Cour d'appel d'Angers, Expropriation, 5 avril 2022, n° 20/00006

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Sur la décision

Référence :
CA Angers, expropriation, 5 avr. 2022, n° 20/00006
Juridiction : Cour d'appel d'Angers
Numéro(s) : 20/00006
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

D’ANGERS

EXPROPRIATION


ARRET N°3


AFFAIRE N° RG 20/00006 – N° Portalis DBVP-V-B7E-EUUU


Jugement du 26 novembre 2019 (refus de transmission QPC)


Jugement du 30 Janvier 2020 (fixation indemnités)


Juge de l’expropriation d’ANGERS

n° d’inscription au RG de première instance : 19/17

ARRÊT DU 05 AVRIL 2022

APPELANTS :

Madame Z-T U veuve X

née le […] à […]

[…]

[…]

[…]

Monsieur L X

né le […] à […]

'La Guérinière'

[…]

Madame M X épouse Y

née le […] à […]


Lieu-dit 'La Moinerie'

[…]

Madame Z-N X veuve A

née le […] à […] […]

Madame O X épouse B

née le […] à […]

[…]

[…]

[…]

Monsieur P X

né le […] à […]

[…]

[…]

[…]

Madame Q X veuve C

née le […] à […]

[…]

[…]


ASSOCIES, avocat postulant au barreau d’ANGERS et Me Antoine PLATEAUX de la SELARL PUBLI-JURIS, avocat plaidant au barreau de NANTES

INTIMEE :

ALTER PUBLIC

[…]

[…]


Comparante en la personne de M. D, responsable juridique et de Mme E, assistante juridique, assistés de Me Pierre E de la SELARL LEX PUBLICA, avocat au barreau d’ANGERS

En présence de :

LA DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE MAINE ET LOIRE

[…]

[…] […]


Comparante en la personne de Mme R S, Inspectrice principale des finances publiques désignée le 9 juillet 2020 par Monsieur le Directeur départemental des finances publiques de Maine et Loire pour le suppléer dans les fonctions de commissaire au gouvernement,

COMPOSITION DE LA COUR :


L’affaire a été débattue publiquement, à l’audience du 09 Novembre 2021 à 9H30, Madame AC, Présidente de chambre ayant été préalablement entendu en son rapport, devant la Cour composée de :

Madame AC, Présidente de chambre

Madame MULLER, Conseillère

Madame REUFLET, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffière lors des débats : Mme AA


Ministère Public : L’affaire a été communiquée au ministère public qui a fait connaître son avis le 3 novembre 2021 sur la question prioritaire de constitutionnalité

ARRET : contradictoire


Prononcé publiquement le 05 avril 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;


Signé par Sylvie AC, Présidente de chambre et par Sylvie AA, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

[…]

EXPOSE DU LITIGE

Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X sont propriétaires indivis de parcelles situées à 'La Naubert’ à Juigné-sur-Loire, commune déléguée de la commune nouvelle des Garennes-sur-Loire (Maine-et-Loire), créée à compter du 15 décembre 2016 par arrêté préfectoral du 6 septembre 2016, cadastrées :


- AK n°200 d’une contenance de 3369m²,


- AK n°205 d’une contenance de 2154m²,


- AK n°206 d’une contenance de 2067 m²,


- AK n°222 d’une contenance de 13m²,


- AK n°223 d’une contenance de 6849m²,
- AK n°250 d’une contenance de 76m²,


- AK n°251 d’une contenance de 26m²,


- AK n°252 d’une contenance de 82m²

soit une superficie totale de 14 636m².


La commune de Juigné-sur-Loire déléguée de la commune des Garennes-sur-Loire a décidé de l’urbanisation du secteur de la Naubert. Le projet porte sur environ 7,3 ha dans la perspective de finalisation du développement urbain et la construction d’habitation dans une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC).


