Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 28 janvier 2021, n° 17/02105

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 28 janv. 2021, n° 17/02105
Juridiction : Cour d'appel d'Amiens
Numéro(s) : 17/02105
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Laon, 12 avril 2017, N° F14/00332
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

ARRET

S.A.S. M N

C/

A

X

A

A

A

A

A

A

copie exécutoire

le 28/01/2021

à

Me PELLETIER

Me BRUN

XB/IL/SF

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

PRUD’HOMMES

ARRET DU 28 JANVIER 2021

*************************************************************

N° RG 17/02105 – N° Portalis DBV4-V-B7B-GVFH

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 13 AVRIL 2017 (référence dossier N° RG F 14/00332)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. M N

[…]

[…]

concluant par Me Denis PELLETIER, avocat au barreau de PARIS

Me Christophe DORE de la SELARL DORE-TANY-BENITAH, avocat au barreau D’AMIENS, avocat postulant

ET :

INTIMES

Monsieur B A, décédé

Madame C X ès qualités d’ayant droit

[…]

[…]

Madame D A ès qualités d’ayant droit

[…]

[…]

Madame Z A ès qualités d’ayant droit

[…]

[…]

Monsieur E A ès qualités d’ayant droit

[…]

[…]

Monsieur F A ès qualités d’ayant droit venant par représentation de monsieur G A, son père décédé

[…]

[…]

Monsieur H A (Y) ès qualités d’ayant droit venant par représentation de monsieur G A, son père décédé

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Monsieur I A (Y) ès qualités d’ayant droit venant par représentation de monsieur G A, son père décédé

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

concluants par Me Philippe BRUN de la SELARL BRUN, avocat au barreau de REIMS

Me Nathalie COLIGNON-BERTIN de la SELARL COLIGNON-BERTIN, avocat au barreau de SOISSONS, avocat postulant

DEBATS :

A l’audience publique du 29 septembre 2020 l’affaire a été appelée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Christophe BACONNIER, président de chambre,

Mme J K et Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillers,

qui a renvoyé l’affaire au 28 janvier 2021 pour le prononcé de l’arrêt par sa mise à disposition au greffe, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 28 janvier 2021, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de Chambre, et Mme Isabelle LEROY, Greffier.

*

* *

DECISION :

La société ALCATEL CUIVRE a employé M. B A qui a travaillé à compter du 9 novembre 1970 sur le site de CHAUNY.

M. B A a occupé des fonctions de tréfileur, de cariste fours, de cableur toronneur, de toronneur et de tréfileur et a quitté son emploi sur ce site le 17 mai 2002.

La société M N vient aujourd’hui en représentation de la société ALCATEL CUIVRE.

M. B A a saisi le conseil de prud’hommes de Laon d’une action en indemnisation du préjudice d’anxiété qui, par jugement du 13 avril 2017 auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a notamment condamné la société M N à payer à M. B A les sommes de :

—  8.000 € au titre du préjudice d’anxiété,

—  200 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société M N a relevé appel de ce jugement par déclaration du 15 mai 2017.

M. B A décédé 7 septembre 2017 et ses ayants droit ont repris l’instance.

La clôture a été fixée à la date du 6 août 2020.

L’affaire a été appelée à l’audience du 29 septembre 2020.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 15 juillet 2020, la société M N demande à la cour de :

« Réformer le jugement entrepris en tant qu’il a condamné la société M N à payer à M. B A les sommes de :

- 8.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’anxiété ;

- 200,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

ainsi qu’aux dépens ;

Statuant à nouveau,

Débouter les intimés de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Le condamner aux entiers dépens. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 30 juin 2020, C X, D A, Z, A, L A, F A, H A, I A qui sont les ayants droit de M. B A demandent à la cour de :

« Vu les articles L.4121-1 et R.231-56-4 du Code du Travail,

Vu l’arrêté du Ministre du Travail en date du 3 mars 2015,

Dire et juger recevable et mal fondé l’appel a interjeté par la société M à l’encontre du jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Soissons (section industrie) en date du 13/04/2017,

