Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 8 mars 2022, n° 18/04143

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Amiens, 1re ch. civ., 8 mars 2022, n° 18/04143
Juridiction : Cour d'appel d'Amiens
Numéro(s) : 18/04143
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

ARRET



E.A.R.L. F


C/


X


X


D


Y


A


A


B


B


E


PB/VB

COUR D’APPEL D’AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU HUIT MARS DEUX MILLE VINGT DEUX


Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 18/04143 – N° Portalis DBV4-V-B7C-HDIQ


Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BEAUVAIS DU VINGT SIX MARS DEUX MILLE DIX HUIT

PARTIES EN CAUSE :

E.A.R.L. F agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[…]

60650 SAINT-AUBIN-EN-BRAY


Représentée par Me V W, avocat au barreau d’AMIENS


Plaidant par Me Sandra PALMAS, avocat au barreau de BEAUVAIS

APPELANTE ET

Monsieur G X

né le […] à VESOUL

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame I X

née le […] à MONTATAIRE

de nationalité Française

[…]

[…]

Monsieur J D

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Monsieur L Y

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Monsieur Z A

né le […] à ARGENTEUIL

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame O A née le […] à

de nationalité Française

[…]

[…]

Monsieur P B

né le […] à BEAUVAIS

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame C-U B

née le […] à LILLE

de nationalité Française

[…]

[…]

Madame R E

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]


Représentés et plaidant par Me AA AB, avocat au barreau de BEAUVAIS

INTIMES

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :


L’affaire est venue à l’audience publique du 04 janvier 2022 devant la cour composée de M. P T, Président de chambre, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.


A l’audience, la cour était assistée de Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.


Sur le rapport de M. P T et à l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 08 mars 2022, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
PRONONCÉ :


Le 08 mars 2022, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. P T, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.

*

* *

DECISION :

FAITS ET PROCÉDURE


L’Earl F (ou l’Earl), située sur la commune de Saint-Aubin-en-Bray dans l’Oise, gère une exploitation agricole à objet principal d’élevage bovin.


Elle a souhaité faire construire de nouveaux bâtiments agricoles et, à cette fin, a notamment déposé deux demandes de permis de construire (n° PC 06056709B0006 et PC 06056709B0007) qui, par deux arrêtés en date du 17 août 2009 du Maire de la Commune de Saint-Aubin-en-Bray, ont été accordés.


Au cours de l’année 2010, deux bâtiments agricoles ont consécutivement été édifiés à savoir :


- un hangar d’une surface hors d''uvre brute (SHOB) de 1 257 m² clos sur trois de ses quatre côtés, destiné à l’élevage de bovins sur aire paillée, d’une longueur de 66 mètres et d’une largeur de 19 mètres, présentant une hauteur de faîtage de 8,10 mètres,


- un second hangar d’une SHOB de 1 550 m² de dimensions 66,20 mètres par 19 mètres, d’une hauteur au faîtage de 8,10 mètres, prolongé par un autre hangar de 19,40 mètres par 11 mètres, comprenant une stabulation libre en aire paillée, une salle de traite et une laiterie.

M. G X et Mme I X (époux X), voisins de L’Earl, ont formé un recours gracieux à l’encontre de ces deux arrêtés octroyant les permis de construire puis, suite au silence gardé en réponse par la Commune, ont formé un recours contentieux devant le Tribunal administratif d’Amiens le 10 novembre 2010.


Le maire de la commune a finalement pris deux nouveaux arrêtés en date du 16 décembre 2010, retirant les deux arrêtés précités du 17 août 2009 et accordant deux nouveaux permis de construire à l’Earl.


Les époux X, M. L Y et Mme Y (époux Y), M. J D, M. Z et Mme O A (époux A) et Mme B ont formé un recours à l’encontre de ces deux nouveaux permis devant la juridiction administrative.


Par jugement rendu le 19 février 2013, le Tribunal administratif d’Amiens a annulé les deux arrêtés du 16 décembre 2010 du maire de la commune ayant autorisé l’Earl à construire ses deux bâtiments. Par un arrêt du juin 2014, la Cour administrative d’appel de Douai a annulé ce jugement mais, au fond, a également annulé les deux arrêtés du 16 décembre 2010. Le conseil d’état a rejeté le recours en cassation de L’Earl par décision en date du 8 avril 2015.


Se plaignant de nuisances diverses (bruit, odeurs, insectes), les époux X, M. L Y, M. J D, les époux A, M. P B et Mme C-U B (époux B) et Mme R E, tous voisins de l’Earl, l’ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Beauvais par acte d’huissier de justice du 15 octobre 2014 pour principalement obtenir, sur le fondement de l’annulation des deux permis de construire et des troubles anormaux du voisinage, la démolition sous astreinte des ouvrages objet de ces permis et l’indemnisation de leurs préjudices de jouissance, moral et/ou financier.


Par jugement rendu le 26 mars 2018, auquel la cour renvoie pour une présentation plus complète des faits et de la procédure antérieure, le tribunal a notamment :


- dit recevable la demande en démolition et la demande indemnitaire,


- dit n’y avoir lieu d’ordonner de mesure de médiation,


- dit l’Earl F responsable d’un trouble subi par les demandeurs excédant les inconvénients normaux du voisinage,


- condamné l’Earl F à payer les sommes suivantes :


- à Mme R E, les sommes respectives de 21 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage et de 1 000 € en réparation de son préjudice moral,


- aux époux B, la somme globale de 21 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage et à chacun d’entre eux la somme de 1 000 € en réparation de leur préjudice moral,


- à M. J D, les sommes respectives de 17 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage et de 1 000 € en réparation de son préjudice moral,


- à M. L Y, les sommes respectives de 17 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage et de 1 000 € en réparation de son préjudice moral,


- aux époux X, la somme globale de 4 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage et à chacun d’entre eux la somme de 1 000 € en réparation de leur préjudice moral,


- aux époux A, la somme globale de 14 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage, et à chacun d’entre eux la somme de 1 000 € en réparation de leur préjudice moral,


- dit que ces sommes portent intérêts au taux légal à compter de la date du jugement, – autorisé l’Earl F à payer les sommes susvisées en dix mensualités égales et consécutives, la première mensualité étant exigible le 15ème jour du mois suivant celui de la signification du jugement,


- débouté les époux X, M. L Y, M. J D, les époux A, les époux B, et Mme R E de leur demande de démolition des constructions édifiées sur le fondement des permis de construire n° PC 06056709B0006 et n° PC 06056709B0007 ultérieurement retirés et/ou annulés,


- ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de présenter leurs prétentions et propositions relatives aux mesures de nature à faire cesser le trouble anormal du voisinage,


- sursis à statuer sur la demande d’expertise destinée à évaluer la perte de valeur vénale des propriétés des demandeurs,
- dit que l’affaire serait de nouveau examinée lors de l’audience de mise en état électronique du 11 juin 2018 à 9 heures,


- débouté les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires,


- réservé les prétentions relatives à l’indemnité procédurale et aux dépens,


- ordonné l’exécution provisoire.


L’Earl F a interjeté appel du jugement par déclaration en date du 15 novembre 2018.


Par ordonnance du 28 mars 2019, le Premier Président a arrêté l’exécution provisoire assortissant les condamnations financières.