Par délibération du 30 septembre 2013, le conseil municipal de la commune de Juigné-sur-Loire a approuvé le traité de concession d’aménagement avec la société publique locale d’aménagement de l’Anjou (SPLA d’Anjou) devenue la SPL de l’Anjou, puis la société Alter Public (Anjou Loire territoire) et autorisé cette dernière à acquérir, au besoin par voie d’expropriation, les biens immobiliers situés à l’intérieur du périmètre du projet d’urbanisation de la ZAC de la Naubert sur le territoire de la commune des Garennes-sur-Loire.


Par arrêté du 25 août 2017, le préfet du Maine-et-Loire a prescrit l’organisation de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique et de l’enquête parcellaire. Les enquêtes se sont déroulées du 10 octobre au 13 novembre 2017.


Par arrêté du 16 mai 2018, le préfet du Maine-et-Loire a déclaré d’utilité publique le projet d’urbanisation de la ZAC de la Naubert sur le territoire de la commune des Garennes-sur-Loire.


Le mémoire d’expropriation contenant les offres d’indemnisation de la société Alter Public a été notifié aux propriétaires par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 17 décembre 2018 sur la base de 7,50 euros le m² soit:


- indemnité principale : 7,50€ x 14636 m² : 109 770 euros


- indemnité de remploi :

20% jusqu’à 5000€ : 1 000€• 15% entre 5000 et 15000€ :1 500€• 10% au-delà : 9 477€•


Sous total : 11 977 euros

indemnité totale : 121 747 euros


En l’absence d’accord, par requête parvenue au greffe le 18 février 2019, la société Alter Public a demandé au juge de l’expropriation la fixation des indemnités.


Le 28 octobre 2019, les consorts X ont déposé leur mémoire soulevant notamment l’inconventionnalité de l’article L322-8 [anciennement L13-16] alinéa 1er du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.


La société Alter Public a maintenu son offre et le commissaire du gouvernement a proposé de fixer les indemnités conformément à cette offre.


Par mémoire distinct reçu au greffe le 13 novembre 2019, les expropriés ont soulevé la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

'L’article L.322-8 alinéa 1er du code de l’expropriation porte-t-il aux articles 4, 16 et 17 de la Déclaration de 1789, qui protègent respectivement la liberté contractuelle (1ère branche), le droit au recours juridictionnel effectif (2ème branche) et le droit de propriété (3ème branche), une atteinte disproportionnée en limitant la force obligatoire des conventions signées par l’expropriant, au titre de l’aménagement d’une surface foncière, à un double seuil, tenant à la quantité des propriétaires intéressés, puis à la quantité des surfaces concernées ''


Le juge de l’expropriation a, par décision en date du 26 novembre 2019 :


- déclaré recevable la question prioritaire de constitutionnalité ;


- dit que la question est dépourvue de caractère sérieux ;


- dit n’y avoir lieu à renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité devant la Cour de cassation ;


- renvoyé la procédure à l’audience du juge de l’expropriation du 28 novembre 2019.


Suite au transport sur les lieux, il a par jugement du 30 janvier 2020 :


- rejeté l’exception d’inconventionnalité de l’article L.322-8 alinéa 1 du code de l’expropriation ;


- débouté Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X de leur demande relative à l’intention dolosive ;


- fixé à la charge de la société Atler Public l’indemnisation de Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X comme suit :

indemnité principale : 7,50€ x 14636 m² : 109 770 euros• indemnité de remploi :• 20% jusqu’à 5000€ : 1 000€• 15% entre 5000 et 15000€ : 1 500€• 10% au-delà : 9 477€•


Sous total : 11 977 euros

indemnité totale : 121 747 euros


- Débouté Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X de leur demande en paiement des frais irrépétibles ;


- laissé les dépens à la charge de la société Alter Public.


Par lettre recommandée adressée au greffe et portant la date d’expédition du 6 mars 2020, Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X ont formé appel à l’encontre de ces jugements.
L’objet de l’appel au fond est ainsi libellé : 'appel total aux fins de voir annuler, infirmer ou à tout le moins réformer la décision dont appel, en tant qu’elle a rejeté l’exception d’inconventionnalité, limité les indemnités d’expropriation à la somme de 121 747€ et débouté les expropriés de leur demande de paiement de frais irrépétibles.'