Dire et juger recevable et bien fondé l’appel interjeté par M. B A à l’encontre de ce même jugement,

En conséquence,

Confirmer le jugement en cause en ce qu’il a dit que le requérant avait été exposé à l’amiante et qu’il se devait d’être indemnisé de son préjudice d’anxiété,

L’infirmer en ce qu’il a limité l’indemnisation de ce préjudice à la somme de 8.000 €,

Statuant à nouveau,

Constater que le requérant a fait l’objet d’une exposition à l’amiante ou/et à certains produits toxiques et/ou cancérigènes et condamner la société défenderesse à lui verser de ce chef une indemnisation d’un montant de 30.000 € à raison de son préjudice d’anxiété,

Condamner également la société défenderesse à verser une somme de 1.000 € aux requérants au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile. »

L’affaire a été mise en délibéré à la date du 28 janvier 2021 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud’hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le préjudice d’anxiété

A l’appui de son appel, la société M N soutient que :

— les établissements du site de CHAUNY ont été inscrits sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation anticipée des travailleurs de l’amiante par arrêté du 3 mars 2015,

— cet arrêté a été annulé par un jugement du tribunal administratif d’Amiens du 3 octobre 2017, lequel a fait l’objet d’un appel du ministre du travail,

— pour indemniser le préjudice d’anxiété sur le fondement des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de ce dernier, il faut que la victime établisse qu’elle a été exposée à l’amiante, que l’employeur a manqué à l’obligation de sécurité faute d’avoir pris les mesures nécessaires pour garantir sa santé et qu’elle caractérise son préjudice d’anxiété,

— l’exposition à l’amiante n’est pas prouvée et elle est contredite par le fait que seules les équipes de maintenance pouvaient être en contact avec des poussières d’amiante l’espace d’une journée deux fois par an lors des opérations de maintenance des fours isolés à l’amiante et par le fait que l’environnement de travail était exempt de toutes poussières et particules d’amiante,

— aucun manquement ne peut être retenu contre elle dès lors que les matériaux isolants amiantés des fours ont été remplacés par des matériaux sans amiante à partir de 1992, qu’il a été procédé, en 1997 à un diagnostic amiante par l’APAVE et, à partir de 1999, au désamiantage des fours par une société extérieure agréée, dans le cadre d’un plan de retrait approuvé par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et l’inspection du travail (pièce V) et que le suivi médical des salariés ayant pu être exposés ponctuellement au risque d’inhalation de poussières d’amiante a été assuré (pièce VI),

— aucune pièce n’est produite pour établir le préjudice d’anxiété.

Les ayants droit de M. B A soutiennent à l’appui de leur demande indemnitaire au titre du préjudice d’anxiété que :

— l’entreprise de fabrication de fil de cuivre qui l’employait sur le site de CHAUNY, a successivement été exploitée par les sociétés Thomson de 1935 à 1954, Thomson, Brandt de 1954 à 1985, Thomson Cuivre de 1985 à 1988, Alcatel Cuivre de 1996 à 1989,

— cette entreprise a été inscrite dans la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’ACAATA par arrêté ministériel du 3 mars 2015 (article 41 de la loi du 23 décembre 1998),

— il a été exposé à l’amiante à l’occasion de son travail dans cette entreprise,

— l’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité,

— de nombreux salariés ayant travaillé dans cet établissement ont été atteints par le cancer de l’amiante,

— il a dû vivre avec le risque véritable de l’apparition de ce cancer jusqu’à la maladie qui l’a emporté.

La cour rappelle que la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 a institué en faveur des travailleurs qui ont été particulièrement exposés à l’amiante, sans être atteints d’une maladie professionnelle consécutive à cette exposition, un mécanisme de départ anticipé à la retraite. Sur le fondement de cette loi, et plus particulièrement de son article 41, la chambre sociale de la Cour de cassation a admis, pour les salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 précité, la réparation d’un préjudice spécifique d’anxiété tenant à l’inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante.

