Cour d'appel de Douai, Sociale d salle 2, 28 février 2019, n° 16/01107
CPH Roubaix 22 février 2016
>
CA Douai
Confirmation 28 février 2019

Arguments

Le contenu a été généré à l’aide de l’intelligence artificielle. Pensez à vérifier son exactitude.

Signaler une erreur.
  • Rejeté
    Absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

    La cour a estimé que les reproches concernant l'attitude non professionnelle et abusive de M. Y à l'égard de Mme X sont fondés et suffisamment sérieux pour justifier le licenciement.

  • Rejeté
    Violation de l'article L.1222-1 du Code du travail

    La cour a jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, et qu'aucun manquement de l'employeur n'était prouvé, déboutant ainsi M. Y de sa demande d'indemnisation.

  • Rejeté
    Abus de droit dans la contestation du licenciement

    La cour a estimé que la société Tapis Saint Maclou ne démontre pas que M. Y a fait dégénérer en abus son droit de contester le licenciement, et a donc débouté la société de sa demande.

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Douai, soc. d salle 2, 28 févr. 2019, n° 16/01107
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 16/01107
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Roubaix, 21 février 2016, N° 14/00291
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DU

28 Février 2019

314/19

N° RG 16/01107 – N° Portalis DBVT-V-B7A-PUWO

CPW/CH

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de ROUBAIX

en date du

22 Février 2016

(RG 14/00291 -section 4)

GROSSE

le 28/02/19

[…]

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

— Prud’Hommes-

APPELANT :

M. H Y

[…]

[…]

Représenté par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

SA […]

[…]

[…]

[…]

Représenté par Me Romain THIESSET, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 06 Décembre 2018

Tenue par L M

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annick GATNER

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

L M

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

[…]

: CONSEILLER

P Q-R : CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 Février 2019,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par P Q R, conseiller et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

M. Y H a été embauché par la Société Tapis Saint Maclou par contrat à durée indéterminée du 16 septembre 2002 en qualité de chef de produit, statut cadre groupe 7 niveau 3 de la convention collective du négoce de l’ameublement.

Courant mars 2010, il a procédé à l’embauche en contrat à durée déterminée de Mme X au sein de la société Tapis Saint Maclou, la relation de travail se poursuivant dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter de juillet 2012.

Convoqué par courrier du 30 décembre 2013 à un entretien préalable fixé au 7 janvier 2014, M. Y s’est vu notifier son licenciement pour motif personnel le 17 janvier suivant, l’employeur le dispensant d’exécuter son préavis en précisant qu’il serait néanmoins rémunéré.

Le 7 août 2014, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Roubaix aux fins de contester la mesure et obtenir des indemnités au titre d’un licenciement qu’il estime sans cause réelle et sérieuse et au titre d’un préjudice moral résultant d’une violation par l’employeur de l’article L.1222-1 du code du travail.

Par jugement du 22 février 2016, la juridiction prud’homale a :

— dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, et que le contrat de travail de M. Y a été exécuté de bonne foi par la société Tapis Saint Maclou,

— débouté M. Y de ses demandes,

— débouté la société de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,

— condamné M. Y à verser à la société Tapis Saint Maclou la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre sa condamnation aux dépens.

Par déclaration du 21 mars 2016, le salarié a relevé appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées entre les parties.

M. Y demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de :

— dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

— condamner la société Tapis Saint Maclou à lui payer les sommes suivantes :

* 65 500 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 32 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral pour violation de l’article L.1222-1 du code du travail ;

* 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société aux dépens de première instance et d’appel.

La société Tapis Saint Maclou demande à la cour :

— à titre liminaire, de constater la péremption d’instance et débouter M. Y de ses demandes et prétentions ;

— sur le fond :

* à titre principal, de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté sa demande au titre de l’abus de procédure, de débouter M. Y de ses demandes et de le condamner au paiement d’une indemnité de 5 000 euros au regard du caractère abusif de la contestation judiciaire de son licenciement et de la procédure d’appel ;

* à titre subsidiaire, de débouter le salarié de sa demande fondée sur l’article L.1222-1 du code du travail et dire le montant des dommages et intérêts sollicités manifestement disproportionné ;

— de condamner le salarié au paiement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions reprises oralement à l’audience, qui ont été déposées :

— le 9 novembre 2018 pour M. Y,

— le 22 novembre 2018 pour la société Tapis Saint Maclou.