MOYENS ET PRETENTIONS


Les consorts X ont adressé des conclusions distinctes en contestation de refus de transmission de question prioritaire de constitutionnalité au greffe le 12 mai 2020. Ils demandent à la cour de :


- infirmer le jugement avant-dire droit du 29 novembre 2019 en tant qu’il refuse la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité en tant qu’elle porte sur la liberté contractuelle ;


- transmettre la présente question prioritaire de constitutionnalité auprès de la Cour de cassation en tant qu’elle porte atteinte à la liberté contractuelle.


Les consorts X soutiennent que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur l’article L.13-16 du code de l’expropriation devenu article L.322-8 du même code laquelle est applicable au litige et qui n’a pas été transmis à la Cour de cassation dans la mesure où la Cour de cassation en rejetant la question prioritaire de constitutionnalité sur cette disposition législative dans un arrêt du 18 décembre 2014 ne visait pas la même dimension et qu’ainsi la question demeure inédite. Ils excipent de l’inconstitutionnalité de la législation qui permet à l’expropriant d’écarter une convention, théoriquement pourvue d’une force obligatoire entre les parties au contrat, au détriment de ses intérêts.


Concernant le caractère sérieux, il est soutenu que le Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcé sur cette question de la constitutionnalité intrinsèque de cet article du code de l’expropriation et alors qu’il va à l’encontre de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 en portant une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle de telle sorte qu’elle porte accessoirement atteinte au droit au recours juridictionnel effectif des expropriés.


La société Alter public, par conclusions reçues le 24 juin 2020, demande à la cour de :


- dire et juger que la question prioritaire de constitutionnalité est non applicable au litige ;


- à défaut, dire et juger qu’elle ne présente pas de caractère sérieux ;


- confirmer le jugement du 29 novembre 2019 en tant qu’il a refusé la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ;


- condamner Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.


Elle soutient que la première condition de recevabilité n’est pas établie en ce que l’article L.322-8 alinéa 1 ne permet pas à l’expropriant d’écarter des conventions et que l’application de cette disposition ne peut en tout état de cause être effectuée que si l’expropriant en demande application, que non seulement tel n’est pas le cas mais que de surcroît, elle n’est pas applicable au cas d’espèce. Il est par ailleurs relevé que le juge de l’expropriation dispose d’une alternative à l’application de la règle de la double majorité.


Elle argue par ailleurs du caractère non sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité en lien avec la liberté contractuelle soulevée, le juge gardant un pouvoir d’appréciation lorsqu’il lui est demandé l’application de l’article L.322-8 du code de l’expropriation dans ses deux alternatives. Elle soutient également que cette disposition ne fait aucunement grief aux expropriés et à leur liberté contractuelle et qu’en tout état de cause, elle n’impose rien aux expropriés.


Par conclusions au fond récapitulatives reçues au greffe le 28 septembre 2021, Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X demandent à la cour de :


- surseoir à statuer sur le fond dans l’attente de la décision à intervenir de la Cour de cassation ;


- infirmer le jugement déféré en tant qu’il a fixé les indemnités d’expropriation à la somme de 121 747euros et en tant qu’il a rejeté la demande des expropriés tendant au bénéfice de l’article 700 du code de procédure civile ;


- fixer le prix des parcelles cadastrées […] d’une superficie de 1ha 46a 36ca (14 636 m²) à la somme de 32 euros par m², pour une somme de 516 187,20 euros ;


- condamner la SPL Alter Public au versement d’une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles;


- condamner la SPL Alter Public aux entiers dépens en tout état de cause.


Ils soutiennent que l’article L.322-8 du code de l’expropriation impose au juge de l’expropriation de tenir compte des accords amiables conclus entre l’expropriant et l’exproprié lors de la détermination des indemnités de dépossession et que le juge doit vérifier que ces accords entrent dans le champ d’application de cet article.


Cette disposition, qui vise 'des accords amiables’ sans subordonner la forme de ces accords à l’existence d’un acte authentique, conduit à estimer qu’un simple accord au profit de l’expropriant suffit à permettre le bénéfice de l’article L.322-8 du code de l’expropriation. Ils estiment que le juge devait rechercher si de tels accords avaient eu lieu dans ce cadre et ne pouvait refuser de l’appliquer.


