Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 17 novembre 2020, n° 19/02419

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 1re ch. civ., 17 nov. 2020, n° 19/02419
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 19/02419
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bordeaux, 22 avril 2019, N° 19/00073
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE


ARRÊT DU : 17 NOVEMBRE 2020

(Rédacteur : Béatrice PATRIE, présidente)

N° RG 19/02419 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-K75N

SA ENEDIS

c/

T A

CK DK DL

U F

W G

ET AUTRES

Nature de la décision : AU FOND

JONCTION AVEC DOSSIER RG 19/05324

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 23 avril 2019 par le Juge des Référés du tribunal de grande instance de BORDEAUX (RG : 19/00073) suivant deux déclarations d’appel du 29 avril 2019 (RG 19/02419) et du 8 octobre 2019 (RG 19/05324)

APPELANTE suivant déclaration d’appel en date du 29 avril 2019 et INTIMEE :

SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF, agissant en la personne du président de son directoire domicilié en cette qualité au siège social sis […]

représentée par Maître Fabrice DELAVOYE de la SELARL DGD AVOCATS, avocat postulant au barreau de BORDEAUX et assistée de Maître BD PIQUEMAL de la SCP PIQUEMAL & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE

INTIMÉS sur déclaration d’appel en date du 29 avril 2019 :

T A

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

CK DK DL

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant Lieu-Dit Capéran – 47700 POUSSIGNAC

AB E

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

U F

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

W G

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AD H

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AF I

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

DF Z J

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

W K

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AI L

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AK M

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AM N

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AO B

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

APPELANTS suivant déclaration d’appel en date du 8 octobre 2019 :

AB P épouse X

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AQ R

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AS AT

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AU AT

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AV AW

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AX AY

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

[…]

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AZ BA

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

BB BC

née le […] à […]

de nationalité Belge

demeurant […]

BD BC

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

DQ DO

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant 15 rue DL Valery – 33200 BORDEAUX

AB DO-DP

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant 15 rue DL Valery – 33200 BORDEAUX

BE BF

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant 116 rue DL Doumer – 33700 MÉRIGNAC

[…]

née le […] à […]

de nationalité Italienne

demeurant 116 rue DL Doumer – 33700 MÉRIGNAC

BG BH

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

BI BJ

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

BK BL

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

BM BN

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

BK BO

né le […] à Cours-de-Monségur (77)

de nationalité Française

demeurant 04 Les Gourdins Est – 33580 COURS-DE-MONSÉGUR

Claudie TOUILLET-BO

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant 04 Les Gourdins Est – 33580 COURS-DE-MONSÉGUR

BP BQ

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

BR BS

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

BT BU

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant Lieu-Dit le Placial Bas – 24480 MOLIERES

BV BW

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

T BX

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

BY BZ

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

CA CB

née le […] à […]

de nationalité Allemande

demeurant […]

Y-DQ DR

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AZ CC

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

Z BM DH

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AS CD

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant 33 rue Denfert-Rochereau – 33400 TALENCE

CE CF

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant 3 rue du Colonel Fabien – 24660 COULOUNIEIX-CHAMIERS

CG CH

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

CI CJ

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

CK CL

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

CM CN

né le […] à Mont-de-Marsan (40)

de nationalité Française

demeurant 55 avenue Y Jaurès – 33270 FLOIRAC

CO CP

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

Y-DI DJ

né le […] à Clermont-Ferrand (63)

de nationalité Française

demeurant […]

AD CQ

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

CR CS

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AD CT

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AZ CU

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

Z-W DT-DU

née le […] à Saint-Siméon de Bressieux (38)

de nationalité Française

demeurant […]

DS DT-DU

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

CZ DV-DV

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

CV CW

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

CX CY

né le […] à Colomb-Bechar (ALGÉRIE)

de nationalité Française

demeurant 28 rue Denfert-Rochereau – 33400 TALENCE

CZ DA

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

DB DA

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

T DC

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

W DC

née le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

AZ DD

né le […] à […]

de nationalité Française

demeurant […]

représentés par Maître Pierre HURMIC de la SCP D’AVOCATS HURMIC, KACI, PORTRON, avocat postulant au barreau de BORDEAUX et assistés de Maître AX DURAND de la SARL LEXPRECIA et de Maître CZ LEGUEVAQUES DE LA SELEURL CZ LEGUEVAQUES, avocats plaidants au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 septembre 2020 en audience publique, en double rapporteur, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Vincent BRAUD, conseiller et Bérengère VALLÉE, conseiller chargée du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Béatrice PATRIE, président,

Vincent BRAUD, conseiller,

Bérengère VALLÉE, conseiller,

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 2 janvier 2019, Mme A et 18 autres demandeurs ont fait assigner la SA ENEDIS (ci-après ENEDIS), prise en son établissement de Mérignac, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux, pour s’opposer à l’installation d’un compteur électrique 'Linky’ ou en demander le retrait. Cette instance a été enrôlée sous le numéro 19/73.

Par acte du même jour, Mme B a fait assigner le même défendeur devant la même juridiction. Cette instance a été enrôlée sous le numéro 19/75.

Par acte également du même jour, Mme C et 166 autres demandeurs ont fait assigner le même défendeur devant la même juridiction. Cette instance a été enregistrée sous le numéro 19/76.

Enfin, et toujours par acte du 2 janvier 2019, M. D et 18 autres demandeurs ont fait assigner ENEDIS devant la même juridiction. Cette instance étant enregistrée sous le numéro 19/77.

Ces instances ont été jointes.

Les demandes des parties étaient les suivantes :

1°) sur le fondement de l’article 809 alinéa 1 du code de procédure civile, de faire injonction à ENEDIS, sous astreinte de 500 € par jour de retard et par point de livraison :

— de n’installer aucun appareil 'Linky', assimilé ou assimilable, et le cas échéant de faire remplacer tout appareil 'Linky’ par un compteur simple et sûr, et ce par un électricien professionnel et qualifié pour une intervention sous tension, en respectant notamment la norme NF C14-100,

— de délivrer une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type 'Linky', notamment dans les fréquences comprises entre 35 et 95 KHz, y compris en provenance du voisinage des points de livraison,

— de ne réclamer, faire réclamer, recouvrer, faire recouvrer ou encore bénéficier, y compris par l’intermédiaire d’un tiers, toute somme supplémentaire par rapport à un consommateur ayant opté pour le compteur 'Linky', consécutivement au refus de l’installation de l’appareil litigieux, au refus des nouveaux courants porteurs en ligne ou encore à la réalisation de la relève habituelle,

— de rétablir le courant électrique sur les points de livraison litigieux par l’intermédiaire d’un électricien professionnel et qualifié, toutes les fois que cette livraison aurait été interrompue consécutivement au refus de l’installation du compteur Linky ou des nouveaux courants

porteurs en ligne,

2°) sur le fondement de l’article 808 du code de procédure civile, de faire injonction à ENEDIS, sous astreinte de 50 € par jour de retard par catégorie d’information et par personne, de communiquer :

— la liste précise de toutes les données que le compteur 'Linky’ est en capacité de communiquer en plus des données de consommation, y compris lors des interrogations par le concentrateur,

— la liste complète de tous les capteurs compris dans le compteur 'Linky', avec notamment leurs références standardisées et leurs caractéristiques principales,

— la fréquence par seconde à laquelle le composant le plus précis du compteur 'Linky’ échantillonne la consommation électrique et la manière dont sont traitées les données issues de cet échantillonnage,

— la liste précise de toutes les mémoires vives et mortes incluses dans le compteur 'Linky', notamment leurs références standardisées et leurs caractéristiques principales dont leurs vitesses en bits par seconde et leurs capacités en octets,

