Cour d'appel d'Angers, Chambre a - commerciale, 5 octobre 2021, n° 20/00282

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Chronologie de l’affaire

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Gouache Avocats · 13 décembre 2021

Carrefour obtient une confirmation devant la Cour d'Appel d'Angers de mesures d'instruction in futurum visant à établir l'existence d'action pouvant entrainer la désorganisation volontaire et déloyale de son réseau de franchise. Par requête du 18 novembre 2019, Carrefour a saisi le président du tribunal de commerce du Mans aux fins d'obtenir des mesures d'instruction in futurum pour identifier l'instigateur des nombreuses lettres de protestation qui lui étaient adressées par plusieurs de ses franchisés depuis juillet 2019. Les envois massifs à son adresse de lettres rédigées dans les …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Angers, ch. a - com., 5 oct. 2021, n° 20/00282
Juridiction : Cour d'appel d'Angers
Numéro(s) : 20/00282
Décision précédente : Tribunal de commerce de Le Mans, 30 janvier 2020, N° 2019/11350
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

D’ANGERS

CHAMBRE A – COMMERCIALE

CC/IM

ARRET N°

AFFAIRE N° RG 20/00282 – N° Portalis DBVP-V-B7E-EUHQ

Ordonnance du 31 Janvier 2020

Tribunal de Commerce du MANS

n° d’inscription au RG de première instance : 2019/11350

ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2021

APPELANTE :

SARL JMCS prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Bertrand BRECHETEAU de la SARL AVOCONSEIL, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 200068, et Me Franck THILL, avocat plaidant au barreau de CAEN

INTIMEE :

S.A.S. CARREFOUR PROXIMITE FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux,domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Benoit GEORGE substitué par Me Inès RUBINEL de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 203912, et Me Pascal WILHELM, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue publiquement, à l’audience du 22 Juin 2021 à 14 H 00, Mme F, Présidente de chambre, ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la Cour composée de :

Mme F, Présidente de chambre

Mme ROBVEILLE, Conseiller

M. BENMIMOUNE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme D

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 05 octobre 2021 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine F, Présidente de chambre, et par Sophie D, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

[…]

FAITS ET PROCÉDURE

La société Carrefour Proximité France (CPF), filiale du groupe Carrefour anime des réseaux de franchise dans le domaine de la distribution alimentaire sous différentes enseignes (notamment Carrefour City, Carrefour Contact, Carrefour Express, 8 à Huit).

La SARL JMCS, ayant pour associés M. X, M. Y et la SAS Selima filiale à 100% de la société Profidis, elle-même filiale de la SA Carrefour, exploite une activité de supérette, sous l’enseigne Carrefour City rue de Laigné 'Les Ronceray’ au Mans (72).

Des contrats de franchise, d’approvisionnement, de Pack informatique ont été conclus le 30 mars 2011entre la société CPF et la SARL JMCS. Ils ont fait l’objet d’avenants du 4 mai 2016 prorogeant de 3 années leur durée initiale, pour expirer au 29 mars 2021.

Par requête du 18 novembre 2019, au visa des articles 145, 249, 493 et 874 et 875 du code de procédure civile, la société CPF a saisi le président du tribunal de commerce du Mans aux fins d’obtenir des mesures d’instruction in futurum, notamment, aux fins d’identifier l’instigateur des nombreuses lettres de protestation qui lui étaient adressées par plusieurs de ses franchisés depuis juillet 2019, parmi lesquelles celles émanant de la société JMCS.

A l’appui de sa requête, la société CPF s’est, notamment, prévalue de ce que les envois massifs à son adresse de lettres rédigées dans les mêmes termes, laissant penser qu’une seule personne en était l’auteur, très agressifs et dénigrants, inappropriés à des relations commerciales établies de longue date, représentant des manquements importants à l’obligation de loyauté des franchisés à son égard, constituaient des indices graves et concordants de l’existence d’une collusion entre ses franchisés visant à déstabiliser son réseau de franchises, avec le possible soutien d’un tiers extérieur susceptible d’être une enseigne concurrente ; de ce que des articles de presse démontraient que plusieurs franchisés cherchaient à quitter son réseau de franchise au profit d’un réseau concurrent. Elle a fait état de craintes de sa part de résiliations anticipées massives de contrats de franchise dans des conditions illicites et brutales pouvant entraîner une désorganisation forte de son réseau en provoquant la perte d’emplacements stratégiques, et susceptibles d’être qualifiées d’acte de concurrence déloyale. Elle a invoqué un risque de destruction, d’effacement, de déplacement de preuves, soulignant que la mesure sollicitée portait sur des documents ou correspondances en format numérique et enregistrés sur support informatique ; un risque de concertation entre protagonistes du dossier.

