Cour d'appel d'Angers, Chambre a - civile, 26 octobre 2021, n° 18/02112

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

D’ANGERS

CHAMBRE A – CIVILE

KR/IM

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 18/02112 – N° Portalis DBVP-V-B7C-EMVJ

Jugement du 10 Septembre 2018

Tribunal de Grande Instance de LAVAL

n° d’inscription au RG de première instance 16/00535

ARRET DU 26 OCTOBRE 2021

APPELANTE :

S.A.S. LA LICORNE

[…]

[…]

Représentée par Me Philippe RANGE, avocat postulant au barreau d’ANGERS N° du dossier 13900118, et Me Sarah PAQUET, avocat plaidant au barreau de STRASBOURG

INTIMES :

Madame C X

née le […] à […]

[…]

[…]

Monsieur E X

né le […] à […]

[…]

[…]

Représentés par Me Anita LECOMTE, avocat postulant au barreau de LAVAL, et Me Denis DELCOURT-POUDENX, avocat plaidant au barreau de PARIS

Maître N M-J

né le […] à […]

[…]

53600 A

S.C.P. N M-J ET O K, F G

[…]

53600 A

Représentées par Me Claire PENARD de la SCP PENARD CLAIRE, avocat au barreau de LAVAL

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 14 Septembre 2021 à 14 H 00, Madame REUFLET, Conseiller, ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la Cour composée de :

Madame ROUSTEAU, Président de chambre

Madame MULLER, Conseiller

Madame REUFLET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame LEVEUF

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 26 octobre 2021 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MULLER, Conseiller en remplacement de Sylvie ROUSTEAU, Président de chambre, empêchée et par Christine LEVEUF, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

[…]

Exposé du litige

M. E X et son épouse Mme C Z (les époux X) ont confié à la société SAS La Licorne, agence immobilière, plusieurs mandats de vente non exclusifs de leur maison située au lieu-dit Le Petit Millière à Saint-Christophe du Luat (53), le premier daté du 5 septembre 2008, le dernier daté du 17 février 2014 prévoyant un prix de 320 000 euros hors frais d’agence et comportant une clause 'séquestre’ d’un montant maximum de 10% du prix total de vente.

Après une offre d’acquisition à hauteur de 310 000 euros net vendeur de M. H Y acceptée par les époux X, une promesse synallagmatique de vente a été régularisée les 19 et 20 mars 2015, aux termes de laquelle il était convenu que l’acte authentique serait établi le 29 mai 2015 sur convocation du notaire désigné, en l’occurrence Maître N M-J intervenant pour le compte des vendeurs, et prévoyant une clause pénale de 10% du prix net vendeur, plus les frais d’agence en cas de refus de réaliser la vente de l’une ou l’autre partie.

M. Y ne s’est présenté ni à la date initialement fixée pour la vente ni à la date à laquelle il avait été sommé de se présenter par le notaire, invoquant un problème de virement à résoudre avant de pouvoir conclure la vente.

Par acte d’huissier du 19 juin 2015, les époux X ont adressé à M. Y une sommation de se rendre à l’étude notariale pour la signature de l’acquisition de leur propriété, et de faire établir par sa banque un virement d’un montant de 340 300 euros (frais d’achat et commission d’agence) au moins 3 jours avant la date de signature, laquelle est demeurée vaine. Un procès-verbal de carence a été dressé le 29 juin 2015.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 juin 2015, réceptionnée le 17 juillet 2015, la SAS La Licorne, rappelant à M. Y que le compromis de vente du 20 mars 2015 ne comportait pas de condition suspensive d’obtention de prêt et qu’il avait bénéficié d’un délai de rétractation, a sollicité de sa part des explications.

Par lettres recommandées avec accusé de réception de leur conseil du 20 octobre 2015, les époux X ont mis en demeure la SAS La Licorne et Maître N M-J de les indemniser de divers préjudices par l’allocation des sommes de 31 000 euros au titre de la somme non séquestrée, outre intérêts au taux légal, et 10 000 euros au titre du préjudice moral subi, et de leur rembourser les frais de location exposés pour libérer les lieux dans le délai qui avait été convenu.

Par actes d’huissier du 7 décembre 2016, les époux X ont fait assigner la SAS La Licorne, la SCP M J K et Maître N M-J, devant le tribunal de grande instance de Laval, aux fins de voir reconnaître leur responsabilité professionnelle pour n’avoir pas organisé de garantie à leur profit, en ne vérifiant pas la solvabilité de l’acquéreur et en n’exigeant pas la constitution préalable d’un séquestre, et sollicité leur condamnation à des dommages et intérêts.

Par jugement du 10 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Laval a :

— mis hors de cause la SCP M J K et Maître M-J,

— rejeté l’ensemble des demandes formulées contre la SCP M J K et Maître M-J,

— condamné la SAS La Licorne à payer aux époux X les sommes de :

* 31 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de garantie de percevoir le montant de la clause pénale,

* 10 445,31 euros au titre des frais de déménagement,

* 5 000 euros au titre du préjudice moral,

— condamné la SAS La Licorne à payer aux époux X la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné les époux X à payer à la SCP M J K et Maître M-J conjointement la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné aux dépens la SAS La Licorne d’une part à hauteur de 75% et M. E X et Mme I Z épouse X d’autre part à hauteur de 25%,

— ordonné l’exécution provisoire.