MOTIFS :

Sur l’exception de procédure tirée de la péremption :

Aux termes de l’article R.1452-8 du code du travail, en matière prud’homale, l’instance n’est périmée

que lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.

En l’espèce, la décision litigieuse du 21 mars 2016, sur laquelle se fonde l’intimée pour invoquer la péremption, a invité les parties à respecter un calendrier de procédure, l’appelant devant notamment conclure avant le 31 mai 2016.

Toutefois ce document qui se présente comme une ordonnance prononcée par le magistrat chargé d’instruire l’affaire et prise sous couvert des dispositions de l’article 940 du code de procédure civile, ne comporte pas l’identification et la signature du magistrat qui en serait l’auteur. Elle ne peut en conséquence être considérée comme une décision émanant de la juridiction.

Il s’agit d’un simple calendrier de procédure adressé par le greffe avec la convocation des parties devant la cour, destiné à faciliter les échanges entre les parties et la cour et qui, faute d’émaner de la juridiction ne répond pas aux exigences de l’article R.1452-8 et ne fait pas courir le délai de péremption.

Il convient en conséquence d’écarter cette exception de procédure.

Sur le bien fondé du licenciement :

L’article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.

La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

Aux termes de l’article L.1235-1 du même code en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La charge de la preuve n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties.

En l’espèce, la lettre de rupture du 17 janvier 2014, qui fixe les limites du litige, a été ainsi rédigée :

'(…) Suite à cet entretien nous sommes au regret de vous informer que nous avons pris la décision de rompre votre contrat de travail pour les motifs qui vous ont été exposés au cours de celui-ci :

- Une attitude inconvenante de votre part à l’égard de votre collaboratrice, Madame N X, se traduisant par l’envoi de SMS déplacés et ambigus à partir de votre téléphone professionnel,

- Un management de l’intéressée par le stress, accompagné de pressions psychologiques pour l’amener à vous confier des informations relevant de la vie privée,

- Une attitude pressante envers votre collaboratrice lorsqu’elle refusait de répondre à vos questions d’ordre personnel,

- Des agissements répétés ayant entraîné une dégradation de la santé de Madame X, en arrêt de travail depuis le 27 novembre 2013 et ce malgré un recadrage informel dont vous avez fait l’objet, en novembre 2012.

C’est dans ce contexte que Madame N X nous a adressé un courrier en date du 30 novembre 2013 pour nous faire part d’agissements de votre part, qu’elle vit comme de «réels problèmes d’abus hiérarchique ». Elle nous indique qu’elle reçoit sur son portable personnel des messages dont vous êtes l’auteur n’ayant aucun caractère professionnel, la plupart du temps à des heures dépassant le cadre de ses horaires de travail. Elle nous confie par ailleurs que, de manière récurrente et insistante, sous prétexte d’entretiens professionnels, vous en profitez pour lui poser des questions relevant de sa vie privée et de sa vie intime. L’intéressée précise qu’à plusieurs reprises, refusant de répondre à vos questions, elle vous a demandé de ne plus l’importuner. S’en sont suivies, selon elle, sous couvert de directives professionnelles, des pressions et remarques injustes de votre part sur son travail.

C’est dans ces conditions qu’une enquête a été diligentée par la Direction des Ressources Humaines en présence d’un membre du CHSCT. Au cours de celle-ci, votre collaboratrice nous a présenté un certain nombre de captures d’écran de son téléphone portable, sur lesquelles figurent les SMS ci-dessus évoqués, à des heures parfois tardives (21h13 ' 21h40 ' 22h47'etc) apportant ainsi les preuves de ses allégations.

Force est de constater que bon nombre de ces messages sont particulièrement inopportuns, insistants, ambigus et sans rapport avec des sujets d’ordre professionnel : propositions de déjeuners, de dîners, de séance de piscine, questions sur la nature des relations qu’entretient Madame X avec d’autres membres du personnel de l’entreprise… etc

Au regard de ces éléments, nous avons décidé de vous convoquer à un entretien préalable.

