Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 5 octobre 2017, n° 16/04728

  • Scierie·
  • Transporteur·
  • Privilège·
  • Chargement·
  • Sociétés·
  • Voiturier·
  • Bois·
  • Contravention·
  • Créance·
  • Véhicule

Chronologie de l’affaire

Commentaires sur cette affaire

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. En savoir plus

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

[…]

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 05/10/2017

***

N° de MINUTE : 17/

N° RG : 16/04728

Jugement (N° 2015/2884)

rendu le 01 juillet 2016 par le tribunal de commerce d’Arras

APPELANTE

SARL Ertel agissant en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

ayant son […]

[…]

représentée par Me Gabriel Denecker, avocat au barreau de Lille, substitué à l’audience par Me Jean-Christophe Playoust

INTIMÉE

SARL Scierie Houtmann et Fils prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège […]

[…]

représentée par Me Arnaud Dragon, avocat au barreau de Douai

ayant pour conseil la SELARL Pernet-Hirtz, avocats associés au barreau de Colmar

DÉBATS à l’audience publique du 07 juin 2017 tenue par Marie-Laure Aldigé magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie Hainaut

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie-Annick Prigent, président de chambre

Elisabeth Vercruysse, conseiller

Marie-Laure Aldigé, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 octobre 2017 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Marie-Annick Prigent, président et Carmela Cocilovo, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 30 mai 2017

***

En 2014, la SARL Scierie de Steige ' ayant pour activité le sciage et le rabotage de bois ' a eu recours à plusieurs reprises aux services de la SARL Ertel ' ayant pour activité les transports publics de marchandises ' aux fins de procéder à la livraison de commandes passées par ses clients. En particulier, la SARL Scierie de Steige a confié successivement à la SARL Ertel des transports de bois à l’attention de la société Boyenval Van Peer le 13 février 2014 et le 6 mai 2014.

Le 20 mai 2014, le transporteur a adressé une facture d’un montant de 1 170 euros à la SARL Scierie de Steige pour lui demander paiement de 13 avis de contraventions dressés en raison de la surcharge de son ensemble routier lors du transport effectué le 6 mai. Le 22 mai 2014, l’expéditeur a dressé une facture à hauteur de 1 020 euros relativement à un dommage qu’il alléguait lors du transport effectué le 13 février 2014 et a payé la somme de 150 euros.

Par courrier du 5 août 2014, la SARL Ertel a indiqué à la SARL Scierie de Steige qu’elle comptait exercer son privilège de voiturier sur le fondement de l’article L.133-7 du code de commerce sur un chargement du 4 août 2014 que celle-ci lui avait confié pour une livraison au profit de la société Lor Bois.

Le 1er octobre 2014, la SARL Ertel a vainement mis en demeure la SARL Scierie de Steige par courrier recommandé de lui payer la somme de 8176,56 euros correspondant à :

—  1 020 euros au titre du solde de la créance liée au transport du 15 mai 2014,

—  3 990 euros liés à l’immobilisation d’une remorque du 5 août 2014 au 30 septembre 2014,

—  1 710 euros au titre des frais de gardiennage du 5 août au 30 septembre 2014,

—  720 euros au titre du coût du transport du 5 août 2014,

—  736,56 euros au titre du surcoût pour dépassement de poids.

Par acte en date du 11 décembre 2014, la SARL Scierie de Steige a assigné en référé la société Ertel devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Colmar aux fins d’obtenir la restitution de la marchandise. Par ordonnance en date du 9 février 2015, le juge des référés s’est déclaré incompétent au profit du juge des référé du tribunal de commerce d’Arras. Le 8 septembre 2015, le tribunal de commerce d’Arras a constaté l’existence d’une contestation sérieuse, s’est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

Par assignation en date du 9 octobre 2016, la SARL Scierie de Steige a assigné en paiement le transporteur devant le tribunal de commerce d’Arras .