C’est sur ce fondement que le conseil de prud’hommes a alloué à M. B A la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d’anxiété du fait de l’arrêté du 3 mars 2015.

Le litige a cependant évolué par suite de l’annulation de cet arrêté.

Comme l’indique la société M N, par arrêt du 5 avril 2019, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, a reconnu la possibilité pour un salarié justifiant d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, d’agir contre son employeur, sur le fondement du droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 précité. Cependant, l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il a mis en 'uvre les mesures visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Il appartient ainsi aux juges du fond, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis,

— de dire si l’exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave est suffisamment établie ou non,

— d’évaluer le comportement de l’employeur, notamment la pertinence des mesures de prévention et de sécurité prises et leur adéquation au risque connu ou qu’il aurait dû connaître,

— de caractériser le préjudice personnellement subi par le salarié et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave.

Sur l’exposition à l’amiante

La cour constate que plusieurs entités se sont succédées sur le site de CHAUNY sur les activités

principales de tréfilage et d’émaillage :

— THOMSON CUIVRE de 1985 à 1988

— ALCATEL CUIVRE de 1989 à 1998

— ALCATEL de 1998 à 2000

— M de 2000 à 2005

— M N de 2006 à 2008

— O N de 2006 à 2007

— O de 2007 à 2008

— M France à compter de 2009

Une autre entité était présente sur le site, il s’agit de la Société de Coulée Continue de Cuivre (SCCC) de 1977 à 2008. Elle est devenue M France COPPER de janvier à septembre 2009.

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour dispose d’éléments suffisants pour retenir que l’exposition à l’amiante est amplement établie dans les entités du site de Chauny comme cela ressort de plusieurs éléments de preuve non utilement contestés.

D’abord, le médecin du travail a établi une note sur les expositions professionnelles pour les sociétés THOMSON, ALCATEL, M N, O M et SCCC à la date du 9 février 2011 (pièce n° 32 salarié) qui répertorie les expositions à l’amiante suivantes :

— les salariés affectés au laminoir de la société Thomson puis à la société SCCC en 1979 ont été exposés du fait de l’utilisation de protections en amiante et de joints amiante par les lamineurs et les agents de maintenance,

— les salariés de la SCCC en charge des interventions ponctuelles de maintenance (réfection de fours, joints, calorifugeage) ont été ponctuellement exposés à l’amiante,

— les opérateurs et agents de maintenance intervenant à l’émaillerie des installations exploitées par Thomson puis Alcatel cuivre puis M N et enfin O pour des interventions, réfection ou montage sur les fours et sur capitonnage intérieur des fours, ont subi une contamination de proximité en intervenant sans protection individuelle et sans protection sur le milieu ambiant

— sur la tréfilerie (fabrication de fils et câbles en cuivre), les salariés affectés sur les postes de travail étamage (fours recuits et fours à cloche) ont été exposés à l’amiante essentiellement par l’utilisation d’équipement de protection individuelle contenant de l’amiante.

Le médecin du travail mentionne aussi comme sources d’exposition à l’amiante :

— la rectification des filières du lapidaire qui se faisait sur une plaque d’amiante régulièrement nettoyée par balayage ou soufflette,

— le changement des freins amiante des bobinoirs ou des chariots élévateurs par les personnels d’entretien ou de maintenance.

Ensuite, les plaquettes de THOMSON sur les tréfileries et laminoirs de CHAUNY (pièces n° 28 et

35 salarié) mentionnent parmi les principales fabrications des fils isolés pour bobinage désignés « fils ronds et méplats guipés Rocverre et Rocamiante imprégnés » qui contiennent de l’amiante et des câbles spéciaux pour températures élevées isolés par de l’amiante ou du « rocamiante ».