Lors de cet entretien, vous avez tenté de légitimer vos agissements en affirmant avoir toujours essayé de soutenir votre collaboratrice après vous être battu pour la faire embaucher en contrat à durée déterminée. Vous estimez que les SMS sont sortis de leur contexte, et qu’il ne s’agissait que de proposer votre aide sans aucune volonté de nuire. Il s’agit pour vous d’une manière d’intervenir pour aider Madame X, qui est une femme seule avec un enfant à charge, avec beaucoup de problèmes personnels.

Nous avons entendu vous explications, mais celles-ci ne nous ont pas convaincus. En effet, les éléments que vous mettez en avant pour votre défense, ne sont pas selon nous, de nature à atténuer les fautes que nous vous reprochons. Ils apparaissent au contraire comme une tentative vous permettant de justifier :

- De votre résistance à modifier votre comportement, malgré les demandes réitérées de votre collaboratrice,

- D’une situation persistante, pour laquelle vous avez déjà été amené à rencontrer la Direction des Ressources Humaines fin 2012.

Nous considérons que votre attitude est des plus inconvenantes, qui plus est de la part d’un cadre qui dirige une équipe exclusivement féminine. Il a abouti à la dégradation de la santé de votre collaboratrice, Madame X, qui, à bout de nerfs, n’a eu d’autres solutions que l’arrêt de travail d’une part et d’autre part de solliciter officiellement sa hiérarchie pour une intervention immédiate afin de faire cesser vos agissements.

Or, vous aviez pourtant suivi un «coaching» en management que vous auriez pu mettre à profit pour remédier à ces dysfonctionnements. Vous ne pouvez ignorer l’attachement de l’entreprise au respect de ses collaborateurs et l’accord sur les risques psychosociaux en vigueur depuis 2012. A ce titre, nous ne pouvons cautionner vos actes. Il ressort de vos agissements un manque total de respect de votre collaboratrice et de vos explications un déni pur et simple de la réalité.

Votre comportement est choquant et fondamentalement incompatible avec votre fonction. (…)'

Au soutien de ces allégations, l’employeur produit :

— le courrier lui ayant été adressé par Mme X le 30 novembre 2013, dont une copie a été adressée aux membres du CHSCT, courrier dans lequel la salariée formalise des difficultés persistantes rencontrées avec son supérieur hiérarchique M. Y malgré l’intervention de l’employeur en novembre 2012, et l’impact sur son état de santé ;

— une impression écran des sms évoqués dans la lettre de licenciement et par Mme X dans son courrier ;

— le compte rendu du 13 décembre 2013 de l’enquête menée par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, laquelle a conclu à l’existence d’un dépassement par M. Y du cadre d’une relation normale entre un manager et un collaborateur.

M. Y ne dénie pas utilement valeur probante à ces documents dès lors que :

— il ne verse aux débats aucun élément pour appuyer ses affirmations quant à une absence d’objectivité ou au caractère bâclé de l’enquête du CHSCT, ni le moindre élément permettant de mettre en cause le compte rendu dont il n’est pas démontré qu’il ne serait pas fidèle à l’enquête menée ; la lecture du document permet en outre de s’assurer que l’enquête n’a pas été menée à charge comme le prétend M. Y sans l’appui du moindre élément de preuve, le salarié ayant été entendu au même titre que Mme X, et Mme A qui témoigne pour lui en la présente procédure ayant également été auditionnée, alors que par ailleurs, l’utilité d’entendre un autre témoin (tel que M. B comme le sollicitait M. Y dans le cadre de l’enquête), n’est pas démontrée ;

— même si le courrier du 30 novembre 2013 ne porte pas de signature et n’a pas été envoyé par courrier recommandé, il ressort néanmoins clairement de l’enquête menée par le CHSCT que la salariée a non seulement confirmé l’avoir écrit mais a encore confirmé la date du courrier ; il n’existe par ailleurs pas d’argument étayé permettant de considérer le témoignage y figurant comme dépourvu de valeur probante ;

— il critique les sms produits par l’employeur au motif qu’ils seraient en réalité sortis de leur contexte et que leur reproduction ne serait pas fiable, sans toutefois l’appui du moindre commencement de preuve d’un contexte différent, sans verser aux débats une reproduction différente, et alors qu’il n’avait pas contesté la réalité des échanges dans le cadre de l’enquête du CHSCT ou dans le cadre de la procédure de licenciement.