— la liste précise de tous les départs de feu, qu’ils aient ou non donné lieu à un incendie, survenus depuis le 1er mars 2010 sur un point de livraison disposant d’un compteur 'Linky', en amont ou en aval, avec l’indication pour chaque événement de son lieu, de sa date, de la date de pose du compteur, de la date et de la nature de la dernière intervention du distributeur ou d’un tiers mandaté par lui, de l’état des composants du compteur après l’événement, en précisant le type de détériorations subies dont notamment l’explosion, de la composition de la platine support sur laquelle le compteur est installé, des causes et justifications telles que rapportées par le client, par tout témoin, par le fournisseur, par le distributeur et par l’expert, et de l’emplacement et des conditions de garde du compteur 'Linky',

— le détail des mesures techniques prises pour prévenir, à l’intérieur du compteur 'Linky', toute élévation de température, tout arc électrique et tout rayonnement pouvant causer un danger,

— la description précise de toutes les modifications matérielles et logicielles apportées au compteur 'Linky’ depuis le 1er mars 2010 pour prévenir de nouveaux départs de feu ou d’incendie,

— le nombre total de platines support incombustibles installées concomitamment à la pose d’un compteur 'Linky’ depuis le 1er mars 2010,

— la police d’assurance souscrite par ENEDIS pour garantir les risques liés au déploiement du compteur 'Linky',

— la description précise des plus anciens logiciels ayant été implantés dans le compteur 'Linky’ et notamment toutes leurs fonctions,

— l’historique précis de toutes les modifications faites sur les logiciels destinés au compteur 'Linky’ ainsi que leurs fonctions,

— la description précise des logiciels programmés, envisagés ou étudiés pour le compteur 'Linky’ pour les cinq prochaines années et notamment toutes leurs fonctions,

— la description précise de la partie métrologie du compteur 'Linky’ dont le volet matériel et le volet logiciel, y compris la fréquence à laquelle la consommation est relevée ainsi que le détail de tous les procédés matériels et/ou logiciels appliqués aux relevés,

— la description précise de la partie Modem CPL du compteur 'Linky', notamment les références standardisées de ses composants et leurs caractéristiques principales dont leur puissance maximale en Ampères et en Volts, ainsi que la description précise du type de signaux générés,

— la liste précise et exhaustive de toutes les normes auxquelles le compteur 'Linky’ est certifié conforme par un organisme certificateur, ainsi que l’identité de ces organismes et les points de discussion survenus sur le respect de ces normes, auxquelles le compteur 'Linky’ est prétendu conforme par ENEDIS, et auxquelles le compteur devait être mis en conformité mais n’a pas pu l’être, ou auxquelles il a été renoncé, et les raisons exactes de ces disqualifications,

— les conditions essentielles de chacune des conventions passées depuis 2005 avec ou en présence de l’une ou plusieurs des entités CAPGEMINI CONSULTING, CAPGEMINI FRANCE, CAPGEMINI, CAPGEMINI SERVICES, EDF, AGENCE ORE, en lien avec le compteur 'Linky’ et/ou les données issues de ce système,

3°) de condamner ENEDIS à verser à chacun des demandeurs 50 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner ENEDIS aux dépens.

Par ordonnance de référé du 23 avril 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a:

— déclaré irrecevable la note en délibéré produite par la société ENEDIS le 20 mars 2019,

— ordonné la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 19/73, 19/75, 19/76 et 19/77 et dit que la procédure sera suivie sous la première de ces références,

Vu l’article 809 alinéa 1 du code de procédure civile,

— fait injonction à la société ENEDIS d’installer aux points de livraison de Mme A, Mme DK DL, Mme E, Mme F, Mme G, M. H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B, un dispositif de filtre les protégeant des champs électromagnétiques générés par la bande CPL associée au compteur 'Linky',

— dit que, passé un délai de deux mois à compter de la présente décision, il courra contre la société ENEDIS une astreinte provisoire de 50 € par jour et par point de livraison non mis en conformité, pendant un délai de trois mois,

— dit que, passé ce délai, il appartiendra aux demandeurs de se pourvoir à nouveau ainsi qu’ils le jugeront utile,

— débouté les demandeurs de leurs autres demandes,

— débouté les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamne in solidum les demandeurs aux dépens, à l’exception de Mme A, Mme DK DL, Mme E, Mme F, Mme G, M. H, Mme I, Mme

J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B qui conserveront la charge de leurs propres frais de procédure.

Pour statuer ainsi qu’il l’a fait, le juge des référés a considéré que

les demandeurs ne justifient pas de l’existence d’un trouble manifestement illicite, que ce soit par rapport au droit de la consommation ou par rapport au RGPD ; ils ne justifient pas davantage d’un dommage imminent, que ce soit par rapport à leur santé, par rapport à la sécurité des personnes et des biens, ou par rapport à la qualité du travail demandé aux installateurs. Les demandeurs ne justifient pas davantage d’une urgence, ni d’un intérêt légitime à obtenir la communication des documents ou renseignements qu’ils réclament. Par contre, les consorts A et autres justifient d’un trouble manifestement illicite par manquement au principe de précaution, en ce que l’installation d’un compteur 'Linky’ s’est faite à leur domicile ou y est envisagée sans la pose d’un filtre les protégeant des champs électromagnétiques alors que ces personnes justifient de leur électro-hypersensibilité. Il y a lieu en conséquence de condamner la société ENEDIS à l’installation d’un tel filtre aux points de livraison ainsi définis, sous l’astreinte.

La société ENEDIS a relevé appel de cette ordonnance par déclaration au greffe de son avocat le 29 avril 2019, en intimant Mme A, Mme DK DL, Mme E, Mme F, Mme G, M. H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B (ci-après les consorts A et autres), en ce que la décision a :

— fait injonction à la société ENEDIS d’installer aux points de livraison de Mme A, Mme DK DL, Mme E, Mme F, Mme G, M. H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B, un dispositif de filtre les protégeant des champs électromagnétiques générés par la bande CPL associée au compteur 'Linky',

— dit que, passé un délai de deux mois à compter de la présente décision, il courra contre la société ENEDIS une astreinte provisoire de 50 € par jour et par point de livraison non mis en conformité, pendant un délai de trois mois,

— dit que, passé ce délai, il appartiendra aux demandeurs de se pourvoir à nouveau ainsi qu’ils le jugeront utile.

Par acte du 12 juillet 2019, les consorts A et autres ont fait assigner la société ENEDIS en référé devant le Premier Président de la cour d’appel de Bordeaux au fins de voir radier l’affaire du rôle, faisant notamment valoir que la société n’a pas exécuté son obligation principale de pose du dispositif de protection.

Par ordonnance de référé du 3 octobre 2019, le Premier Président de la cour d’appel de Bordeaux a :

— débouté les demandeurs de leur demande de radiation de l’appel formé par la société ENEDIS contre l’ordonnance de référé n° 19/00073 du juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux du 23 avril 2019,

— débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

— condamné solidairement les demandeurs au référé aux dépens.

Dans ses motifs, l’ordonnance précise qu’ENEDIS a effectivement pris contact avec chacun des clients chez qui elle est tenue d’installer un dispositif de filtre et qu’en l’absence de précision concrète sur ce que constitue le 'dispositif de filtre les protégeant des champs électromagnétiques générés par la bande CPL associée au compteur Linky', il n’incombe pas au Premier Président d’ajouter à la décision concernée, qui doit se suffire à elle-même.

Par courrier transmis par RPVA le 8 octobre 2019, les avocats des intimés ont sollicité un renvoi d’audience, en raison de l’appel interjeté par 52 demandeurs déboutés en première instance par l’ordonnance de référé du 23 avril 2019, cette ordonnance n’ayant jamais été signifié par ENEDIS, et demandaient la jonction des affaires.