A titre principal, il est argué de l’inconventionnalité de l’article L.322-8 du code de l’expropriation au regard de l’article 1er du protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et des articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 en tant qu’il protège le droit à la libre disposition des biens.


Ainsi, le juge de l’expropriation aurait dû, d’après les appelants, appliquer la règle de la double majorité ou des deux tiers, des accords visés par l’article L.322-8 du code de l’expropriation, laquelle est à leur sens une ingérence disproportionnée au droit à la libre disposition des biens et qu’aucun motif d’intérêt général ne justifie que la prise en compte des contrats signés par l’expropriant, dans la perspective de la fixation des indemnités d’expropriation, ne soit limitée par le nombre de propriétaire et la proportion de surface concernée.


Il est estimé que la somme de 32 euros du m² doit être retenue conformément à la convention signée par la commune en 2007 avec une partie des propriétaires de la ZAC.


Il est soutenu, par ailleurs, que le juge de l’expropriation peut tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans son arrêt du 11 juin 2021 (n°2021-915/916 QPC).


A titre subsidiaire, il est fait état d’une vente de la parcelle AM160 située dans le ressort de la ZAC, à proximité du bien exproprié, pour un montant de 33 950 euros, concernant une superficie de 3 674m² correspondant à 10 euros le m² le 14 septembre 2018.


Il est enfin soulevé à titre infiniment subsidiaire l’inconventionnalité de l’article L.322-2 du code de l’expropriation compte tenu des éléments de l’espèce, et comme portant atteinte au droit de propriété en lien avec le prix proposé et les bénéfices escomptés par l’aménageur.


Par conclusions au fond en réponses et récapitulatives reçues au greffe le 7 octobre 2021, la société Alter Public demande à la cour de :


- déclarer irrecevables et en tout état de cause mal fondés en leur appel Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X ;


- en conséquence, les débouter de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;


- confirmer le jugement du 30 janvier 2020 ;


- condamner Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X à verser à la société Alter Public une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.


La société Alter Public conteste l’inconventionnalité de l’article L.322-8 du code de l’expropriation en ce que cet article vise deux hypothèses dont il est fait confusion par les appelants mais aussi car en matière d’inconventionnalité, le justiciable ne peut la soulever que dès lors que la norme contestée a vocation à s’appliquer au litige alors que la société Alter Public n’a pas demandé l’application de l’article L.322-8 dans le cas d’espèce puisqu’il ne pouvait s’appliquer.


Il est par ailleurs noté par l’intimée, que le juge de l’expropriation n’a pas considéré que l’article L.322-8 lui interdirait la prise en compte de la convention signée entre la commune et les consorts K mais précisé qu’il conservait un pouvoir d’appréciation comme l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt de la 3ème civ. du 25 septembre 2002 n°01-70042 qui a par ailleurs confirmé la conformité de l’article L322-8 avec l’article 6 de la CEDH.


Concernant l’argument selon lequel une atteinte excessive au droit de propriété existerait, il est estimé par l’intimée qu’aucune preuve n’est apportée quant à l’existence d’un bénéfice important pour elle en lien avec l’indemnité d’expropriation et alors que l’article L.321-1 du code de l’expropriation ne vise que l’indemnisation des préjudices, directs, matériels et certains.


Il est relevé que le descriptif des biens, la date de référence et la qualification des parcelles ne sont pas contestés.


Concernant l’évaluation de l’indemnité d’expropriation, il est soulevé que les termes de comparaison visés par les appelants sont non seulement trop anciens pour être pris en compte mais que de surcroît la convention signée avec la commune est depuis caduque comme cela apparaît au regard de la pièce n°4 de l’intimée.


Par conclusions du 17 août 2020, le commissaire du gouvernement demande à la cour de fixer la valeur des parcelles objets de la procédure comme suit :


- indemnité principale : 109 770 euros


- indemnité de remploi : 11 977 euros
Soit une indemnité totale : 121 747 euros.


A l’issue de l’audience du 9 novembre 2021, la décision a été mise en délibéré au 2 février 2022 prorogé au 1er mars 2022 puis au 5 avril 2022.