Il est par ailleurs établi que les sms envoyés par M. Y, y compris en dehors de l’horaire normal de travail, à des heures parfois très tardives, l’étaient à partir de son téléphone professionnel.

Il ressort par ailleurs du dossier que :

— Mme X a été placée en arrêt de travail à compter du 27 novembre 2013 ; dans le signalement du 30 novembre 2013 adressé à l’employeur et au CHSCT seulement trois jours après, qui coïncide donc avec cet arrêt, Mme X indique :

' Par la présente je tiens à porter à votre connaissance les faits et situations que je subis depuis quelques temps.

Dans l’entreprise depuis mars 2010 sous la responsabilité de Monsieur H Y, je suis confrontée à de réels problèmes d’abus hiérarchique de ce dernier.

Je reçois sur mon portable, de la part de Monsieur H Y, des messages qui n’ont rien de professionnel mais qui en fait sont des messages sortant du contexte professionnel et ce, à des heures dépassant largement le cadre des horaires de travail qui me sont appliqués conformément à mon contrat.

J’ajoute que Monsieur H Y sous couvert d’entretiens professionnels me convoque pour me poser des questions qui concernent ma vie privée. Vous pouvez imaginer dans quel état je suis à chaque fois qu’il me demande de manière insistante de lui répondre sur des sujets qui touchent le cadre intime de ma vie privée.

J’ai demandé à plusieurs reprises à Monsieur H Y de cesser ses agissements mais à chaque fois le répit ne fut que de courte durée. Sous couvert de directives professionnelles s’en suivent alors des pressions quasi-immédiates… car le fait de lui rappeler que le lien de subordination ne l’autorise en rien à s’immiscer dans ma vie privée. Mon refus de répondre à ses questions ou ma demande qu’il cesse séance tenante de m’importuner, se traduisent alors par des remarques sur mon travail. Il me pose plusieurs fois la même question sur un sujet alors que je lui avais déjà donné la réponse. Ce qui a eu pour effet de perturber un peu plus ma tranquillité tant sur le plan professionnel que d’un point de vue de ma vie privée.

Conséquences :

Au mois de novembre 2012, j’ai lors d’un entretien alerté à ce sujet Monsieur O C. Suite à cet entretien Monsieur C m’a assuré qu’il ferait en sorte de faire cesser ses agissements. Il m’avait même dit qu’il ferait au plus vite pour me changer de responsable. Comme Monsieur H Y n’avait pas cessé de me harceler pour tout savoir de ma vie privée. Le 21 janvier 2013 j’ai pris la liberté de relancer Monsieur C, puisqu’un poste au service Expansion était vacant.

Dans tous les cas, je ne pensais pas que dans cette entreprise, dotée d’un accord portant sur les risques psychosociaux, de telles situations peuvent encore exister et que des personnes abusant de leur pouvoir hiérarchique puissent estimer ou s’imaginer avoir droit de vie ou de mort sur leurs subordonnés.

A l’heure actuelle je suis en arrêt maladie et ce à l’encontre de mes convictions, car mercredi 27 novembre 2013 aux alentours de 11h15 Monsieur Y a demandé à me voir en entretien. Faute de salle de réunion, nous nous retrouvons dans le magasin assis autour d’une table destinée à la consultation des papiers peints. Il s’est mis à me poser des questions d’ordre personnel ce qui a eu pour effet de me faire pleurer. En me voyant pleurer il m’a demandé de me suivre dans une salle de réunion à proximité de la salle d’échantillonnage. Cet entretien s’est terminé à 12h30. J’insiste sur le fait qu’à aucun moment durant cet entretien il n’a évoqué des points questions et remarques d’ordre professionnel. Toutes les questions revenaient sur un seul et même sujet : ma vie privée.

En vous alertant à votre tour, je me libère d’un poids qui me pourrit l’existence et m’empêche de vivre sereinement tant dans ma vie privée que ma vie professionnelle.

