Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 17 novembre 2022, n° 20/04158

  • Appel sur des décisions relatives au plan de cession·
  • Navire·
  • Activité·
  • Transfert·
  • Liquidateur·
  • Sociétés·
  • Ags·
  • Entité économique autonome·
  • Travail·
  • Affrètement

Chronologie de l’affaire

Commentaires sur cette affaire

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. En savoir plus

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRES RÉUNIES

CHAMBRE 2 COMMERCIALE SECTION 1

ET CHAMBRE 5 SOCIALE SECTION D

ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2022

N° de MINUTE :

N° RG 20/04158 – N° Portalis DBVT-V-B7E-THT2

Jugement n° 2017002394 rendu le 29 Septembre 2020 par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer

APPELANTE

SELARL [C] & Associés représentée par Me [E] [C] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SCOP SEAFRANCE judiciaire de la société SCOP SEAFRANCE désignée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en date du 31 juillet 2015

sise [Adresse 2]

Représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Antoine Diesbecq, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉES

DFDS A/S, société de droit danois, représentée par ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 10]

DFDS SEAWAYS SAS, représentée par son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 3]

Représentées par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistées de Me Foulques de Rostolan, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

Association L’UNEDIC DELEGATION AGS, CGEA D'[Localité 4], Association déclarée représentée par sa Directrice Nationale, Madame [S] [W]

sise [Adresse 1]

Représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI

assistée de Me Jules de Perthuis, François-Pierre Lani, avocats au barreau de Paris

En présence à l’appel de l’affaire du Ministère public représenté par M. Le procureur général près la cour d’appel de Douai, en la personne de M. Rémy Schwartz, substitut général

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Hélène Château, première présidente de chambre

Dominique Gilles, président de la chambre commerciale, section 2

Pierre Noubel, président de la chambre sociale, section D

Muriel Le Bellec, conseillère chambre sociale

Agnès Fallenot, conseillère chambre commerciale

Pauline Mimiague, conseillère chambre commerciale

Virginie Clavert, conseillère chambre sociale

selon ordonnance du premier président de la cour d’appel de Douai du 8 septembre 2022

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs

DÉBATS à l’audience publique du 16 septembre 2022, après rapport oral de l’affaire par Dominique Gilles, président de la chambre commerciale

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Hélène Château, première présidente de chambre, et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 14 septembre 2022

La SCOP Seafrance, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 29 décembre 2011, a été constituée entre d’anciens salariés de la SA Seafrance, dont la procédure de sauvegarde judiciaire ouverte le 28 avril 2010 avait été convertie en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 juin 2010, dans le but de présenter un plan de cession de l’activité de transport maritime que celle-ci exerçait sur le lien transmanche entre Calais et Douvres, par l’exploitation de trois navires : le [I], le [Z] et le Nord-Pas-de-Calais.

La SA Seafrance ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du 16 novembre 2011, la société Groupe Eurotunnel (GET SA) et la SCOP Seafrance ont présenté un projet commun d’acquisition des actifs de la société en liquidation.

Par ordonnance du 11 juin 2012, le juge commissaire a autorisé la cession des navires [I], [Z] et Nord Pas de Calais et des autres éléments corporels et incorporels attachés à l’activité et tels que décrits par l’offre, au profit de la société Groupe Eurotunnel, en mettant à la charge de celle-ci des obligations pour assurer, dans une perspective pérenne, le projet commun avec la SCOP Seafrance.

Cette décision prévoyait en particulier une mesure d’inaliénabilité des navires pendant cinq ans, de sorte que la société Groupe Eurotunnel ou chacune des trois sociétés de ce groupe qui se voyait transférer la détention d’un des trois navires ne pouvait pas consentir à leur revente avant juin 2017.

Le projet de cession des navires par le groupe Eurotunnel a cependant été annoncé dès le mois de janvier 2015 et la SCOP Seafrance a demandé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde judiciaire, mesure ordonnée par jugement du 10 avril 2015 du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer.

Par jugement du 11 juin 2015, ce tribunal a prononcé le redressement judiciaire de la SCOP Seafrance, ainsi qu’elle l’avait demandé, comme suite à la cessation tant des contrats d’affrètement coque nue conclus avec les sociétés du groupe Eurotunnel qui lui avaient confié les navires que du contrat de sous-affrètement conclu avec la SAS Myferrylink, dépendant également du groupe Eurotunnel et qui était chargée de la commercialisation des traversées opérées par les trois navires et à laquelle la SCOP Seafrance facturait les traversées.

L’ensemble de ces relations contractuelles avait été établi par la SCOP Seafrance avec des partenaires qui sont autant de filiales ou sous-filiales de la société Groupe Eurotunnel, lesquelles se sont chacune concomitamment prévalues de l’échéance des termes stipulés dans les contrats d’affrètement et dans le contrat de sous-affrètement, à effet au mois de juillet 2015.