Par ailleurs le rapport de l’inspection du travail daté du 4 avril 2014 (pièce n° 26 salarié) mentionne que l’enquête sur l’exposition à l’amiante fait ressortir que :

— les machines de tréfilage sont équipées de freins contenant des garnitures amiantées,

— ces machines sont nombreuses et réunies dans de vastes ateliers, ce qui permet la dissémination des fibres d’amiante dans tout le volume,

— les fours sont isolés par des plaques d’amiante découpées sur place,

— les procès-verbaux du CHSCT des 27 février 2006, 6 octobre 2008 et 12 janvier 2009 font ressortir la présence d’amiante dans les fours (plaques d’amiante libérant des fibres) et dans la construction des locaux.

En outre le procès-verbal du CHSCT du 15 décembre 2004 (pièce n° 42 salarié) fait ressortir qu’à cette date, l’amiante était encore présente dans les process et aussi sur les joints en tresse.

Enfin le rapport de l’inspection du travail précédemment cité (pièce n° 26 salarié) mentionne que l’enquête sur l’exposition à l’amiante fait aussi ressortir les éléments statistiques suivants :

— sur la population de 117 individus adhérents à l’association des anciens salariés de M, 79 ont passé un scanner et 54 personnes ont développé une pathologie liée à l’amiante (47% de 117),

— parmi les 42 salariés ayant travaillé à l’activité fonderie (SCCC), il y a 26 cas de pathologies liées à l’amiante (61.90%) ; mais sur les 24 personnes disposant d’une attestation d’exposition à l’amiante, 22 ont développé une pathologie liée à l’amiante (91,67%),

— parmi les 42 salariés ayant travaillé à l’activité émaillage, il y a 22 personnes atteintes de pathologies (52.38%),

— parmi les 49 salariés ayant travaillé à l’activité tréfilage, il y a 16 malades de l’amiante (32.65%),

— parmi les 42 salariés ayant travaillé sur les activités annexes, savoir l’entretien général, les magasins d’expéditions et général, l’étamage, câblage et bureaux, 8 sont des malades de l’amiante (19,05%),

(le total ne fait pas 117 salariés du fait que certains salariés ont pu travailler dans plusieurs activités successives).

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que l’exposition à l’amiante ne peut être sérieusement contestée.

C’est donc en vain que la société M N soutient que l’exposition à l’amiante n’est pas prouvée, qu’elle est contredite par le fait que seules les équipes de maintenance pouvaient être en contact avec des poussières d’amiante l’espace d’une journée deux fois par an lors des opérations de maintenance des fours isolés à l’amiante comme le tribunal administratif l’a en substance retenu pour annuler l’arrêté ACAATA (pièce n° I et II employeur) et par le fait que l’environnement de travail était exempt de toutes poussières et particules d’amiante comme le montrent les mesures effectuées, que les matériaux isolants amiantés des fours ont été remplacés par des matériaux sans amiante à partir de 1992, qu’il a été procédé, en 1997 à un diagnostic amiante par l’APAVE (pièce n° III et IV employeur) et, à partir de 1999, au désamiantage des fours (pièce n° V et VI employeur) ; en effet

ces éléments sont contredits par les éléments de preuve produits par M. B A.

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour dispose aussi d’éléments suffisants pour retenir que M. B A qui était tréfileur, cariste fours, cableur toronneur, toronneur et tréfileur entre le 9 novembre 1970 et le 17 mai 2002 dans l’entreprise de fabrication de fil de cuivre sur le site de CHAUNY, y a travaillé dans des conditions d’exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave ; en effet, la cour retient que les tableaux non utilement contestés (pièces n° 2 et 3 salarié) qui sont composés de listes de salariés ayant travaillé comme M. B A dans cette entreprise et ceux qui parmi eux sont malades de l’amiante ou en maladie professionnelle, les attestations d’exposition à l’amiante produites pour 80 salariés (pièce n° 39 salarié), les pièces médicales et de sécurité sociale (pièces n° 7 à 22, 33, 34 et 37 salarié), montrent que de nombreux salariés ont été exposés à l’amiante et sont morts ou sont atteints d’affections consécutives à une exposition à l’amiante étant précisé que le rapport de l’inspection du travail daté du 4 avril 2014 (pièce n° 26 salarié) mentionne un taux de 47 % de malades de l’amiante parmi les 117 adhérents à l’association des anciens salariés.