Je sais que si vous ne réagissez pas en me protégeant, il me fera d’une manière ou d’une autre payer le fait de l’avoir dénoncé.

Vous remerciant par avance de l’attention que vous porterez à mon appel au secours ' ;

— l’enquête menée par la direction (M. C, directeur des ressources humaines et M. F, responsable sécurité) et le CHSCT (M. G) le 11 décembre 2013, rapidement après le courrier de

Mme X, comporte la conclusion suivante :

'Monsieur Y a dépassé le cadre d’une relation professionnelle normale entre un manager et sa collaboratrice.

Monsieur Y s 'est montré trop insistant auprès de Madame X en l’interrogeant plusieurs fois sur des sujets relevant de la vie privée de la salariée. Pourtant, Madame X a exprimé à plusieurs reprises son souhait de ne pas évoquer ces sujets avec son supérieur, mais ce dernier n 'a pas pris en compte ce souhait.

Monsieur Y n 'a pas conscience de l’impact de ses questionnements sur la santé mentale de sa collaboratrice. Lors de la démarche d’enquête, Monsieur Y a fait preuve d’un manque de lucidité eu égard à la gravité de la situation.

A la lecture des messages téléphoniques transmis par la salariée lors de l’enquête, M. Y a manifestement tenu une attitude équivoque, avec une immixtion dans la vie personnelle de Madame X'.

A l’occasion de cette enquête :

— Mme X a maintenu la version des faits donnée dans son courrier du 30 novembre 2013 et a notamment précisé : 'H veut tout le temps savoir avec qui je suis en couple, c’est obsessionnel chez lui (…)', 'Je suis perturbée par les questions que me pose H sur ma vie privée (…)' ;

— M. Y a contesté avoir eu un comportement abusif, indiquant notamment 'les sms c’est des blagues et des maladresses (…)' et a souligné que le but de son comportement était de soutenir une collaboratrice fragile du fait de sa situation de mère célibataire avec un enfant à charge ;

— le médecin du travail, qui a reçu les deux salariés en entretien individuel, a indiqué à M. F au cours d’un échange téléphonique du 10 décembre 2013 : '(…) La situation est effarante : le responsable n’a pas conscience de ce qu’il a fait. Il a une très mauvaise appréciation de la situation. Il voulait assister N mais avec une mauvaise appréciation. Il est maladroit de s’immiscer dans la vie privée de la salariée. Les textos sont à la limite du harcèlement : cela a commencé par exprimer de l’empathie pour ensuite aller vers des sujets plus gênants. H semble avoir la main mise sur elle et vouloir avoir un droit de regard sur sa vie personnelle. (…)'

Est annexé au compte rendu d’enquête, un message électronique du 10 décembre 2013 du cabinet I qui a effectué un accompagnement psychologique de Mme X à la demande de l’employeur à la suite de son signalement, qui confirme que Mme X était dans une réelle détresse psychologique et qui ajoute que désormais 'Ni elle ni nous ne relevons plus d’incapacité personnelle à ce qu’elle reprenne son activité professionnelle dans les meilleurs délais. Il demeure néanmoins que ses conditions de travail et plus particulièrement les relations avec son propre responsable, nous semblent être suffisamment dégradées pour devoir faire l’objet d’un examen plus poussé, dans la perspective d’être profondément révisées.'

Par ailleurs, à titre d’illustration des messages reçus par Mme X, il ressort des copies écran de plusieurs dizaines de sms produits que notamment :

— le 23 janvier 2011 à 21h28, M. Y a demandé à Mme X 'Quelle est la teneur de votre relation avec K B',

— le 26 janvier 2011 à 19h49, il lui a envoyé le message suivant : 'J’ai le sentiment que vous ne me dites pas la vérité avec M. J.';

— le 14 avril 2011, M. Y a demandé à sa collaboratrice : 'Au fait, vous avez fait du vélo hier'' ;