Par ordonnance sur requête du 18 novembre 2019, le président du tribunal de commerce du Mans a,

considérant un risque de disparition de preuve et qu’un intérêt légitime commandait qu’il soit dérogé au principe du contradictoire, en application de l’article 145 du code de procédure civile,

— commis la SCP Z-Larupe-G-H-I, huissiers de justice associés, prise en la personne de Maître A Z, et le cas échéant de tout associé de l’étude, et ou tel huissier territorialement compétent qu’il entendra se substituer, aidé d’un ou plusieurs experts informatiques de son choix, afin de :

* se rendre, assisté au besoin d’un informaticien et/ou expert informatique, au siège social de la société JMCS, ainsi qu’en tous lieux utiles où sera assurée la gestion administrative de la société JMCS,

* se faire communiquer tout lieu de conservation des documents, dossiers et archives datés du 1er juin 2019 à la date du jour de la mesure d’instruction, quel qu’en soit le support (physique ou dématérialisé) de la société JMCS,

* se faire communiquer et/ou rechercher et identifier le nom ou dénomination informatique, quel qu’en soit le format ou la version ; des projets de courrier ou courriers listés,

* se faire communiquer et/ou rechercher et identifier, dans les caractéristiques du fichier des courriers identifiés, les propriétés des fichiers (les mots, le temps total d’édition, titre, mots-clés, commentaires), les dates associées à des fichiers (dernière modification, création), et les personnes associées (auteur, auteur des modifications),

* se faire communiquer et/ou rechercher et identifier tout document, et notamment courriels, auxquels un ou des courriers identifiés seraient joints,

* se faire communiquer et/ou rechercher tout document (photocopie, impression ou sauvegarde informatique) et toute correspondance, notamment électronique, supprimé ou non, quel qu’en soit le support, ayant pour auteur ou destinataire la société JMCS et/ou ses cogérants MM. B X et C Y et l’un des mots clefs qu’elle énumère,

* accéder pour réaliser les mesures ci-avant à l’ensemble des documents et moyens informatiques, serveurs y compris lorsque ceux-ci sont hébergés par un tiers, postes utilisateurs, ordinateurs portables, tablettes, smartphones et téléphones portables de la société JMCS,

* se faire communiquer les login et mots de passe, clés et/ou cartes électroniques et/ou codes permettant d’accéder à tous serveurs, messageries électroniques, matériels et logiciels concernés physiques ou distants et notamment tous réseaux à distance, susceptibles de contenir les éléments susvisés et, en cas de refus ou de difficulté, autoriser l’huissier et les experts informatiques à accéder aux messageries électroniques, aux disques durs et à toutes unités de stockage susceptibles de contenir tout ou partie des éléments susvisés,

* effectuer toutes copies sur tous supports, notamment papier ou informatique, des éléments obtenus et visés ci-avant ; en cas de difficultés dans la réalisation de copie, se faire remettre les éléments obtenus, lesquels seront conservés en l’étude des huissiers aux fins d’analyse et de copie ultérieure,

— autorisé, en cas de difficulté dans la réalisation des mesures ci-dessus exposées (notamment en cas de traitement sur place d’une durée excessive), les huissiers ou les experts informatiques à effectuer des copies complètes des disques durs et autres supports lesquels seront conservés en l’étude des huissiers aux fins d’analyse et de copies ultérieurs,

— dit que l’huissier commis devra dresser un inventaire des éléments recueillis et un procès-verbal des opérations effectuées, et conserver sous séquestre en son étude, l’ensemble des éléments recueillis

pendant une durée minimum d’un mois à compter de la date de son intervention sur site avant d’en remettre la copie à la requérante,

— autorisé les huissiers commis à se faire assister, au besoin, d’un ou plusieurs experts informatiques de leur choix, l’ensemble des participants étant en tout état de cause indépendant des parties,

— autorisé les huissiers commis à se faire assister, au besoin, d’un ou plusieurs serruriers en vue de faire procéder à l’ouverture de toute serrure entravant l’accomplissement de leur mission ainsi que de la force publique,

— autorisé le(s) expert(s) informatique(s) à installer tout logiciel ou brancher tout périphérique pour les besoins des opérations,