Pour mettre hors de cause Maître M-J et la SCP M-J K, le tribunal a retenu que le notaire instrumentaire avait, conformément à ses obligations, préparé un acte conforme à la promesse synallagmatique de vente signée sans son assistance, et mis en oeuvre les moyens nécessaires pour en assurer la signature (convocation et sommation de se présenter à l’étude adressées à l’acquéreur, prise d’attache avec le notaire de celui-ci).

Pour retenir la responsabilité de la SAS La Licorne, il a jugé qu’elle avait manqué à son devoir de renseignement et de conseil, ainsi qu’à son obligation de s’assurer de la solvabilité apparente de l’acquéreur et du sérieux de son offre. Il a estimé qu’en omettant de remplir la clause de séquestre dans l’acte proposé à la signature de l’acquéreur, elle n’avait que partiellement rempli son obligation tirée des articles 1991 et suivants du code civil d’accomplir son mandat et son obligation de conseil, sans qu’il puisse être reproché aux époux X, non professionnels, de n’avoir pas perçu la portée moindre d’un acte prévoyant uniquement la clause pénale et de l’avoir signé sans émettre d’observations.

Observant que l’action des vendeurs contre l’agent immobilier du fait de ses fautes personnelles n’est pas subsidiaire à celle contre l’acquéreur défaillant, de sorte qu’il importait peu que les demandeurs n’aient pas poursuivi M. Y, il a jugé que les époux X étaient en droit d’obtenir de l’agence immobilière une indemnisation équivalente au montant de la clause pénale dès lors que l’absence de clause de séquestre dans la promesse de vente leur avait fait perdre la garantie de percevoir ce montant, ainsi que 90% des frais engagés pour leur déménagement, la location d’un nouveau logement et leur retour dans leur maison, correspondant à une perte de chance quasi-certaine de ne pas engager de tels frais si la clause de séquestre avait été insérée dans la promesse de vente, et à la réparation de leur préjudice moral né de la forte déception de l’échec de la transaction et des tracas liés à la nécessité de déménager à deux reprises.

Par déclaration du 18 octobre 2018, la SAS La Licorne a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions ; intimant M. E X et Mme C X née Z, et la SCP M J K et Maître N M-J.

Les époux X ont constitué avocat le 6 novembre 2018 et formé appel incident.

Maître N M-J et la SCP N M-J et L K ont constitué avocat le 16 novembre 2018.

Les parties ont conclu.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 août 2021.

***

Prétentions et moyens des parties

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement :

— du 17 avril 2019 pour la SAS La Licorne,

— du 21 mai 2019 pour les époux X,

— du 22 juillet 2019 pour la SCP M J K et Maître N M-J,

qui peuvent se résumer comme suit.

La SAS La Licorne demande à la cour, au vu des articles 1147 et 1315 anciens du code civil, et de la jurisprudence établie de :

— déclarer son appel recevable et bien fondé,

— infirmer en tous points le jugement entrepris,

— débouter M. X et Mme X de l’ensemble de leurs fins, moyens et prétentions,

— condamner M. X et Mme X à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner in solidum M. X et Mme X aux entiers frais et dépens d’appel, dont distraction au profit de la SELARL Lexcap (Maître Philippe Rangé), conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, la SAS La Licorne conteste l’engagement de sa responsabilité contractuelle.

D’abord, elle estime que l’absence de vérification de la solvabilité de l’acquéreur ne peut lui être reprochée alors qu’elle a accompli des diligences en ce sens. Elle fait valoir que l’agent immobilier, tenu dans le cadre de son devoir de conseil et d’information d’une obligation de vérifier, autant que possible, la solvabilité apparente d’un acheteur, d’obtenir donc des éléments sur sa capacité financière à contracter lui paraissant satisfaisants, n’est toutefois pas astreint de se livrer à une enquête approfondie et n’a notamment pas à procéder à des vérifications bancaires qu’il n’est pas habilité à effectuer. Elle affirme que cette obligation de moyens s’apprécie selon la Cour de cassation en fonction des circonstances de la cause et qu’en l’espèce, les époux X ne démontrent pas que M. Y manifestait un comportement anormal ni qu’il était insolvable nonobstant l’inexécution de ses obligations contractuelles dont la raison demeure inconnue. Elle prétend que lors de la signature du compromis, au vu des informations qu’elle a pu recueillir et qu’elle a communiquées aux époux X, M. Y ne se trouvait pas dans une situation d’insolvabilité notoire ou certaine et jouissait d’une bonne réputation en tant que sexologue et professeur d’hypnose médicale, de telle sorte qu’il n’existait aucun indice apparent susceptible de créer un doute sérieux quant à sa solvabilité. Elle soutient que ce n’est qu’après enquête de maires qui se sont faits eux-mêmes duper que la véritable personnalité de M. Y a été révélée et ajoute que la présence de M. Y devant le notaire n’aurait pas garanti l’aboutissement de la vente.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que l’absence de séquestre ne s’analyse pas en un manquement à une obligation née du mandat de vente puisque la clause pénale qu’il contient, s’élevant en réalité à la somme de 9 900 euros correspondant à sa rémunération, ne sanctionne que les manquements constatés dans les rapports mandant-mandataire.