Mme P épouse X, M. R et 50 autres demandeurs déboutés en première instance, ont relevé appel de cette ordonnance par déclaration au greffe de leur avocat le 8 octobre 2019, en intimant la société ENEDIS, en ce que la décision a :

— fait injonction à la société ENEDIS d’installer aux points de livraison de Mme A, Mme DK DL, Mme E, Mme F, Mme G, M. H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B, un dispositif de filtre les protégeant des champs électromagnétiques générés par la bande CPL associée au compteur 'Linky',

— dit que, passé un délai de deux mois à compter de la présente décision, il courra contre la société ENEDIS une astreinte provisoire de 50 € par jour et par point de livraison non mis en conformité, pendant un délai de trois mois,

— dit que, passé ce délai, il appartiendra aux demandeurs de se pourvoir à nouveau ainsi qu’ils le jugeront utile,

— débouté les demandeurs de leurs autres demandes,

— débouté les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamne in solidum les demandeurs aux dépens, à l’exception de Mme A, Mme DK DL, Mme E, Mme F, Mme G, M. H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B qui conserveront la charge de leurs propres frais de procédure.

L’affaire, fixée à l’audience du 15 octobre 2019, a été renvoyée à l’audience du 3 mars 2020 et les deux instances ont été jointes sous le n° RG 19/02419 par avis du 15 octobre 2019.

La société ENEDIS est donc appelante à l’égard de 13 intimés (déclaration d’appel du 29 avril 2019) et intimée à l’égard de 52 appelants (déclaration d’appel du 8 octobre 2019).

Par conclusions d’appel transmises par RPVA le 7 juin 2019, ENEDIS demande à la cour de :

Vu l’article et 809 du code de procédure civile,

Vu le Code de l’énergie,

Vu les pièces justificatives,

— réformer l’ordonnance entreprise sur les chefs limités de l’appel,

— débouter les requérants de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions contraires,

— les condamner in solidum à verser à Enedis une indemnité de 50 € chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les condamner aux entiers dépens.

Par conclusions d’appel en défense n°1 formant appel incident transmises par RPVA le 3 octobre 2019, les consorts A et autres intimés demandent à la cour de :

Vu l’article 809 alinéa 1er du code de procédure civile,

— confirmer l’ordonnance du 23 avril 2019 n°19/00073 en ce qu’elle a :

* fait injonction à la société ENEDIS d’installer aux points de livraison de Mme A, Mme DK DL, Mme E, Mme F, Mme G, M. H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B, un dispositif de filtre les protégeant des champs électromagnétiques générés par la bande CPL associée au compteur 'Linky',

— l’infirmer en ce qu’elle a :

* dit que, passé un délai de deux mois à compter de la présente décision, il courra contre la société ENEDIS une astreinte provisoire de 50 € par jour et par point de livraison non mis en conformité, pendant un délai de trois mois,

* dit que, passé ce délai, il appartiendra aux demandeurs de se pourvoir à nouveau ainsi qu’ils le jugeront utile,

* débouté les demandeurs de leurs autres demandes,

— la réformant sur ces points :

* enjoindre à la SA ENEDIS de délivrer aux intimés une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky notamment dans les fréquences comprises entre 35.000 Hertz et 95.000 Hertz,

* enjoindre à la SA ENEDIS de conserver et au besoin de remettre en état les points de livraison où les intimés demeurent ou résident, sans aucun appareil dit 'Linky’ ou autre appareil assimilé ou assimilable à raison de ses caractéristiques,

* enjoindre à la SA ENEDIS d’exécuter l’ensemble des injonctions prononcées ou confirmées sous astreinte de 500 € par jour de retard et par point de livraison, passé 15 jours à compter de la présente décision,

* dire que la Cour se réserve la liquidation des astreintes et des frais engagés pour la constatation des éventuels manquements, notamment par voie d’expert comme d’huissier.

— y ajoutant :

* condamner la SA ENEDIS à verser aux intimés 1.200 € au titre des frais irrépétibles d’appel,

* condamner la SA ENEDIS aux entiers dépens d’appel en ce compris les frais d’huissiers

* rejeter toutes autres demandes,

* constater que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Par conclusions d’appel n°2 transmises par RPVA le 18 février 2020, les consorts P et autres appelants demandent à la cour de :

— annuler l’ordonnance déférée à la cour en ce qu’elle a :

* débouté les demandeurs de leurs autres demandes,

* débouté les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné in solidum les demandeurs au dépens,

— la réformant et y ajoutant :

* enjoint à la SA ENEDIS de délivrer à Mme P et autres appelants une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky notamment dans les fréquences comprises entre 35.000 et 95.000 Hertz,

* enjoint à la SA ENEDIS de conserver et au besoin de remettre en état les points de livraison où Mme P et autres appelants demeurent ou résident sans aucun appareil dit 'Linky’ ou autre appareil assimilé ou assimilable à raison de ses caractéristiques,

* enjoint à la SA ENEDIS d’exécuter l’ensemble des injonctions prononcées ou confirmées sous astreinte de 500 € par jour de retard et par point de livraison passé 15 jours à compter de la présente décision,

* dit que la cour se réserve la liquidation des astreintes et des frais engagés pour la constatation des éventuels manquements, notamment par voie d’expert comme d’huissier,

* condamne la SA ENEDIS à verser à Mme P et autres appelants 2.600 € au titre des frais irrépétibles d’appel,

* condamne la SA ENEDIS aux entiers dépens d’appel en ce compris les frais d’huissier,

* rejette toutes autres demandes,

* constate que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Par conclusions d’intimée transmises par RPVA le 17 décembre 2019, ENEDIS demande à la cour de :

Vu les articles 31, 808 et 809 du code de procédure civile,

Vu le Code de l’énergie,

Vu les pièces justificatives,

— juger irrecevables pour défaut d’intérêt à agir :

* les époux BO BK,

Pour le surplus :

— dire n’y avoir lieu à référé,

— débouter les requérants de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions contraires,

— les condamner in solidum à verser à Enedis une indemnité de 50 € chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les condamner aux entiers dépens.

Par message RPVA du 26 février 2020, l’avocat de la société ENEDIS a sollicité la disjonction des affaires et le renvoi de l’audience dans le cadre de la procédure dans laquelle ENEDIS est intimée.

Par courrier du 2 mars 2020, la présidente de la première chambre civile de la cour d’appel de Bordeaux a indiqué ne pas faire droit à la demande de disjonction qui n’est pas motivée et ne pas ordonner le renvoi de l’affaire, sauf si celui-ci était demandé dans le cadre du mouvement d’action des avocats.

En raison du mouvement de grève des avocats, l’affaire fixée à l’audience du 3 mars 2020 a été renvoyée à l’audience du 29 septembre 2020.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé à l’ordonnance déférée et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En substance, les moyens des parties et les points sur lesquels la cour aura à se prononcer sont les suivants :

1-2-1-2 : Les moyens

A – Observations préliminaires

Les consorts A et autres et les consorts P et autres considèrent que l’installation d’un compteur 'Linky’ à leur domicile constituerait un trouble manifestement illicite ou les exposerait à un dommage imminent.

Ils soutiennent en premier lieu qu’il n’existe aucune obligation pour le consommateur de subir la pose d’un compteur 'Linky’ d’une part parce que la Directive européenne 2009/72 ne crée aucune obligation directe en droit interne, d’autre part parce que cette directive est destinée à la protection des consommateurs et non à la réduction de leurs droits, et encore parce que le modèle de compteur communiquant qu’elle prévoit n’y est pas prévu. Ils ajoutent que l’étude invoquée par ENEDIS serait manifestement frauduleuse, la société CAPGEMINI CONSULTING ayant actualisé le modèle économique commandé par le Conseil de Régulation de l’Electricité étant dans le même temps rémunérée par ENEDIS pour la conception et la réalisation du compteur 'Linky'.

