Cour d'appel de Chambéry, 3 mai 2016, n° 14/01842

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Chambéry, 3 mai 2016, n° 14/01842
Juridiction : Cour d'appel de Chambéry
Numéro(s) : 14/01842
Décision précédente : Tribunal de commerce de Chambéry, 17 juin 2014, N° 2013F00334

Texte intégral

XXX

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

chambre civile – première section

Arrêt du Mardi 03 Mai 2016

RG : 14/01842

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce de CHAMBERY en date du 18 Juin 2014, RG 2013F00334

Appelante

SA SYNERGIE, dont le siège social est situé XXX

Représentée par Me Guillaume PUIG, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SCP OXYNOMIA AVOCATS ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de PARIS

Intimées

Mme G-H Y exerçant anciennement sous l’enseigne MC PLACEMENT, née le XXX à XXX

Représentée par la SELARL PELLOUX CLAUDE ET DOROTHEE ET M. LETOUBLON, avocats au barreau d’B

SARL E F, dont le siège social est situé XXX – XXX

Représentée par Me Cécile REMONDIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL HINGREZ MICHEL, avocats plaidants au barreau d’B

— =-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 07 mars 2016 avec l’assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

— Monsieur Philippe GREINER, Président, qui a procédé au rapport,

— Madame Françoise VAUTRAIN, Président,

— Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,

— =-=-=-=-=-=-=-=-

La société SYNERGIE est une entreprise de travail temporaire exploitant environ 300 agences en France, dont plusieurs situées en Haute-Savoie, à Sallanches, Rumilly et B.

Par acte du 13/01/2012, elle a assigné devant le tribunal de commerce d’B la société E F et Mme Y en paiement in solidum de la somme de 800.000 euros de dommages intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire.

L’affaire a été renvoyée le 23/09/2013 devant le tribunal de commerce de Chambéry.

Celui-ci, par jugement du 18/06/2014, a débouté la société SYNERGIE de ses demandes, l’a condamnée à payer à Mme Y d’une part, et à la société E F d’autre part, la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile, les défenderesses étant déboutées de leur demande de dommages intérêts pour procédure abusive.

La société SYNERGIE a relevé appel de cette décision le 25 juillet 2014.

Elle demande à la Cour de :

— enjoindre à la société E F et à Mme Y exerçant sous l’enseigne « MC PLACEMENT » de communiquer sans délai les journaux de ventes du 01/01/2010 jusqu’à l’assignation, associés à la liste des intérimaires par client, pour l’ensemble des clients et intérimaires visés à l’ordonnance de référé du 12/10/2011,

— infirmer le jugement entrepris excepté en ce qu’il a débouté les intimées de leur demande re conventionnelle,

— débouter les intimées de leurs demandes,

— dire que les intimées ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

— condamner in solidum la société E F et Mme Y à payer à la société SYNERGIE la somme de 100.000 euros à titre de dommages intérêts outre intérêt au taux légal à compter de l’assignation et de la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner in solidum la société E F et Mme Y sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à publier celle-ci dans deux journaux d’annonces légales et dans deux sites internet spécialisés.

Elle fait valoir que :

— le 22/06/2010, elle a licencié pour faute lourde M. X, responsable des secteurs de Savoie et Haute-Savoie, soit 15 agences, pour avoir accompli des man’uvres tendant au lancement de la société concurrente E F, spécialisée dans l’intérim pour les sociétés de transport routier,

— il avait demandé à son assistante le 21/04/2010 la liste des travailleurs intérimaires délégués depuis le début 2010, chauffeurs routiers,

— les agences de Sallanches et d’Annemasse ont été visitées, sans effraction, en avril 2010, les dossiers ayant été consultés, sans que M. X s’en préoccupe,

— cette société a été créée en décembre 2009 avec un début d’exploitation en mars 2010 par M. A et Mme Z, responsable des agences de Rumilly et B, qui avait démissionné le 18/01/2010,