Ensuite, l’appelante prétend que le grief des époux X reposant sur une absence de constitution de séquestre n’est pas fondé. Elle fait remarquer que la clause inhérente au séquestre ne figure pas, aux termes du mandat, dans les obligations du mandataire. Elle estime que les époux X ne peuvent rien lui reprocher puisqu’ils n’ont pas entendu eux-même solliciter le versement d’un séquestre lors de la signature du compromis, observant que la clause du compromis de vente relative au versement d’un séquestre par l’acquéreur n’a pas été complétée par les parties.

Enfin, la SAS La Licorne affirme qu’elle n’était pas tenue d’obliger ou de conseiller l’instauration d’une condition suspensive d’octroi de prêt, M. Y ayant choisi de ne pas recourir à un financement bancaire et les époux X, pressés de vendre leur bien, ayant accepté le principe d’une vente au comptant.

Par ailleurs, elle se prévaut avoir relancé notamment téléphoniquement M. Y à de nombreuses reprises, s’être rendue à son domicile, lui avoir adressé une vaine mise en demeure le 29 juin 2015.

A titre subsidiaire, la SAS La Licorne conclut au rejet de la demande indemnitaire des époux X au titre d’un préjudice économique, estimant que si la vente avait abouti ils auraient nécessairement dû exposer des frais de déménagement et se reloger. Elle constate que le compromis de vente prévoyait expressément que le bien vendu était libre de toute occupation, en déduisant que les vendeurs savaient qu’ils devraient rapidement le libérer si la vente aboutissait. A titre infiniment subsidiaire, elle prétend que ce poste de préjudice ne peut s’analyser que comme une perte de chance de ne pas avoir eu à supporter des frais importants et en urgence, mais que le pourcentage retenu à cet égard par le premier juge est excessif et doit être réduit.

Elle soutient qu’elle ne peut être condamnée au paiement d’une somme de 31 000 euros qui aurait prétendument due être séquestrée, alors que les vendeurs ont signé le compromis de vente en parfaite connaissance de cause, sans renseigner la clause de séquestre type y figurant. Elle conteste le montant réclamé considérant qu’il n’est pas établi que si un acompte avait été demandé et accepté par l’acheteur, il aurait été d’un tel montant. Notant que le bien a depuis été remis en vente au prix de 270 000 euros, elle affirme que les époux X ne peuvent solliciter des dommages et intérêts supérieurs à la clause pénale qui s’appliquerait au regard du prix réel de leur bien. Elle fait valoir que seul l’acheteur défaillant est lié par la clause pénale. Elle considère qu’en l’absence de poursuites contre M. Y, les époux X ne peuvent invoquer une impossibilité pour eux de recouvrer l’intégralité du montant de cette clause et a fortiori d’établir sa part de responsabilité dans le préjudice qui en découlerait, qu’en conséquence, le montant des dommages et intérêts ne peut équivaloir à la totalité de ladite clause.

Elle soutient en dernier lieu que les époux X ne prouve pas le préjudice moral qu’ils allèguent et que, notamment, l’angoisse qu’ils disent avoir éprouvée ne résulte que du seul comportement de M. Y qui a dupé les autres parties et engagé sa responsabilité délictuelle.

Les époux X demandent à la cour, au vu des articles 1240 (ancien 1382), 1991 et suivants du code civil, de la loi du 2 janvier 1970, des pièces versées aux débats, de :

— confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Laval du 10 septembre 2018 en ce qu’il a :

* condamné la SAS La Licorne à leur payer les sommes de :

o) 31 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de garantie de percevoir le montant de la clause pénale,

o) 10 445,31 euros au titre des frais de déménagement,

o) 5 000 euros au titre du préjudice moral,

*condamné la SAS La Licorne à leur payer la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné aux dépens la SAS La Licorne à hauteur de 75%,

— infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Laval du 10 septembre 2018 en ce qu’il a :

* mis hors de cause la SCP M J K et Maître M-J,

* rejeté l’ensemble des demandes formulées contre la SCP M J K et Maître M-J,

* condamné aux dépens M. E X et Mme C Z épouse X à hauteur de 25%,

* limité les quantum alloués aux époux X au titre des frais de location et de déménagement engagés et au titre du préjudice moral subi,

en tant que de besoin, y rejugeant,

— dire et juger leur demande recevable et bien fondée,

— dire et juger que l’agence immobilière La Licorne, Maître M J et la SCP M J K ont engagé, solidairement, leur responsabilité civile professionnelle envers eux en n’organisant pas de garantie à leur profit, en ne vérifiant pas la solvabilité de l’acquéreur et en n’exigeant pas la constitution préalable d’un séquestre,

en conséquence,

— condamner in solidum l’agence immobilière La Licorne, Maître M J et la SCP M J K à leur verser chacun :

* la somme de 31 000 euros en réparation du préjudice subi, assorti des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande,

* la somme de 11 605,90 euros correspondant aux frais de location et de déménagement engagés,

en tout état de cause,

* la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

* la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

* ainsi qu’aux entiers dépens,

— débouter l’agence immobilière La Licorne, Maître M-J et la SCP M J K de toutes leurs prétentions, fins et conclusions.