— autorisé, dans le cas où l’accomplissement complet de sa mission aurait été impossible à réaliser lors de la première intervention, les huissiers commis, à poursuivre leur intervention dans des conditions identiques le premier jour ouvré suivant,

— autorisé les huissiers commis à faire toute recherche et constatation utiles, consigner les déclarations des répondants et toutes paroles prononcées au cours des opérations, mais en s’abstenant de toute interpellation autre que celles nécessaires à l’accomplissement de leur mission,

— fixé le montant de la provision à consigner par la requérante à la somme de 3.000 euros,

— rappelé le caractère exécutoire de la présente ordonnance,

— dit que les mesures d’instruction devront intervenir dans un délai de 30 jours à compter du prononcé de l’ordonnance,

— dit que la présente ordonnance annule et remplace celle rendue le 14 novembre 2019 et sera déposée au greffe du tribunal, qu’il en sera référé au président en cas de difficulté, mais seulement après exécution de l’ordonnance.

Le 19 novembre 2019, les mesures ainsi autorisées ont été diligentées par Maître Z, accompagné d’un expert informatique, au siège de la SARL JMCS. L’huissier a établi une attestation d’exécution de sa mission le 22 novembre 2019. Les documents saisis par l’huissier ont été placés sous séquestre.

Par acte d’huissier du 4 décembre 2019, déposée au greffe le 6 décembre 2019 et délivrée à la SAS CPF, la SARL JMCS a fait assigné la SAS CPF en référé devant le président du tribunal de commerce du Mans aux fins de rétractation de l’ordonnance du 18 novembre 2019.

Par ordonnance du 31 janvier 2020, le juge des référés du tribunal de commerce du Mans a, au visa des articles 145, 493, 495, 496, 874 et 875 du code de procédure civile :

— dit recevable la société JMCS en sa demande de rétractation mais mal fondée,

— débouté la société JMCS de toutes ses demandes, fins et conclusions car mal fondées,

— confirmé l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

— ordonné la levée du séquestre des éléments recueillis dans le cadre des mesures d’exécution diligentées le 19 novembre 2019, en application de l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce du Mans le 18 novembre 2019,

— ordonné, par conséquent, la remise par l’huissier instrumentaire à la société Carrefour Proximité France d’une copie de l’ensemble de ces documents,

— condamné la société JMCS à verser à la société Carrefour Proximité France la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la société JMCS aux entiers dépens, en ce compris les frais de l’huissier désigné dans l’ordonnance du 18 novembre 2019 et de l’expert informatique ayant assisté celui-ci conformément aux termes de l’ordonnance, soit : 1) coût de l’assignation en date du 4 décembre 2019, soit 69,65 euros TTC, 2) frais de greffe liquidés à la somme de 42,79 euros,

— débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

— dit que l’exécution provisoire est de droit.

Par déclaration reçue au greffe le 12 février 2020, la SARL JMCS a interjeté appel de cette ordonnance, en ce qu’elle l’a déboutée de toutes ses demandes, fins et conclusions car mal fondée, a confirmé l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, a ordonné la mainlevée du séquestre des éléments recueillis dans le cadre des mesures d’exécution diligentées le 19 novembre 2019 en application de l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce du Mans du 19 novembre 2019, a ordonné par conséquent la remise par l’huissier instrumentaire à la société Carrefour Proximité France d’une copie de l’ensemble de ces documents, a condamné la société JMCS à verser à la société Carrefour Proximité France la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, a condamné la société JMCS aux entiers dépens, en ce compris les frais d’huissier désigné dans l’ordonnance du 18 novembre 2019 et de l’expert informatique ayant assisté celui-ci conformément aux termes de leurs demandes, a débouté les parties de l’ensemble de leurs demandes ; intimant la SAS Carrefour Proximité France.

La société JMCS et la société Carrefour Proximité France ont conclu.

Une ordonnance du 14 décembre 2020 a clôturé l’instruction de l’affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société JMCS demande à la cour, sur le fondement des articles 145, 493 et 874 et suivants du code de procédure civile, de :

— infirmer l’ordonnance du président du tribunal de commerce du Mans en date du 31 janvier 2020,

et statuant à nouveau,

— rétracter l’ordonnance du président du tribunal de commerce du Mans rendue le 18 novembre 2019, avec toutes suites et conséquences de droit notamment l’annulation des mesures de saisies exécutées et la cancellation des pièces saisies,

— condamner la société Carrefour Proximité France à verser à la société JMCS une indemnité de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,

— condamner la société Carrefour Proximité France à verser à la société JMCS une indemnité qu’il n’apparaît pas inéquitable de fixer à 10.000 euros au titre des frais irrépétibles,

— débouter la société Carrefour Proximité France de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,

— la condamner aux entiers dépens.