Par ordonnance du 20 mai 2020, le conseiller de la mise en état a débouté l’Earl F de son incident aux fins de voir ordonner une expertise destinée à relever et décrire précisément si d’éventuels troubles, notamment sonores ou olfactifs, émanent de son exploitation agricole et le cas échéant si ces derniers perturbent les intimés dans leur quotidien, déterminer les causes et origines desdits troubles, donner son avis sur le caractère anormal ou non de tout éventuel trouble constaté compte tenu de l’environnement et de la situation de chacune des parties, décrire et chiffrer les mesures propres à faire cesser les éventuels troubles constatés, afin d’éviter toutes difficultés à l’avenir et l’a condamnée aux dépens de l’incident ainsi qu’au paiement aux époux X, à M. Y, à M. D, aux époux A, aux époux B et Mme E la somme globale de 1 500 € en application de 700 du code de procédure civile.


Vu les dernières conclusions récapitulatives de l’Earl notifiées par voie électronique le 7 mai 2021 aux termes desquelles elle demande à la cour de :


- la recevoir en son appel bien fondé, et ses demandes,


- confirmer le jugement rendu le 26 mars 2018 en ce qu’il a rejeté purement et simplement la demande de démolition de ses constructions litigieuses,


- infirmer le jugement en ses autres dispositions,

en conséquence, statuant à nouveau,


- sur l’action en démolition, rejeter la demande de démolition des constructions qu’elle a édifiées comme étant irrecevable puisque ces constructions sont conformes aux permis de construire accordés par la Mairie de Saint-Aubin-en-Bray n° PC06056709B0007 et n° PC06056709B0006 en date du 17 août 2009 désormais définitifs et inattaquables, faite par les époux X, M. Y, M. D, M. A, les époux B et Mme E,


- à titre subsidiaire,


- rejeter la demande de démolition des constructions qu’elle a édifiées conformément aux permis de construire accordés par la mairie de Saint-Aubin-en-Bray, faite par les époux X, M. Y, M. D, M. A, les époux B et Mme E au motif qu’elles ne sont situées dans aucune des quinze zones numérotées de « a » à « o » et citées par le nouveau texte de l’article L.480-13 du Code de l’urbanisme.


- à titre encore plus subsidiaire,


- prononcer le sursis à statuer concernant l’action en démolition sur le fondement des prétendus troubles de voisinage dans l’attente du rapport à venir du Gouvernement conformément à l’article 3 de la Loi n° 2021- 85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises,


- à titre infiniment subsidiaire,


- rejeter l’action en démolition sur le fondement des prétendus troubles de voisinage des époux X, M. Y, M. D, M. A, les époux B et Mme E au motif qu’elle n’est responsable d’aucun trouble du voisinage causant un préjudice à ces derniers,


- à titre encore plus subsidiaire, si la démolition devait être prononcée, lui accorder un délai de 8 mois pour procéder à la démolition des bâtiments et rejeter la demande d’astreinte injustifiée des intimés,


- sur l’action indemnitaire des intimés,


- rejeter l’action en responsabilité civile des époux X, de M. Y, de M. D, de M. A, des époux B et de Mme E comme étant prescrite, cette dernière ayant été introduite plus de deux ans après l’achèvement des travaux en date du 12 juillet 2012,


- à titre subsidiaire, rejeter les demandes d’indemnisation des époux X, de M. Y, de M. D, de M. A, des époux B et de Mme E comme étant irrecevables les constructions contestées ayant été édifiées conformément aux permis de construire accordés le 17 août 2009,


- à titre encore plus subsidiaire, rejeter les demandes d’indemnisation des époux X, de M. Y, de M. D, de M. A, des époux B et de Mme E ces dernières étant non démontrées, aucun trouble du voisinage ne pouvant lui être imputable,


- à titre infiniment subsidiaire, désigner tel expert qu’il plaira au Président du Tribunal (sic), au contradictoire de l’ensemble des intimés avec pour mission de :


- convoquer et entendre les parties, assistées le cas échéant de leurs conseils, et de tous sachants, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise,


- se faire remettre toutes pièces utiles à l’accomplissement de sa mission,


- se rendre sur les lieux, à Saint-Aubin-en-Bray (60650), […], ainsi qu’au domicile de chaque intimé,


- relever et décrire précisément si d’éventuelles nuisances sonores ou olfactives émanant de son exploitation agricole perturbent les intimés dans leur quotidien,


- déterminer les causes et origines desdites nuisances,


- décrire et chiffrer les mesures éventuelles à faire cesser les éventuelles nuisances constatées, afin d’éviter toutes difficultés à l’avenir,


- donner son avis sur les préjudices subis par les parties, et notamment sur le trouble de jouissance,


- rapporter toutes autres constatations utiles à l’examen des prétentions des parties,


- établir et déposer un pré-rapport sans attendre le dépôt du rapport définitif, au cas où des mesures conservatoires de remise en état devraient être prises en urgence,


- dire que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile,


- fixer le montant de la provision à valoir sur les honoraires de l’expert qu’elle devra consigner.


- dire dans quel délai l’expert devra déposer son rapport au greffe du Tribunal.


- réserver les dépens,


- à titre infiniment plus subsidiaire,


- ramener à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formulées par les intimés à son encontre, compte tenu de la fragilité de sa situation financière,


- lui accorder les plus larges délais pour les régler avec notamment un échelonnement du paiement des sommes restant dues, en application de l’article 1343-5 du Code civil, sur une durée de 24 mois, sans production d’intérêts,


- débouter les époux X, M. Y, M. D, M. A, les époux B et Mme E de leur demande d’expertise judiciaire afin de chiffrer leur prétendu préjudice,


- en tout état de cause, débouter les époux X, M. Y, M. D, M. A, les époux B et Mme E de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, même à titre indemnitaire,


- condamner solidairement les époux X, M. Y, M. D, M. A, les époux B et Mme E à lui régler la somme de 10 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,


- condamner les époux X, M. Y, M. D, M. A, les époux B et Mme E aux entiers dépens de première instance et en cause d’appel,


- autoriser maître V W à en poursuivre le recouvrement direct, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.


Vu les dernières conclusions récapitulatives des époux X, de M. L Y, de M. J D, des époux A, des époux B et de Mme E aux termes desquelles ils demandent à la cour de :


- débouter l’Earl F de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions, – confirmer le jugement du 26 mars 2018 en qu’il a dit que l’Earl F était responsable d’un trouble excédent les inconvénients normaux de voisinage,


- l’infirmer en ce qu’il les a déboutés de leur demande en démolition et en ce qu’il n’a accueilli que partiellement leurs demandes d’indemnisation,


- statuant de nouveau,


- à titre principal, ordonner la démolition de l’ensemble des bâtiments construits dans le cadre des permis de construire n° PC 06056709B0006 et PC 06056709B0007 dans un délai de trois mois à compter de la signification de la décision à intervenir et sous astreinte de 500 € par jour de retard,
- condamner l’Earl F à leur verser la somme de 350 € chacun par mois à compter du mois de janvier 2011 jusqu’à la date de démolition des bâtiments en litige en réparation de leur trouble de jouissance, outre celle de 3 000 € chacun en réparation de leur préjudice moral,


- condamner l’Earl F à verser à aux époux X la somme totale de 26 248,96 €.