Les époux X soutiennent que la responsabilité de la SAS Licorne est engagée, dès lors qu’elle a, en violation des termes de son mandat, manqué par imprudence à ses obligations de renseignement et de conseil, à raison de plusieurs griefs qu’ils invoquent :

— pour ne pas du tout avoir vérifié la solvabilité de l’acquéreur. Ils affirment que l’agent immobilier devait a minima s’assurer que M. Y disposait de manière effective des fonds nécessaires à la conclusion de la vente, compte tenu du comportement atypique et suspect de l’intéressé, en raison de sa précipitation pour emménager le jour même de la date prévue pour la signature de l’acte authentique et de sa renonciation à contracter un prêt bancaire pour financer l’opération. Ils indiquent que la SAS La Licorne aurait dû facilement déceler le manque de sérieux de l’offre de ce dernier et qu’elle ne justifie d’aucune vérification réelle et sérieuse à ce titre, constatant qu’elle s’est bornée à recueillir quelques informations librement accessibles sur internet, sans lien avec la question de la solvabilité ou de l’état de la situation financière de M. Y. Ils constatent, de surcroît, que les

recherches de l’agence immobilière ne sont datées que de novembre 2015.

— pour violation de son obligation de conseil, pour s’être abstenue, dans ce contexte particulier et afin de les préserver du risque de défaut de paiement du candidat acquéreur, d’exiger de M. Y une garantie, et a minima, la consignation du séquestre de 10% prévu au mandat de vente, et avoir omis, alors qu’ils étaient des mandants âgés et inexpérimentés, de leur conseiller de ne pas s’engager dans l’opération en l’absence de solides garanties sur la solvabilité de l’acquéreur et d’acceptation par ce dernier de la consignation prévue au mandat. Ils considèrent que la SAS La Licorne aurait pu prévoir au contrat une condition suspensive d’obtention d’un prêt.

Ils font valoir qu’une action contre M. Y tendant à voir ordonner la réalisation forcée de la vente, ou son caractère inopportun, ne constituait pas un préalable obligatoire à la mise en cause de la responsabilité de l’agence immobilière qui a sa propre responsabilité dans l’échec de la vente.

Ensuite, sur leur appel incident, les époux X considèrent que la responsabilité délictuelle de Maître M-J est engagée.

Ils affirment que la notaire a été négligente dans la rédaction de l’acte, qu’elle a manqué à son obligation d’information, conseil, loyauté et mise en garde qui impliquait qu’elle mette tout en oeuvre pour assurer l’efficacité de l’acte qu’elle rédige ou auquel elle donne son concours, qu’elle n’a pas mis à profit le délai écoulé entre le compromis de vente et l’acte authentique pour effectuer les recherches et vérifications minimales permettant de les renseigner, estimant qu’elle n’était pas dispensée d’une telle obligation du fait de l’intervention du notaire de l’acquéreur.

Les époux X soutiennent que Maître M-J se devait de les informer, d’une part de la spécificité de la promesse synallagmatique de vente qui ne prévoyait pas de recours à un prêt bancaire et de la nécessité préalable de s’assurer de la solvabilité de l’acquéreur, d’autre part de l’absence de constitution de séquestre dans cette promesse en contradiction avec les termes du mandat de la SAS La Licorne. Ils estiment qu’elle aurait dû les éclairer sur les risques inhérents à la vente et leur conseiller de prévoir une condition suspensive d’obtention d’un prêt, sachant qu’ils étaient âgés et n’étaient pas professionnels avisés.

Ils constatent que les échanges entre Maître M-J et le notaire de M. Y en juin 2015 démontrent qu’elle n’avait jamais abordé précédemment la question de la provenance des fonds de l’acquéreur. Ils notent que Maître M-J a indiqué avoir rencontré M. Y en son étude, estimant ainsi établi qu’elle le connaissait. Ils observent que bien qu’ayant des doutes sur la fiabilité de l’opération se révélant suspecte, elle n’a pas poursuivi ses investigations, et ne les a pas alertés, ni ne leur a prodigué des conseils, alors que si leur attention avait été attirée sur des difficultés prévisibles, ils auraient pu soupçonner la défaillance probable de l’acquéreur et renoncer purement et simplement à poursuivre l’opération, ou encore exiger la mise en place de garanties efficaces ; qu’en tout état de cause, ils n’auraient pas déménagé aussi rapidement ni exposé les frais G.