Les demandeurs observent que les dispositions de droit interne invoquées par ENEDIS ne décrivent pas davantage le type de matériel à utiliser. Surtout, ils considèrent que l’article R. 341-8 du Code de l’Energie, sur lequel ENEDIS se fonde pour se prétendre obligée à l’installation des compteurs, ne peut prévaloir ni sur le code de la consommation, ni sur le Règlement européen sur la protection des données personnelles, ni encore sur la Charte de l’Environnement annexée à la Constitution. De toute manière, ils remarquent que l’obligation faite à ENEDIS ne concerne que 80 % des installations, ne donne au distributeur aucune

prérogative permettant de passer outre le refus du consommateur, et n’autorise pas un dispositif permettant un accès aux données par un tiers non autorisé.

B – Le trouble manifestement illicite

Les demandeurs invoquent en conséquence un trouble manifestement illicite qui serait constitué par :

1°) la violation du droit de la consommation :

Les demandeurs rappellent que l’article L. 111-1 porte une obligation d’information sur les caractéristiques essentielles du bien ; or, ENEDIS dissimulerait la capacité du compteur 'Linky’ à identifier les appareils électriques des clients.

En outre, ENEDIS mentirait sur l’utilisation qu’elle fait des nouveaux courants électriques porteurs, qu’elle prétend n’utiliser que quelques secondes par jour alors que ce courant, dit CPL, serait utilisé de manière quasi continue.

Les demandeurs contestent encore l’atteinte à la liberté de la concurrence qui résulterait du déploiement du nouveau compteur 'Linky', au détriment d’autres acteurs du marché de la domotique, tels que Google ou autres.

Ils contestent encore l’origine contractuelle de l’obligation qui leur serait faite de laisser procéder au remplacement de leur compteur électrique, en remarquant que la clause des contrats qu’ENEDIS invoque ne peut résulter que d’un décret du 30 décembre 2015, et qu’elle est donc nécessairement absente des contrats antérieurs. En outre, ils soutiennent que toute clause ayant pour objet ou pour effet d’affranchir le professionnel de son obligation de communiquer au consommateur tout projet de modification des conditions contractuelles est réputée non écrite. Enfin, la clause invoquée par ENEDIS provoquerait un déséquilibre significatif dans un contrat d’adhésion sous monopole, et serait de ce fait réputée abusive.

2°) la violation du RGPD :

Les demandeurs soutiennent que ce règlement, entré en vigueur le 25 mai 2018, exige que le consentement au traitement des données soit recueilli auprès de la personne concernée, et impose un principe de transparence, qui s’opposent à ce que des données personnelles soient recueillies et stockées dans un dispositif contrôlé à distance sans leur consentement, et utilisées dans un processus opaque confié à des experts.

3°) la violation du principe de précaution :

Les demandeurs soutiennent en premier lieu que l’appareil, ou son installation, présenterait des défectuosités constituant un danger pour les personnes et les biens, du fait de la formation insuffisante des poseurs, de l’absence de prise en compte des caractéristiques du tableau de comptage, et du fait de la défectuosité de l’appareil lui-même, plus fréquemment impliqué dans des départs de feu que les anciens compteurs.

En second lieu, ils se fondent sur un rapport de l’ANSES, dont il résulte que le faible nombre d’études expérimentales ou épidémiologiques ne permet pas de conclure de manière définitive quant à l’existence ou non d’effets délétères liés à l’exposition aux radiofréquences dans la bande 9 KHz-10 Mhz. Or, il a été ajouté au courant électrique traditionnel un courant dit CPL (courant porteur en ligne) permettant la communication des données recueillies, générateur de radiofréquences, dont les conséquences ne sont donc pas connues avec certitude.

C – Le dommage imminent

Une partie des demandeurs soutient être médicalement qualifiées d’électrohypersensibles, et que les nouveaux champs électromagnétiques ajoutés par ENEDIS les exposeraient à des troubles importants et invalidants du sommeil, dont certains seraient apparus suite au changement du compteur électrique. Ils en concluent qu’il doit être procédé, comme préconisé par l’ANSES dans son rapport, à l’installation de filtres permettant la délivrance d’un courant exempt de risques.

Une autre partie des demandeurs, non affectés d’électrohypersensibilité, invoque un dommage psychologique, causé par l’implantation d’un objet perçu comme menaçant, voire dangereux pour la santé, pour la vie privée et pour les biens. Cette obligation serait vécue comme une intrusion dans le refuge privilégié que constitue le domicile privé, et exposerait ainsi les demandeurs à un dommage psychologique imminent.

D – Les mesures urgentes que justifie l’existence d’un différend

Les demandeurs estiment que l’urgence est caractérisée dès lors qu’un retard dans la décision qui doit être prise serait de nature à compromettre leurs intérêts, et ils estiment que les informations demandées sont nécessaires à l’appréciation du différend qui les oppose à ENEDIS.

1-2-2 : La société ENEDIS

1-2-2-1 : les demandes

Dans le dernier état de ses conclusions, soutenues oralement à l’audience, la société ENEDIS demande au juge de débouter les demandeurs de l’ensemble de leurs demandes, et de les condamner chacun à une indemnité de 50 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

1-2-2-2 : les moyens

A – Observations préliminaires

La société ENEDIS rappelle que les compteurs électriques n’appartiennent pas aux consommateurs, mais sont des ouvrages concédés relevant du réseau public de distribution d’électricité.

Elle considère en second lieu que le remplacement des anciens compteurs par des compteurs dits 'intelligents’ est une obligation légale, découlant de la Directive 2009/72 du 13 juillet 2009, transposée en droit interne par la loi 'Grenelle de l’Environnement’ du 3 août 2009 et le décret du 31 août 2010. Ces dispositions ont été reprises et codifiées aux articles L. 341-4 et R. 341-4 du Code de l’Energie.

La phase d’expérimentation prévue par la Directive a été exécutée en 2010 et 2011 sur les compteurs 'Linky', et ses résultats ont été validés par la Commission de Régulation de l’Energie. Un arrêté ministériel du 4 janvier 2012 a en conséquence fixé les fonctionnalités à attendre des compteurs 'intelligents', sous le contrôle de la CNIL, qui a formulé, dans sa décision n° 2012-404, des recommandations dont il a été tenu compte.

Enfin, elle relate le calendrier de déploiement du compteur 'Linky'.

B – Les troubles manifestement illicites

1°) l’existence d’une obligation légale et contractuelle :

Enedis soutient en premier lieu que non seulement les troubles invoqués ne peuvent être manifestement illicites, mais qu’au contraire ils s’inscrivent dans un cadre légal et réglementaire qui s’impose non seulement à elle, mais aussi aux usagers. Elle rappelle ainsi, non seulement les textes cités ci-dessus, mais également que l’article R. 341-8 du code de l’énergie impose un objectif de déploiement de 80 % de points de livraison équipés d’un compteur intelligent avant le 31 décembre 2020, et de 100 % en 2024 au plus tard. Elle souligne que le caractère obligatoire de ce déploiement est régulièrement rappelé tant par la jurisprudence administrative que par la jurisprudence judiciaire.

Enedis se fonde en second lieu sur les dispositions contractuelles, figurant dans les dispositions générales relatives à l’accès et l’utilisation du réseau public de distribution, annexées au contrat de fourniture conclu entre elle et chacun des demandeurs. Aux termes de ces dispositions générales, le client s’est engagé à permettre à ENEDIS d’effectuer la pose, la modification, l’entretien et la vérification du matériel de comptage. Ces dispositions figurent aussi dans le contrat du fournisseur EDF, ainsi que dans celui du fournisseur DIRECT ENERGIE, et sont reprises dans l’article L. 111-6-7 du code de la construction et de l’habitation.