- à titre subsidiaire, pour le cas où la démolition ne serait pas ordonnée, désigner tel expert qu’il plaira à la Cour de nommer avec mission de :


- se rendre sur place,


- visiter les immeubles des demandeurs,


- entendre les parties et tous sachants,


- se faire remettre tous documents utiles,


- donner son avis et chiffrer les préjudices tant en terme de perte de jouissance que de perte de valeur des immeubles affectés par l’édification de la stabulation, de l’aire paillée, de l’aire d’attente, de la salle de traite et de la laiterie,


- s’expliquer sur les dires et observations des parties à l’occasion d’une réunion de synthèse tenue avant le dépôt du rapport ou le cas échéant par une note écrite diffusée avant le dépôt du rapport pour informer les parties de l’état de ses investigations selon l’ensemble des chefs de mission précisés ci-dessus,


- dire que l’expert pourra s’adjoindre de tous sapiteurs de son choix,


- de toutes ces observations et conclusions, rédiger un rapport qui sera déposé au greffe du tribunal de grande instance de Beauvais pour être ensuite statué à celui qui appartiendra,


- en tout état de cause, condamner l’Earl F au paiement d’une somme de 23 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


- condamner l’Earl F en tous les dépens qui comprendront outre ceux de première instance les frais d’huissier des 11 avril 2012 et 11 novembre, 11 décembre 2013, 18 février, 14 mars, 16 mai 2014 et ceux de l’étude LTV de 2019 dont distraction pour ceux-là concernant au profit de Me AA AB et associés qui pourra les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,


L’ordonnance de clôture est intervenue le 1er septembre 2021.


Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s’agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

MOTIFS

1)- sur les demandes des intimés fondées sur les dispositions de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme


Les intimés sollicitent, à titre principal, la démolition des immeubles édifiés conformément aux permis de construire annulés par les juridictions administratives, conformément, en premier lieu, aux dispositions de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme dans sa version antérieure à la loi du 6 août 2015.
Ils affirment qu’il est de jurisprudence constante que la démolition d’un immeuble doit être ordonnée par les juges du fond, en cas de méconnaissance constatée d’une règle d’urbanisme, dès lors que l’impossibilité de mise en conformité de l’ouvrage est reconnue, étant entendu que le tiers voisin justifie d’un préjudice personnel. Ils ajoutent que l’annulation des permis de construire délivrés a été prononcée eu égard à la situation géographique des bâtiments, à savoir leur proximité avec de nombreuses maisons d’habitation. Les nuisances provoquées par la proximité de ces bâtiments sont telles que le juge administratif a considéré que celles-ci étaient constitutives d’un trouble à l’ordre public. Toute régularisation par le dépôt d’une nouvelle demande de permis de construire s’avère donc vouée à l’échec.


L’Earl soutient que cette demande de démolition sur ce fondement est irrecevable et doit être subsidiairement rejetée.


A cette fin, elle affirme en substance que par les deux arrêtés du 16 décembre 2010, le maire de Saint-Aubin-en-Bray, d’une part, a retiré les arrêtés contestés du 17 août 2009 et, d’autre part, lui délivré à nouveau des permis de construire. Par un jugement en date du 19 février 2013 n°1003155-4, le Tribunal administratif d’Amiens a considéré qu’il n’y avait plus lieu à statuer sur les conclusions à fins d’annulation des premiers arrêtés du 17 août 2009. Il ne les a donc pas annulés. Par un autre jugement du même jour, il a annulé les arrêtés du 16 décembre 2010 l’autorisant à construire deux bâtiments agricoles. Elle soutient que l’annulation contentieuse des arrêtés du 16 décembre 2010, qui les avaient retirés, a ainsi eu pour conséquence directe de faire revivre les arrêtés du 17 août 2009 qui n’avaient pas été annulés. Ces deux arrêtés peuvent être considérés comme valides, définitifs et inattaquables. Les deux déclarations d’achèvement des travaux mentionnant les deux permis de construire de 2009 ayant été déposées en mairie le 12 juillet 2012, ils sont purgés de tout recours possible depuis le 12 juillet 2013.


La cour retient pour sa part que le tribunal administratif d’Amiens a rendu deux décisions distinctes le 19 février 2013.


Dans un jugement numéro 1101206, il a annulé les deux arrêtés du 16 décembre 2010 du maire de la commune, annulation confirmée par un arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 26 juin 2014. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par le conseil d’État par une décision du 8 avril 2015.


Dans un second jugement du même jour n° 1003155, le tribunal administratif a statué sur le recours engagé par les époux X à la suite du silence gardé par le maire de la commune sur le recours gracieux formé contre les deux arrêtés du 17 août 2009 octroyant les deux permis de construire initiaux à l’Earl.


Or, si le tribunal administratif a décidé qu’il n’y avait plus lieu à statuer sur les conclusions à fins d’annulation de ces deux arrêtés ni sur les conclusions à fins d’annulation de la décision implicite de rejet née du silence du maire de la commune sur la demande tendant à leur annulation, il a motivé cette décision comme suit, qui vide de toute efficacité les allégations de l’Earl :

« Considérant que par deux arrêtés n° PC 06056709B0006 et n° PC 06056709B0007en date du 17 août 2009, le maire de Saint-Aubin-en-Bray a autorisé l’Earl F à construire deux bâtiments agricoles destinés à l’élevage de bovins sur un terrain ('); que M. et Mme X ont formé un recours gracieux contre ces arrêtés auprès du maire de Saint-Aubin-en-Bray; qu’il est résulté du silence gardé par celui-ci une décision implicite de rejet qu’ils contestent ('.),

Considérant que par deux arrêtés en date du 16 décembre 2010, postérieurs à l’introduction de l’instance, le maire de Saint-Aubin-en-Bray a, d’une part, retiré les arrêtés contestés n° PC 06056709B0006 et n° PC 06056709B0007 en date du 17 août 2009 et d’autre part, délivré à nouveau des permis de construire à l’Earl F ; que si ces nouveaux permis ont fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal de céans, les décisions portant retrait des permis de construire du 17 août 2009 n’ont pas été critiquées dans le délai de recours contentieux ; qu’elles ont ainsi acquis un caractère définitif et emportent disparition rétroactive de l’ordonnancement juridique des actes contestés ; que cette circonstance prive d’objet le recours formé à l’encontre des permis de construire du 17 août 2009 ainsi qu’à l’encontre du refus implicite du maire de Saint-Aubin-en-Bray de les retirer ».


Ainsi, les deux permis de construire initiaux octroyés par les arrêtés du 17 août 2009 n’existent plus comme ayant été définitivement retirés par les deux deux arrêtés du 16 décembre 2010, qui n’ont pas été contestés sur ce point, et les deux nouveaux permis de construire octroyés par ces deux arrêtés du 16 décembre 2010 n’existent plus davantage comme ayant été définitivement annulés par la décision de la cour administrative d’appel de Douai du 26 juin 2014 et le rejet du pourvoi formé contre cette décision.


En conséquence, les intimés soutiennent justement que l’Earl ne dispose donc plus à ce jour d’aucune autorisation d’urbanisme s’agissant des deux bâtiments litigieux.


Le moyen d’irrecevabilité de l’Earl, fondé sur un moyen inopérant, est donc rejeté.


En deuxième lieu, l’Earl prétend que les dispositions de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la Loi n°2015-990 du 6 août 2015, font obstacle à la demande de démolition dès lors que les intimés n’établissent que les constructions se situent dans l’une des quinze zones numérotées de « a » à « o » de ce texte modifié. Il s’agit d’une loi pénale plus douce qui doit donc être d’application immédiate.


Les intimés répliquent en substance que les dispositions de l’article L. 480-13 issues de la loi du 6 août 2015 ne sont pas applicables au litige en application du principe d’ordre public de non-rétroactivité de la loi prévu par l’article 2 du code civil. Il ne s’agit pas d’une loi de pure forme ni d’une loi pénale plus douce. La demande en démolition par un tiers lésé constitue une réparation civile du préjudice causé par le fait générateur, la construction irrégulière ou illégale d’un bâtiment. En l’absence de mention expresse dans la loi, les dispositions d’une loi nouvelle de fond ne sauraient s’appliquer à une situation juridique antérieure.