Suivant un jugement rendu le 18 mars 2016, le tribunal de commerce d’Arras, estimant non réunies les conditions d’exercice du privilège de voiturier et considérant abusive la rétention de la marchandise, a :

— condamné la SARL Transports Ertel à procéder à la livraison des marchandises indûment retenues, chez la SARL Scierie de Steige, sous astreinte de 100 euros par jour de retard suivant la signification du jugement, date augmentée de 5 jours ouvrables,

— réservé les droits de la SARL Scierie de Steige concernant le préjudice éventuellement subi du fait de l’état dans lequel elle récupèrera les marchandises dont elle sollicite la restitution,

— condamné la SARL transport Ertel à verser à la SARL Scierie de Steige un montant de 5 000 euros au titre de résistance abusive,

— condamné la SARL Transports Ertel à verser à la SARL Scierie de Steige un montant de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté les parties de leurs demandes, fins et prétentions,

— condamné la SARL Transports Ertel aux entiers frais et dépens, en ce compris les frais et débours de greffe taxés et liquidés à la somme de 70,20 euros dont TVA 20%;

— ordonné l’exécution provisoire du jugement.

La SARL Ertel a interjeté appel de cette décision. La SARL Scierie Houtman et Fils venant aux droits de la société Scierie de Steige a constitué avocat.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 31 mars 2017, la SARL Ertel demande à la cour d’appel, sur le fondement des articles L.133-7 du code de commerce, 1134, 1148 et suivants du code civil de :

— infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

— débouter la société Houtmann et Fils venant aux droits de la société Scierie de Steige de l’ensemble de ses prétentions,

— condamner la société Houtmann et Fils à verser à la SARL Ertel la somme de 75 262 euros,

— à titre infiniment subsidiaire, infirmer le jugement déféré s’agissant de l’indemnité allouée à la société Houtmann et Fils au titre de la résistance abusive et juger n’y avoir lieu à telle indemnité,

— debouter la société Houtmann et Fils de sa demande présentée en cause d’appel à titre d’indemnisation complémentaire,

— condamner la société Houtmann et Fils à payer la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— la condamner aux entiers frais et dépens de l’instance, dont distraction au profit de Me Denecker, en ce compris tous frais à charge de la société Ertel.

Par conclusions d’appel signifiées le 17 mai 2017, la SARL Scierie Houtmann et Fils demande à la cour d’appel de:

— confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la SARL Transport Ertel à :

* procéder à la livraison des marchandises indûment retenues, auprès de la société Lor Bois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard suivant la signification de l’ordonnance,

* verser une somme à hauteur de 5 000 euros à la SARL Scierie de Steige au titre de sa résistance abusive,

— confirmer le jugement en ce qu’il a:

* réservé les droits de la SARL Scierie de Steige concernant le préjudice éventuellement subi du fait de l’état dans lequel elle récupèrera les marchandises dont il était sollicité la restitution,

* alloué à la scierie de Steige la somme de 5 000 euros au titre de la résistance abusive de la société Ertel,

— sur l’appel incident de la société Houtmann et Fils:

* infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Scierie de Steige de sa demande d’indemnisation au titre des préjudices subis, et en conséquence, statuant à nouveau :

* allouer à la société Houtmann et Fils la somme de 13 531,12 euros au titre des préjudices subis,

— condamner la SARL Transports Ertel à verser à la société Houtmann et Fils la somme de 4 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la SARL Transports Ertel aux entiers frais et dépens, y compris tous frais en application de l’article 10 du tarif des huissiers.

L’appelante fait essentiellement valoir que:

— les frais des contraventions de surcharge sont liés a l’opération de transport et constituent bien des frais engagés dans l’intérêt de la marchandise au sens de l’article L133-7 du code de commerce ;

— l’existence de l’obligation de paiement par l’expéditeur du montant des contraventions n’avait jamais fait réellement débat entre les parties, ce qui s’évince du paiement par la SARL Scierie de Steige du solde dont l’expéditeur s’estimait redevable après compensation du montant qu’il réclamait au transporteur au titre du dommage allégué à la marchandise d’un précédent transport ; compensation qui était en tout état de cause infondée, la marchandise ayant été réceptionnée sans aucune réserve en février 2014 ;

— il résulte de la loi n° 95-96 du 1er février 1995 et de l’article 3 des contrats type de transports combiné avec les articles R 121-4 et R 121-5 du code de la route que seul l’expéditeur est tenu pour responsable de la surcharge de la marchandise et c’est à tort que le tribunal de commerce a retenu l’existence d’une acceptation de la surcharge par le transporteur ;

— la société SARL Scierie de Steige est la propriétaire des marchandises retenues en ce qu’elle bénéficiait d’une clause de réserve de propriété;

— sa créance est constituée du solde des amendes contraventionnelles non remboursées (1 170 euros – 150 euros) soit un montant de 1 020 euros et des frais générés par la conservation de la marchandise, objet du privilège du voiturier (frais de transport, d’immobilisation et de gardiennage).