La société DFDS A/S, après avoir participé à l’appel d’offre en vue de la cession de l’entreprise émis par les administrateurs judiciaires de la SCOP Seafrance désignés par le jugement d’ouverture du redressement judiciaire, qui leur donnait mission de se substituer au dirigeant et d’assurer seuls l’administration de l’entreprise, a fait savoir que l’exploitation des navires [I] et [Z] lui avait été confiée à compter du 2 juillet 2015, soit le lendemain de l’échéance du terme du contrat d’affrètement dont avait bénéficié la SCOP Seafrance et qu’elle s’était irrévocablement engagée à acquérir ces navires au 11 juin 2017, fin de la période d’inaliénabilité.

Le 24 juin 2015, la société DFDS A/S a présenté une offre de plan de cession de l’entreprise de la SCOP Seafrance tendant à la reprise de l’activité de transport de passagers sur la ligne Calais-[Localité 7] par sa filiale DFDS Seaways, invoquant une solution pérenne de reprise d’une partie de l’activité et d’une partie de ses salariés.

L’offre de reprise des salariés était assortie de conditions, notamment celle d’un entretien préalable à la reprise de tout contrat.

Les administrateurs judiciaires ayant notifié aux sociétés du groupe Eurotunnel et aux sociétés DFDS que, selon eux et en vertu des dispositions d’ordre public de l’article L.1224-1 du code du travail, le transfert des contrats de travail ne pouvait pas être soumis à conditions, ils ont vainement sommé ces sociétés de se conformer à cette exigence.

Par lettre du 23 juillet 2015, la société DFDS Seaways a répondu que, selon elle, les dispositions invoquées du code du travail n’étaient pas applicables, en l’absence de transfert d’une unité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise.

Par jugement du 31 juillet 2015, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a prononcé la liquidation judiciaire de la SCOP Seafrance et a désigné M. [C], mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur.

En juillet et août 2015, un conflit collectif du travail a donné lieu au blocage des navires par les salariés de la SCOP Seafrance. La crise s’est résolue par la négociation, sous l’égide du gouvernement et par la conclusion, le 31 août 2015, d’un protocole de sortie de crise, dans lequel sont intervenus les groupes Eurotunnel et DFDS, prévoyant notamment le versement, à leur charge, d’une indemnité aux salariés dont les droits à retraite ne seraient pas ouverts au 31 décembre 2015 et qui seraient sans emploi au 1er janvier 2016, sous réserve que chaque bénéficiaire conclue une transaction avec renonciation à toute action contre les sociétés de ces groupes.

Par acte introductif d’instance du 26 mai 2017, le liquidateur ès qualités a assigné la société DFDS A/S devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en paiement de dommages-intérêts, destinés à compenser le coût des licenciements découlant du refus de la défenderesse, qu’il estime fautif au regard de l’article L.1224-1 du code du travail, de reprendre l’ensemble des salariés et de poursuivre leurs contrats de travail aux conditions contractuelles en vigueur.

Le liquidateur ès qualités a appelé en intervention forcée la société DFDS Seaways, pour que celle-ci soit condamnée solidairement ou à défaut de la société DFDS A/S à l’indemniser de ce même préjudice.

Cette dernière instance a été jointe à l’instance principale.

Le Centre de gestion et d’étude AGS (CGEA) d'[Localité 4] (l’AGS) est alors intervenu volontairement.

C’est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, par jugement du 29 septembre 2020, a :

— dit que M. [C] était recevable et avait qualité pour agir ;

— dit recevable l’intervention volontaire de l’AGS (CGEA) d'[Localité 4] ;

— dit n’y avoir lieu à application de l’article L.1224-1 du code du travail ;

— débouté M. [C] ès qualités et l’AGS (CGEA) d'[Localité 4] de toutes leurs demandes ;

— débouté chacune des parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— mis les dépens à la charge de M. [C] ès qualités.

Par déclaration reçue au greffe de la présente cour le 15 octobre 2020, le liquidateur ès qualités a interjeté appel de ce jugement, déférant à la (Cour) cour les chefs de décision ayant jugé qu’il n’y avait pas lieu à application de l’article L.1224-1 du code du travail, ayant débouté M. [C] ès qualités et l’AGS (CGEA) d'[Localité 4] de leurs demandes, et ayant statué sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Par dernières conclusions déposées et signifiées par la voie électronique le 11 janvier 2021, le liquidateur ès qualités demande à la présente cour, au visa des articles 1240 du code civil, L.1224-1 et L.3253-6 du code du travail, L.641-9, L.641-4 et L.622-20 du code de commerce, de :

— infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a déclaré recevable son action ;

statuant à nouveau :

— dire qu’il a intérêt et qualité pour agir et déclarer ses demandes recevables et bien fondées ;