C’est donc en vain que la société M N conteste que M. B A a été exposé à l’amiante à l’occasion de son travail dans cette entreprise étant ajouté qu’une exposition durable ou importante à l’amiante n’est pas nécessaire pour générer un risque élevé de développer une pathologie grave dès lors qu’il n’y a pas de seuil pour déclarer un mésothéliome : une seule fibre peut suffire.

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que M. B A a travaillé dans des conditions d’exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave.

Sur le manquement à l’obligation de sécurité

L’article L.4121-1 du code du travail dispose :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes».

La cour doit évaluer la pertinence des mesures de prévention et de sécurité prises et leur adéquation au risque connu ou qu’il aurait dû connaître.

En ce qui concerne la connaissance des risques liés à l’amiante, la cour rappelle qu’en France, les dangers de l’exposition à l’amiante sont connus depuis 1945 (création du tableau n° 25 des maladies professionnelles concernant la fibrose pulmonaire liée à l’inhalation de poussières renfermant de l’amiante) et que dès 1965, il est admis que l’amiante a un pouvoir cancérigène (publication du Dr Turiaf).

Dès lors, et même si sur le site de CHAUNY l’amiante n’était pas utilisée en tant que matière première, mais pour ses propriétés de calorifugeage, d’isolation ou de protection thermique, l’employeur de M. B A ne pouvait ignorer à la fois ces textes de portée générale mais aussi les différentes études déjà existantes et claires quant à la nocivité de l’amiante.

Il convient donc de rechercher si les mesures nécessaires ont été prises pour préserver les salariés du risque encouru.

Les travaux scientifiques préconisaient les moyens de prévention : évacuation des poussières soit par ventilation (rapport Auribault), soit par aspiration localisée au point de production des poussières (rapport Dhers), remplacement des opérations effectuées manuellement par des appareils fermés, par substitution du travail à l’humide au travail à sec, le port de vêtements de travail, de gants et de masques respiratoires (rapport Dhers).

En 1977, est intervenu un décret du 17 août, relatif aux mesures particulières d’hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiante, texte qui prévoit notamment :

— article 2 :

« La concentration moyenne en fibres d’amiante de l’atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne doit pas dépasser deux fibres par centimètres cube, seules étant considérées les fibres de plus de 5 microns de longueur, de 3 microns au plus de largeur et dont le rapport longueur/largeur excède 3 »

— article 3 :

« Sauf dans le cas où, en l’absence de dispositif de protection, la limite fixée à l’article 2 ne serait dépassée en aucune circonstance, les travaux définis à l’article 1er (transport, manipulation, traitement, transformation etc') doivent être effectués par voie humide, dans des appareils capotés et mis en dépression»

— article 4 :

« En cas de travaux occasionnels et de courte durée, et s’il est techniquement impossible de respecter les dispositions de l’article 3, les équipements de protection individuelle répondant aux prescriptions de l’article L 233-5 du code du travail doivent être mis à disposition du personnel, notamment des appareils respiratoires anti-poussières »

— article 6 :

« L’atmosphère des lieux de travail doit être contrôlée au moins une fois par mois »

— article 7 :

« Les installations et les appareils de protection collective des salariés, notamment des installations de captage, de filtration et de ventilation doivent être vérifiés au moins une fois par semaine et être constamment en parfait état de fonctionnement ».

— article 8 :

« Les équipements respiratoires individuels et les vêtements de protection doivent être attribués personnellement à chaque salarié exposé à l’inhalation de poussières d’amiante ».

Il entre dans les devoirs du chef d’entreprise de s’informer des risques encourus par ses salariés en raison de son activité et de rechercher les moyens propres à les éviter ou à les limiter.

