Cour d'appel de Caen, 1ère chambre civile, 17 avril 2018, n° 17/02557

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE : N° RG 17/02557 -

N° Portalis DBVC-V-B7B-F4RO

Code Aff. :

ARRÊT N° AH. JB.

ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance d’ALENCON en date du 06 Juillet 2017 -

RG n° 17/00024

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 17 AVRIL 2018

APPELANTS :

Monsieur D X

né le […] à […]

[…]

[…]

Madame E F épouse X

née le […] à […]

[…]

[…]

représentés par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN

assistés de Me Jean-Marc DESCOUBES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

LA SARL SEP VALORISATION

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 450 550 421

[…]

[…]

représentée et assistée de Me Guillaume BOSQUET, avocat au barreau D’ALENCON

DÉBATS : A l’audience publique du 27 février 2018, sans opposition du ou des avocats, Mme HUSSENET, Présidente de chambre et Mme SERRIN, Conseiller, ont entendu les plaidoiries et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme Y

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme HUSSENET, Présidente de chambre, rédacteur,

Mme BRIAND, Président de chambre, selon ordonnance de remplacement de magistrat du 26 février 2018,

Mme SERRIN, Conseiller,

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 17 Avril 2018 et signé par Mme HUSSENET, président, et Mme Y, greffier

* * *

Faits et procédure :

Courant 1973, monsieur D X et son épouse, née E F (les époux X), ont fait l’acquisition d’un terrain sur la commune de Sées (Orne), sur lequel ils ont fait construire leur maison d’habitation.

La société Service Environnement Propreté Valorisation (SEP Valorisation), après avoir obtenu le 13 novembre 2003 un récépissé de dépôt de déclaration en qualité d’installations classées pour la protection de l’environnement, au sens des dispositions des articles L.511-1 et suivants du code de l’environnement, a débuté la mise en exploitation d’une plate-forme de compostage de déchets verts sur un terrain mitoyen de celui des époux X.

Le 6 août 2007, la société SEP Valorisation a obtenu un nouveau récépissé de dépôt de déclaration au titre de la législation précitée, cette fois en vue de l’exploitation d’une plate-forme de stockage de dépôt de bois, sur le même site que précédemment, activité qu’elle a entreprise début 2008.

À partir de 2010, elle va accueillir sur le site la société Biocombustibles, qui commencera à procéder à une activité de broyage des déchets bois stockés sur le site en question en vue de leur exploitation en chaufferie essentiellement pour le compte des collectivités.

Par arrêté du 2 octobre 2013, la SEP Valorisation fera l’objet d’une autorisation d’exploitation permettant l’augmentation de la capacité de stockage et de traitement des bois, outre l’installation de compostage de déchets verts déjà existante.

Se plaignant des multiples désagréments engendrés par cette activité, les époux X ont saisi par exploit du 21 février 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance d’Alençon, sollicitant au visa de l’article 809 alinéa 2 la condamnation à titre provisionnel de la Sep Valorisation, à leur verser les sommes de :

* 110'000 € au titre de la dépréciation de leur bien immobilier

* 19'000 € au titre du coût retraité engendré par la mise en pension de leur chevaux en raison du principe de précaution dans des lieux de pension éloignés du site

* 150'000 € à chacun d’eux au titre du préjudice causé par les émergences sonores illicites

* 100'000 € à chacun d’eux au titre du préjudice causé par les odeurs

* 150'000 € à chacun d’eux au titre du préjudice causé par la pollution de poussières

* 100'000 € à chacun d’eux au titre de leur préjudice médical

* 100'000 € à chacun d’eux pour leur préjudice moral

* 300'000 € à chacun d’eux au titre des préjudices à subir.

Ils demandaient en outre la condamnation de la partie adverse à mettre en place les procédés techniques nécessaires pour faire cesser définitivement les troubles illicites, sous astreinte de 2000 € par jour de retard dans les 60 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, outre le paiement d’une indemnité de 15'000 € au titre des frais irrépétibles.

Par ordonnance rendue le 6 juillet 2017, à laquelle la cour renvoie pour un exposé complet des faits et de la procédure antérieure, le juge des référés a débouté les époux X de leur demande de condamnation provisionnelle, dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile, et laissé les dépens à la charge des demandeurs.

Monsieur et Madame X ont relevé appel total de cette décision par déclaration reçue le 21 juillet 2017.

Par application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties s’agissant de la présentation de leurs prétentions respectives et des moyens développés à leur soutien, soit :

— Les conclusions déposées et notifiées le 22 janvier 2018 pour le compte des époux X.

— Les conclusions déposées et notifiées le 6 octobre 2017 pour le compte de la Sep Valorisation.