2°) l’absence d’atteinte aux droits des consommateurs :

Après avoir constaté que plusieurs griefs [NB : non repris dans les dernières conclusions des demandeurs, et donc considérés comme abandonnés] ne sont soutenus par aucune démonstration, la société ENEDIS soutient ne pas être tenue de l’obligation d’information, qui pèse sur les fournisseurs d’électricité, alors qu’elle est concessionnaire du service public de la distribution.

Mais elle affirme également remettre aux usagers une notice d’information complète sur le compteur 'Linky', répondant aux exigences légales d’information du consommateur.

Elle rappelle encore qu’elle diffuse, auprès de tous les usagers qui manifestent leur refus du compteur 'Linky', une notice d’information contenant des réponses sur les risques sur la santé, le respect de la vie privée et les informations transmises par le compteur. Cette notice rappelle que les données 'fines’ (consommation horaire et/ou à la demi-heure) ne sont collectées que si l’usager donne son accord, et qu’aucune information n’est transmise à un tiers sans accord de l’usager. Elle précise encore qu’une collecte 'locale’ (effectuée sur le compteur mais non transmise par le réseau) sera disponible, mais que les usagers auront la possibilité de s’opposer à cet enregistrement, de désactiver la conservation, ou d’en supprimer le contenu.

Concernant les clauses prétendument abusives, ENEDIS rappelle que ces clauses, annexées aux contrats de fourniture d’électricité, s’inscrivent dans le cadre des obligations que la loi et les règlements lui imposent.

3°) l’absence d’atteinte au RGPD :

La société ENEDIS conteste en premier lieu toute accusation d’opacité, non étayée d’une démonstration objective. En second lieu, elle rappelle se conformer au cadre législatif et réglementaire, qui lui fait obligation, non seulement de collecter des données de consommation, mais également de les communiquer aux fournisseurs d’électricité et aux responsables d’équilibre pour l’exercice de leurs missions. Elle se réfère ainsi aux articles L. 111-73, R. 111-26, R. 111-30, R. 341-5, et D 341-18 à D 341-22 du code de l’énergie, et constate qu’aucune preuve n’est apportée de ce qu’elle ne respecterait pas ce cadre, dans

lequel elle agit sous le contrôle de la CNIL.

Concernant encore l’ordre public économique, elle considère que les demandeurs sont irrecevables à se prévaloir d’une atteinte à la libre concurrence dont seraient victimes les acteurs du monde économique électronique tels que Google.

4°) l’absence d’atteinte au principe de précaution :

Enedis conteste avoir recours à des sous-traitants non professionnels ou incompétents, et rappelle qu’elle les a sélectionnés au terme de procédures d’appel d’offres, comprenant des critères de qualité. Elle indique en outre procéder à des contrôles sur le terrain auprès des installateurs. Elle affirme respecter la norme NF C14-100, et rappelle que celle-ci n’impose pas le remplacement du panneau de comptage lors d’une opération de maintenance. Concernant les défectuosités du matériel, elle indique qu’à ce jour, aucun départ de feu n’a été imputé à un compteur 'Linky', ce que confirme le rapport d’un expert judiciaire pourtant produit par les demandeurs eux-mêmes.

Enedis rappelle la définition du principe de précaution telle qu’elle résulte de l’article 4 de la Charte pour l’Environnement, et constate qu’elle n’impose d’obligation qu’aux autorités publiques.

Par ailleurs, elle indique que toutes les mesures relatives aux champs électromagnétiques liés au CPL donnent des résultats très inférieurs aux limites définies par la recommandation européenne 1999/519/CE et par le décret 2002-775. En outre, cette technologie, utilisée en matière de distribution électrique depuis les années 1960, est largement utilisée par les appareils courants se trouvant dans une maison, qui émettent des champs électromagnétiques beaucoup plus importants que ceux liés à la distribution d’électricité. Cette inocuité a été reconnue par le Conseil d’Etat, mais également par plusieurs organismes indépendants, et notamment l’ANFR, l’ANSES et le CSTB, ainsi que par des experts sollicités par des communes dans le cadre de 'campagnes anti-Linky'.

C – Le dommage imminent

La société ENEDIS rappelle que le juge des référés ne peut intervenir que pour prévenir un dommage imminent, c’est à dire un dommage dont la réalisation est certaine en l’absence de mesures de protection.

Or, elle observe que, pour les personnes atteintes d’hypersensibilité électromagnétique, les demandeurs ne font état que d’un risque de dommage, ce qui ne permet pas de fonder la compétence du juge des référés. Elle conteste en outre que la preuve soit rapportée d’un lien entre l’état pathologique présenté par certains demandeurs et l’installation d’un compteur 'Linky'.

D – Les mesures urgentes que justifie l’existence d’un différend

La société ENEDIS oppose l’absence de démonstration d’une urgence, que confirment les choix procéduraux des demandeurs. Elle oppose également l’existence de contestations sérieuses quant au litige l’opposant aux demandeurs

Sur ce:

L’article 808 du code de procédure civile dispose que « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. »

L’article 809 du code de procédure civile dispose que « Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Sur l’existence d’un trouble manifestement illicite

Sur la violation du principe de précaution

Les plaignants soutiennent que le déploiement du compteur Linky exposerait les usagers à un risque environnemental lié aux champs électromagnétiques provoqués par le Courant Porteur en Ligne par lequel le compteur communique les données qu’il a collectées, en violation du principe de précaution consacré par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’Environnement.

L’article 4 de cette loi dispose que « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

A cet égard, le premier juge a justement relevé que ce texte , dont l’application s’étend non seulement aux activités affectant l’environnement dans des conditions susceptibles de nuire de manière grave et irréversible, mais également la santé, crée une obligation pesant sur les autorités publiques à laquelle Enedis ne saurait se soustraire, bien que personne morale de droit privé, dans la mesure où cette société est chargée d’une mission de service public qui lui confère ainsi une prérogative de puissance publique.

Or, si l’on peut admettre qu’il n’existe pas, à ce jour, de données complètes et définitives concernant les effets sanitaires potentiels liés à l’exposition aux champs électromagnétiques pour les fréquences mises en oeuvre, laissant ouvert un champ d’incertitudes, les plaignants échouent cependant à caractériser le dommage potentiel, la production d’un extrait d’un rapport de l’OMS classant les champs électromagnétiques comme « peut-être cancérigènes pour l’homme » sans préciser à quel niveau de fréquence et selon quelles conditions d’exposition ce risque apparaitrait comme une éventualité envisageable étant insuffisante pour déclencher l’application du principe de précaution.

Sur le défaut d’information

L’article L.111-1 du code de la consommation, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 14 mai 2016 dispose que :

« Tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service. En cas de litige, il appartient au vendeur de prouver qu’il a exécuté cette obligation. »

Au cas d’espèce, il doit être précisé qu’Enedis n’exerce pas l’activité de fourniture d’électricité, mais ainsi que cette société le précise dans ses écritures, exerce, « en sa qualité

de concessionnaire du service public consistant dans l’exploitation du service public de distribution d’énergie électrique (') une mission de service public consistant dans l’exploitation et l’entretien du réseau public de distribution d’énergie d’électricité qui appartient aux collectivités locales et ce, dans le cadre fixé par l’article L.121-4 du Code de l’énergie ».