Pour sa part, l’intimée soutient essentiellement que le transporteur a abusivement retenu la marchandise, les conditions du privilège de voiturier prévues à l’article L 133-7 du code de commerce n’étant pas réunies dans la mesure où :

— le transporteur ne justifie d’aucune créance antérieure au sens de ce texte; qu’en effet ;

* les contraventions au code de la route ne sauraient constituer une créance de transport;

* le transporteur était responsable de la surcharge, dès lors qu’elle lui avait précisé la nature de la marchandise et son volume, il lui incombait de proposer un véhicule au tonnage suffisant;

* le paiement qu’elle a effectué à hauteur de 150 euros dans un souci de règlement amiable ne vaut pas reconnaissance de sa responsabilité pour la surcharge de poids ;

* c’est la société Lor Bois qui a affrété les Transports Bail qui a délégué la mission aux Transports Ertel de sorte qu’il n’y avait pas de relations contractuelles directes avec la Scierie de Steige ;

* sa responsabilité pénale ne saurait en aucun cas être engagée sur le fondement des articles R 121-4 et R 121-5 du code de la route en l’absence de toute fausse déclaration du poids de la marchandise émanant de l’expéditeur ainsi qu’en l’absence de toute instruction délivrée incompatible avec le respect des dispositions du code de la route relatives aux limites de poids des véhicules par l’expéditeur au transporteur;

— la société Lor Bois était le destinataire tandis que la société Transport Bail/Lebon qui a sous-traité le transport à la société Ertel était le donneur d’ordre et l’expéditeur;

— la société Lor Bois de par l’effet translatif de propriété était le propriétaire des marchandises.

MOTIVATION

Sur l’exercice du privilège du voiturier

Sur le fondement de l’article L133-7 du code de commerce, le voiturier a privilège sur la valeur des marchandises faisant l’objet de son obligation et sur les documents qui s’y rapportent pour toutes créances de transport, même nées à l’occasion d’opérations antérieures, dont son donneur d’ordre, l’expéditeur ou le destinataire restent débiteurs envers lui, dans la mesure où le propriétaire des marchandises sur lesquelles s’exerce le privilège est impliqué dans lesdites opérations.

Les créances de transport couvertes par le privilège sont les prix de transport proprement dits, les compléments de rémunération dus au titre de prestations annexes et d’immobilisation du véhicule au chargement ou au déchargement, les frais engagés dans l’intérêt de la marchandise, les droits, taxes, frais et amendes de douane liés à une opération de transport et les intérêts.

En vertu du principe de la règle de l’interprétation stricte des privilèges selon lequel une cause de préférence légale ne peut être étendue au-delà du champ que la loi lui a assigné, la liste des créances de transport couvertes par le privilège énumérée à l’article précité est limitative.

Conformément à l’article 9 du code de procédure civile selon lequel il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, il incombe au transporteur qui se prévaut du privilège d’établir d’une part qu’il est titulaire d’une créance de transport couverte par le privilège, dont son donneur d’ordre, l’expéditeur ou le destinataire restent débiteurs envers lui, et, d’autre part, que le propriétaire des marchandises sur lesquelles s’exerce le privilège est impliqué dans lesdites opérations. Si la créance est née à l’occasion d’opérations antérieures, il lui incombe de prouver que le propriétaire des marchandises est impliqué non seulement dans le transport en cause mais également dans les transports précédents ayant généré les factures impayées.

Le transporteur qui retient de manière fautive des marchandises engage sa responsabilité délictuelle.

Sur ce

En l’espèce, le transporteur a entendu exercer son privilège sur un chargement qu’il devait effectuer le 4 août 2014. Aux termes de la lettre de voiture éditée pour ce transport, la société Lor Bois est désignée comme étant le donneur d’ordre et le destinataire du transport de marchandises. Le lieu du chargement est désigné comme étant celui de la société Scierie de Steige. Cette dernière ayant vendu le matériel transporté constitué de 38 paquets de bois à la société Lor Bois, elle a incontestablement la qualité d’expéditeur au sens de l’article précité.

Le transporteur a entendu exercé son privilège pour une créance qu’il estimait détenir à l’encontre de la société Scierie de Steige née à l’occasion d’un transport effectué les 5 et 6 mai 2014 de 20 colis de bois et constituée par des contraventions résultant d’une surchage. Il a émis le 20 mai 2014 une facture n°140504 pour ces contraventions, qu’il a acquittées. Le destinataire du transport litigieux était alors la société Boyenval Van Peer à qui l’expéditeur avait vendu la marchandise.