— M. X en est un des créateurs essentiels, la directrice régionale de SYNERGIE et la directrice des ressources humaines en ayant été avisés par des coups de téléphone anonymes, selon lesquels M. X serait détenteur de parts « en blanc »,

— un constat d’huissier du 31/05/2010 relatif à l’examen de l’ordinateur professionnel de M. X a montré que celui-ci avait participé à la création du logo de E F et à l’étude du lancement de cette société,

— M. X a fait en sorte que Mmes Z et Y soient déliées de leur clause de non-concurrence, sous des motifs fallacieux, leur permettant ainsi de concurrencer sans délai leur ancien employeur,

— la société E F a conclu avec Mme Y une convention d’apport d’affaires, Mme Y ayant elle aussi démissionné en octobre 2009,

— de nombreux intérimaires formés par la société SYNERGIE sont partis chez la société E F ou MC PLACEMENT,

— la société E F et Mme Y ont démarché les intérimaires employés par la société SYNERGIE, de même que les clients de celle-ci ce qui a abouti au détournement d’une vingtaine de sociétés clientes et d’au moins 23 salariés intérimaires,

— Mme Z a systématiquement détruits les mails de la société E F, bien qu’ils étaient nécessaires pour ses dossiers, ce qui montre une volonté de dissimuler les preuves de ces détournements,

— la société E PLACEMENT trompe les consommateurs en proclamant sur son site internet qu’elle est la seule agence de recrutement dans le domaine du transport et la logistique spécialisée sur les Deux Savoie,

— en tout état de cause, ces actes constituent des faits de parasitisme,

— l’implication de M. X est établie par les constats d’huissier dressés les 10/06/2010 et 25/10/2011 et il n’était nul besoin de l’attraire à la procédure, étant précisé que seul le conseil des prud’hommes était alors compétent,

— Mmes Y et Z n’ont pas été déliées de leur clause de non concurrence pour des raisons d’économie, mais en raison des motifs qu’elles ont invoqués et qui se sont avérés être fallacieux,

— le fait que les salariés détournés aient été intérimaires est sans incidence, dès lors qu’ils ont pu l’être en raison de l’utilisation des fichiers de la société SYNERGIE.

La société E F conclut au débouté de l’appelante de l’ensemble de ses demandes, et sollicite sa condamnation au paiement des sommes de 10.000 euros de dommages intérêts pour procédure abusive et injustifiée et de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile.

Mme Y conclut à la confirmation du jugement déféré sauf en ce que sa demande de dommages intérêts a été rejetée, et réclame la condamnation de la société SYNERGIE au paiement de 10.000 euros de dommages intérêts pour procédure abusive outre 5.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

La liberté de la concurrence permet d’attirer la clientèle d’un concurrent sans que cela puisse engager la responsabilité de celui qui est à l’origine de ce déplacement de clientèle. Toutefois, si la lutte concurrentielle est libre et s’il est légitime d’attirer la clientèle d’autrui à soi, cette liberté dans l’exercice de la concurrence n’est pas absolue. En effet, tout procédé déloyal employé dans la lutte concurrentielle constitue une faute qui engage la responsabilité de son auteur, ce dernier étant tenu de réparer les conséquences dommageables de son acte.

L’action en concurrence déloyale trouvant son fondement dans les articles 1382 et 1383 du code civil, l’appelante doit démontrer l’existence d’une faute commise par les intimées à l’origine de son préjudice.

Tout salarié qui n’est pas lié à son ancien employeur par une clause de non-concurrence, comme le sont Mmes Y et Z, est fondé, par application de la liberté du travail et de la libre concurrence, à exercer à l’expiration de son contrat de travail la même activité pour son compte ou pour celui d’un nouvel employeur. En conséquence, la concurrence d’un ancien salarié ne peut être considérée comme répréhensible en elle-même, seuls les moyens employés étant éventuellement susceptibles d’engager sa responsabilité s’ils sont jugés déloyaux.