Cependant, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, la possibilité d’obtenir la démolition de la construction édifiée conformément à un permis de construire, était subordonnée à l’annulation préalable du permis de construire pour excès de pouvoir et à l’engagement de l’action dans le délai de deux ans suivant la décision devenue définitive de la juridiction administrative.


La loi n°2015-990 du 6 août 2015 a restreint géographiquement l’action en démolition, qui ne peut plus être exercée que dans certaines zones qui font l’objet d’une protection spécifique compte tenu de leur importance pour la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain ou en raison des risques naturels ou technologiques qui y existent. L’article L. 480-13 a depuis été à nouveau modifié à plusieurs reprises, sans remise en cause de cette nouvelle condition.


Il est retenu que dès lors qu’une loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, même lorsque semblable situation fait l’objet d’une instance judiciaire, viole l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la cour d’appel qui, statuant après l’entrée en vigueur de celle-ci, ordonne la démolition d’une construction en statuant sur le fondement de l’article L. 480-13, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 (3e Civ., 23 mars 2017, n° 16-11.081; 3e Civ., 20 décembre 2018, n° 17-20.010)


La démolition de la construction édifiée conformément à un permis de construire et en méconnaissance d’une règle d’urbanisme ou d’une servitude d’utilité publique ne peut donc être ordonnée par le juge judiciaire statuant après l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 que si le permis de construire a été annulé pour excès de pouvoir par une décision du juge administratif, devenue définitive depuis moins de deux ans, et si la construction est située dans l’une des catégories de zones énumérées aux 1° de l’article L. 480-13 (voir également, implicitement : 3e Civ., 11 février 2021, n° 20-13.627).


En l’espèce, les intimés ne démontrent pas que les deux constructions litigieuses se situent dans l’une de ces zones. Dès lors, l’action en démolition fondée sur les dispositions de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme doit être rejetée.


L’action indemnitaire des intimés n’est pas fondée sur ce texte mais sur le fondement des troubles anormaux du voisinage. Il est donc sans intérêt de trancher le débat des parties concernant ses conditions d’application, notamment le fait de savoir si l’Earl est un constructeur, ou encore la prescription prévue par le texte.

2)- sur les demandes des intimés fondées sur la responsabilité pour faute


Les intimés se considèrent également fondés à solliciter la démolition des immeubles litigieux sur le fondement des dispositions de l’ancien article 1382 du code civil (désormais 1240 du même code), ajoutant que la jurisprudence n’effectue pas toujours de distinction entre les deux fondements.


Cependant, il est désormais retenu que seul l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme s’applique à l’action en responsabilité civile tendant à la démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu’elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique. (3e Civ., 21 mars 2019, pourvoi n° 18-13.288).


A l’inverse, ces dispositions ne s’appliquent pas lorsqu’est invoquée la violation des seules règles de droit privé (violation des règles du cahier des charges d’un lotissement, violation d’une servitude de droit privé, telle une servitude de passage; troubles dépassant les inconvénients normaux du voisinage).


Or, en l’espèce, les intimés n’invoquent, hors les troubles anormaux du voisinage, que la violation par l’Earl des règles d’urbanisme sanctionnée par l’annulation de ses deux permis de construire.


Dès lors, doit être rejetée l’action en démolition fondée sur les dispositions de l’article 1382 du code civil.

3)- sur les demandes fondées sur les troubles anormaux de voisinage


Les intimés sollicitent également à titre principal la démolition des immeubles édifiés conformément aux permis de construire annulés par les juridictions administratives, ainsi que l’indemnisation de leurs préjudices, sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.


Le premier juge a reçu et fait droit à leur action sur ce fondement. Il a condamné l’Earl à indemniser leur préjudice. S’agissant des mesures propres à faire cesser les troubles, il a rejeté la demande de démolition et a ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de présenter leurs prétentions et propositions à cet égard.


S’agissant plus précisément du rejet de la demande de démolition, le tribunal a considéré que les troubles étaient sans lien avec les caractéristiques intrinsèques des bâtiments, n’étant pas allégué qu’ils généraient un quelconque préjudice (notamment privation de lumière, d’ensoleillement, empiétement), que les troubles avaient pour unique origine l’utilisation qui en était faite par l’Earl et qu’ils disparaîtraient si leur destination n’était plus celle d’élevage et traite d’animaux en général et de bovins en particulier.
L’Earl conteste l’existence même de troubles anormaux de voisinage. Elle affirme que les intimés évoquent des prétendus préjudices en versant aux débats des attestations de voisins ou encore d’amis « venus leur rendre visite », outre des documents établis par leurs propres soins dépourvus de toute force probante et ne procèdent que par simples allégations sans démontrer la moindre nuisance qu’elle soit sonore ou olfactive. Elle discute les distances alléguées entre les ouvrages des intimés, ou des divers attestants, et ses bâtiments litigieux.


Elle critique le juge de première instance qui n’a pas tiré selon elle les conséquences de ses propres constatations mais s’est contenté de s’approprier l’analyse du juge administratif et n’a pas pris le soin de prendre en considération les éléments qu’elle avait versés. Or, le Juge judiciaire est différent du Juge administratif, ils ne poursuivent pas les mêmes intérêts et sont indépendants l’un de l’autre. Le Juge administratif peut apprécier une atteinte à l’insalubrité publique, mais seul le juge judiciaire peut apprécier un trouble anormal du voisinage.


Elle précise avoir débuté son exploitation agricole, familiale, respectée et reconnue dans la région, depuis 1979. Elle a toujours eu à c’ur d’être vigilante et respectueuse de l’environnement et de ses voisins dans le cadre de son activité.


Elle soutient qu’il est inopérant de viser les dispositions du règlement sanitaire départemental, et notamment son article 153-4 imposant des règles de distance entre les installations et les habitations environnantes, dans la mesure où elle a obtenu une dérogation préfectorale sur les limites de distance, possibilité prévue par l’article 164 de ce règlement.


Elle allègue que lorsque le fils des époux F s’est installé dans la ferme, il était essentiel et nécessaire de mettre aux normes les bâtiments d’exploitation. Le projet de construction litigieux n’a pas conduit à une augmentation « exponentielle » du nombre de bovins mais simplement à une mise en conformité avec la réglementation. En 2012, la Direction Départementale des Territoires de l’Oise a déclaré ses travaux conformes et il a par ailleurs été prévu des mesures compensatoires pour limiter toutes nuisances éventuelles. C’est pourquoi, outre l’absence d’autres possibilités de lieu de construction à envisager, le service des installations classées a émis un avis favorable à sa demande de dérogation. Cette dérogation préfectorale du 16 novembre 2009, jamais contestée, est devenue définitive.


Elle prétend avoir respecté les procédures et les autorisations dérogatoires ou non obtenues auprès de l’administration.


Elle fait valoir qu’elle se situe à Saint-Aubin-en-Bray, en pleine campagne, soit en milieu rural. Les habitants dans des zones plus rurales doivent supporter les conséquences telles que celles émanant d’une activité agricole surtout dans le Pays de Bray. Elle a toujours été attentive à amoindrir au maximum et dans le respect des règles applicables à leur activité, les éventuels bruits et odeurs.


Les voisins, spécialement Mme X membre du conseil municipal, ont été étroitement liés au projet, dès 2004 lors de la constitution du PLU, et tous les habitants ont eu parfaitement connaissance des permis de construire affichés tant en mairie qu’au lieu d’exécution des travaux, et ce depuis le mois d’août 2009.


