assigné en responsabilité.

Par jugement du 10 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Compiègne a pour l’essentiel retenu la responsabilité du notaire et l’a condamné à payer à chaque acquéreur la somme de 5 000 euros.

Par déclaration du 19 octobre 2018, les acquéreurs ont régulièrement fait appel.

L’instruction a été clôturée le 31 janvier 2020 et l’affaire, fixée à l’audience des débats du 3 mars 2020.

Vu les dernières conclusions :

— des acquéreurs du 22 janvier 2020

— du notaire du 9 avril 2019

— des vendeurs du 17 septembre 2019 ;

MOTIFS

En application de l’article 1382 devenu 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le notaire est tenu d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes rédigés par lui.

En substance, les acquéreurs évincés reprochent au notaire :

— d’avoir informé le locataire commercial de la vente envisagée,

— d’avoir adressé à la commune de nouvelles déclarations d’intention d’aliéner, alors que le droit de préemption urbain avait déjà été purgé à l’occasion de la précédente promesse,

— d’avoir instrumenté les ventes en faveur du locataire commercial et de la commune,

— plus généralement, un défaut de diligence et d’information sur les procédures relatives au droit de préemption.

Sur le premier manquement, le droit de préemption instauré par la loi du 18 juin 2014 et codifié à l’article L. 145-16-1 du code de commerce est applicable aux baux en cours, dès lors que la vente du local intervient « à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la loi », selon l’article 21 de cette loi. Suite à son adoption, la doctrine s’interrogeait sur le point de savoir s’il y avait lieu de retenir la date du 1er décembre ou celle du 18 décembre 2014. Les acquéreurs reconnaissent cette incertitude juridique dans leurs conclusions.

En tout état de cause, la seconde promesse de vente ayant été régularisée, avec l’accord des parties, le 19 décembre 2014, la loi précitée était incontestablement applicable et le non-exercice du droit de

préemption du locataire commercial a d’ailleurs été érigé en condition suspensive de la promesse.

Contrairement à ce que soutiennent les acquéreurs, la vente envisagée relevait du champ d’application de l’article L. 145-16-1, ses exceptions étant d’interprétation stricte. Cet article exclut notamment de son application la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux. Or, l’immeuble article 2 comprend uniquement un local commercial et la promesse concerne trois immeubles distincts et non un immeuble unique comme l’exige le texte précité.

Le notaire a donc, à juste titre, informé le locataire commercial de la vente envisagée. Ce premier manquement doit être écarté.

Sur le deuxième manquement, il est constant que des déclarations d’intention d’aliéner avaient déjà été transmises aux collectivités publiques à l’occasion de la première promesse du 21 novembre 2013. Le notaire le reconnaît, par mèl du 26 février 2015, s’agissant du bien situé au […].

Quant aux deux autres biens, article 2 et article 3, les articles L. 213-2 alinéa 1 et L. 213-8 du code de l’urbanisme prévoient, l’un que la déclaration comporte obligatoirement l’indication du prix et des conditions de l’aliénation projetée, et l’autre qu’en cas de renonciation de la collectivité publique à l’exercice de son droit, le bien peut être vendu au prix indiqué dans la déclaration. Or, s’il est constant que le prix des deux biens demeurait inchangé, leur consistance avait changé entre la première et la seconde promesse. En effet, il ressort des termes de la première promesse que ces biens étaient initialement envisagés comme un ensemble unique, alors que la seconde promesse a décomposé cet ensemble en deux biens distincts, le local commercial étant grevé d’un droit de préférence du locataire commercial que celui-ci a entendu exercer le 30 janvier 2015, de sorte que l’assiette de la vente ayant été modifiée, la renonciation antérieure de la collectivité publique n’était plus effective et de nouvelles déclarations s’imposaient. Interrogé par le notaire le 27 mai 2015, le Cridon confirmait cette analyse.

Il ne peut donc être fait grief au notaire d’avoir considéré que le droit de préemption urbain n’était pas purgé et d’avoir procédé à de nouvelles déclarations d’intention d’aliéner sur les biens articles 2 et 3. Le deuxième manquement doit être écarté.

Sur le troisième manquement, concernant la vente du bien article 2 au locataire commercial, l’article L. 145-46-1 énonce qu’en cas d’acceptation, celui-ci dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur, d’un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si, à l’expiration de ce délai, la vente n’a pas été réalisée, l’acceptation de l’offre de vente est sans effet.

Or, il ressort du courrier d’acceptation du locataire du 30 janvier 2015 que celui-ci a notifié son intention de recourir à un prêt, portant le délai de réalisation de la vente au 30 mai 2015. Le locataire a fourni l’acte de prêt le 28 mai 2015, dans le délai légal, de sorte qu’il a valablement exercé son droit de préemption. Si la vente n’a été réalisée qu’en novembre 2015, ce retard n’est pas imputable au locataire mais à l’existence d’un cumul de droits de préemption, le local commercial faisant également l’objet d’un droit de préemption urbain qui n’avait pas été purgé. C’est donc à bon droit que le notaire, requis par les vendeurs, a instrumenté l’acte de vente, qui serait, de toutes façons, intervenu, toutes les conditions en étant réunies.