— dire que l’exploitation de l’activité de transport de passagers par bateaux sur le lien transmanche Calais-[Localité 7] avec les navires [I] et [Z] constituait une entité économique autonome ;

— dire que dès lors, par application de l’article L.1224-1 du code du travail, les sociétés DFDS A/S et DFDS Seaways étaient tenues de reprendre les 283 salariés de la SCOP Seafrance affectés à cette entité économique autonome et de poursuivre leurs contrats de travail aux conditions contractuelles en vigueur ;

— dire que le refus opposé par la société DFDS A/S au transfert des contrats de travail, caractérise une faute à l’égard de la SCOP Seafrance en ce qu’il l’a obligée, étant représentée par son liquidateur judiciaire, à licencier ces 283 salariés « pour le compte de qui il appartiendra » et à supporter indûment le coût des licenciements ;

— dire que cette faute a causé un préjudice au liquidateur ès qualités et par là-même à l’AGS, constitué du coût des licenciements qui s’élève à ce jour à 7 055 863 euros ;

— dire que les sociétés DFDS A/S et DFDS Seaways ont engagé leur responsabilité civile délictuelle à l’égard de la société SCOP France représentée par son liquidateur et de l’AGS ;

— en conséquence, condamner solidairement les sociétés DFDS A/S et DFDS Seaways, ou l’une à défaut de l’autre, à lui payer la somme de 7 055 863 euros à titre de dommages-intérêts ;

— majorer cette condamnation des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation introductive d’instance du 26 mai 2017 ;

— débouter les sociétés DFDS/AS et DFDS Seaways de leurs demandes ;

— condamner ces dernières solidairement ou l’une à défaut de l’autre à lui payer 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dépens en sus.

Par dernières conclusions déposées et signifiées par la voie électronique le 12 avril 2021, les sociétés DFDS A/S et DFDS Seaways prient la présente cour de :

— dire le liquidateur ès qualités mal fondé en son appel et le Centre de gestion et d’étude AGS (CGEA) d'[Localité 4] mal fondés en son appel incident ;

— les en débouter ;

à titre principal, confirmer le jugement entrepris ;

à titre subsidiaire :

— dire que le liquidateur ès qualités et le centre de gestion et d’étude AGS (CGEA) d'[Localité 4] ne démontrent ni la réalité ni l’ampleur du préjudice allégué ;

— débouter ces derniers de toutes leurs demandes mal fondées ;

en tout état de cause :

— condamner le liquidateur ès qualités à leur payer à chacune 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner le centre de gestion et d’études AGS (CGEA) d'[Localité 4] à leur payer à chacune 10000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner le liquidateur ès qualités et le centre de gestion et d’études AGS (CGEA) d'[Localité 4] aux dépens de première instance et d’appel.

Par ordonnance du 3 juin 2022, la première présidente de chambre déléguée par le premier président de la présente Cour, faisant droit à une requête du 7 septembre 2021 du liquidateur ès qualités et de l’Unedic, délégation AGS, CGEA d'[Localité 4], a ordonné que la présente affaire soit jugée par les chambres commerciale et sociale réunies, dès lors qu’une affaire de la 5ème chambre de la Cour (sociale) enregistrée sous le numéro RG 18/2866 et opposant M. [F] [L] aux mêmes parties, requiert de trancher la même question juridique d’application à l’encontre des sociétés DFDS des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail. Cette même ordonnance a fixé l’appel des deux affaires en chambres réunies le 16 septembre 2022.

Par dernières conclusions déposées et signifiées par la voie électronique le 22 août 2022, l’association UNEDIC Délégation AGS CGEA [Localité 4] demande à la présente cour, au visa des articles 328 du code de procédure civile, 1240 du code civil, L.1224-1 et L.3253-6 du code du travail, de :

— infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a déclaré recevable son action et celle du liquidateur ès qualités ;

statuant à nouveau :

— dire qu’elle-même et le liquidateur ont intérêt et qualité pour agir et déclarer leurs demandes recevables et bien fondées ;

— dire que l’exploitation de l’activité de transport de passagers par bateaux sur le lien transmanche Calais-[Localité 7] avec les navires [I] et [Z] constituait une entité économique autonome ;

— dire que dès lors, par application de l’article L.1224-1 du code du travail, les sociétés DFDS A/S et DFDS Seaways étaient tenues de reprendre les 283 salariés de la SCOP Seafrance affectés à cette entité économique autonome et de poursuivre leurs contrats de travail aux conditions contractuelles en vigueur ;

— dire que le refus opposé par la société DFDS A/S au transfert des contrats de travail, caractérise une faute à l’égard de la SCOP Seafrance en ce qu’il l’a obligée représentée par son liquidateur judiciaire, à licencier ces 283 salariés « pour le compte de qui il appartiendra » et à supporter indûment le coût des licenciements ;