En substance, les intimés contestent en réponse les divers points de l’argumentation de l’Earl. Ils font leur la motivation du jugement s’agissant de l’existence des troubles (bruits, odeurs et mouches en grand nombre) et de leur caractère excessif mais soutiennent qu’ils doivent justifier la démolition sous astreinte des bâtiments en l’absence de toute autre mesure adaptée propre à les faire cesser. Ils critiquent la motivation du jugement ayant rejeté cette demande, faisant valoir que les bâtiments sont utiles à l’exploitation de l’Earl en sorte qu’il est vain de penser qu’elle puisse les utiliser à d’autres fins que l’élevage. Ils ajoutent que la démolition des deux bâtiments ne ferait que conduire l’Earl à revenir aux conditions d’exploitation agricole qui existaient avant leur construction et dont il n’est pas établi qu’elle était particulièrement difficile. Ils soutiennent que l’Earl a disposé de plusieurs années pour réfléchir et organiser la démolition et le cas échéant le transfert de ses bâtiments litigieux sur une autre partie de ses terres, ou encore pour engager la responsabilité de la commune, mais qu’elle a délibérément préféré gagner du temps et rechercher d’autres voies, notamment la mobilisation d’appuis politiques, pour ne pas avoir à démolir ses bâtiments et échapper à l’application de décisions de justice.


La cour retient en répone à tous ces éléments que, selon un principe général du droit de nature prétorienne, nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Cette théorie est autonome par rapport aux règles de la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle. Elle institue une responsabilité objective, sans faute. Seule la preuve du trouble anormal est nécessaire.


L’action pour trouble anormal de voisinage constitue une action en responsabilité civile extracontractuelle soumise à la prescription de cinq ans prévue à l’article 2224 du Code civil (2e civ., 7 mars 2019, n° 18-10.074). Contrairement à ce que soutient l’Earl, l’action des intimés, engagée par assignation en date du 15 octobre 2014, est donc sur ce fondement recevable, peu important qu’elle a été introduite plus de deux ans après l’achèvement des travaux en date du 12 juillet 2012.


L’existence d’un trouble, d’une nuisance n’est pas suffisante. Il(-elle) doit présenter un caractère excessif au regard des inconvénients normaux du voisinage. La preuve pèse sur le demandeur.


Etant rappelé qu’en aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve (article 146 du code de procédure civile), la demande d’expertise présentée par l’Earl, au surplus défenderesse à l’action, aux fins principales de relever et décrire précisément si d’éventuelles nuisances sonores ou olfactives émanant de son exploitation agricole perturbent les intimés dans leur quotidien et d’en déterminer les causes et origines doit dès lors être rejetée, ce d’autant plus que les pièces versées au débat sont suffisantes pour trancher le débat sur cette question.


L’anormalité du trouble ne repose sur aucune définition précise. Elle suppose, pour être caractérisée, une appréciation in concreto en fonction, notamment, de la destination normale et habituelle du fonds troublé, de la nature de l’environnement, de la situation respective des propriétés ou encore des circonstances de temps et de lieu.


A cet égard, l’Earl demande à la cour de surseoir à statuer dans l’attente du rapport à venir du Gouvernement conformément à l’article 3 de la Loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises. Elle précise que cette loi, d’application immédiate et directe et ne prévoyant pas de mesure réglementaire, introduit dans le Code de l’environnement « les sons et les odeurs » comme caractéristiques des espaces naturels, faisant de ces sons et ces odeurs des éléments du patrimoine commun de la Nation, au côté des paysages, de la qualité de l’air ou des êtres vivants et de la biodiversité. Son article 3 prévoit que dans un délai de six mois à compter de la promulgation la loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport examinant la possibilité d’introduire dans le code civil le principe de la responsabilité de celui qui cause à autrui un trouble anormal de voisinage. Il étudie les critères d’appréciation du caractère anormal de ce trouble, notamment la possibilité de tenir compte de l’environnement.


La demande de sursis à statuer n’est pas recevable, qui, en application des articles 907 et 789 du code de procédure civile, aurait dû être présentée par l’Earl au conseiller de la mise en état (Com., 7 janvier 2014, pourvoi n° 11-24.157). Peu importe son caractère subsidiaire.


Il n’y a pas lieu de l’ordonner d’office. Compte tenu de la nécessaire appréciation in concreto du trouble de voisinage et de son caractère excessif, les pièces versées au débat suffisent à cet égard et conduisent à retenir qu’un tel rapport n’est pas nécessaire pour la résolution du présent litige. Par ailleurs, la cour n’est pas tenue d’attendre avant de statuer une évolution de la législation devant possiblement intervenir sur la base de ce rapport, évolution au demeurant hypothétique tant en son contenu que s’agissant de son délai d’entrée en vigueur.


Sur le fond de l’existence de troubles anormaux de voisinage, il n’appartient pas à la cour, d’une manière générale, de dire si par principe les habitants des zones rurales doivent supporter toutes les conséquences, y compris les plus dommageables, des exploitations agricoles à raison même de ce qu’ils ont fait le choix de résider en zone rurale. Il sera simplement observé que l’existence d’une réglementation spécifique, notamment en termes de distance minimum entre les différents ouvrages agricoles et d’habitation, démontre suffisamment que certains impératifs, notamment de santé ou de salubrité publique, doivent, même en zones rurales, être pris en compte.


La cour doit répondre en droit, selon les éléments concrets de l’espèce. La théorie des troubles anormaux du voisinage, qui s’applique également en zone rurale, enseigne que le propriétaire d’une habitation n’a pas à se voir imposer un niveau excessivement anormal récurrent de pollution sonore et/ou olfactive nuisant à l’exercice normal de son droit de propriété.


Aux termes de l’article 544 du code civil, ce droit est celui de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.


Dans le détail de la réalité des troubles et de leur caractère excessif, la cour fait sienne la motivation du premier juge, laquelle n’est pas utilement remise en cause en cause d’appel par l’Earl.


Le tribunal a justement tenu compte de la nature de l’exploitation agricole et de son changement d’échelle relatif avec les deux constructions litigieuses édifiées à partir de 2010. Le projet n’avait pas seulement pour objet une mise aux normes de l’exploitation mais aussi une augmentation de sa production.


A cet égard, il est observé que ce n’est pas l’exploitation agricole elle-même de l’Earl qui a été mise en cause par les intimés, mais bien les conséquences dommageables nouvelles pour l’usage et la jouissance de leur propriété causées directement par la modification importante de ses conditions d’exploitation résultant de l’augmentation de son cheptel et de la localisation des deux bâtiments litigieux.


Le rapport de la direction départementale des services vétérinaires de l’Oise du 27 mars 2009 établit suffisamment que les animaux, au reste en nombre moins important, étaient stationnés antérieurement dans d’autres bâtiments situés à plus grande distance et qui sont désormais utilisés pour le stockage.


Les deux bâtiments agricoles litigieux sont d’une surface hors 'uvre brute respective de 1 257 et 1 550 m² et d’une hauteur de plus de 8 M.


Selon le rapport de la direction départementale des services vétérinaires de l’Oise du 27 mars 2009, l’exploitation agricole de l’Earl était classée au regard de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement pour un effectif de 55 vaches mixtes, 30 génisses, 40 bovins à l’engraissement et 35 veaux, soit un maximum de 160 bovins. L’effectif projeté sur le site dans le cadre de la construction des deux bâtiments litigieux était de 80 vaches laitières, 70 bovins à l’engraissement, 96 génisses de renouvellement et 15 veaux de 0 à 6 mois, soit 261 bovins (augmentation 63 %).