Quant à la vente du bien article 3 à la commune, il résulte de la décision du maire du 21 juillet 2015 d’acquérir celui-ci aux prix et conditions fixés dans la déclaration d’aliéner, que la vente était à cette date définitivement conclue. Si l’article L. 213-4 du code de l’urbanisme prévoit que le vendeur peut aliéner librement son bien lorsque l’acte authentique n’est pas intervenu et le prix payé dans les

quatre mois de la décision de préemption, la vente intervenue après l’expiration de ce délai reste cependant valable, l’acte de vente réalisant uniquement le transfert de propriété et la vente étant, par l’effet de la décision du maire, parfaite et définitive. Par ailleurs, le fait que cette décision ait fait l’objet d’un recours en annulation devant la juridiction administrative ne remet pas en cause son caractère exécutoire, ce recours n’ayant pas d’effet suspensif et la procédure de référé-suspension ayant échoué. Il ne peut donc être reproché au notaire d’avoir instrumenté l’acte de vente à la demande des vendeurs et aux risques et périls de la seule commune.

Le troisième manquement doit être écarté.

Reste le manque de diligence et d’information, quatrième manquement, qui a été retenu par les premiers juges pour engager la responsabilité du notaire.

Il ressort des termes de la promesse et des courriers adressés le 5 février et le 3 juin 2015, que les acquéreurs ont été informés de l’exercice de son droit de préemption par le locataire commercial et de ses conséquences. Concernant le bien article 2, le notaire a agi dans les délais utiles et exécuté son obligation d’information.

S’agissant du droit de préemption urbain, la promesse stipule que « la renonciation à son droit de préemption de l’agglomération de la région de Compiègne sur l’unité foncière composée des parcelles AD 128, 129 et 130 (articles 2 et 3) a déjà été obtenue ». Il en résulte qu’en décembre 2014, les acquéreurs pouvaient légitimement considérer que le droit de préemption urbain était purgé. Ce n’est qu’en juin 2015 que le notaire les a informés de la nécessité d’adresser de nouvelles déclarations d’intention d’aliéner après plusieurs interrogations du Cridon et en raison de la modification de la consistance du bien qui aurait pu être anticipée.

Les premiers juges ont donc justement retenu que l’absence d’information et de maîtrise par le notaire des procédures relatives au droit de préemption urbain constitue un manquement de celui-ci à son obligation d’éclairer les acquéreurs sur les conséquences de l’exercice de ce droit par la collectivité publique et partant, sur les risques d’inefficacité de la promesse concernant le bien article 3.

Sur le préjudice allégué, les acquéreurs invoquent des démarches entreprises en vue de la revente des biens et la perte du produit de la revente. Ils fournissent des devis de rénovation des immeubles composant l’article 3, accomplis à la demande de la société Matimo le 15 décembre 2013 ainsi que quatre compromis de vente conclus les 15 et 27 février 2014 par la société Matimo au profit d’acquéreurs, portant sur les mêmes immeubles. La date de validité des compromis étant expirée, ces derniers se sont désistés aux mois de septembre et octobre 2015.

Cependant, ces démarches ont été accomplies par les acquéreurs non encore titrés à la date de leur réalisation, à leurs risques et périls, ce dont il résulte que la faute du notaire est sans lien de causalité avec ce préjudice.

De même, l’échec du projet immobilier est sans lien de causalité avec la faute du notaire telle que retenue ci-dessus puisqu’une meilleure information n’aurait pas fait obstacle à l’exercice par la commune de son droit de préemption.

Enfin, l’éventuelle annulation de la décision de préemption par la juridiction administrative, laquelle n’est pas exécutoire à ce jour, un appel ayant été interjeté, est sans lien de causalité avec la faute du notaire qui n’est pas juge de la légalité de l’acte administratif et n’a pas commis de faute en instrumentant la vente à la commune comme indiqué plus haut.

C’est donc à tort que les premiers juges ont condamné le notaire à payer des sommes aux acquéreurs, en l’absence de preuve d’un préjudice en lien avec la faute du notaire. Le jugement sera donc infirmé en cette disposition et les demandes des acquéreurs, rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

— Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné Maître V W à payer à chacune des sociétés Matimo, E et L M la somme de 5 000 euros,

— Statuant à nouveau du chef infirmé :

— Déboute les sociétés Matimo, E et L M de leurs demandes,

— Y ajoutant :

— Condamne in solidum les sociétés Matimo, E et L M aux dépens d’appel,

— Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés Matimo, E et L M à payer à Maître V W la somme de 4 000 euros,

— Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Matimo, E et L M à payer à F-AL C, N C, F-AD C épouse Y, F-AE C épouse Z, P C, Q C, F C épouse A, F R, F-AG T veuve J, S T épouse B, AO AJ-AK et U X épouse AJ-AK la somme de 4 000 euros.

LE GREFFIER LE PRESIDENT



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