— dire que cette faute a causé un préjudice au liquidateur ès qualités et par là-même à l’AGS, constitué du coût des licenciements qui s’élève à ce jour à 7 055 863 euros ;

— dire que les sociétés DFDS A/S et DFDS Seaways ont engagé leur responsabilité civile délictuelle à l’égard de la société SCOP France représentée par son liquidateur et de l’AGS ;

— en conséquence, condamner solidairement les sociétés DFDS A/S et DFDS Seaways, ou l’une à défaut de l’autre, à payer au liquidateur ès qualités la somme de 7 055 863 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par l’ensemble des créanciers, en particulier l’AGS ;

— majorer cette condamnation des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation introductive d’instance du 26 mai 2017 ;

— lui donner acte que ses demandes indemnitaires dans le cadre de la procédure sociale se recoupent et intègrent celles formulées dans le cadre de la procédure commerciale, de sorte qu’il n’y aura lieu de statuer, pour les chambres réunies, que sur celles formées dans le cadre de cette dernière ;

— débouter les sociétés DFDS/AS et DFDS Seaways de leurs demandes ;

— condamner ces dernières solidairement ou l’une à défaut de l’autre à lui payer 350 00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le dossier a été communiqué au Ministère public de cour d’appel.

L’ordonnance de clôture est du 14 septembre 2022.

SUR CE

LA COUR

Ni la recevabilité de l’action du liquidateur ès qualités, ni la recevabilité de l’intervention de l’association UNEDIC Délégation AGS CGEA [Localité 4] (l’AGS) ne sont contestées aux termes de la déclaration d’appel et des dispositifs des écritures récapitulatives déjà mentionnées. En outre, aucun moyen d’irrecevabilité de l’une ou de l’autre de ces actions n’apparaît devoir être relevé d’office. Par conséquent, l’action du liquidateur ès qualités et l’intervention volontaire de l’AGS sont recevables.

S’agissant du bien-fondé de l’action en responsabilité, l’article L.1224-1 du code du travail dispose que : « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

Le liquidateur ès qualités et l’AGS, pour se prévaloir de l’application de ces dispositions, soutiennent ou font valoir que :

— les sociétés DFDS ayant commis une faute en refusant le transfert des contrats de travail des salariés de la SCOP Seafrance affectés à l’activité du transport de passagers sur le lien transmanche entre Calais et [Localité 7] avec les navires [I] et [Z], cette faute a obligé le liquidateur ès qualités à licencier ces salariés pour préserver leurs droits et à supporter la charge des indemnités liées à la rupture qui a été avancée par l’AGS, ce qui constitue un préjudice direct et certain réparable entre les mains du liquidateur ;

— dès lors que les transactions offertes à la signature des salariés mentionnent expressément leur renonciation à se prévaloir de l’article L.1224-1 du code du travail, c’est bien que la société DFDS considère que ces dispositions d’ordre public absolu sont bien applicables ;

— l’analyse du tribunal d’instance de Calais qui a rejeté les demandes des salariés en retenant l’absence de transfert d’une entité économique autonome, ainsi que l’absence de poursuite de l’activité de la SCOP Seafrance ne peut être adoptée ;

— la société DFDS exerce la même activité que celle développée par la SCOP Seafrance jusqu’au prononcé de la liquidation judiciaire, à savoir le transport de passagers sur le lien transmanche entre Calais et [Localité 7] avec les navires [I] et [Z] (désormais nommés [Adresse 6]) ;

— le transfert d’activité a été organisé entre Eurotunnel et DFDS, au profit de celle-ci, dès avant la mise à l’arrêt de l’activité de la SCOP France, DFDS étant en mesure de poursuivre cette activité sans interruption dès lendemain de la cessation des contrats d’affrètement des navires au bénéfice de la SCOP Seafrance ;

— en effet, chacun des deux bateaux mis à la disposition de la société DFDS l’a été par contrat d’affrètement conclus le 21 juin 2015, soit plus d’un mois avant le prononcé du jugement de liquidation judiciaire, pour prendre effet dès le 2 juillet 2015, soit le lendemain de la date d’effet de la résiliation des contrats d’affrètement dont bénéficiait la SCOP Seafrance ;

— le maintien de l’identité et de l’activité s’apprécie au jour du transfert lui-même, les modifications apportées par le cessionnaire ou le successeur par la suite sont inopérantes pour faire échec aux dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail ;

— les navires étant les mêmes, les moyens d’exploitations sont bien les mêmes et ont été transférés à la société DFDS au moyen de nouveaux contrats d’affrètements ayant le même objet, l’exploitation des navires sur le lien transmanche considéré, peu important que ce transfert ait été indirect, les navires étant devenus propriété de la société DFDS après effet de la levée de l’option d’achat consentie à celle-ci par les sociétés du groupe Eurotunnel ;