Il incombe donc au transporteur d’établir, d’une part qu’il est titulaire d’une créance de transport couverte par le privilège dont l’expéditeur la société Scierie de Steige reste débitrice envers lui , et, d’autre part, que le propriétaire des marchandises sur lesquelles il a entendu exercer son privilège était impliqué non seulement dans le transport du 4 août 2014 mais également dans le transport précédent du 5-6 mai 2014 ayant généré la facture impayée et contestée .

Sur l’existence d’une créance de transport couverte par le privilège

Pour pouvoir exercer son privilège, il ne suffit pas que le transporteur soit titulaire d’une créance à l’encontre de son donneur d’ordre, encore faut-il que cette créance constitue une créance de transport énumérée à la liste limitative de l’article L133-7 du code de commerce.

Au cas d’espèce, l’expéditeur communique 13 avis de contraventions dressés le 15 mai 2014 pour méconnaissance des dispositions de l’article R. 312-2 al 3 et 4 du code de la route suite à un contrôle de son chargement dont il a été l’objet le 6 mai 2013. La plaque d’immatriculation du véhicule contrôlé étant identique sur les procès-verbaux de contravention et sur la lettre de voiture afférente au transport du 5-6 mai, il ne fait aucun doute que les contraventions ont été dressées en raison d’un surpoids des marchandises confiées par la société Scierie de Steige. Il convient donc de déterminer si le montant de ces contraventions peut correspondre à une créance de transport, notamment à des « frais engagés dans l’intérêt de la marchandise » dont serait redevable l’expéditeur.

Il importe de distinguer la responsabilité pénale de la responsabilité civile du transporteur et de l’expéditeur.

Concernant les règles de la responsabilité pénale, aux termes des alinéas 3 et 4 l’article R. 312-2, il est interdit de faire circuler « un véhicule ou un élément de véhicule dont un essieu supporte une charge réelle qui excède le poids maximal autorisé pour cet essieu » ainsi qu’un « un ensemble de véhicules dont le poids total roulant réel dépasse le poids total roulant autorisé pour le véhicule tracteur ». Depuis l’entrée en vigueur du décret n°92-699 du 23 juillet 1992, la coresponsabilité pénale de l’expéditeur peut être recherchée sur la base des dispositions des articles R 121-4 et R 121-5 du code de la route si celui-ci a provoqué un dépassement des limites de poids fixées par l’article R. 312-2 du code de la route par une fausse déclaration du poids d’un chargement placé à bord d’un véhicule ou s’il a donné des instructions incompatibles avec le respect des dispositions afférentes aux limites de poids.

Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le responsable pénal de l’infraction de surpoids du chargement est le transporteur, qui « fait circuler » le véhicule, ce dont il s’évince que le transporteur a une obligation générale de veiller à ce que le véhicule ne soit pas surchargé. La responsabilité pénale de l’expéditeur ne peut être recherchée qu’en cas de fausse déclaration du poids de l’envoi ou d’instructions incompatibles avec le respect des dispositions afférentes aux limites de poids.

Concernant les règles de la responsabilité civile, en application de l’article L1432-4 du code des transports dans sa version issue de l’ordonnance n° 2011-204 du 21 février 2011 applicable au transport litigieux, à défaut de convention écrite et sans préjudice de dispositions législatives régissant les contrats, les rapports entre les parties sont, de plein droit, ceux fixés par les contrats-types prévus à la section 3 du code. Au cas d’espèce, les parties ne produisant aucun contrat de transport, leurs relations sont régies par le décret n°99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises dans sa version modifiée par le décret n° 2001-1363 du 28 décembre 2001. En application de l’article 3 des contrats types de transport, le donneur d’ordre doit préalablement à la présentation du véhicule au chargement, par écrit ou par tout autre procédé en permettant la mémorisation, fournir au transporteur diverses indications dont celles afférentes à « la densité ou le volume de la marchandise et le poids indicatif de l’envoi ». Ce même article prévoit que « le donneur d’ordre supporte, vis-à-vis du transporteur, les conséquences d’une déclaration fausse ou incomplète sur les caractéristiques de l’envoi ainsi que d’une absence ou d’une insuffisance de déclaration ayant eu pour effet, entre autres, de dissimuler le caractère dangereux ou frauduleux des marchandises transportées ».