Motifs de la décision :

Les époux X font de leur action sur les dispositions de l’article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, lequel dispose que : « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il (le président statuant en référé) peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Ils rappellent que par ordonnance en date du 7 mai 2015, le président du tribunal de grande instance d’Alençon statuant en référé et à leur demande, a désigné un expert judiciaire avec pour mission d’examiner les nuisances provoquées par la société SEP et des préjudices en résultant, que l’expert désigné, Monsieur H A a rendu son rapport le 9 février 2017 concluant à l’absence de conformité des activités de la société en cause aux dispositions de l’arrêté préfectoral les ayant autorisées et chiffrant les préjudices subis par les requérants au somme de 110'000 € au titre de la dépréciation de leurs biens immobiliers et des herbages alentour, et 19'000 € pour le coup engendré

par la mise en pension des chevaux au titre du principe de précaution, laissant le soin à la justice de chiffrer les préjudices complémentaires.

La SEP Valorisation considère de son côté que l’expertise dont se prévalent les époux X est dénuée de toute valeur au regard des conditions dans lesquelles les opérations ont été menées. Elle fait grief à l’expert de n’avoir pas respecté le principe du contradictoire, faisant un sort différent aux parties et procédant à certaines investigations sans l’en avoir informée ni de plus fort l’y avoir conviée.

Elle remet ainsi en cause l’impartialité requise de l’expert dont les méthodes révéleraient un parti pris en faveur des époux X.

Monsieur A aurait notamment considéré à tort qu’il fallait retenir une période d’exposition aux divers risques allégués de 10 années, comme le faisaient valoir les demandeurs, ce postulat conditionnant ensuite les investigations de l’expert médico-légal sollicité.

La SEP Valorisation conteste en tout état de cause dans son principe la reconnaissance d’un droit à créance au seul visa d’un rapport d’expertise même s’il est constant qu’il n’appartient pas au juge des référés de sanctionner par la nullité un rapport d’expertise judiciaire dès lors que seule la juridiction du fond peut être amenée à statuer en la matière.

Dès lors qu’il n’est pas annulé toutefois, le rapport d’expertise ne peut être totalement écarté des débats si, comme c’est le cas en l’espèce, il y figure des éléments établissant que l’activité de la SEP Valorisation, même exercée de manière parfaitement légale, occasionne pour les époux X des troubles anormaux de voisinage ouvrant droit de manière incontestable à indemnisation.

À cet égard au demeurant, les appelants font pertinemment observer que la société en cause s’est abstenue de toute demande de changement d’expert devant le magistrat chargé du contrôle des opérations d’expertise, pas plus qu’elle n’a saisi la juridiction du fond aux fins d’annulation.

La SEP Valorisation justifie de ce qu’elle a obtenu début 2012 le certificat ISO 9001/2008, renouvelé le 9 février 2015, puis, en février 2017, le certificat ISO 14001/2015, attestant de la conformité réglementaire de l’activité exploitée mais également du respect des contraintes environnementales que l’entreprise s’est imparti au-delà du dispositif réglementaire applicable.

Ces considérations sont toutefois inopérantes dès lors que le trouble anormal de voisinage, qui s’apprécie in concreto peut être constitué en l’absence de toute faute et notamment de tout manquement aux obligations légales et réglementaires relatives aux installations soumises à autorisation, et le respect global de l’environnement est sans emport sur la solution du litige qui ne concerne que les conditions d’existence des époux X.

Pas davantage la SEP Valorisation ne peut-elle déduire du fait que le régime de l’autorisation précédée d’une enquête publique, auquel elle s’est trouvée soumise à compter de la fin de l’année 2013 n’est liée qu’à l’augmentation du volume de produits des activités de dépôt et traitement des déchets verts et droits à l’exception de toute autre modification des modalités d’exploitation, met nécessairement en échec toutes prétentions indemnitaires de la partie adverse.

Il est constant que cinq réunions d’expertise ont été organisées au domicile de M. et Mme X ou sur le site de la SEP, les 9 septembre et 1er décembre 2015, 8 mars 29 mars et 21 octobre 2016, au cours desquelles des mesures acoustiques ont notamment été réalisées au contradictoire des parties,

et que les susnommés ont remis à l’expert une série de documents destinés à préciser la nature et l’étendue des nuisances dont ils souffraient: procès-verbal de constat du 6 janvier 2015 mettant en évidence la présence de particules de bois sur les huisseries, le mobilier de jardin et le véhicule, courrier du préfet de l’Orne en date du 20 novembre 2013, produit aux débats, par lequel ce dernier, interpellé par les époux X, indique avoir adressé des consignes à l’exploitant visant à réduire les nuisances « odeur » et pour la dispersion des poussières, coupures de presse « Orne Hebdo » du 1er juillet 2014 rendant compte de la création de l’association de riverains ayant à se plaindre des nuisances engendrées par les activités de la SEP, estimation de la valeur de la propriété des époux X par une agence immobilière d’Alençon, étude d’impact acoustique du 22 avril 2015 établi par « Ouest Acoustique », réalisée à partir de mesures prises en continu durant 51 heures, attestations du Docteur Krasteva en date du 21 janvier 2016 relatif à l’état de santé de chacun des époux, procès-verbal de constat de Me Croc, huissier de justice à Mortagne-au-Perche, relatif à la présence de poussière dans la propriété des époux X (31 octobre 2016), outre les justificatifs de mise en pension des chevaux du couple à compter de novembre 2009, dans des haras à distance de la propriété où il n’est pas contesté qu’ils étaient jusque-là pris en charge.