— le transfert d’une entité économique autonome a bien eu lieu le 2 juillet 2015, dès lors que les moyens corporels ou incorporels significatifs nécessaires à l’exploitation de l’entité ont été repris par le nouvel exploitant ;

— l’activité de transport de passagers s’est poursuivie à l’identique avec les mêmes navires et leurs équipements ;

—  283 salariés étaient directement affectés sur les navires [I] et [Z] ;

— les salariés de la SCOP Seafrance, qui étaient précédemment employés par la SA Seafrance disposaient des compétences et de l’expérience nécessaires à l’exploitation des navires ;

— il existait au sein de la SCOP Seafrance une communauté de travail par navire et non une communauté de travail unique pour l’ensemble de l’entreprise ;

— les 366 personnels navigants étaient nominativement affectés à chacun des trois navires exploités par la SCOP Seafrance ;

— l’exploitation des navires [I] et [Z] entre Calais et [Localité 7] formait bien une entité économique autonome qui a conservé son identité en dépit de son transfert à la société DFDS ;

— la société DFDS devant reprendre les 283 salariés affectés à l’entité économique autonome ;

— contrairement à ce que prétendent les intimés, les navires [I] et [Z] et leurs équipements, dont la jouissance puis la propriété leur ont été transférées, sont bien les supports de l’activité de transport de passagers sur le lien transmanche Calais-[Localité 7] qu’exerçait la SCOP Seafrance et qu’elles ont poursuivie ;

— en effet, la SCOP Seafrance n’exploitait pas d’autres actifs et certainement pas la marque Myferrylink qui appartenait aux sociétés du groupe Eurotunnel ;

— cette marque et les autres éléments corporels et incorporels détenus par les sociétés du groupe Eurotunnel ne constituaient pas le support nécessaire de l’activité de la SCOP Seafrance transmise à la société DFDS ;

— en effet, l’activité de la SCOP Seafrance, que la société DFDS a poursuivi, ne consistait pas en la commercialisation des traversées transmanche qui était assurée par une tierce société, la société Myferrylink, mais correspondait à l’exploitation effective des navires pour assurer le transport de personnes sur le lien transmanche ;

— la société DFDS s’est ainsi vue transférer la jouissance des seuls actif avec lesquels la SCOP Seafrance exploitait cette activité de transport de passagers, à savoir les navires [I] et [Z] et leurs équipements.

Pour écarter l’application de l’article L.1224-1 du code du travail, le jugement entrepris retient essentiellement que :

— la preuve de la modification exigée n’est pas rapportée ;

— il n’est pas démontré de manière objective qu’une entité économique a été transférée de la SCOP Seafrance à la société DFDS ni que l’activité de la première a été poursuivie par la seconde ;

— au 31 juillet 2015, jour de la liquidation judiciaire, ne subsistait de la SCOP Seafrance que son nom et ses salariés, faute de toute activité après la perte des contrats de mise à disposition par le groupe Eurotunnel des trois navires qu’elle exploitait et de la rupture subséquente du contrat la liant avec la société Myferrylink chargée de la commercialisation des traversées ;

— dès lors, elle ne représentait plus au jour de la liquidation une entité économique autonome, conservant son identité, constituée d’un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels poursuivant un objectif économique propre, si tant est que l’on puisse considérer qu’elle ait eu auparavant cette qualité puisqu’elle était assujettie au groupe Eurotunnel qui mettait à sa disposition les navires nécessaires à son exploitation, et que l’arrêt de cette mise à disposition, certes brutal mais dont la possibilité avait été stipulée par les parties, a suffi à provoquer « la chute » de la SCOP Seafrance qui s’est retrouvée avec des salariés mais sans aucun outil à exploiter, s’y ajoutant la fin du contrat de commercialisation des traversées par la société Myferrylink ;

— cet assujettissement est reconnu par les administrateurs qui expliquent que le groupe Eurotunnel avait fait savoir qu’il n’accepterait de conclure aucun contrat d’affrètement avec tout autre partenaire que le groupe DFDS, raison du défaut de prise en considération d’une autre offre de reprise (émanant de P&O) ;

— les deux navires affrétés par la société DFDS Seaway, sans équipement ni armement, n’étaient pas le support d’une activité autonome et n’ont pu être exploités par celle-ci que par intégration à son activité préexistante ;

— alors que l’activité de la SCOP Seafrance a cessé au 1er juillet 2015 et que la liquidation judiciaire date du 31 de ce même mois, les navires [I] et [Z] n’ont repris du service sous les couleurs de DFDS qu’en février 2016, soit 7 mois plus tard, laps de temps suffisamment long pour que les deux navires ne puissent plus matériellement être associés à l’activité ancienne, le modèle d’exploitation développé par la société SCOP Seafrance avec le concours de la société Myferrylink n’ayant pas été reconduit ;

— il n’est pas démontré que des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation des trois navires aient été repris directement ou indirectement par la société DFDS A/S et/ou la société DFDS Seaways, ni qu’il y ait eu continuité d’activité ;

— le recrutement par DFDS Seaways de 150 salariés entre fin 2015 et début 2016, ne peut constituer au sens de la jurisprudence, un ensemble organisé de personnes, les candidatures émanant d’anciens salariés en CDI de SCOP Seafrance ayant été traitées en priorité, et sur les 110 offres fermes en CDI faites après entretiens individuels, 74 recrutements par DFDS Seaways sur divers postes ont abouti.