Ce même rapport du 27 mars 2009 indique que le projet fait état de la construction d’une stabulation en aire paillée intégrale comprenant une partie pour loger l’ensemble des vaches laitières avec un bloc traite et une fosse sous caillebotis et une partie destinée au logement des génisses et des bovins à l’engraissement. La nouvelle stabulation des vaches laitières, des génisses et des bovins à l’engrais devait être située à 21, 29, 34, 36, 43, 44, 47, 49, 63, 65, 69, 70, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 90, 92 et 96 m de vingt-deux habitations tiers cependant que la salle de traite et la laiterie devait être située à 50, 55, 56, 60, 61, 64, 68, 88, 92, 97 et 98 m de onze habitations tiers.


C’est pourquoi la dérogation préfectorale obtenue le 16 novembre 2009 par l’Earl a été nécessaire, un arrêté ministériel du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages notamment de bovins à déclaration au titre du livre V du code de l’environnement prévoyant que les bâtiments et annexes d’élevage soient situés à au moins 100 m de toute habitation occupée par des tiers ou de tout local habituellement occupé par des tiers, des stades ou des terrains de camping agréés ainsi que de toute zone destinée à l’habitation par des documents d’urbanisme opposables aux tiers.


Pour annuler les deux permis de construire, la cour administrative d’appel de Douai a d’abord retenu que les requérants (époux X, époux Y, époux A, Mme B, Mme E et M. D) résidaient à moins de 100 m du projet en litige.


Ce point n’est pas contesté par l’Earl, peu important à cet égard que certains d’entre eux résident à une distance comprise entre 50 et 100 m.


Sur le fond, la cour a notamment considéré « qu’un rapport établi le 27 mars 2009 par l’inspecteur des installations classées a recensé huit immeubles d’habitation à moins de 50 m de ces nouveaux bâtiments, quatorze à une distance allant de 50 à 100 m du hangar de stabilisation et onze à même distance de la salle de traite; que l’Earl a déclaré, le 2 février 2009, dans le document intitulé « notice d’impact’fiches élevage et environnement », que le projet devrait conduire au doublement du volume annuel de déjections solides et d’effluents liquides ; que compte tenu notamment de l’augmentation du troupeau et du rapprochement ainsi que de la proximité immédiate des bâtiments d’élevage des propriétés voisines, les constructions projetées vont nécessairement entraîner un renforcement des nuisances acoustiques et olfactives en résultant ; que, d’ailleurs, le règlement sanitaire du département de l’Oise impose une distance minimale de 50 m entre notamment les élevages bovins et les habitations ; que, dans les circonstances de l’espèce, les permis de construire sont, dès lors, de nature à porter atteinte à la salubrité publique au sens des dispositions précitées du code de l’urbanisme ; que, par suite et alors même que le préfet de l’Oise a autorisé une dérogation de distance à l’Earl au titre de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement, le maire de la commune de Saint-Aubin-en-Bray a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions précitées de l’article R. 111'2 du code de l’urbanisme en accordant les permis de construire en litige à proximité immédiate des propriétés des requérants ».


De fait, indépendamment de cette décision, l’Earl échoue d’une manière générale à convaincre la cour que le stationnement quotidien d’une partie importante de son cheptel bovin de 250 bêtes (selon ses écritures, p.17 ' il s’agit d’une moyenne. Le cheptel a été plus important certaines années comme 2012 et 2013) pour l’engraissement, la traite et/ou la nourriture à quelques dizaines de mètres de propriétés n’est pas de nature à entraîner tendanciellement des pollutions récurrentes supplémentaires sonore et olfactive ou à type d’infestation d’insectes (spécialement lorsque les températures sont clémentes dans ce dernier cas) pour leurs habitants permanents.


La « notice d’impact fiche élevage et environnement » de la préfecture en date du 2 février 2009 donne une certaine idée de l’impact prévisible du projet lié à la construction des deux ouvrages litigieux. Il indique notamment que, s’agissant des déjections solides (fumiers), il était prévu de faire évoluer leur production de 761 t à 1500 t devant toujours être épandue dans les champs. S’agissant des effluents liquides, il était prévu de faire évoluer leur production de 317 m³ à 700 m³ devant être recueillie en fosse puis être épandue. S’agissant du plan d’épandage, le document indique : « moyens utilisés pour réduire les odeurs :…./… », c’est-à-dire aucun moyen.
Le bâtiment accueillant les bovins pour la nourriture et l’engraissement dispose d’une façade complète ouverte sur l’extérieur, ce qui ne permet aucune isolation véritable contre la diffusion des odeurs et du bruit.


Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient l’Earl, le tribunal ne s’est pas borné à s’approprier l’analyse du juge administratif.


Il a notamment pris en compte pour les détailler les constats d’huissier des 11 et 12 avril 2012 et un autre établi sur plusieurs dates échelonnées entre le 18 novembre 2013 et le 2 mai 2014 constatant les mêmes désagréments (odeur de purin, de fumier, bruits d’engins motorisés roulants et de raclements de métal sur le sol, meuglements très perceptibles).


Il a opportunément pris en compte pour les relativiser différentes pièces produites par l’Earl, notamment des lettres de la DDPP de l’Oise de janvier et septembre 2013.


Il s’est encore appuyé sur de multiples attestations rapportant les désagréments allégués par les intimés.


L’Earl discute vainement l’efficacité probatoire des attestations et multiples constats d’huissier, dont un dernier en date des 8 et 19 novembre et 17, 27 et 30 décembre 2019 caractérisant le principe et la récurrence des différents troubles allégués (odeurs nauséabondes, bruits d’animaux et de machines et/ou d’engins, présence envahissante d’insectes) au moyen d’autres attestations ou encore de rapports censés en nier l’existence ou en limiter l’importance.


Les pièces produites par les intimés sont suffisamment éloquentes pour établir la réalité des troubles subis d’une manière récurrente à l’endroit des propriétés des intimés.


Le dommage pour être réparable n’a pas à être permanent ni généralisé à l’échelle de toute une commune. Le fait que certains témoins et rapports administratifs indiquent n’avoir rien constaté, ou rien constaté d’excessif, au lieu de l’exploitation ou à d’autres endroits dans la commune et/ou à d’autres moments (l’Earl verse de nombreuses attestations en ce sens) ne présente donc pas de caractère décisif.


Nombre des attestations produites par l’Earl ne contestent pas l’existence de troubles (odeurs ou bruit) mais assurent de leur absence de caractère excessif (pièces 36, 38, 41, 43). D’autres encore rapportent l’avis de témoins ponctuellement présents dans l’exploitation (pour une visite, des travaux ou autres).


En réalité, les différentes pièces produites de part et d’autre ne s’excluent pas nécessairement.


En effet, ces témoignages de l’Earl ne sont pas de nature à exclure que les intimés (ainsi que leurs différents témoins) puissent pour leur part attester l’existence de ces troubles éprouvés personnellement au sein de leur propriété propre, et ce d’autant qu’ils résident de manière permanente à proximité immédiate des constructions litigieuses (hors les époux X qui ont déménagé en 2017).


La récurrence des nouvelles ou plus amples pollutions sonores et olfactives et/ou infestations d’insectes depuis l’exploitation des deux nouveaux bâtiments participe par ailleurs du caractère excessif, et donc de l’anormalité, des troubles.


Par ailleurs, la discussion des parties relatives à la mesure précise en décibels des bruits générés par les machines ou engins à l’intérieur des bâtiments litigieux ne présente aucun intérêt décisif. D’une part, la pollution sonore concerne également le meuglement des animaux. D’autre part, faute d’opérations de mesure permanente, rien ne permet d’établir que les opérations de mesures ponctuelles réalisées à la demande de l’Earl correspondent certainement au niveau maximum de pollution sonore supporté par le voisinage. Le rapport de M. AC AD est notamment exemplaire de cette insuffisance, qui commence par exclure le principe de limite sonore entre 22H00, les dimanches et jours fériés, soit quasiment les périodes où les résidents ont vocation à être le plus présents chez eux, et propose une analyse réalisée sur une seule opération de mesure, le 12 février 2019 entre 15 et 17H00.