En vertu de l’article 7, les opérations de chargement, d’arrimage et de déchargement de l’envoi sont à la charge du transporteur pour les envois inférieurs à trois tonnes et à la charge de l’expéditeur pour les envois supérieurs à trois tonnes. Dans cette seconde hypothèse, « le transporteur a l’obligation de vérifier que le chargement, le calage ou l’arrimage ne compromettent pas la sécurité de la circulation. Dans le cas contraire, il doit demander qu’ils soient refaits dans des conditions satisfaisantes ou refuser la prise en charge de la marchandise. »

Il en résulte que dans tous les cas, le transporteur à une obligation de vérifier que la marchandise respecte les normes réglementaires de circulation et en particulier que le poids total du véhicule avec le chargement ne dépasse pas le poids autorisé réglementairement, obligation dont il ne saurait s’exonérer du seul fait que l’expéditeur ne lui a pas transmis le poids de l’envoi.

Au cas d’espèce, aux termes de la lettre de voiture afférente au transport litigieux, dans la colonne « Poids / volume/ m³», il est indiqué 42 m³ sans aucune précision de poids. En l’absence de toute fausse déclaration de poids, la responsabilité pénale de l’expéditeur ne saurait être recherchée de sorte que seul le transporteur était pénalement tenu au paiement des contraventions vis-à-vis de l’État.

Au surplus, le transporteur Ertel, tenu d’une obligation de moyens de veiller au respect du poids limite autorisé de son véhicule roulant en charge aux fins de respecter ses obligations réglementaires en la matière, devait, s’il estimait que l’information fournie par l’expéditeur quant au volume de la marchandise transportée était insuffisante pour vérifier qu’il respectait le poids roulant total autorisé en charge au vu notamment de la capacité de chargement de son véhicule au regard de son poids à vide, solliciter les informations complémentaires nécessaires avant d’effectuer le transport. C’est donc à bon droit que le tribunal de commerce a estimé qu’en acceptant le transport sans se soucier du poids de la marchandise, il a accepté la responsabilité du surpoids, les dispositions de l’article 3, n’ayant pas pour effet de libérer le transporteur de son obligation de moyen de s’assurer du respect des dispositions réglementaires en matière de dépassement des limites de poids.

Par ailleurs, le seul fait que l’expéditeur ait accepté, dans le cadre de relations d’affaires suivies, de régler partiellement le prix réclamé ne saurait valoir une reconnaissance non-équivoque de sa responsabilité civile.

Au final, des contraventions engageant la seule responsabilité pénale et civile de l’expéditeur ne sauraient constituer des « frais engagés dans l’intérêt de la marchandise » suceptibles de justifier l’exercice du privilège du voiturier.

Le transporteur échoue ainsi à établir qu’il était titulaire à l’encontre de l’expéditeur d’une créance de transport couverte par le privilège.

Sur l’implication du propriétaire des marchandises dans les transports concernés

Sur la facture émise par la société SDT le 4 août 2008 pour la marchandise vendue à la société Lor Bois pour un montant de 6 765,60 euros figure une clause de réserve de propriété selon laquelle le vendeur conserve la propriété des biens vendus jusqu’au paiement de l’intégralité du prix. Or, il ressort des propres écritures de la société Scierie Houtman et Fils que la société Lors Bois ne lui a jamais payé le prix de la commande, ce dont il résulte que l’expéditeur était bien resté le propriétaire de la marchandise.

En revanche, concernant la marchandise du transport précédent du 5-6 mai 2014 étant à la source de la créance invoquée pour l’exercice du privilège, le transporteur ne prouve pas que la société SDT s’était ménagée une clause de réserve de propriété pour faire échec au principe de l’effet translatif immédiat de la propriété au profit de la Boyenval Van Peer. Cette dernière est donc réputée propriétaire des marchandises au moment du transport.

Dès lors que deux sociétés différentes avaient la qualité de propriétaire des marchandises transportées dans le transport ayant donné lieu à la créance revendiquée et dans le transport ayant donné lieu à l’exercice du privilège, le transporteur échoue à établir que le propriétaire des marchandises sur lesquelles il a entendu exercer sa rétention était également impliqué dans le transport précédent ayant généré la créance de transport alléguée.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la société Ertel échoue à établir que les conditions d’exercice du privilège de voiturier étaient réunies, et le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a ordonné la restitution de la marchandise sous astreinte, débouté la société de transport Ertel de ses demandes en paiement en remboursement des frais de gardiennage, d’immobilisation de remorque et autres frais afférents à la séquestration du chargement.