La société Carrefour Proximité France (CPF) prie la cour, sur le fondement des articles 145, 493 et 496, 874 et 875 du code de procédure civile, de :

— débouter la société JMCS de son appel et de toutes ses demandes, fins et conclusions,

en conséquence,

— confirmer l’ordonnance du président du tribunal de commerce du Mans du 31 janvier 2020 en toutes ses dispositions,

— condamner la société JMCS à verser à la société Carrefour Proximité France la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société JMCS aux entiers dépens d’appel avec distraction au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe

— le 4 mai 2020 pour la SARL JMCS,

— le 28 mai 2020 pour la SAS Carrefour Proximité France.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur l’existence d’un motif légitime à voir ordonner les mesures d’instructions sollicitées par la SAS CPF de façon non contradictoire

Selon l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Aux termes de l’article 493 du même code, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

L’appelante considère que l’ordonnance dont appel doit être infirmée, que l’ordonnance du 18 novembre 2019 doit être rétractée, que toutes les mesures subséquentes réalisées doivent être déclarées nulles et inopposables à son égard. Elle soutient qu’il n’existait pas de motif légitime à voir ordonner les mesures d’instruction in futurum, non contradictoires, sollicitées par l’intimée, que la motivation du premier juge est insuffisante au vu des exigences jurisprudentielles et des principes généraux du procès civil, qu’il n’a pas identifié de circonstances particulières justifiant la dérogation au contradictoire. Elle affirme que la requête présentée par l’intimée ne repose que sur des allégations dépourvues de commencement de preuve.

L’intimée répond qu’elle a fourni de très nombreuses pièces au président du tribunal de commerce pour lui permettre de rendre une ordonnance motivée et éclairée ; que l’ordonnance querellée est suffisamment motivée tant en ce qui concerne le motif légitime que l’exception au principe du contradictoire.

1-1 Sur l’existence de motifs légitime sérieux justifiant le recours aux mesures sollicitées par la SAS CPF

La société CPF soutient que les lettres qui lui ont été adressées massivement (plus de deux cent

cinquante) et de manière concomitante par des franchisés, en des termes parfaitement identiques pour chacune lettre abordant un sujet particulier et volontairement agressifs, laissent penser qu’elles ont été rédigées par un seul et même auteur, ce qui constituerait une collusion illicite ou, a minima, un manquement à l’obligation de loyauté des franchisés à l’égard du franchiseur, et dont il s’évince tout au moins une volonté de provoquer un motif de résiliation anticipée des contrats de franchise représentent une tentative de déstabilisation à son égard pouvant être orchestrée par un réseau de distribution concurrent. Elle s’appuie sur un article du magazine Capital du 25 mars 2020 évoquant le souhait de plusieurs franchisés de sortir du réseau Carrefour pour intégrer une enseigne concurrente. Elle fait valoir que ces éléments sont suffisants pour démontrer la probabilité d’agissements déloyaux et susceptibles de caractériser une concurrence déloyale et constituer, ainsi, un motif légitime pour requérir la mesure d’instruction sollicitée. Elle souligne que la procédure sur requête ne nécessite pas un motif légitime né et actuel, qu’un motif futur suffit.

Elle insiste sur la nécessité d’identifier l’initiateur de ces manoeuvres litigieuses, en conservant et en établissant des preuves nécessaires à la caractérisation des agissements qu’elle allègue, comme le permet l’article 145 du code de procédure civile.

La SARL JMCS reproche à la société CPF d’avoir agi contre tous les franchisés expéditeurs des lettres en les accusant faussement de collusion frauduleuse et en invoquant sans justification un risque de résiliation brutale et illicite de contrats. Elle lui fait grief d’utiliser déloyalement les résultats de la mesure d’instruction pour en justifier le bien-fondé.