En l’espèce, à l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que la société M N n’administre pas la preuve que les exploitants du site de CHAUNY aux droits

desquels elle vient, ont pris de mesures de prévention et de sécurité en adéquation avec les risques connus ou qu’ils auraient dû connaître ; en effet il n’est notamment pas justifié de la mise à disposition d’appareils respiratoires anti-poussières, du contrôle de l’atmosphère des lieux de travail au moins une fois par mois et de l’existence des installations de captage, de filtration et de ventilation nécessaires à la limitation de la concentration moyenne en fibres d’amiante de l’atmosphère.

C’est donc en vain que la société M N soutient qu’aucun manquement ne peut être retenu contre elle dès lors que les matériaux isolants amiantés des fours ont été remplacés par des matériaux sans amiante à partir de 1992, qu’il a été procédé, en 1997 à un diagnostic amiante par l’APAVE et, à partir de 1999, au désamiantage des fours par une société extérieure agréée, dans le cadre d’un plan de retrait approuvé par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et l’inspection du travail (pièce V) et que le suivi médical des salariés ayant pu être exposés ponctuellement au risque d’inhalation de poussières d’amiante a été assuré (pièce VI) ; en effet il a été dit plus haut que le procès-verbal du CHSCT du 15 décembre 2004 (pièce n° 42 salarié) fait ressortir qu’à cette date l’amiante était encore présente dans les process et aussi sur les joints en tresse, et que les procès-verbaux du CHSCT des 27 février 2006, 6 octobre 2008 et 12 janvier 2009 font ressortir la présence d’amiante dans les fours (plaques d’amiante libérant des fibres) et dans la construction des locaux entreprise de prévention et de sécurité étant précisé que la simple manipulation des fours suffisait à libérer des fibres ; en outre le diagnostic amiante par l’APAVE en 1997 et le désamiantage des fours à partir de 1999 ne dispensait aucunement la société M N de justifier notamment de la mise à disposition d’appareils respiratoires anti-poussières, du contrôle de l’atmosphère des lieux de travail au moins une fois par mois et de l’existence des installations de captage, de filtration et de ventilation nécessaires à la limitation de la concentration moyenne en fibres d’amiante de l’atmosphère.

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient qu’il n’est pas justifié qu’au cours de la période d’exposition de M. B A à l’amiante des mesures suffisantes ont été prises pour protéger sa santé physique et prévenir les risques liés à une exposition à I’amiante.

Sur la caractérisation du préjudice d’anxiété

C’est en vain que la société M N soutient qu’aucune pièce n’est produite pour établir le préjudice d’anxiété ; en effet la cour retient que les pièces médicales et de sécurité sociale (pièces n° 7 à 22, 33, 34 et 37 salarié), montrent que de nombreux salariés ont été atteints d’affections consécutives à une exposition à l’amiante prises en charge au titre de la législation sur les risques professionnels et que ces éléments de preuve suffisent à caractériser le préjudice spécifique d’anxiété de M. B A qui tient à l’inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante que M. B A a éprouvé jusqu’à la maladie qui l’a emporté.

La cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement ce préjudice d’anxiété subi par M. B A doit être évaluée à la somme de 8.000 €.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il a condamné la société M N à payer à M. B A la somme de 8000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d’anxiété modifié, compte tenu du décès intervenu, en ce que la société doit être condamnée au paiement de cette somme à C X, D A, Z, A, L A, F A, H A, I A en qualité d’ayants droit de M. B A.

Sur les autres demandes

La cour condamne la société M N aux dépens en application de l’article 696 du Code de procédure civile.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l’application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Il n’apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de C X, D A, Z, A, L A, F A, H A, I A les frais irrépétibles de la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions à préciser que la société M N condamnée à payer la somme de 8000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’anxiété de M. A à C X, D A, Z, A, L A, F A, H A, I A, en qualité d’ayants droit de M. A,

Ajoutant,

Rejette la demande formée par C X, D A, Z, A, L A, F A, H A, I A au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société M N aux dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT.

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Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 28 janvier 2021, n° 17/02105