Sur la responsabilité délictuelle du transporteur

A titre liminaire, il y a lieu de préciser qu’il sera fait application des dispositions du code civil dans leur version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l’obligation.

L’article 1382 du code civil pose le principe selon lequel tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le transporteur qui a exercé son privilège du voiturier alors que l’ensemble des conditions n’en n’étaient pas réunies engage sa responsabilité délictuelle à l’égard du transporteur et doit l’indemniser du préjudice causé par sa faute.

Il incombe à l’expéditeur qui agit en responsabilité de prouver l’existence et la consistance du préjudice qu’il a subi en lien de causalité avec la faute du transporteur de rétention abusive des marchandises.

Sur ce

En l’espèce, aux termes d’un procès-verbal de constat dressé le 1er août 2016 lors de la restitution de la marchandise par le transporteur en exécution du jugement du tribunal de commerce, M. X Y, huissier de justice, constate que le bois est d’aspect noirâtre et très sec, que toutes les planches sont déformées, présentent des traces de détériorations et plusieurs cerclages et sont endommagées. L’expéditeur établit ainsi qu’à cause de la longueur de la rétention abusive de sa marchandise, celle-ci a perdu toute valeur marchande.

Dès lors, son préjudice commercial s’établit incontestablement au prix de la marchandise facturée à hauteur de 6 765,60 euros. En revanche, la société Scierie Houtman et Fils ne justifie aucunement du préjudice complémentaire qu’elle réclame à hauteur de 6 765,60 euros.

En conséquence, il y a lieu de réformer le jugement du tribunal de commerce en ce qu’il a débouté l’expéditeur de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice économique.

En vertu de l’article 1153-1 du code civil, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement. En l’espèce, il est justifié aux fins de réparer l’entier préjudice subi par l’expéditeur du fait de la rétention abusive, de fixer le point de départ des intérêts au taux légal à compter de l’assignation en restitution de la marchandise indûment retenue délivrée par l’expéditeur le 11 décembre 2014 devant le juge des référés de Colmar.

Sur la demande en dommages et intérêts pour résistance abusive

Il résulte des articles 1382 du code civil et 32-1 du code de procédure civile, qu’une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s’être défendue que si l’exercice de son droit a dégénéré en abus. L’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’étant pas, en soi, constitutive d’une faute, l’abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par le tribunal.

En l’espèce, l’appréciation inexacte par le transporteur des conditions de son privilège, au vu notamment de la complexité de la législation, n’a pas dégénéré en abus.

Dès lors, le jugement du tribunal de commerce déféré sera infirmé en ce qu’il a alloué la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive sans caractériser un quelconque préjudice de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l’équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l’autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Sur ce

En l’espèce, il y a lieu de confirmer la décision du tribunal de commerce du chef des dépens et des frais irrépétibles, et, y ajoutant, de condamner l’appelante aux entiers dépens de l’appel et à payer à l’intimée au titre de ses frais irrépétibles, en ce compris les frais des constat d’huissier, la somme de 3 500 euros.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a :

— débouté la société SARL Scierie de Steige de sa demande pour préjudice économique ;

— condamné la société Ertel à payer à la société SARL Scierie de Steige la somme de 5 000 euros au titre de la résistance abusive ;

— réservé les droits de la SARL Scierie de Steige concernant le préjudice éventuellement subi du fait de l’état dans lequel elle récupèrera les marchandises dont elle sollicite la restitution,

Statuant à nouveau sur ces points :

—  Condamne la société Ertel à payer à la société Scierie Houtman et Fils, au titre de son préjudice économique causé par la rétention abusive de la marchandise, la somme de 6 765,60 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2014 ;

—  Déboute la société Scierie Houtman et Fils de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formulée à hauteur de 5 000 euros ;

—  Confime le jugement déféré sur le surplus de ces dispositions ;

Y ajoutant :

Dit que la société Scierie Houtman et Fils vient aux droits de la SARL Scierie de Steige ;

Déboute la société Ertel de l’intégralité de ses demandes en paiement formulées à l’encontre de la société Scierie Houtman et Fils ;

Condamne la société Ertel aux entiers dépens de l’appel et à payer à la société Scierie Houtman et Fils au titre de ses frais irrépétibles la somme de 3 500 euros.

Le Greffier Le Président

C. Cocilovo M. A. Prigent

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 5 octobre 2017, n° 16/04728