MOTIFS DE LA DECISION


Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité•


L’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.


Selon l’article 126-1 du code de procédure civile, la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et aux dispositions prévues par le présent chapitre.


En l’espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés de valeur constitutionnelle a été présenté par les consorts X dans un écrit distinct qui est motivé, de sorte qu’il satisfait aux exigences de l’article 126-2 du code de procédure civile.


Il doit donc être déclaré recevable.


Sur la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité•


Il résulte de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 qu’une juridiction saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation et qu’il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.


L’article L.13-16 du code de l’expropriation devenu article L.322-8 dispose que : 'Sous réserve de l’article L.322-9, le juge tient compte, des accords intervenus entre l’expropriant et les divers titulaires de droits à l’intérieur du périmètre des opérations faisant l’objet d’une déclaration d’utilité publique et les prend pour base lorsqu’ils ont été conclus avec au moins la moitié des propriétaires intéressés et portent sur les deux tiers au moins des superficies concernées ou lorsqu’ils ont été conclus avec les deux tiers au moins des propriétaires et portent sur la moitié au moins des superficies concernées.

Le juge tient compte des accords intervenus à l’intérieur des zones d’aménagement différé et des périmètres provisoires.

Sous la même réserve, il tient également compte, dans l’évaluation des indemnités allouées aux propriétaires, commerçants, industriels et artisans, de la valeur résultant des évaluations administratives rendues définitives en vertu des lois fiscales ou des déclarations faites par les contribuables avant l’ouverture de l’enquête.'


La question prioritaire de constitutionnalité porte sur l’atteinte disproportionnée de l’alinéa 1 de cet article précité aux articles 4,16 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen compte tenu de la prise en compte par le juge de l’expropriation des accords intervenus entre l’expropriant et les divers titulaires de droits à l’intérieur du périmètre de la même opération et les prend pour base s’ils sont conclus selon un double seuil.


Comme le relève l’expropriant, il n’est pas sollicité application de cette disposition mais de surcroît cette disposition n’est pas applicable au cas d’espèce.


En effet, la déclaration d’utilité publique porte sur quinze propriétaires et concerne une superficie de 7.29ha alors que l’expropriant ne se prévaut que d’un accord dont il demande à ce qu’il soit pris en compte comme élément de comparaison mais qui ne concerne qu’une superficie de 3 994m².


Il convient de préciser que la Cour de cassation a rappelé dans son arrêt du 5 juillet 2012 de la 1ère chambre civile (n°12-12356) que si une disposition contestée dans une question prioritaire de constitutionnalité n’est pas applicable au litige, il n’y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation et que peu importe à ce qu’elle soit applicable à l’une ou l’autre des parties. Si l’application de cette disposition n’est pas en l’espèce sollicitée et applicable, le fait que les expropriés ne puissent se prévaloir de conventions à l’appui de leurs demandes et de ce double seuil est sans incidence.


Il convient en conséquence de dire n’y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.


Sur la demande de surseoir à statuer•


La cour d’appel ayant dit n’y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée sur l’article L.322-8 du code de l’expropriation, il n’y a pas lieu à surseoir à statuer.

sur l’exception d’inconventionnalité•


L’inconventionnalité de l’article L.322-8 alinea 1 du code de l’expropriation est soulevée par les expropriés ainsi que subsidiairement celle de l’article L.322-2 (ancien L.13-15) du même code.


Il appartient effectivement au juge judiciaire depuis une jurisprudence dite 'V W’ de procéder au contrôle de conventionnalité des lois.


Il est argué du fait que ces dispositions seraient contraires à l’article 6 §1 de la CEDH et à l’article 1er de son protocole additionnel.


L’article 6 §1 de la CEDH dispose que : 'Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès

l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.'


Il est ainsi estimé que l’article L.322-8 du code de l’expropriation est contraire à l’article 6 § 1 de la CEDH en ce qu’il conditionne le bénéfice de cette disposition à un critère quantitatif lié au pourcentage de propriétaires et au pourcentage de superficie. La prise en compte de ce double seuil constituerait une ingérence disproportionnée au droit de libre disposition des biens ainsi qu’au procès équitable.