Le consommateur concerné est, ainsi que le définit Enedis dans ses écritures, « le seul titulaire du contrat d’abonnement à la fourniture d’électricité, et par conséquent, lié contractuellement à Enedis s’agissant de l’acheminement et de l’activité de comptage ». Dans ses écritures, la société Enedis indique que « les appelants à l’instance sont liés à divers fournisseurs d’électricité avec lesquels ils ont conclu un contrat unique, associant fourniture et distribution d’électricité » et qu’en souscrivant un tel contrat unique, ces clients « entrent également et automatiquement dans une relation contractuelle directe avec Enedis pour les prestations relevant de l’acheminement ».

Il en résulte que pour l’exécution de ces prestations, en l’occurrence, l’installation de nouveaux compteurs Linky, la société Enedis ne pouvait pas s’exonérer de son information d’information résultant des dispositions de l’article L.111-1 du code de la consommation.

Il convient de se demander si ces consommateurs, improprement ou insuffisamment informés sur des caractéristiques essentielles d’un compteur Linky, avaient la faculté de s’opposer à la pose de ce matériel à son domicile, ou en demander ultérieurement le retrait.

Or, à cet égard, on ne saurait suivre la société Enedis lorsqu’elle affirme l’existence d’une obligation légale pour le consommateur d’accepter la pose d’un compteur Linky.

En effet, les textes visés par Enedis, à savoir une directive européenne, une loi et un décret n’imposent en rien une telle obligation.

On ne peut en effet que constater que :

— La directive 2009/79/CE du 19 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/CE prévoit : « Les Etats-membres veillent à la mise en place de systèmes intelligents de mesurequi favorisent la participation active des consommateurs au marché de la fourniture d’électricité. La mise en place de tels systèmes peut être subordonnée à une évaluation économique à long terme de l’ensemble des coûts et des bénéfices pour le marché et pour le consommateur, pris individuellement, ou à une étude déterminant quel modèle de compteurs intelligents est le plus rationnel économiquement, et le moins coûteux, et quel calendrier peut être envisagé pour leur distribution.

Cette évaluation a lieu, au plus tard, le 3 septembre 2012.

Sous réserve de cette évaluation, les Etats-membres, ou toute autorité compétente qu’ils désignent, fixent un calendrier, avec des objectifs sur une période de dix ans maximum, pour la mise en place de systèmes intelligents de mesure.

Si la mise en place de systèmes intelligents donne lieu à une évaluation favorable, au moins 80% des clients seront équipés de systèmes intelligents de mesure d’ici 2020 »

Il sera ainsi relevé que ces dispositions européennes ne prescrivent pas les caractéristiques techniques du compteur dit « intelligent » et n’établissent aucun effet horizontal entre le gestionnaire et le consommateur.

Le nouvel article L.341-4 du code de l’énergie dispose désormais :

« Les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité mettent en 'uvre des dispositifspermettant aux fournisseurs de proposer à leurs clients des prix différents suivant les périodes de l’année ou de la journée et incitant les utilisateurs des réseaux à limiter leur consommation pendant les périodes où la consommation de l’ensemble des consommateurs est la plus élevée.

Dans le cadre du déploiement des dispositifs prévus au premier alinéa du présent article et en application de la mission fixée au 7° de l’article L.322-8, les gestionnaires des réseaux publics de distribution d’électricité mettent à la disposition des consommateurs leurs données de comptage, des systèmes d’alerte liés au niveau de leur consommation, ainsi que des éléments de comparaison issus de moyennes statistiques basées sur les données de consommation locales et nationales.

Dans le cadre de l’article L. 337-3-1, ils garantissent aux fournisseurs la possibilité d’accéder aux données de comptage de consommation, en aval du compteur et en temps réel, sous réserve de l’accord du consommateur.

La fourniture des services mentionnés aux deuxième et troisième alinéas du présent article ne donne pas lieu à facturation. »

— La loi n°2009/967 du 3 août 2009 adoptée suite au « Grenelle de l’environnement » indique, notamment, dans son article 18 : « Les objectifs d’efficacité et de sobriété énergétiques exigent la mise en place de mécanismes d’ajustement et d’effacement de consommation d’énergie de pointe. La mise en place de ces mécanismes passera notamment par la pose de compteurs intelligents pour les particuliers, d’abonnement avec effacement des heures de pointe. Cela implique également la généralisation des compteurs intelligents afin de permettre aux occupants de logements de mieux connaître leur consommation d’énergie en temps réel et ainsi de la maîtriser. »

— Le décret n°2010-1022 du 31 août 2010, codifié à l’article R.341-4 du code de l’énergie dispose quant à lui : « Pour l’application des dispositions de l’article L.341-4 et en vue d’une meilleure utilisation des réseaux publics d’électricité, les gestionnaires de réseaux publics de transport et de distribution d’électricité mettent en 'uvre des dispositifs de comptage permettant aux utilisateurs d’accéder aux données relatives à leur production ou leur consommation et aux tiers autorisés par les utilisateurs à celles concernant leurs clients. »

Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la société Enedis, aucun texte légal ou règlementaire, européen ou national n’impose à Enedis, société commerciale privée, concessionnaire du service public, d’installer au domicile des particuliers des compteurs Linky, qui entrent certes dans la catégorie des compteurs intelligents ou communicants, c’est-à-dire pouvant être actionnés et interrogés à distance, mais n’en sont en réalité qu’un modèle, utilisant la technologie CPL sur le réseau à basse tension comme premier niveau de communication, un deuxième niveau étant assuré par le réseau de téléphonie mobile GPRS ou Edge.

Après la phase d’expérimentation prévue par la directive européenne, confiée par le décret du 31 août 2010 à la société ERDF (devenue Enedis), la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a « proposé de généraliser le dispositif de comptage de l’électricité communiquant baptisé « Linky » », validant ainsi le choix technico-commercial opéré par cette société, choix détachable de ses obligations de concessionnaire du service public, limitées à la mise en place de dispositifs communicants de comptage de la consommation électrique des particuliers. Il en ressort qu’Enedis n’est en mesure de se prévaloir d’aucune prérogative légale ou règlementaire l’autorisant à s’exonérer des obligations résultant des dispositions du

droit de la consommation.

Il résulte de ces considérations, qu’il y a lieu, à ce stade, d’examiner si la société Enedis a suffisamment et correctement mis le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service rendu, conformément aux dispositions de l’article L.111-1 du code de la consommation.

A cet égard, la société Enedis produit aux débats la copie d’une notice remise à tout usager chez lequel est installé un compteur Linky et précise que ces informations sont en outre reproduites sur le site internet du distributeur. Or, s’il est établi que cette notice comporte une liste d’informations parfaitement décrites par le premier juge, il ne peut être soutenu par Enedis que ce document ne comporte pas d’allégations partielles, voire inexactes.

Comme le soutiennent justement les parties adverses, intimées ou appelantes, ce document affirme faussement que le compteur Linky n’est pas en mesure de connaître la consommation des appareils de domotique pris isolément, et ne permet que de compter la consommation globale du foyer en KW/h alors que dans un reportage CN News en date du 1erdécembre 2016,dont la retranscription, non contestée par Enedis, est produite aux débats, le directeur des programmes Linky de cette société revendiquait cette fonctionnalité : « Là, vous avez une courbe qui vous permet de visualiser le démarrage ou l’arrêt de certaines installations ; là on a un exemple , on a un lave-vaisselle qui tourne, et un four qui, pour l’instant fonctionne aussi » . Cette fonction qualifiée d’ « intrusive » par les parties adverses d’Enedis, est confirmée par la publication de la thèse universitaire réalisée dans le cadre d’un contrat avec le service de Recherche et Développement de Linky qui affirme que « les caractéristiques de la consommation électrique d’un appareil pendant le court instant qui suit sa mise sous tension peuvent être utilisées à l’identification de l’appareil ».