Ils estiment que les fautes conjointes de la SAS La Licorne et de Maître M-J qu’ils invoquent doivent obliger celles-ci à réparation, sollicitant leur condamnation in solidum à les indemniser :

— d’un préjudice économique constitué par les frais de location et de déménagement engagés, pour permettre à M. Y d’emménager le jour de la signature de l’acte authentique. Rappelant qu’ils sont très âgés, ils indiquent qu’ils ont dû déménager à Bergerac, faute de trouver un appartement dans la même commune que la maison, puis ont dû réintégrer leur bien après l’échec de la transaction. S’ils approuvent le tribunal dans son appréciation de ce préjudice et sollicitent la confirmation du jugement, ils demandent aussi à titre subsidiaire la somme supérieure de 11 605,90 euros pour ce préjudice ;

— d’une somme de 31 000 euros, soutenant qu’ils n’ont pu obtenir cette somme qui n’a pas été séquestrée alors qu’elle constituait en toute hypothèse un dédit que la SAS La Licorne devait prévoir et que le notaire devait conseiller, et qui leur était acquise à la suite de la défaillance de M. Y ; qu’une telle somme est due, à tout le moins, compte tenu du défaut de conseil sur l’opportunité de l’opération, du fait de l’immobilisation du bien générée. Ils soutiennent que la clause pénale devrait s’appliquer du seul fait de l’inexécution de ses obligations par l’acquéreur, que leur préjudice est constitué par les conséquences économiques de la non-réalisation de la vente, et donc par la perte du bénéfice de la clause pénale ;

— d’un préjudice moral causé par les négligences de l’agence immobilière et du notaire, à savoir la déception de ne pas avoir pu réaliser une opération particulièrement importante pour eux et qu’ils projetaient depuis des mois, des désagréments et tracas suscités, de la crainte de ne pas libérer les lieux dans les délais et de ne pas trouver un appartement à louer, alors qu’ils sont âgés et de santé fragile. Ils estiment à titre incident que l’indemnisation de ce préjudice doit être portée à 20 000 euros.

Maître N M-J et la SCP N M J O K demandent à la cour de :

— confirmer le jugement entrepris,

— en conséquence, débouter les époux X de l’intégralité de leurs demandes,

— en conséquence, condamner la partie succombante à verser à la SCP N M-J O K et à Maître N M-J la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner les époux X aux entiers dépens de l’instance.

Elles affirment que les époux X ne démontrent aucune faute de Maître M-J susceptible d’engager sa responsabilité. Elles soulignent qu’elle n’est intervenue ni dans la phase de négociation précontractuelle, ni lors de la signature de la promesse synallagmatique de vente qu’elle n’a pas rédigée ; qu’elle n’a pas pu recevoir l’acte de vente, celle-ci ayant échoué, de sorte qu’il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir assuré l’efficacité d’un acte jamais régularisé ; que le dossier de vente ne lui a été transmis que par courrier du 28 mars 2015 soit après que les époux X se sont engagés envers M. Y par le compromis ; qu’elle n’a jamais été consultée sur la rédaction dudit compromis, ni sur la personne de l’acquéreur, ni sur la solvabilité de celui-ci. EIels en déduisent qu’elle ne pouvait être dans ces conditions tenue à un quelconque devoir de conseil, que l’absence de consignation ne peut lui être reprochée.

Elles constatent que M. Y ne s’est jamais engagé sur un séquestre et font valoir qu’il incombait au notaire de M. Y, et non pas à Maître M-J qui violerait ce faisant les règles de déontologie, de s’assurer du financement de son client.

Elles remarquent qu’elle n’a pas ménagé ses efforts notamment auprès du notaire de M. Y et de la SAS La Licorne, au vu des échanges intervenus entre la transmission du dossier qui lui a été faite le 28 mars 2015 et le procès-verbal de carence du 29 juin 2015, pour relayer les inquiétudes des époux X, pour débloquer la situation, y compris pour investiguer et s’assurer de la solvabilité de l’acquéreur avant la vente. Elles prétendent qu’elle a constamment informé ses clients, notamment de la possibilité de demander des dommages et intérêts et la caducité du compromis sur la base du procès-verbal de carence établi.

Elles affirment que Maître M-J ne pouvait pas prévoir que l’acquéreur n’allait pas honorer ses engagements. Elles estiment que les époux X auraient dû agir contre M. Y,

seul responsable de leur préjudice.

S’agissant des préjudices allégués, elles estiment que les époux X doivent être déboutés de leur demande à leur encontre, objectant que ces derniers avaient conscience lors de la signature du compromis de vente de ce qu’ils disposaient d’un délai de 2 mois pour déménager, le bien étant vendu libre de toute occupation, qu’ils n’ont pas pris la peine de négocier un délai supplémentaire et qu’ils ont déménagé à Bergerac pour se rapprocher de leur fils. Ellles prétendent que le seul débiteur de la perte de la somme qui aurait pu être séquestrée est M. Y. Elles considèrent que les sommes réclamées au titre du préjudice moral sont excessives et ne sont corroborées par aucun élément, observant qu’en toute hypothèse, en cas de conclusion de la vente, les époux X auraient exposé des frais.