Ainsi aux termes de l’article I du protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, 'toute personne physique ou morale a le droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique'.


Toutefois, il convient de relever que pour soulever une exception d’inconventionnalité encore faut-il que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites. Or, il y a lieu de constater que cette disposition du code de l’expropriation n’est pas applicable au litige et il n’en est d’ailleurs pas sollicité l’application par l’expropriant.


Par ailleurs, comme l’a précisé la Cour de cassation, si le juge peut tenir compte des accords amiables conclus dans le périmètre de la DUP il n’est pas lié par ceux-ci.


Cette exception n’est donc pas recevable.


L’article L.322-2 du code de l’expropriation dispose que :

'Les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.

Toutefois, et sous réserve de l’application des dispositions des articles L.322-3 à L.322-6, est seul pris en considération l’usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L.1 ou, dans le cas prévu à l’article L.122-4, un an avant la déclaration d’utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l’article L.121-8 du code de l’environnement ou par l’article 3 de la loi n°2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat ou, lorsque le bien est situé à l’intérieur du périmètre d’une zone d’aménagement concerté mentionnée à l’article L.311-1 du code de l’urbanisme, à la date de publication de l’acte créant la zone, si elle est antérieure d’au moins un an à la date d’ouverture de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique.

Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l’utilisation ou l’exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au deuxième alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l’expropriant, une intention dolosive.

Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu’ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s’ils ont été provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d’utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l’enquête publique de travaux publics dans l’agglomération où est situé l’immeuble.'


Si l’article I du protocole additionnel de la CEDH, rappelle que toute personne physique ou morale a le droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans le cadre de la présente procédure l’expropriation a bien été ordonnée pour cause d’utilité publique.


Il est argué du cas d’espèce qui compte tenu de la modicité du prix de l’indemnité au prix du m² par rapport aux bénéfices escomptés porte une atteinte excessive au droit de propriété.


Toutefois, il convient de relever que les expropriés n’apportent aucun élément de preuve sur les bénéfices envisagés si ce n’est un article de presse et que ces éléments sont contestés par l’expropriant. Il y a lieu de souligner que le prix de vente après aménagement ne peut être pris en compte indépendamment des frais même de cet aménagement et non seulement du prix au m². Ainsi cet argument tiré de l’espèce ne peut donc être retenu.


Cette exception n’est donc pas recevable.

sur l’évaluation de l’indemnité•


Aux termes de l’article L.311-5 du code de l’expropriation, il appartient au juge de l’expropriation à défaut d’accord amiable de fixer le montant des indemnités allouées aux expropriés.


En application des articles L.321-1 et L.322-1 à L.322-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, les indemnités allouées doivent couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation et leur montant est fixé d’après la consistance des biens expropriés à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété, en fonction de l’estimation de ces biens à la date de la décision de première instance et en considération de leur usage effectif à une date, dite date de référence, elle-même appréciée à la date de la décision de première instance.


En l’espèce, il y a lieu de constater que la date de référence retenue soit le 10 octobre 2013, n’est plus contestée ni la qualité du terrain qui n’est pas un terrain à bâtir.


Les appelants versent 3 termes de comparaison :


- la pièce n°1 correspond à un compromis de vente à un aménageur foncier daté 3 juin 2000 situé à Juigné-sur-Loire à la Naubert d’une contenance de 1ha 06a 08ca au prix de 129 374,33 euros (soit 12,19 euros/m²).


- la pièce n°2 correspond à un compromis de vente à la société SCCV angevine de construction d’un bien situé à Juigné-sur-Loire à la Naubert d’une contenance de 1ha 06a 08ca au prix de 339 456 euros avec une condition suspensive devant intervenir avant le 30 avril 2012 (soit 32 euros/m²).


- la pièce n°3 correspond à une convention entre la commune de Juigné-sur-Loire et consorts K en date du 26 juillet 2007 de leur bien au prix de 30 euros du m².


Toutefois, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article L.322-2 du code de l’expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision en première instance.