Elle soutient que des franchisés peuvent écrire, dans le cadre d’une concertation licite, des lettres en des termes identiques, à leur franchiseur, quand ils subissent des difficultés similaires, ou encore échanger des informations entre eux et décider en agrégeant leurs expériences d’agir en unissant leurs efforts pour faire face à un groupe d’envergure mondiale, se constituer en association à cette fin pour harmoniser leurs réclamations sur des sujets concrets d’exploitation au quotidien, sans que ces comportements ne puissent être considérés déloyaux ou fautifs, ne puissent s’analyser, à ce stade, en un indice de concurrence déloyale, en des actes préparatoires d’une action illicite. Elle considère qu’il importe peu qu’il existe un animateur dans ce groupe de franchisés. Elle prétend que le simple fait pour des franchisés d’être en contact avec un salarié d’un concurrent, et ancien salarié du groupe Carrefour, n’est pas fautif. Elle observe que le groupe Carrefour, lui-même, dispose d’un service 'ralliement’ dont l’objet est d’étendre les parts de marché du groupe en démarchant les points de vente concurrents pour qu’ils changent d’enseigne. Elle fait remarquer que la SAS CPF ne s’arrête pas, en ses écritures, sur le fond des reproches formulés de manière identique par les franchisés et reposant sur des problématiques concrètes ; qu’elle ne démontre aucune désorganisation en son sein ; que la simple gêne ou perturbation ne caractérise pas de concurrence déloyale.

Elle affirme que les lettres des franchisés, même vindicatifs, sont proportionnés à la violence juridique et économique qu’elle estime leur être imposée par le groupe mondial Carrefour. Elle souligne que les clauses des contrats conclus avec l’intimée les contraignent à s’approvisionner quasi-exclusivement auprès du groupe à des prix prohibitifs, à renoncer à toute adaptation à la hausse ou baisse des tarifs, à voir leur rentabilité confisquée au profit de la tête de réseau ; que les contrats pack informatiques et le logiciel qui leur sont imposés, les placent sous la surveillance permanente de l’enseigne. Elle note que les clauses d’arbitrage contenues dans les contrats Carrefour prévoyant que les arbitres statuent en amiable composition, donc en équité et non en droit, empêchent la remise en cause de certaines pratiques et clauses au détriment des franchisés. Elle soutient que le groupe Carrefour, en multipliant les contrats à travers différentes sociétés de son groupe, chacune habilement affectée à une partie de l’exécution de l’ensemble, empêche les juridictions saisies d’appréhender les litiges dans leur intégralité. Elle précise que les pratiques contractuelles de ce groupe ont conduit à une saisine de l’autorité de la concurrence à la demande du Ministre de l’Economie, et à une première décision de sursis à statuer des juges du fond.

Elle précise qu’à l’échéance des contrats la liant à la SAS CPF, face à l’attitude qu’elle juge

contestable de celle-ci, elle a décidé de résilier ses contrats de franchise et d’approvisionnement en respectant le préavis contractuel.

Elle considère que puisque la matérialité des lettres n’est pas contestée, la société CPF disposait des éléments suffisants pour engager une action au fond, sans nécessité de pratiquer une requête non contradictoire pour prouver que les franchisés se sont concertés.

La société CPF répond qu’elle ne conteste pas le droit de se plaindre des franchisés, ni ne leur reproche de s’être regroupés mais d’avoir, par la vague de très nombreuses lettres qu’ils lui ont envoyées, cherché à déséquilibrer son réseau, en violation de leur obligation de loyauté contractuelle envers elle et concurrentielle. Elle souligne que les lettres précitées ne suffisent pas à démontrer l’implication d’un tiers animateur, ne permettant pas de connaître le rédacteur commun, d’expliquer la concomitance de leurs envois et la concertation des franchisés pour désorganiser son réseau de distribution.

Sur ce,

Il est constant que la société CPF a été destinataire pendant plusieurs mois de nombreuses lettres émanant de plusieurs de ses franchisés, abordant divers sujets mettant à chaque fois en cause les pratiques du franchiseur et les conditions déséquilibrées de leurs relations commerciales en des termes strictement identiques et sur un ton vindicatif avec une volonté affichée de ces franchisés de quitter le réseau, sans qu’il ne soit indiqué que cette menace ne sera mise en oeuvre qu’au terme des contrats.

La question n’est pas, présentement, de savoir si les griefs invoqués par la SARL JMCS sur les conditions d’exercice des contrats de franchise et d’approvisionnement sont fondés ni de savoir si elle était libre de se plaindre comme elle l’a fait, ce qui relève d’un débat au fond.

De même, le constat selon lequel l’état actuel des éléments en la possession de la société CPF ne lui permet pas d’établir que le mouvement auquel a pris part la SARL JMCS relèverait d’actes illégaux ne saurait conduire à écarter la possibilité d’une mesure d’instruction destinée, précisément, à recueillir avant tout procès des éléments de preuve complémentaire à cette fin.