— le 19 juillet 2011 à 8h04, il lui a demandé : 'dispo demain pour une piscine' et malgré la réponse négative de la salariée, le lendemain à 18h51 il a redemandé : 'dispo pour la piscine ce soir'', Mme X répondant : 'je pensais que vous deviez tondre votre pelouse...', M. Y a repris : 'dispo après', puis Mme X : 'désolée pas moi' mais le chef de produit a néanmoins envoyé le message suivant : 'moi non plus c’était une blague, quand alors'' ;

— le 6 juin 2012 à 23h32 M. Y a écrit à Mme X : 'Arrêtez de ronfler je n’arrive pas à dormir.' ;

— le 2 octobre 2013 à 12h14 il lui a envoyé le message suivant : 'Tenue de combat basquette et mini-jupe' ;

— le 3 octobre 2013 à 17h55, M. Y a écrit à Mme X : 'Alors le second c’est qui'', Mme X a répondu à 18h02 : 'Olivier… LOL!', puis M. Y a repris en envoyant dès 18h03 le message suivant : 'Allez dites', puis à 18h32 : 'Soyez sympa', le 7 octobre à 12h11 : 'Alors c’est qui'', puis après que les parties aient évoqué le 8 octobre 2013 le fait que le divorce de la salariée relevait du passé, M. Y a à nouveau adressé à Mme X le 8 octobre des messages pour lui reposer la même question : à 12h22 'C’est qui'' et à la réponse de Mme X 'Vous l’avez dit, il y a prescription, donc ce n’est pas la peine de savoir, ça n’avancerait à rien', il a repris à 18h13 : 'juste pour connaître votre style alors', puis en insistant à 18h52 : 'Alors, lâchez le morceau', puis à 21h08: 'Bon c’est pour quand'', puis à 21h08 : 'N', puis à nouveau le 15 octobre 2013 à 13h30: 'c’est pour quand la réponse'', puis le 21 octobre 2013 'pipoteuse', puis le 18 novembre à 12h57 'c’est quelqu’un de la centrale'', et à 16h46 'Pas cool N lâchez vous pour une fois', puis le lendemain à 8h40 : 'J’ai un scoop à vous de me donner le nom’ et encore à 18h09: 'Je connais la date à vous maintenant de me dire le nom.'

Par ailleurs, il ressort des sms produits qu’à plusieurs reprises, M. Y a proposé à Mme X de déjeuner ou dîner avec lui, sans qu’il démontre que ce type de pratique était habituel dans le service.

Les arguments développés par M. Y portant sur le fait qu’il avait adopté ce comportement pour aider une salariée fragile, en détresse et qu’il conviendrait de les restituer dans un contexte qu’il ne justifie cependant pas, ne sont pas pertinent.

D’une part, il ne ressort d’aucun témoignage direct que Mme X ait demandé son aide sur le plan personnel. M. Y ne produit pas non plus le moindre élément prouvant que la salariée aurait autorisé l’envoie régulier de sms sans aucun lien avec la vie professionnelle, sur une période de temps assez longue, à l’issue de circonstances différentes, même à des heures très tardives. Il ressort au contraire des sms produits qu’à plusieurs reprises, elle lui a demandé d’arrêter. Pour seuls exemples, de façon très claire :

— le 26 janvier 2011 : 'ça ne va pas recommencer avec lui, c’est pour ce genre de message que je ne souhaite plus parler de moi de toute façon, vous ne me croyez pas il y a 48 heures j’étais avec K alors ça porte un nom… Stop', M. Y indiquant à 20h46 'Ok promis je n’aborderai plus ces sujets avec vous et nous n’aurons désormais plus que des discussions de boulot et c’est tout. Bonne soirée';

— le 19 août 2011 : 'je ne sais pas ce que vous cherchez mais arrêtez de chercher.'

D’autre part, à supposer même qu’une aide bienveillante devait être apportée à Mme X au regard de sa fragilité apparente, de ses sautes d’humeur ou même d’une réelle détresse, M. Y ne donne aucune explication sérieuse portant sur les messages adressés à la salariée à plusieurs reprises pour connaître la nature de ses relations avec l’un des salariés de l’entreprise ou pour connaître l’identité de telle personne l’accompagnant ou avec laquelle elle entretenait une relation amoureuse, au travers de

questions portant indiscutablement sur la vie privée de la salariée. Ses messages ne se rapportent alors pas à des faits professionnels et ne relèvent pas de la seule convivialité ou bienveillance. Les termes employés par M. Y dans plusieurs des sms de la pièce produite par l’employeur (dont certains ci-dessus repris), même sortis de leur contexte, évoquent un sentiment plus intime qu’amical de ce dernier envers Mme X et tendent avec une insistance déplacée à obtenir une réponse de sa destinataire qui s’y refuse pourtant sans équivoque.