C’est ainsi que la société SYNERGIE reproche à Mme Y et à la société E F, à l’origine de laquelle se trouve Mme Z, des actes de désorganisation de son entreprise : par l’usage de détournement de fichiers, de listing de clientèle ainsi que le débauchage de salariés intérimaires qu’elle avait elle-même formés.

Elle se fonde sur les faits suivants :

— L’attitude d’un responsable régional, M. X, qui a contribué à étudier la création de la société E F, en étudiant son budget prévisionnel et son logo, et qui a demandé une liste d’intérimaires à son assistante, et qui serait en sous-main associé au sein de la société E F, selon des appels anonymes. Toutefois, ces éléments sont insuffisants pour démontrer une collusion frauduleuse entre Mme Z et M. X. Il ne s’agit en effet que d’actes préparatoires, qui ne se sont pas concrétisés par un engagement de M. X au sein de E F. Les documents retrouvés sur l’ordinateur de ce dernier ne constituent pas un pillage des informations détenues par la société SYNERGIE, aucune preuve de la transmission à Mme Z de listings de clients ou d’intérimaires n’est apportée, et l’implication de M. X dans la société E F par l’établissement de documents de cession de parts en blanc ou interposition de personne n’est pas établie, des conversations téléphoniques de responsables de la société SYNERGIE avec des correspondants anonymes, qui reconnaissent en vouloir à M. X, étant tout à fait insuffisantes pour le démontrer.

Il est aussi reproché à M. X d’avoir facilité le départ des Mmes Y et Z de la société SYNERGIE, en insistant pour que soit levée la clause de non-concurrence. Mme Y verse aux débats deux attestations aux termes desquelles elle ne se sentait plus à sa place au sein de son agence, en raison de l’arrivée d’une nouvelle responsable, qui l’avait marginalisée et lui permettait moins d’initiative. Concernant Mme Z, il est allégué qu’elle aurait invoqué un motif fallacieux, à savoir suivre son conjoint à Marseille. La société SYNERGIE n’a pu prendre sa décision pour ce motif, puisque M. Z travaille lui-même au sein de la société SYNERGIE.

Si celle-ci a entendu lever la clause de non-concurrence, c’est qu’elle estimait que ces salariées n’étaient pas en mesure de lui causer du tort, au regard des sommes, certes modérées, qu’elle devait leur régler.

Enfin, le fait que M. X se serait livré à des actes ou les aurait commandité, constituant un véritable espionnage industriel en s’introduisant nuitamment dans deux agences pour consulter des dossiers n’est nullement établi par les éléments du dossier, les seules assertions de l’appelante ne pouvant constituer une preuve.

— Des clients détournés : Mme Y, liée par un contrat d’apporteur d’affaires à la société E F et Mme Z, travaillant au sein de cette société, connaissaient bien évidemment les employeurs concernés, puisqu’elles avaient une certaine ancienneté dans ce domaine et avaient pour secteur essentiel le transport et la logistique. Elles n’avaient en conséquence nul besoin de fichiers de clients. En revanche, elles se devaient d’avoir avec ceux-ci un comportement exempt de fraude. Là encore, il n’est pas démontré qu’elles auraient dénigré la société SYNERGIE, la plupart des sociétés de transport travaillant en réalité avec plusieurs entreprises de travail temporaire. A cet égard, le directeur de la société SNTA atteste « avoir élargi le panel des fournisseurs en juin 2010, vu la difficulté de trouver des chauffeurs PL et SPL pour la saison d’été 2010 et avoir fait les mêmes demandes pour la saison d’hiver 2010-2011 à SYNERGIE ainsi qu’à d’autres sociétés d’intérim (RAS, MANPOWER, C D et E F ».