Or, on doit considérer comme essentielle cette information au sens de l’article L.111-1 du code de la consommation dans la mesure où son abstention masque une fonctionnalité différente et supplémentaire de Linky qui, à l’évidence, ne se définit pas comme un simple compteur électrique, successeur moderne des anciens compteurs électromécaniques et des compteurs plus récents à télé-relevé, comme tente de l’affirmer improprement Enedis dans sa notice d’information, se référant aux dispositifs utilisés depuis les années 1950.

Il en est pour preuve les objectifs assignés à Linky par Enedis dans la fiche « Linky : le nouveau compteur communiquant d’ERDF » de novembre 2015 : « Big Data, usages domotiques, objets connectés 'L’installation des compteurs Linky bénéficiera à l’ensemble de la filière électrique ».

Dès lors, il y a lieu de considéré que la société Enedis a failli à son obligation d’information telle que définie par les dispositions de l’article L.111-1 du code de la consommation.

Les pratiques commerciales trompeuses

Aux termes des dispositions de l’article L.121-4 du code de la consommation, « sont considérées comme trompeuses au sens de l’article L.121-2 et L.121-3 du code de la consommation, les pratiques qui ont pour objet )'( « 19° De décrire un produit ou un service comme étant « gratuit », « à titre gracieux », « sans frais » ou autres termes similaires si le consommateur doit payer quoi que ce soit d’autre que les coûts inévitables liés à la réponse à la pratique commerciale et au fait de prendre possession ou livraison de l’article ».

Il résulte des dispositions de l’article R.341-7 du code de l’énergie, citées par Enedis elle-même, que « Les coûts effectivement engagés liés aux dispositifs de comptage mis en 'uvre par les gestionnaires des réseaux publics conformément aux prescriptions de l’arrêté

prévu à l’article R.341-6 entrent dans les charges à couvrir par les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité. »

Dans la brochure d’information du consommateur « Linky: le nouveau compteur communicant d’ERDF », Enedis affirme « Le client ne sera pas facturé lors de la pose du compteur. L’investissement que représente le programme Linky (5 Md d’euros), un budget englobant l’achat du matériel ( compteurs et concentrateurs), la pose, le développement du système d’information et le pilotage du programme, est financé par ERDF et sera compensé par les économies réalisées sur les interventions techniques, les consommations non comptabilisées et le pilotage du réseau. Le compteur Linky fait partie des investissements de modernisation d’ERDF ( au même titre que l’enfouissement des lignes ». En marge de ce paragraphe, figure dans un pavé coloré la mention « 0 euros ».

Il ressort de ces éléments que si en effet, la pose d’un compteur Linky ne donne pas lieu à l’établissement de facture pour le consommateur, il n’en demeure pas moins que l’implantation et le développement de cette nouvelle technologie engendre des coûts d’investissements qui se répercutent nécessairement, ce que prévoit d’ailleurs la loi, sur les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité. Cependant, une telle hausse tarifaire ne saurait être assimilée à une pratique commerciale trompeuse, dès lors qu’elle correspond à un programme global d’investissement et s 'applique à l’ensemble des utilisateurs du réseau sans distinction entre les consommateurs disposant d’un compteur Linky et les usagers qui n’en disposent pas ou pas encore.

Les ventes liées

Les plaignants, appelants et intimés, soutiennent que les fonctionnalités complémentaires des compteurs Linky, non prévues par les textes, constituent une vente liée sur le marché de la domotique et en veut pour preuve les informations publiées sur la fiche publique intitulée « Linky: le nouveau compteur communicant » dans laquelle la société Enedis révèle son intention d’investir le marché de la domotique en ces termes « Big Data, usages domotiques, objets connectés… L’installation des compteurs communicants bénéficiera à l’ensemble de la filière électrique ».

L. 122-1 du Code de la consommation est rédigé comme suit :

« Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d’un produit à l’achat d’une quantité imposée ou à l’achat concomitant d’un autre produit ou d’un autre service ainsi que de subordonner la prestation d’un service à celle d’un autre service ou à l’achat d’un produit dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale au sens de l’article L. 120-1.

Cette disposition s’applique à toutes les activités visées au dernier alinéa de l’article L. 113-2. ».

Par ailleurs, la vente liée est également proscrite lorsqu’elle constitue une pratique commerciale déloyale.

Au cas d’espèce, les plaignants échouent à caractériser les conditions prescrites par l’article L.122-1 du code la consommation, à savoir la subordination de la fourniture du produit ou de la prestation offerte à l’achat d’un autre produit ou à la fourniture d’une autre prestation, ou les manoeuvres déloyales destinées à leur faire acheter un article de domotique, dont ils auraient victimes à l’occasion de l’ouverture d’un compteur Linky, les pièces produites se bornant à révéler une stratégie commerciale future dont il n’est pas démontré qu’elle ait

trouvé une traduction concrète à ce jour.

Ce moyen sera écarté.

L’application des dispositions du Règlement Général sur la Protection des Données

L’article R 341-5 du code l’énergie dispose que « Chaque utilisateur des réseaux publics d’électricité a la libre disposition des données relatives à sa production ou à sa consommation enregistrées par les dispositifs de comptage.

Les gestionnaires de réseaux publics d’électricité ont le droit d’utiliser ces données pour tout usage relevant de leurs missions. Ils communiquent, à leur demande, aux fournisseurs d’énergie et aux responsables d’équilibre, pour l’exercice de leurs missions, les données concernant leurs clients respectifs et aux autorités concédantes, dans les conditions précisées par les cahiers des charges des concessions, les données sous une forme agrégée intéressant la concession. »

Le droit pour Enedis de collecter des données personnelles d’utilisateurs ne saurait être utilement contesté dès lors qu’il est procédé à cette collecte conformément aux dispositions du Règlement Général sur la Protection des Données, (RGPD) et notamment aux prescriptions de l’article 7 qui dispose que :

« Dans les cas où le traitement repose sur le consentement, le responsable du traitement est en mesure de démontrer que la personne concernée a donné son consentement au traitement de données à caractère personnel la concernant.

Si le consentement de la personne concernée est donné dans le cadre d’une déclaration écrite qui concerne également d’autres questions, la demande de consentement est présentée sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions, sous une forme compréhensible et aisément accessible, et formulée en des termes clairs et simples. Aucune partie de cette déclaration qui constitue une violation du présent règlement n’est contraignante. (').

A cet égard, dans sa décision n°2018-007 du 5 mars 2018 mettant en demeure la société Direct Energie, qui a pour activité la fourniture et la production d’électricité, la CNIL relève que « lors du contrôle du 19 octobre é016, la délégation a été informée que depuis l’été 2016, la société Direct Energie demandait à la société Enedis de lui transmettre, notamment, les consommations horaires au pas de trente minutes de ses clients (appelées aussi courbes de charge) », et que le consentement donné par le client à la transmission de ses données personnelles à Enedis dans le cadre de l’établissement de courbes de charge ne peut être considéré comme libre et éclairé dans la mesure où:

La personne qui accepte la collecte de la consommation par courbe de charge est parfois le propriétaire du logement et non son occupant, alors que ce dernier est la personne concernée par les données de consommation ;

Le client donne son accord à la collecte de données dans un contexte où il pense également donner son accord à l’activation du compteur Linky alors que le consentement à la collecte de la courbe de charge est en fait décorrélé de l’activation du compteur ;

La finalité affichée de la collecte de données de consommations (assurer au client une facturation plus juste) ne correspond pas à la réalité puisqu’aux jours de contrôles, la société ne proposait pas à ses clients d’offres basées sur la consommation au pas de trente minutes ;

Le consentement est recueilli de manière générale sur la collecte de données relatives à la courbe de charge sans aucune précision sur la cadence effective de cette collecte ;

La collecte par défaut des données de consommation au pas de trente minutes des foyers équipés du compteur Linky apparaît particulièrement intrusive en ce qu’elles sont susceptibles de révéler des informations du la vie privée des personnes concernées telles que les heures du lever et du coucher ou le nombre de personnes présentes dans le logement.