Pour pouvoir justifier d’un intérêt légitime à requérir aux mesures in futurum prévues à l’article 145 du code de procédure civile, il suffit que la requérante établisse des circonstances fondant légitimement des soupçons sérieux de pratiques déloyales.

En l’espèce, les envois dont elle a été destinataire caractérisent une action concertée de certains franchisés contre le franchiseur pouvant lui laisser craindre une désorganisation volontaire et déloyale de son réseau de franchise.

La société CPF justifie ainsi, sans s’appuyer sur le résultat de la mesure d’instruction, de l’existence d’un motif légitime à rechercher à identifier l’instigateur de ce mouvement à l’origine d’actes pouvant se rapporter à des actes fautifs et préjudiciables.

1-2 Sur la dérogation au principe de la contradiction

La société CPF affirme que la réunion des conditions des articles 145 et 875 du code de procédure civile ressortent des termes de sa requête qui invoquait l’existence d’un risque important de destruction ou déperdition des éléments de preuve tenant à ce que les preuves recherchées consistent en des documents au format numérique et enregistrés sur support informatique, qui peuvent être facilement détruites, effacées ou déplacées, en cas de procédure contradictoirement menée. Elle souligne que la restauration et documents détruits peut dans certains cas être techniquement impossible. Elle expose que le recours à la procédure sur requête se justifie encore au regard des

griefs reprochés à la SARL JMCS, soupçonnée d’avoir réalisé ou d’être complice d’actes de concurrence déloyale en concertation avec d’autres franchisés, sans doute avec l’aide d’une enseigne concurrente. Elle prétend qu’il existe un risque de concertation avéré des franchisés, protagonistes du dossier, qui pourraient chercher à échanger des informations pour l’empêcher d’agir. Elle en déduit qu’il était nécessaire de procéder par effet de surprise.

De son côté, l’appelante prétend que la société CPF ne fait, au terme de sa requête pour motiver sa demande, qu’évoquer, en reprenant les termes de l’article 493 du code de procédure civile, un risque de dépérissement de preuves existant en cas de procédure contradictoire et une nécessité d’agir par surprise par souci d’efficacité, sans rapporter la preuve concrète ou un commencement de preuve de circonstances particulières au cas d’espèce. Elle relève que selon la jurisprudence, le seul fait que les documents recherchés se trouvent sur des supports volatils, stockés sur informatique, est insuffisant à caractériser la nécessité de déroger au contradictoire, en dehors de preuves de circonstances particulières tenant à l’attitude de la partie requise, telles qu’un refus de communication spontané de pièces ou la preuve d’un comportement illicite avéré ou d’une dissimulation volontaire de sa part dont la matérialité est établie avant même la présentation de la requête.

Sur ce,

L’ordonnance du 18 novembre 2019 vise la requête, les circonstances de l’espèce et notamment le risque de disparition des preuves pour retenir que le non-respect du contradictoire est justifié.

Dans sa requête, qui fait corps avec l’ordonnance, la société CPF n’a pas seulement motivé la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire par la volatilité des documents recherchés, s’agissant de pièces numériques pouvant facilement être effacées, mais a décrit des circonstances particulières tenant à une action concertée de certains franchisés qui justifiaient, pour tenter d’identifier l’instigateur de ce mouvement, la nécessité de ménager un effet de surprise dès lors que sont suspectés des actes de concurrence déloyale ou, à tout le moins, de destabilisation du réseau de franchise, en raison d’un risque de dissimulation et de destruction de la preuve recherchée par la société JMCS si elle avait été avertie des soupçons portés sur elle et du risque de concertation entre les franchisés concernés pour faire disparaître les preuves en leur possession.

Par ces motifs, le recours à une procédure non contradictoire est justifié.

1-3 Sur le caractère légalement admissible des mesures

Il n’est pas contesté que les mesures ordonnées présentent un caractère légalement admissible.

L’appelante invoque une disproportion manifeste de la mesure ordonnée au regard des différents corps de profession qui ont eu accès à ces locaux lors de sa mise en oeuvre, considérant l’inutilité de ces interventions alors qu’aucun incident n’a été constaté.

La présence des différents professionnels pour en assurer l’effectivité n’est pas disproportionnée au but recherché.

Il s’ensuit que l’ordonnance entreprise sera confirmée et la demande indemnitaire de la société JMCS sera rejetée.

2 - Sur les demandes accessoires

Il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme l’ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

Rejette les demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société JMCS aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

S. D C. F

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  1. Code de procédure civile
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