De l’ensemble de ces éléments, qui corroborent les propres constatations et analyses de l’expert et de son sapiteur, résulte incontestablement la présence de poussières de bois dans la propriété X (maison, voiture), produit lors du broyage des palettes, fagots et déchets du BTP, et qui sont amenées à se répandre en cas de vent défavorable. Les photographies illustrant le rapport d’expertise sont à cet égard révélatrice de la réalité et de l’ampleur des nuisances invoquées quand bien même celles-ci ne sont pas réglementées quantitativement par l’arrêté préfectoral. L’expert a du reste relevé la présence de poussières du même type, voire de copeaux, en grande quantité, au domicile d’un voisin, Monsieur B.

Il est parfaitement compréhensible dans ces conditions que Monsieur X, qui élève des chevaux de course, est estimé indispensable à titre de précaution, des loyers ceci de la prairie attenante à son habitation, ce qui a nécessairement engendré des frais importants dont il est justifié.

Il ne peut davantage être sérieusement contesté que le traitement massif des déchets verts, qui lors de leur retournement dû au process de fabrication, libèrent des odeurs nauséabondes, génère pour le voisinage immédiat une nuisance trop importante pour demeurer dans le champ des inconvénients normaux du voisinage.

Il en va de même de l’éclairage puissant du site assuré la nuit pour des raisons de sécurité, ou encore du bruit incessant généré par l’installation, quand bien même les seuils maximum seraient respectés.

Dans ces conditions, l’analyse à laquelle s’est livrée le sapiteur M. C, médecin légiste au CHU de Rennes est inscrit sur la liste de la cour d’appel de la cour, ainsi que les conclusions auxquelles cette expertise médicale a abouti, la paresse pas méritée la critique dont elles font l’objet de la part de la SEP Valorisation.

Ce dernier a constaté l’extrême fatigue des époux X, qui vivent les nuisances subies comme une agression présentant un caractère prolongé et répété dans le temps. L’expert ajoute que les nuisances dont s’agit résulte par nature de stimulations sensorielles, associée à une connotation d’altération de la vie quotidienne. S’expliquant sur la souffrance de M.et Mme X, il rapporte encore que les expositions aux nuisances peuvent effectivement être à l’origine de réactions de stress, adaptatives de l’organisme, et conduire à des effets de dégradation de la santé au sens de l’OMS, soit dans la sphère psychique soit dans les manifestations somatiques.

Enfin, si le préjudice né de la dépréciation de l’immeuble n’est pas chiffrable de manière définitive en l’état des éléments produits, il n’apparaît pas davantage contestable sérieusement dans son principe au regard des nuisances précitées affectant la qualité de vie des occupants du bien immobilier qu’il serait par suite difficile de céder à titre onéreux sans accuser une substantielle moins-value.

Le principe de créance ne se heurte dès lors à aucune contestation sérieuse au sens de l’article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, justifiant l’allocation à chacun des époux d’une somme provisionnelle de 100'000 € à valoir sur l’indemnisation de son entier préjudice.

L’ordonnance entreprise doit être réformée en conséquence.

Tel n’est pas le cas en revanche de l’obligation de faire, au demeurant imprécise dans son contenu, fait également l’objet de la demande de M. et Mme X.

Partie succombante, la SEP Valorisation sera tenue aux entiers dépens de première instance et d’appel, et versera aux époux X, unis d’intérêt, la somme globale de 5 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, sa propre demande du même chef étend rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe ;

Confirme l’ordonnance rendue le 6 juillet 2017 par le juge des référés du tribunal de grande instance d’Alençon en ce qu’il a débouté les époux X de leurs demandes tendant à voir condamner la société SEP valorisation, sous peine d’astreinte, à « mettre en place les procédés techniques nécessaires pour faire cesser définitivement les troubles illicites » ;

Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau :

Condamne la société SEP Valorisation à verser à chacun des époux X la somme de 100'000 € à titre provisionnel à valoir sur l’indemnisation de son préjudice né du trouble anormal de voisinage occasionné par l’activité de ladite société ;

Condamne la société SEP Valorisation à verser aux époux X, unis d’intérêt, la somme globale de 5 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et rejette sa propre demande du même chef ;

Condamne la société SEP Valorisation aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

E. Y A. HUSSENET



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