A l’appui de la confirmation du jugement, les société DFDS A/S et DFDS Seaway soutiennent ou font valoir que :

— lors de la reprise, en 2012, de trois des quatre navires opérés par la SA Seafrance par les filiales d’Eurotunnel et la SCOP Seafrance, les contrats de travail des salariés n’ont pas été repris en vertu des dispositions en cause du code du travail, de sorte qu’elles ne sont pas davantage applicables lors de la reprise par la société DFDS Seaway de deux des trois navires ;

— c’est l’autorité de concurrence britannique qui, à compter du 6 juin 2013 malgré les recours juridictionnels d’Eurotunnel, en dernier lieu l’arrêt du Competition Appeal Tribunal, a interdit la poursuite de la desserte du port de [8] avec les trois navires, cette dernière décision prenant effet au 9 juillet 2015 ;

— c’est dans ce contexte que, d’une part, les navires [I] et [Z] ont été loués à DFDS A/S « coque nue » aux termes de contrats à effet au 2 juillet 2015 respectant la clause d’inaliénabilité imposée par le tribunal de commerce et, d’autre part, que le 27 mai 2015 les filiales d’Eurotunnel ont notifié la fin de la mise à disposition des navires à la SCOP Seafrance et que la SAS Myferrylink a également notifié la fin du contrat de commercialisation qui la liait à celle-ci, le tout à effet du 1er juillet à minuit ;

— après résolution, sous l’égide du gouvernement, d’une crise sociale avec occupation des navires loués, ceux-ci n’ont été livrés qu’en septembre 2015, après quoi ils ont été soumis à des travaux de rénovation profonde, à une mise au couleur de DFDS et ils n’ont pris leur service sous un nouveau nom sur la ligne Calais-[Localité 7] qu’en février 2016 ;

— alors que DFDS exploitait déjà cette ligne avec deux navires, la mise en service des deux nouveaux navires a été l’occasion de supprimer un des deux anciens, de sorte que la capacité est passée de deux à trois navires ;

— DFDS a continué d’exploiter trois autres navires sur la ligne voisine [Localité 9]-[Localité 7] ;

— saisi par un ancien salarié n’ayant pas signé la transaction, le tribunal d’instance de Calais, par jugement du 18 juin 2018, a retenu que le transfert d’une entité économique autonome n’était pas démontré ;

— la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne prescrit au juge national, pour déterminer si les conditions du transfert économique sont remplies, de prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, au nombre desquelles figurent le type d’entreprise ou d’établissements dont il s’agit, le transfert ou non d’élément corporels, tels que les bâtiments et les biens immobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs par le nouveau chef d’entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée éventuelle des suspensions de ces activités, ces éléments ne constituant toutefois que des aspects partiels de l’évaluation d’ensemble qui s’impose et qui ne sauraient être appréciés isolément (CJCE, 18 mars 1986, Spijkers n°13 ; CJCE, 11 mars 1997, [Localité 5] [Localité 11] c/ [Localité 12] n°14) ;

— l’entité économique, définie comme « un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre » est caractérisée par l’identification de moyens corporels ou incorporels et n’existe que si des moyens en personnels sont spécifiquement affectés à l’activité, la qualification spécifique des salariés contribuant à caractériser l’entité économique autonome ;

— l’entité doit jouir d’une autonomie fonctionnelle suffisante, la notion d’autonomie se référant aux pouvoirs accordés aux responsables du groupe de travailleurs concernés, d’organiser, de manière relativement libre et indépendante, le travail au sein dudit groupe et, plus particulièrement, de donner des instructions et de distribuer des tâches aux travailleurs subordonnés appartenant à ce groupe, cela sans intervention directe de la part d’autres structures d’organisation de l’employeur (CJUE, 6 mars 2014, [O] [T] c/ Telecom Italia spa) ;

— DFDS n’a pas repris un ensemble organisé d’actifs corporels ou incorporels au sens de la jurisprudence ;

— SCOP Seafrance avait pour seule activité économique de faire traverser les navires entre les ports de Calais et de [Localité 7] avec à leur bord les clients (passagers et fret) de Myferrylink ;

— si DFDS exploite deux des navires antérieurement loués à la SCOP Seafrance, aucun actif corporel antérieurement détenu par celle-ci ne continue d’être exploité, ni aucun actif incorporel ;