***

Motifs de la décision

1 – Sur la responsabilité de l’agence immobilière

En droit, l’article 1991 du code civil dispose que le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.

L’article 1992 du même code dispose que le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion.

Il en résulte qu’une agence immobilière, professionnelle de la négociation et la vente de biens immobiliers, est tenue, comme mandataire du propriétaire dans la vente d’un immeuble, de s’assurer que se trouvent réunies les conditions nécessaires à l’efficacité de la transaction négociée par son intermédiaire, au premier rang desquelles la solvabilité apparente de l’acquéreur.

En l’espèce, il appartenait à l’agence La Licorne, mandatée par les époux X pour vendre leur bien immobilier, de s’assurer que se trouvaient réunies les conditions nécessaires à la réalisation de la vente négociée par son intermédiaire et donc des garanties présentées par le candidat acquéreur. Face à l’échec de la vente et la mise en cause de sa responsabilité par ses mandants qui lui reprochent d’avoir manqué à ses obligations contractuelles, l’agence La Licorne ne peut renverser la charge de la preuve en demandant aux époux X d’établir en quoi M. Y avait un comportement suspect qui aurait dû l’alerter, alors qu’il lui appartient de prouver qu’elle a rempli son obligation de vérifier la solvabilité apparente de l’acquéreur et d’apporter des conseils adaptés à ses mandants.

Sur l’obligation de renseignement, l’agence La Licorne ne justifie d’aucune demande faite à M. Y, ni sur ses revenus, ni sur le mode de financement de l’acquisition alors qu’il n’envisageait pas de contracter un prêt, ni sur son patrimoine. Sans pouvoir exiger d’elle de procéder à des investigations bancaires qu’elle n’est pas habilitée à réaliser comme elle le souligne dans ses écritures, les époux X étaient légitimement en droit d’attendre de leur agence immobilière des vérifications sérieuses quant à la solvabilité du candidat acquéreur qu’elle leur présentait. En l’espèce, l’agence La Licorne ne prouve pas avoir recueilli le moindre document relatif à sa situation ou ses ressources de la part de M. Y.

L’agence La Licorne ne peut sérieusement soutenir qu’elle a rempli son obligation de renseignement en se limitant comme elle l’a fait à quelques recherches sommaires sur internet (pièces n°6 appelante), qui ne sont d’évidence pas de la nature et du sérieux de celles qui sont attendues de la part d’un professionnel de l’immobilier fortement rémunéré (9 300 euros) pour ses services, et dont le résultat qui plus est, pour limité qu’il soit en ce qu’il n’est qu’un recueil des déclarations de M. Y sur ses comptes Facebook et Linkedin, aurait pu éveiller les soupçons d’un professionnel vigilant au regard du caractère éclectique des activités déclarées par M. Y déjà relevé par le 1er juge

(sexologue, compositeur de jazz, organisateur de festival, coach de l’équipe de France de jumping, maître de conférence dans une faculté de médecine, projet d’émission avec Romy Schneider, etc.) et qui laissaient présumer le caractère fantaisiste et mensonger de ses déclarations.

Sur l’obligation de conseil, l’agence La Licorne dénie tout manquement en se prévalant de ce que l’insertion d’une clause séquestre dans le compromis de vente ne figure pas dans la liste des obligations du mandataire telles qu’elles sont fixées par les conditions générales du mandat.

Il résulte des dispositions légales précitées que l’obligation de conseil qui pèse sur l’agent immobilier en vertu de son mandat comporte l’obligation pour lui d’attirer l’attention de son mandant sur les avantages et risques de l’opération envisagée et de lui indiquer les choix les plus opportuns en fonction des objectifs qu’il poursuit.

En l’espèce, il apparaît que le mandat de vente signé par les époux X et l’agence La Licorne le 17 février 2014 (pièce n°1 intimés) prévoit notamment la désignation et le prix de vente de l’immeuble, la rémunération du mandataire, et une clause 'séquestre’ ainsi rédigée : 'En vue de garantir la bonne exécution des présentes, l’acquéreur devra, à l’appui de toute promesse ou compromis de vente, effectuer un versement d’un montant maximum de 10% du prix total de la vente, à l’ordre de Maître M-J à A, séquestre garanti financièrement à cet effet'. Il est précisé, sous l’intitulé 'conditions générales du mandat’ que celui-ci est consenti et accepté 'aux conditions figurant au recto ainsi qu’aux conditions générales suivantes'. Le contrat prévoit donc expressément des conditions générales, qui sont un rappel des obligations et pouvoirs du mandataire, au nombre desquels 'entreprendre d’une façon générale toutes les démarches nécessaires pour mener à bien la mission qui lui est confiée ce jour', et des conditions spécifiques qui portent sur le prix auquel l’immeuble doit être vendu, ou encore sur les garanties exigées pour cette vente, en l’occurrence une somme de 10% maximum du prix total de vente mise sous séquestre chez un notaire désigné dans le mandat. Par conséquent, l’agence La Licorne dénature le contrat en ne s’estimant pas liée par l’obligation d’exiger un séquestre de la part de l’acquéreur au motif qu’elle ne figure pas dans les obligations générales du mandataire. En rédigeant un compromis de vente ne prévoyant pas de clause séquestre (clause non remplie dans le contrat-type utilisé), et en s’abstenant d’attirer l’attention des vendeurs non professionnels sur les conséquences de l’abandon de cette garantie dans le compromis de vente qu’elle avait partiellement pré-rempli, l’agence immobilière a donc commis une faute.