Les attestations et courriels, dont certains rédigés en des termes généraux, produits par M. Y, témoignant de la bonne entente apparente entre les parties, de la bienveillance de ce supérieur hiérarchique à l’égard d’une autre collaboratrice, et des qualités professionnelles du salarié, ou encore l’absence d’évocation de la problématique de l’abus dénoncé dans le cadre des évaluations de Mme X réalisées par M. Y lui-même, ne peuvent suffire à discréditer les déclarations précises et circonstanciées de l’intéressée, maintenues dans le cadre de l’enquête du CHSCT et ne contredisent pas utilement les éléments précis et concordants avancés par la société Tapis Saint Maclou et les pièces produites.

Enfin, même à considérer que, comme le soutien M. Y, son comportement ne résultait pas d’une volonté de déstabiliser Mme X, il demeure que l’intérêt allégué de connaître les soucis personnels de la salariée pouvant expliquer d’éventuelles difficultés professionnelles dans un but désintéressé de soutien bienveillant, ne

permettait pas à M. Y de s’immiscer dans sa vie privée et notamment de lui poser des questions parfois intimes ou de tenter de se renseigner sur ses relations de manière particulièrement indélicate et insistante, parfois même à des heures tardives. Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, la méthode utilisée n’était ainsi pas acceptable puisqu’elle l’amenait à s’immiscer dans la vie privée d’une collaboratrice dont il était le supérieur hiérarchique.

Sans qu’il soit besoin de suivre les parties dans leur argumentation sur l’existence d’entretiens professionnels en tête-à-tête utilisés par M. Y pour obtenir des informations d’ordre privé, le comportement du salarié dans le cadre de l’envoi de sms tel que documenté dans le dossier, apparaît comme étant abusif.

Il est également établi que cette attitude a créé un profond malaise chez Mme X et a eu des conséquences sur son état de santé.

L’employeur ayant l’obligation de prévenir de tels agissements par ses salariés, il appartenait à la société, dès qu’elle a eu connaissance des accusations d’en vérifier la véracité et de mettre en 'uvre le cas échéant une procédure disciplinaire, et la société Tapis Saint Maclou a satisfait à ses obligations avec diligence et sans précipitation, la plaignante et M. Y étant entendus rapidement après le signalement.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, force est de constater que les reproches concernant l’attitude non professionnelle et abusive ci-dessus décrite de M. Y à l’égard de Mme X, énoncés dans la lettre de licenciement, sont fondés, et sont suffisamment sérieux pour justifier le licenciement du salarié.

Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et a débouté M. Y de sa demande indemnitaire.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral :

Au vu de ce qui précède, le licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse, et aucun manquement de l’employeur n’étant prouvé, M. Y sera débouté de sa demande d’indemnisation d’un préjudice moral sur le fondement de l’article L.1222-1 du code du travail. Le jugement sera en

ce sens confirmé.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure et appel abusifs:

La société Tapis Saint Maclou, qui formule une demande reconventionnelle de dommages-intérêts ne démontre pas que M. Y a fait dégénérer en abus son droit de contester le licenciement en justice ou de former un recours.

Elle doit donc être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, le jugement déféré sera sur ce point confirmé, et de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement entrepris en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

M. Y, qui succombe, sera condamné aux dépens d’appel. L’équité commande de dire n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Rejette l’exception de procédure tirée de la péremption,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Déboute la société Tapis Saint Maclou de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif,

Dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Condamne M. Y aux dépens d’appel.

Le Greffier P/ Le Président Empêché

A. LESIEUR C. Q R, conseiller

Extraits similaires à la sélection

Aucune décision de référence ou d'espèce avec un extrait similaire.

Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Douai, Sociale d salle 2, 28 février 2019, n° 16/01107