— ces deux navires se sont confondus avec ceux déjà opérés en propre par DFDS ;

— le modèle économique de DFDS, qui est un opérateur intégré, diffère radicalement du modèle de la SCOP Seafrance ;

— les recrutements de DFDS portant sur environ 150 salariés entre fin 2015 et début 2016 (dont 74 anciens de la SCOP Seafrance) ne constituent pas un ensemble organisé de personnes au sens de la jurisprudence ;

— DFDS était déjà un des principaux concurrents de la SCOP Seafrance avant la cessation d’activité de celle-ci et celle de Myferrylink ;

— DFDS exploitait d’autres lignes transmanches que Calais-[Localité 7] ;

— en 2014, sur la ligne Calais-[Localité 7], DFDS employait déjà 400 personnels navigants en contrat à durée indéterminée et 160 personnels sédentaires en contrat à durée indéterminée, outre environ 115 personnels navigants et sédentaires en contrat à durée déterminée ;

— si au final les recrutements ont été de moitié des anciens de la SCOP Seafrance, il ne s’est pas agi d’un ensemble organisé car la procédure de recrutement a été large (1600 candidatures) et ouverte, sans spécification de la ligne ou du navire, mais seulement des lignes au départ de la France ;

— les deux navires passés à DFDS requéraient 270 personnels navigants, pris en bonne partie sur des salariés déjà à son service et les 150 salariés recrutés entre fin 2015 et février 2016 n’auraient pas suffi ;

— les deux navires affrétés par DFDS Seaways n’étaient pas le support d’une activité autonome et n’ont pu être exploités par elle que par intégration à son activité préexistante ;

— à supposer le transfert d’une entité économique autonome, il n’y a pas eu poursuite de l’activité de la SCOP Seafrance avec conservation de son identité, au sens de la jurisprudence européenne (CJCE, 19 mai 1992, Redmond Stichting, n°23) ;

— la cessation d’activité a été particulièrement longue ;

— avant juillet 2015, la SCOP Seafrance et Myferrylink opéraient trois navires sur la ligne transmanche Calais-[Localité 7], alors qu’à compter de février 2016 la commercialisation des traversées et la gestion nautique est assurée par DFDS Seaways pour la même ligne, tandis qu’à compter de mai 2016, le troisième navire était exploité sur la ligne Motril-Tanger par la société FRS Ibéria.

* * *

En droit, l’article L. 1224-1 du code du travail, qui doit être interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, qui a succédé à la directive n° 77/187, du 14 février 1977, s’applique en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise.

Les dispositions de l’article L.1224-1 sont d’ordre public ; elles s’imposent tant aux salariés qu’aux employeurs et s’appliquent à tout transfert d’une entité économique conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, à moins qu’aient été épuisés préalablement au transfert tous les effets des contrats de travail des salariés, ainsi qu’il arrive dans le cas où des salariés d’une activité liquidée sont licenciés avant d’apporter leurs indemnités pour devenir coopérateurs de la SCOP qui reprend l’activité liquidée et qui devient leur employeur.

Il ne peut y être dérogé par des conventions particulières au transfert des contrats de travail et dès lors que les conditions légales sont remplies, le transfert s’opère de plein droit. En outre, si les salariés concernés par un éventuel transfert ont un droit propre à se prévaloir d’un changement d’employeur en application de l’article L 1224-1 du code du travail, l’employeur qui a procédé à leur licenciement en conséquence du refus d’un cessionnaire de poursuivre les contrats de travail dispose d’un recours en garantie contre celui-ci, lorsque ce refus est illicite.

Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre ; le transfert d’une telle entité se réalise si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant. Il convient d’apprécier, compte tenu de l’ensemble des circonstances de fait caractérisant l’opération en cause, s’il s’agit d’une entité économique encore existante qui a été aliénée, ce qui résulte notamment du fait que son exploitation est effectivement poursuivie ou reprise par le nouveau chef d’entreprise, avec les mêmes activités économiques ou des activités analogues.

En effet, il résulte du droit de l’Union européenne (cf. CJCE, 18 1986 mars, aff. 24/85 Spijkers/Benedik) que la juridiction nationale ne peut constater l’existence d’un transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’établissement en raison du seul fait que les actifs de ceux-ci sont aliénés.

Il convient, au contraire, d’évaluer s’il s’agit d’une entité économique encore existante qui a été aliénée, ce qui résulte notamment du fait que son exploitation est effectivement poursuivie ou reprise par le nouveau chef d’entreprise, avec les mêmes activités économiques ou des activités analogues.