La CNIL conclut qu’il résulte de ces considérations que le traitement est dépourvu de base légale faute de recueillir valablement le consentement des clients ou de pouvoir se prévaloir de l’une des bases légales alternatives mentionnées aux articles 4°et 5° de l’article 7 du RGPD et que ces faits constituent un manquement aux dispositions de l’article 7 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.

Dans deux avis du 31 décembre 2019, postérieurs à l’assignation, produits par les appelants et intimés adverses, mettant en demeure EDF et Engie, fournisseurs d’électricité, d’avoir à se conformer aux dispositions de RGPD, a considéré que :

« Le compteur communicant Linky permet de relever à distance des données de consommation d’électricité plus fines que les compteurs traditionnels telles que les consommations quotidiennes et à la demi-heure.

Les compteurs Linky sont actuellement en cours de déploiement par Enedis, le gestionnaire du réseau. (')

Pour être valable, le consentement doit être libre, spécifique, éclairé et univoque (') »

Ayant constaté que dans les documents contractuels examinés, le consentement des utilisateurs n’était pas recueilli spécifiquement pour chaque finalité de collecte et de traitement de ses données, la CNIL a considéré que le dispositif ne respectait pas le caractère granulaire du consentement en ces termes :

Des [constatations réalisées] il résulte (') que le consentement des utilisateurs n’est ni spécifique, ni suffisamment éclairé de sorte que les modalités de son recueil ne sont pas conformes aux dispositions de l’article 4 paragraphe 11 du RGPD, ce qui entraine un manquement aux dispositions de l’article 6 paragraphe 1 a) du RGPD ».

Or, Enedis, responsable de traitement de données au sens des dispositions du RGPD, ne démontre pas en quoi la collecte des données personnelles des utilisateurs à laquelle cette société procède via les compteurs Linky, et qu’elle est en droit de communiquer, à leur demande, aux fournisseurs d’énergie, serait, depuis lors conforme aux dispositions du RGPD suscitées cette non-conformité ayant été dument constatée par l’autorité de contrôle compétente. La société Enedis ne fournit en effet aucune pièce pertinente décrivant les modalités de recueil du consentement, ni aucun document émanant de l’autorité de contrôle validant une quelconque mise en conformité postérieurement aux relevés d’infractions.

L’inobservation des dispositions de l’article 7 du RGPD constitue également un trouble manifestement illicite.

Sur les mesures propres à faire cesser les troubles manifestement illicites

S’agissant du manquement d’Enedis à son obligation d’information pré-contractuelle, le premier juge a considéré que même si l’information fournie par Enedis aux consommateurs s’était avérée incomplète, insuffisante ou même mensongère, le trouble manifestement illicite

qui en serait résulté n’aurait pas été lié à l’installation et à la mise en service du compteur Linky, mais au manquement par le prestataire de ses obligations légales et que dès lors, les mesures nécessaires pour remédier à un tel trouble ne seraient pas l’interdiction de pose du compteur ou son démontage, mais l’obligation de fournir l’obligation défaillante.

Or, on ne saurait résumer les sanctions applicables en cas de violation des dispositions à l’article L.111-1 du code de la consommation à l’obligation de remédier à l’information défaillante par la fourniture d’une information complète et pertinente, dès lors qu’outre l’amende administrative prescrite par la loi, les règles de la responsabilité civile et le droit commun des obligations ont vocation à s’appliquer , la nullité du contrat pour dol pouvant également être soulevée, fondée sur le silence d’une partie dissimulant à son contractant un fait qui, s’il avait été connu de lui l’aurait empêché de contracter.

Cependant, il n’incombe pas au juge des référés de réparer le trouble manifestement illicite résultant de l’inobservation des règles édictées par le code de la consommation en appréciant la validité des dispositions contractuelles litigieuses, mais de faire cesser ce trouble en ordonnant toutes mesures appropriées. A cet égard, le démontage de compteurs installés en vertu de contrats dont la validité ne saurait être mise en cause à hauteur de référé, apparaît donc sans lien avec la cessation d’un trouble résultant d’un défaut d’informations pré-contractuelles.

S’agissant de l’inobservation des dispositions de l’article 7 du RGPD, seul le recueil granulaire du consentement des intéressés apparaît de nature à remédier au trouble constaté, les mesures sollicitées se révélant sans lien avec le trouble invoqué, dès lors que la licéité de la collecte des données personnelles des utilisateurs, réalisée via les compteurs Linky, n’est pas en cause.

Sur l’existence d’un dommage imminent

Il ne saurait être fait grief au premier juge d’avoir écarté l’existence de risques liés à la qualification des installateurs ou au départ de feu, dans la mesure où les dommages invoqués apparaissent hypothétiques au vu des éléments de preuve versés aux débats.

En revanche, les personnes souffrant d’électro-hypersensibilité démontrent, par la production de certificats médicaux précis et détaillés le dommage imminent constitué par les troubles auxquels elles sont exposées en raison des champs provoqués par le Courant Porteur en Ligne par lequel le compteur communique les données qu’il a collectées. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a fait injonction à la société Enedis de procéder, à titre conservatoire, à la pose de dispositifs filtrants destinés à protéger ces personnes des champs électro-magnétiques générés par la bande CPL associée au compteur Linky. Il convient cependant de porter à la somme de 500 euros par jour de retard et par point de livraison, passé un mois à compter de la présente décision, et ce pendant un délai de trois mois., à l’issue duquel il appartiendra aux demandeurs de se pourvoir à nouveau ainsi qu’ils le jugeront utiles. Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a rejeté les autres demandes formées par ces personnes, visant à enjoindre la société Enedis remettre en état les points de livraison où elles demeurent ou résident sans aucun appareil dit Linky ou autre appareil assimilé ou assimilable en raison de ses caractéristiques.

Il convient de rejeter toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Sur l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

L’équité impose de condamner la société Enedis à payer à Mme A, Mme DK-DL, Mme E, Mme F, Mme G, M H, Mme I, Mme J, Mme

K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B la somme de 100 euros chacun ;

Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d’appel, à l’exception de Mme A, Mme DK-DL, Mme E, Mme F, Mme G, M H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B dont les dépens seront supportés par la société Enedis.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME partiellement l’ordonnance de référé en date du 23 avril 2009 ;

STATUANT A NOUVEAU

FAIT INJONCTION à la société Enedis d’installer aux points de livraison de Mme A, Mme DK-DL, Mme E, Mme F, Mme G, M H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B des dispositifs de filtre destinés à protéger ces personnes des champs électro-magnétiques générés par la bande CPL associée au compteur Linky ;

DIT que passé un délai d’un mois à compter de la présente décision, il courra contre la société Enedis une astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard et par point de livraison non mis en conformité pendant un délai de trois mois ;

DIT que passé ce délai, il appartiendra aux demandeurs de se pourvoir à nouveau ainsi qu’ils le jugeront utile ;

DIT que la Cour se réserve la liquidation des astreintes et des frais engagés pour la constatation des éventuels manquements notamment par voie d’expert ou d’huissier ;

REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la SA Enedis à payer à chacun la somme de 100 euros à Mme A, Mme DK-DL, Mme E, Mme F, Mme G, M H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT que chacune des parties conservra la charge de ses propres dépens d’appel à l’exception de Mme A, Mme DK-DL, Mme E, Mme F, Mme G, M H, Mme I, Mme J, Mme K, Mme L, Mme M, Mme N et Mme B dont les dépens seront supportés par la société Enedis.

Le présent arrêt a été signé par Madame Béatrice PATRIE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,



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Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 17 novembre 2020, n° 19/02419