Si la société SYNERGIE se plaint de la perte d’une partie de sa clientèle, il faut tenir compte de l’évolution défavorable du marché, notamment du transport routier, et de la création d’une agence à la Motte Servolex, qui a pu se voir attribuer certains clients auparavant traités par les agences de Haute-Savoie, suite à la suppression de l’agence de Rumilly.

Il convient de relever que la société SYNERGIE a continué après le départ de Mme Z à avoir un chiffre d’affaires important avec les sociétés qu’elle estime avoir été détournées par la société E F, celui de la société TRANSPLUS SAVOIE étant passé de 62.612 euros en 2010 à 171.955 euros en 2011, celui réalisé avec la société TRANS+SAVOIE étant stable d’une année sur l’autre, et celui effectué avec la société SNTA en 2010 étant important (141.910 euros).

— Des travailleurs intérimaires récupérés : il ressort du dossier que l’essentiel de l’activité de la société E F consiste à fournir à des entreprises de transport ou de logistique des chauffeurs routiers ou conducteurs d’engins, titulaires des permis ou des CACES, ainsi que des cartes de chronotachygraphe. Il est donc particulièrement important pour une entreprise de travail temporaire de s’attacher des salariés spécialisés, titulaires des qualifications nécessaires au transport routier. Il résulte des éléments du dossier qu’effectivement, des salariés recrutés par la société SYNERGIE en qualité d’intérimaires se retrouvent dans les listes du personnel recruté par la société E F ou par Mme Y. Mais d’une part, il est d’usage pour des candidats à des postes en intérim de s’inscrire dans plusieurs sociétés de travail temporaire à la fois, et d’autre part, ces salariés communs à l’appelante et aux intimées ne constituent qu’une part tout à fait minoritaire des salariés placés par la société SYNERGIE (23 sur 132).

En outre, le fait que la société E F ait pu placer des chauffeurs dont la formation a pu être financée par la société SYNERGIE ne saurait constituer un acte de parasitisme, dès lors que les travailleurs en question sont libres de recourir à n’importe quelle agence de travail temporaire, étant précisé qu’en tout état de cause, une société de travail temporaire doit consacrer 2% de son chiffre d’affaires à la formation, celle-ci l’étant au bénéfice des chauffeurs concernés.

— Enfin, il est fait état d’une publicité mensongère de la part de la société E F. Il ne s’agit en réalité pour celle-ci que d’indiquer qu’elle est spécialisée dans le seul secteur du transport et de la logistique, à l’exclusion de tout autre (ce n’est que bien plus tard qu’elle indique avoir désormais un département industriel pour satisfaire aux besoins de l’industrie du décolletage). Au contraire, la société E F démontre avoir engagé des dépenses de marketing et de publicité importantes, et s’être fait connaître par des articles publiés par le journal « L’Echo des Pays de Savoie », outre le fait que ses locaux se trouvent en bordure d’autoroute, avec une enseigne très visible des automobilistes. Les faits de parasitisme ne sont ainsi pas établis.

C’est donc par une exacte appréciation des circonstances de la cause que le premier juge a considéré que les faits de concurrence déloyale et de parasitisme allégués par la société SYNERGIE n’étaient pas démontrés, et qu’il a débouté la société SYNERGIE de sa demande. La décision déférée sera ainsi confirmée de ce chef.

Concernant les demandes reconventionnelles, l’abus du droit d’ester en justice n’est pas démontré suffisamment. Là encore, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté les intimées de leur demande de dommages intérêts pour procédure abusive.

Il en ira de même pour les frais irrépétibles exposés en première instance.

Enfin, l’équité ne commande en appel qu’une application très modérée des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société SYNERGIE à payer à Mme Y d’une part, et à la société E F d’autre part, la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile exposés en cause d’appel,

LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d’appel,

AUTORISE les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer les dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

Ainsi prononcé publiquement le 03 mai 2016 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Philippe GREINER, et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, Le Président,

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Textes cités dans la décision

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