La réalité d’une pollution sonore récurrente n’est pas contestable. L’huissier de justice a constaté le 18 novembre 2013, vers 20h20, que les meuglements de vaches et des bruits de tapage sur du métal étaient perceptibles depuis l’intérieur des habitations des requérants (en l’espèce Mme E et les époux B), fenêtres et portes fermées, alors que toutes les baies dont s’agit sont équipées de double vitrage, l’huissier ayant, vers 20h40, entendu dans les mêmes conditions d’autres bruits de tracteurs qui roulent occasionnant des bruits de raclette de métal sur le sol.


Il en a été de même le 11 décembre 2013 entre 20h10 et 21h15 et encore le 18 février 2014 à 11h05. Un autre huissier de justice a constaté les mêmes conséquences sonores au sein de l’habitation des époux B le 8 novembre 2019 à 20h15 (bruits sourds et continus du moteur d’un engin agricole, meuglement, bruits métalliques, les baies étant équipées de double vitrage et tous les ouvrants étant fermés).


Une telle récurrence n’a rien d’étonnante dès lors qu’elle est pour l’essentiel la conséquence de la présence régulière des animaux eux-mêmes et de l’emploi des outils et engins utilisés pour leur entretien, l’ensemble constant depuis l’achèvement des bâtiments en 2012.


Enfin, si la commune de Saint-Aubin-en-Bray n’est pas une métropole urbaine, il n’en reste pas moins que les propriétés respectives des parties, à usage d’habitation, ne sont pas perdues et isolées en pleine campagne mais sont situées en zone UA du PLU (zone urbaine ancienne d’habitat et de services). Le tribunal a, d’une manière pertinente, tenu compte de cette localisation des bâtiments agricoles en zone urbaine du village et correspondant au noyau ancien de la commune au sein de laquelle sont en principe interdites les constructions et installations dont la présence est incompatible avec la vie de quartier en raison des nuisances occasionnées notamment par le bruit et les émanations d’odeur ou de poussière.


Il est ajouté que la zone UA comprend également quelques commerces et accueille des équipements publics (mairie, église, école).


Il s’est appuyé, de manière tout aussi pertinente, sur les photographies produites aux débats confirmant la proximité des constructions en litige par rapport aux propriétés des intimés.


Or, au-delà de la notable évolution des capacités de production de l’exploitation agricole en volume, il faut également tenir compte du rapprochement des ouvrages agricoles litigieux à proximité des propriétés des intimés réservées à l’habitation permanente.


Dans la globalité de tous ces éléments cumulés, il a donc légitiment considéré qu’était établi pour ces derniers un trouble excessif à la jouissance normale de leur propriété.


Enfin, l’auteur du trouble ne peut pas s’exonérer en prouvant son absence de faute. Le seul fait de l’anormalité du trouble de voisinage oblige par principe à le réparer et à le faire cesser.


Il s’ensuit, d’une part, que toute les allégations de l’Earl en rapport avec la légalité ou la régularité de ses constructions au regard des règles d’urbanisme ou des décisions administratives, au demeurant non totalement fondées compte tenu des énonciations précédentes relatives à l’annulation des permis de construire, sont inopérantes.
Ne sont pas davantage opérants la bonne tenue d’entretien de l’exploitation (nombreuses pièces en ce sens), le prétendu respect des procédures et autorisations dérogatoires ou non obtenues auprès de l’administration, et les efforts déployés en ce sens, son « souci de bien faire », ou encore la prétendue conformité de son exploitation avec telle ou telle norme sanitaire.


D’autre part, il importe peu que les conditions précitées de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme ne soient pas réunies dès lors notamment que celles des troubles anormaux de voisinage le sont (3e Civ., 10 mars 1993, pourvoi n° 90-19.405; 3e Civ., 20 juillet 1994, pourvoi n° 92-21.801).


De même, en l’état des éléments qui précèdent démontrant l’impact évident des nouveaux aménagements entrepris à compter de 2010, outre les motifs exprimés par le tribunal, l’Earl ne peut mettre en avant l’antériorité de son activité pour s’exonérer.


En conséquence, le jugement est confirmé s’agissant de l’existence des troubles anormaux du voisinage liés au type d’utilisation des deux bâtiments litigieux.


En l’état des pièces versées au débat, les intimés échouent à l’inverse à établir que la seule édification des deux bâtiments (localisation, caractéristiques) constitue un trouble anormal de voisinage en ce qu’ils ne démontrent pas notamment que leur seule présence diminue d’une manière excessive l’usage ou la jouissance de leur propriété (s’agissant notamment de la perte de luminosité).


Ainsi, Mme E et les époux B procèdent par allégations en soutenant que la perte de leur haie de végétaux situés en limite de propriété avec la parcelle de l’Earl est en lien direct avec la présence des bâtiments litigieux et la perte d’ensoleillement consécutive.

4)- sur la réparation des troubles anormaux du voisinage liés au type d’utilisation des deux bâtiments litigieux.


La réparation du trouble se rattache aux principes de droit commun et le juge apprécie souverainement la mesure propre à assurer cette réparation.

4-a)- sur les mesures propres à le faire cesser pour l’avenir


La question de la démolition des deux bâtiments litigieux, mesure sollicitée par les intimés, se pose très sérieusement. Au-delà de son effet propre à faire effectivement cesser les troubles pour l’avenir, cette issue est d’autant plus logiquement envisageable que l’Earl, depuis l’origine, s’arcboute sur une ligne d’opposition aux prétentions des intimés inopérante sans proposer, même à titre subsidiaire, des solutions techniques alternatives.


Pour autant, d’une part, ce n’est pas la démolition des ouvrages qui doit nécessairement être obtenue mais la cessation pour l’avenir des troubles excessifs. Indépendamment des enjeux, notamment économiques, en présence, la démolition des bâtiments ne doit être ordonnée que sur la démonstration de l’absence de toute autre solution technique raisonnable appropriée. Or, cette preuve certaine n’est pas en l’état rapportée.


A cet égard, le fait que l’Earl n’a pas spontanément proposé de solutions techniques alternatives ne peut conduire à retenir d’emblée qu’elles n’existent nécessairement pas. La cour ne sait rien d’un possible règlement de la difficulté par une fermeture et une meilleure isolation des bâtiments, une gestion plus adaptée des flux d’air et de liquides, une évolution technique des stabulations, des moyens mécaniques mobiles et/ou de la salle de traite vers des systèmes moins bruyants ou autre.


Enfin, à considérer pour l’hypothèse par ailleurs contestée que l’un des ouvrages de l’Earl soit à l’origine de dégâts des eaux subis par la propriété de Mme E à l’occasion de fortes pluies le 26 juillet 2016 et en mars 2017, les intimés échouent totalement à établir que la démolition de l’ouvrage concerné constitue la seule option technique disponible pour permettre de manière durable la disparition de ces conséquences dommageables.


En ordonnant la réouverture des débats afin de permettre aux parties de présenter leurs prétentions et propositions relatives aux mesures de nature à faire cesser le trouble anormal du voisinage, le tribunal en a justement tiré les conséquences, sauf toutefois en ce que la demande de démolition a été d’emblée rejetée.


En effet, en l’absence de solutions techniques alternatives adaptées, celle-ci devra s’imposer comme constituant la seule mesure propre à faire cesser les troubles anormaux. La demande de démolition doit donc être simplement réservée et non d’emblée rejetée.