En définitive, l’agence La Licorne a manqué à ses obligations contractuelles, obligation de renseignement en s’abstenant de recueillir le moindre élément sur les garanties financières de M. Y alors que le manque de sérieux de son offre était décelable, obligation particulière de son mandat en ne prévoyant pas de clause séquestre dans le compromis de vente, obligation de conseil en s’abstenant d’attirer l’attention des vendeurs sur l’abandon de la clause séquestre et ses conséquences, et engage sa responsabilité contractuelle. La décision déférée sera donc confirmée de ce chef.

2 – Sur la responsabilité du notaire

En droit, l’article 1147 ancien du code civil applicable au litige dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

S’agissant du notaire, soumis à ces dispositions générales dans le cadre de son exercice professionnel, il en résulte qu’il doit répondre de tout manquement à ses obligations ayant causé un préjudice.

Le notaire doit, avant de dresser un acte, procéder à la vérification des faits et des conditions nécessaires pour en assurer l’utilité et l’efficacité.

En l’espèce, il n’est pas contesté que Maître M-J a été chargée par les époux X de préparer l’acte authentique de vente de leur maison et d’en assurer la signature puis l’exécution et qu’elle n’est nullement intervenue pendant toute la phase pré-contractuelle ayant précédé la signature du compromis de vente, qu’elle n’a pas non plus été chargée de rédiger. Le dossier relatif à la vente de leur maison par les époux X, adressé par leur mandataire l’agence La Licorne, a été reçu à l’étude notariale de Maître M-J le 31 mars 2015 (pièce n°1 intimée), la signature du compromis de vente, préparé par l’agence La Licorne, étant intervenue le 20 mars 2015. Munie du dossier, et conformément à ses obligations, la notaire a préparé un acte de vente conforme au compromis de vente signé sans son assistance, adressé son projet à Maître B, notaire de M. Y (courriel du 19 mai 2015, pièce n°2 intimée) et convoqué les parties pour la signature de l’acte le 29 mai 2015. Dès la 1re défaillance de l’acquéreur, Maître M-J s’est enquis auprès de son confrère des motifs du report de la signature de la vente, puis des intentions de l’acquéreur. Le 19 juin 2015, elle a fait délivrer par huissier à M. Y une comparution à comparaître le 29 juin 2015 et dressé un procès-verbal de carence le jour dit.

Dans le court délai de 3 mois qui s’est écoulé entre la réception du dossier de vente et le procès-verbal de carence signant l’échec de la vente, la notaire n’était pas tenue de procéder à des vérifications relatives au sérieux de l’acquéreur ou ses garanties financières alors que celui-ci était engagé envers les vendeurs par la promesse de vente, mais uniquement tenue de préparer l’acte de vente et vérifier que la propriété de l’immeuble des époux X pouvait effectivement être transférée à M. Y (vérification des limites de propriétés, absence de servitudes, absence d’hypothèques, etc). Maître M-J n’était pas non plus tenue, en vertu de ses obligations professionnelles, de solliciter un séquestre préalable à la signature de l’acte de vente, aucune des parties pas plus que leur mandataire ne le lui ayant demandé, ni même d’attirer l’attention de ses clients sur l’absence d’une telle garantie au compromis de vente, alors qu’elle n’est pas obligatoire et que Maître M-J ignorait tout du mandat donné par les époux X à l’agence La Licorne sur ce point. Enfin, c’est vainement que les époux X affirment que les doutes de Maître M-J sur le sérieux de l’acquéreur exprimés dans deux courriels des 5 et 9 juin 2015 (pièces n°4 et 6 intimée) auraient dû la conduire à 'poursuivre ses investigations' et alerter ses clients, et qu’elle a ainsi manqué à ses obligations, alors qu’elle a, 10 jours plus tard, procédé aux actes nécessaires pour faire constater l’échec de la vente aux torts de l’acquéreur.

En définitive, c’est à juste titre que le premier juge a estimé que la notaire n’avait commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité envers les époux X et la décision sera confirmée de ce chef.