Les termes de comparaison versés par les appelants ne peuvent être retenus n’étant pas liés à des actes translatifs de propriété s’agissant de compromis de vente anciens et alors que la convention visée par ailleurs est caduque comme le relève l’intimée et tel que cela résulte de la pièce 4 de l’intimée s’agissant du courrier de la commune en date du 7 novembre 2008 relevant le caractère nul, non avenu et caduc de la convention et alors que les sociétés d’aménagement pour le projet se sont retirées.


Ainsi le terme n°2 des appelants vise une condition suspensive échue au 30 avril 2012 et ainsi la vente n’a pu se réaliser. De surcroît, le terme n°1 daté de 2000 vise d’une part un prix au m² de 12,19 euros qui n’est pas pertinent compte tenu de son ancienneté, puisqu’il ne peut en effet être tiré aucun enseignement s’agissant de mutations ou projets de mutations trop anciens en l’espèce un compromis de plus de 20 ans qui n’est en conséquence pas pertinent.


Il convient de relever que deux termes de comparaison du commissaire du gouvernement sont situés à près de 20km (Villevêque) des biens expropriés et ne peuvent en conséquence être retenus comme t e r m e s d e r é f é r e n c e . S e u l e s d o i v e n t d o n c ê t r e p r i s e n c o m p t e l e s v e n t e s s i t u é e s à Sainte-Gemmes-sur-Loire sur la base de 7 euros le m² et celui de Saint-Sylvain d’Anjou sur la base d’un prix au m² de 6,20 euros.


La société Alter Public fournit trois termes de comparaison :


- le 1er terme de comparaison est situé dans le périmètre de la DUP et concerne une vente amiable conclue entre Alter Public et l’indivision Moreau sur la base d’un prix au m² de 7,5 euros de trois parcelles de terre d’une superficie totale de 3994 m² en date du 14 septembre 2018.


- le terme n°2 est lié à un jugement d’expropriation du 26 avril 2018 confirmé par la Cour d’appel d’Angers du 4 juin 2019 ayant fixé le prix au m² à 6 euros alors qu’il s’agissait de biens similaires en nature de terre classés en zone 1AU dans une commune similaire située à 5 km des biens visés à la présente procédure.


- le terme n°3 est situé à Mûrs-Érigné, commune voisine des Garennes-sur-Loire mais plus proche d’Angers et correspondant à une vente amiable au prix de 6,76 euros le m² en date due 17 février 2017.


C’est à juste titre que le juge de l’expropriation d’Angers a retenu ces termes de comparaison comme étant pertinents et devant être retenus comme bases d’évaluation.


S’il n’est pas contesté que le terrain exproprié est non bati, en état de terre, compte tenu de sa situation il y a lieu de confirmer l’évaluation effectuée par le juge de l’expropriation tant au principal que concernant l’indemnité de remploi.


Sur les demandes annexes•

Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X demandent la condamnation de l’expropriant à leur verser la somme de 4 000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile, ils seront déboutés de leur demande.


La société Alter Public demande quant à elle la condamnation de Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X à lui verser la somme de 3 000 euros, en équité il sera fait droit à cette demande à hauteur de 800 euros.


Parties succombantes, Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X seront condamnés aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS


Par arrêt contradictoire et mise à disposition au greffe,


La Cour,


- CONFIRME le jugement du juge de l’expropriation d’Angers en date du 26 novembre 2019 en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à transmission de la question de constitutionnalité à la Cour de cassation ;


- DIT n’y avoir lieu à surseoir à statuer ;


- CONFIRME le jugement du juge de l’expropriation d’Angers en date du 30 janvier 2020 en toutes ses dispositions ;

y ajoutant


- CONDAMNE Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X à payer à la société Alter Public la somme de 800 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile ;


- CONDAMNE Mmes Z-T U veuve X, M X épouse Y, Z-N X épouse H, O X épouse B, Q X épouse C et MM. P X et L X aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

S. AA S. AC 1. AE AF AG AH

8 route de Saint-Génard
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Cour d'appel d'Angers, Expropriation, 5 avril 2022, n° 20/00006