Il y a donc lieu de confirmer le jugement dans cette limite.


Afin de respecter le droit des parties au double de degré de juridiction, il n’y a pas lieu d’évoquer mais de renvoyer les parties devant le premier juge sur cette question.


Pour prévenir toute tentation dilatoire, l’Earl devra produire ses propositions à la discussion contradictoire des parties devant le tribunal dans les trois mois de la signification du présent arrêt.


Les demandes de délais et d’astreinte en lien avec la demande démolition sont donc à ce stade sans objet. Il en est de même de la demande d’expertise des intimés liée à l’évaluation de la dévaluation de leur bien immobilier. Cette question ne devra être posée que si les bâtiments ne sont finalement pas démolis.

4-b)-sur la réparation des préjudices établis


A cet égard également, le jugement entrepris mérite, sauf sur certains points, d’être confirmé.


Le premier juge a justement écarté le moyen tiré des dispositions de l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation (désormais L.113-8 du même code). L’Earl ne peut valablement opposer l’antériorité de son activité et soutient vainement que celle-ci s’exerce en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur (notamment sur la règle des distances fixées par le RSD) et que, postérieurement à la construction des deux ouvrages litigieux (elle-même postérieure à l’arrivée des intimés), elle s’est poursuivie dans les mêmes conditions.


Les intimés critiquent pour leur part le jugement en ce qu’il a retenu, à défaut d’éléments plus explicites, que le point de départ du trouble devait être fixé au 11 avril 2012, date de l’établissement du premier procès-verbal de constat d’huissier en relevant existence. Ils soutiennent que les travaux ayant débuté dès l’octroi du permis de construire, les troubles de voisinage doivent être pris en compte dès le mois de janvier 2011 et que le trouble existe depuis la construction des bâtiments, leurs démarches engagées en témoignant. Cependant, les troubles anormaux du voisinage retenus (odeurs, bruits, infestations d’insectes) sont liés à l’exploitation des deux bâtiments litigieux. Or, ces bâtiments n’ont pu être opérationnels avant ou pendant leur construction, peu important les démarches entreprises par les intimés pendant cette période. En l’état des pièces versées aux débats, la période retenue est pertinente.


De même, encore, les intimés critiquent vainement le jugement ayant modulé le montant de l’indemnisation allouée en fonction de leur situation géographique. La distance influence sur le principe la perception des odeurs mais surtout des bruits.


Le premier juge a enfin régulièrement détaillé et justifié le calcul des indemnités mais les bases financières retenues sont excessives dans la mesure où, s’agissant spécialement de la pollution olfactive, le préjudice, qui n’est pas permanent, est principalement limité aux zones extérieures des propriétés concernées. Notamment pendant la période hivernale, les conséquences en terme d’atteinte à la jouissance des propriétés, notamment des jardins, sont de fait plus limitées.


Il est plus justifié de retenir les bases de 200 € au lieu de 300 € (Mme E, époux B), 150 € au lieu de 250 € (M. D, M. Y et époux X) et 100 € au lieu de 200 € (époux A).


Enfin, la question du sort final des ouvrages étant en suspens et discutée devant le premier juge, le préjudice doit être à ce stade liquidé au jour de l’arrêt, la demande pour la période postérieure étant à présenter devant le premier juge en fonction des modalités de la solution qui sera le cas échéant retenue.


Ainsi, l’Earl doit être condamnée à payer, sur une base de 118 mois (sauf la base de 18 mois pour les époux X) :


- à Mme R E, la somme de 23 600 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- aux époux B, la somme de 23 600 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- à M. J D, la somme de 17 700 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- à M. L Y, la somme de 17 700 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- aux époux X, la somme de 2 700 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- aux époux A, la somme de 11 800 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


Les époux X ne contredisent pas utilement en cause d’appel la motivation du premier juge ayant considéré qu’ils ne démontraient pas que leur déménagement à Beauvais a été causé par les présents troubles du voisinage retenus. Ils procèdent par allégations sur ce point. Toutes leurs demandes financières en lien avec cette affirmation non retenue ont donc été justement rejetées.


Enfin, le préjudice moral des intimés a été justement retenu et évalué.


La demande de délais de paiement a été justement prise en compte. Une part de bonne foi doit être retenue au bénéfice de l’Earl, laquelle avait initialement bénéficié des autorisations pour construire les deux bâtiments litigieux. Par ailleurs, quelle qu’en soit la modalité finalement retenue, la solution technique mise en 'uvre pour faire cesser à l’avenir les troubles anormaux lui imposera un investissement conséquent. En limitant à dix mois la période d’aménagement, le tribunal a pertinemment équilibré les intérêts en présence.

5)- sur les demandes annexes


L’Earl est condamnée aux dépens de l’instance d’appel, lesquels sont strictement détaillés par l’article 695 du code de procédure civile. Maître AB, avocat, pourra recouvrer ceux dont il a fait l’avance dans les conditions prévues par les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.


Elle est également condamnée à payer aux époux X unis d’intérêts d’une part, M. L Y de deuxième part, M. J D de troisième part, les époux A unis d’intérêts de quatrième part, les époux B unis d’intérêts de cinquième part et Mme R E de dernière part la somme de 1 500 € chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,


LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par sa mise à disposition au greffe, après débats publics, en dernier ressort,


Confirme le jugement, sauf en ce qu’il a :


- condamné l’Earl F à payer les sommes suivantes :


- à Mme R E, la somme de 21 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- aux époux B, la somme de 21 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- à M. J D, la somme de 17 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- à M. L Y, la somme de 17 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- aux époux X, la somme de 4 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- aux époux A, la somme de 14 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage,


- débouté les époux X, M. L Y, M. J D, les époux A, les époux B, et Mme R E de leur demande de démolition des constructions édifiées sur le fondement des permis de construire n° PC06056709B0006 et n° PC06056709B0007 ultérieurement retirés et/ou annulés,


Statuant à nouveau et y ajoutant,


Réserve la demande de démolition des constructions édifiées sur le fondement des permis de construire n°PCo6o567o9B0006 et n°PCo6o567o9B0007 ultérieurement retirés et/ou annulés dans l’attente du règlement de la discussion relative à l’existence de solutions techniques alternatives, ainsi que les demandes de délais et d’astreinte en lien avec ces démolitions,


Fait injonction à l’Earl F de produire devant le tribunal et communiquer aux intimés ses propositions de solutions techniques alternatives dans un délai de trois mois à compter de la signification de l’arrêt,


Condamne l’Earl F à payer les sommes suivantes :


- à Mme R E, la somme de 23 600 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage arrêté au jour de l’arrêt,


- à M. P B et Mme C-U B, la somme de 23 600 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage arrêté au jour de l’arrêt,


- à M. J D, la somme de 17 700 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage arrêté au jour de l’arrêt,


- à M. L Y, la somme de 17 700 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage arrêté au jour de l’arrêt,


- à M. G X et Mme I X, la somme de 2 700 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage arrêté au jour de l’arrêt,


- à M. Z A et Mme O A, la somme de 11 800 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage arrêté au jour de l’arrêt,


Condamne l’Earl F aux dépens de l’instance d’appel, tels que limitativement détaillés par l’article 695 du code de procédure civile, Maître AB, avocat, bénéficiant du droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,


Condamne l’Earl F à payer à M. G X et Mme I X unis d’intérêts d’une part, M. L Y de deuxième part, M. J D de troisième part, M. Z A et Mme O A unis d’intérêts de quatrième part, M. P B et Mme C-U B unis d’intérêts de cinquième part et Mme R E de dernière part la somme de 1 500 € chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.


LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 8 mars 2022, n° 18/04143