3 – Sur les préjudices subis par les époux X

Sur l’indemnité de la clause pénale

Il est constant qu’aux termes du contrat, l’échec de la vente était sanctionné par une clause pénale prévoyant le versement d’une indemnité forfaitaire de 10% du prix net vendeur (31 000 euros) ainsi que les frais d’agence (9 300 euros) par la partie défaillante. Cette indemnité était donc exigible de la part de M. Y, les vendeurs ayant fait le choix de ne pas poursuivre l’acquéreur défaillant en paiement de cette indemnité contractuelle, ce dont ils n’ont pas à se justifier comme ils le soulignent dans leurs écritures, mais dont l’agence immobilière ne peut être tenue d’assumer les conséquences.

Il est tout aussi constant, et résulte expressément des termes du mandat, que le séquestre d’un montant maximum de 10% du prix total de la vente avait pour objet de garantir la bonne exécution de la vente.

Il résulte des éléments produits que la faute de l’agence immobilière n’a pas privé les époux X d’une certitude de percevoir le montant total de la clause pénale comme l’a retenu le premier juge, mais uniquement d’une chance de ne pas signer le compromis de vente. En effet, si

l’agence immobilière avait exigé de M. Y le versement de 10% du prix de vente dès le compromis de vente, comme son mandat l’y obligeait, le manque de sérieux de l’offre de M. Y serait vraisemblablement apparu à ce stade des discussions contractuelles entre les parties et ce dernier aurait été dans l’incapacité de satisfaire à cette exigence, de sorte que le compromis de vente n’aurait pas été signé.

Ainsi, à défaut de tout lien de causalité entre la faute de l’agence immobilière et l’absence de paiement de l’indemnité de la clause pénale à laquelle seul M. Y était contractuellement tenu, il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts des époux X au titre de la perte de garantie de percevoir le montant de la clause pénale. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les frais de déménagement et de logement

Les époux X ont déménagé afin de libérer les lieux au jour de la signature de l’acte authentique, conformément à leur obligation contractuelle stipulée dans la promesse de vente.

L’échec de la vente a eu pour conséquence directe de leur faire inutilement exposer des frais de logement pendant 7 mois (juin à décembre 2015). Il ne peut leur être fait grief d’avoir choisi de s’établir dans une commune éloignée de leur bien, et d’avoir ainsi exposé des frais élevés de déménagement, alors que si la vente avait eu lieu ils auraient conservé ces frais à leur charge et que c’est bien l’échec de la vente qui les a contraints, pour des raisons économiques, à revenir vivre dans leur maison.

C’est donc à juste titre que le premier juge a retenu que la faute de l’agence immobilière, qui leur a fait perdre une chance de ne pas signer le compromis de vente, leur a en conséquence également fait perdre une chance de ne pas déménager, et que cette perte de chance peut-être fixée à 90% compte tenu de la quasi-certitude de ce que le compromis de vente n’aurait pas été signé si l’agence s’était mieux renseignée sur M. Y et avait prévu une clause séquestre. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a condamné la société La Licorne à payer aux époux X la somme de 10 445,31 euros au titre de la perte de chance de ne pas exposer de frais de déménagement et de logement.

Sur le préjudice moral

Les époux X, respectivement âgés de 83 et 82 ans lors de la signature du compromis de vente, affirment qu’ils étaient désireux de vendre leur maison qu’ils avaient acquise en 1981, pour s’installer à Bergerac à proximité de leur fils. Après la signature du compromis de vente, ils ont donc déménagé et vécu 7 mois à Bergerac avant de décider de réintégrer leur maison et de renoncer à la vendre. Compte tenu du bouleversement que représente un déménagement, a fortiori à l’âge de 82 ou 83 ans après avoir vécu 34 ans dans une maison, des démarches nécessaires au relogement, puis du retour dans cette maison après échec de la vente, le préjudice moral des époux X est caractérisé et sera justement indemnisé conformément à la décision du premier juge dont il est demandé confirmation par les époux X.

4 – Sur les demandes accessoires

Partie succombante, la SAS La Licorne sera condamnée à payer à M et Mme X la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel, les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens étant confirmées.

Maître N M-J et la SCP N M-J O K n’ayant pas à supporter les frais irrépétibles que les époux X les ont contraints à exposer en persistant à formuler à leur encontre des demandes infondées, les époux X seront condamnés à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

***

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a condamné la SAS La Licorne à payer à M. E X et Mme I Z la somme de 31 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de garantie de percevoir le montant de la clause pénale.

INFIRME cette disposition du jugement,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE M. E X et Mme I Z de leur demande de dommages et intérêt au titre de la perte de garantie de percevoir l’indemnité de la clause pénale ;

CONDAMNE la SAS Licorne à payer à M. E X et Mme I Z la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. E X et Mme I Z, in solidum, à payer à Maître N M-J et la SCP N M-J O K la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE M. E X, Mme I Z et Maître N M-J et la SCP N M-J O K de leurs autres demandes ;

DÉBOUTE la SAS La Licorne de ses demandes ;

CONDAMNE la SAS La Licorne au paiement des dépens d’appel.

LE GREFFIER P/ LE PRESIDENT EMPECHE

C. LEVEUF C. MULLER



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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel d'Angers, Chambre a - civile, 26 octobre 2021, n° 18/02112