Et pour déterminer si ces conditions sont réunies, il convient de prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait caractérisant l’opération en cause, au nombre desquelles figurent notamment le type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit, le transfert ou non des éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d’une éventuelle suspension de ces activités. Cependant, tous ces éléments ne sont que des aspects partiels de l’évaluation d’ensemble qui s’impose et ils ne peuvent de ce fait, être appréciés isolément.

Notamment, en application de ces principes, une interruption temporaire de l’activité, destinée notamment à organiser sa poursuite, n’empêche pas l’application de l’article L.1224-1, dès lors que l’entité en cause conserve son identité et que le maintien de son activité reste possible. Par ailleurs, les juges du fond, par une appréciation souveraine, déterminent si un fonds de commerce est ou non en ruine au moment du transfert d’une unité économique alléguée.

* * *

En l’espèce, le liquidateur ès qualités et l’AGS soutiennent à juste raison que la seule activité de la SCOP Seafrance était l’exploitation effective des navires pour assurer le transport de personnes sur le lien transmanche. La SCOP France, en équipant les navires en matériel et en personnel navigant et en les mettant à disposition de la société Myferrylink, effectuait essentiellement une prestation de service qui était facturée à celle-ci, ce qui constituait le principal du chiffre d’affaires, les ventes réalisées à bord constituant des ressources accessoires.

Il est établi également qu’aucun élément incorporel significatif ayant la nature d’une clientèle n’a été transmis au groupe DFDS. En effet, non seulement la SCOP Seafrance n’avait qu’un seul client pour les traversées, à savoir la société Myferrylink qui a arrêté l’activité concernée sans qu’aucune autre entreprise intéressée par la commercialisation des traversées réalisées par la SCOP Seafrance soit apparue avec l’intention de lui succéder, mais encore ne peut-il être retenu en l’espèce qu’une partie significative de la clientèle des traversées ait entretenu un lien spécifique avec l’un ou l’autre des navires [I] et [Z].

S’il a pu être admis, notamment par la Cour suprême du Royaume-Uni et dans le cadre du contrôle des concentrations, que la reprise de l’activité de la SA Seafrance – incluant trois de ses quatre navires en bon état de service, ses marques, ses systèmes informatiques, son fonds de commerce, ses listes de clients et son personnel – par la SCOP Seafrance et le groupe Eurotunnel s’était faite dans le cadre de la continuité de l’entreprise, ce qui a justifié les sanctions prononcées par l’autorité de concurrence britannique, le cas présent est bien différent, notamment par l’exclusion formelle du périmètre de l’offre de reprise du groupe DFDS de tout autre élément incorporel que l’activité de transport de passagers.

En effet, l’offre de reprise du 24 juin 2015, au paragraphe prévu pour la description des éléments d’actif incorporels repris, mentionne : « néant, autre que l’activité de transport de passagers reprise ».

En outre, si l’offre de reprise, au titre des contrats en cours, expose n’en reprendre aucun, et précise néanmoins que « DFDS pourrait éventuellement reprendre des contrats logiciels nécessaires à l’exploitation, si de tels contrats venaient être identifiés », la cour ne dispose pas des précisions suffisantes pour retenir que le transfert d’éléments significatifs ait été envisagé à ce titre.

Par conséquent, la cour doit apprécier, parmi l’ensemble des éléments de l’offre de reprise et en fonction des modalités concrètes de l’exploitation après le jugement de liquidation judiciaire de la SCOP Seafrance, dans quelle mesure l’activité de transport de passagers dont le groupe DFDS avait proposé la reprise et qu’elle a exploité, après ce jugement, avec deux des mêmes navires que la SCOP Seafrance, caractérise les conditions légales d’application de l’article L.1224-1 du code du travail. Cette analyse doit se faire, au moins dans un premier temps, sans tenir compte de la période écoulée entre l’arrêt de l’exploitation par la SCOP Seafrance et le début de l’activité par la société DFDS au moyen des mêmes navires.

Si l’offre de reprise tenue pour fautive mentionne, au titre des éléments corporels qu’elle comprend : « les matériels, machines, installations et mobiliers appartenant à la SCOP Seafrance figurant en Annexe 4.2.1. (les « Actifs ») », cette annexe n’est nullement produite par le liquidateur ès qualités. La cour doit considérer, par conséquent, que la preuve du transfert d’éléments corporels en toute propriété, aux termes de l’offre de reprise litigieuse, n’est nullement rapportée.

Il ne fait cependant aucun doute, concernant l’activité de transport maritime de passagers sur une ligne régulière, que les navires, qui en constituent le matériel d’exploitation, sont le support essentiel de l’activité, cela avant la main d''uvre ou la commercialisation des trajets, comme le démontrent d’ailleurs les faits de l’espèce, puisque le groupe DFDS a déclaré au tribunal de commerce vouloir reprendre l’activité de transport de passagers de la SCOP Seafrance après s’être seulement assurée de la mise à disposition des navires et de la possibilité de les racheter.

A cet égard, le sort de deux des trois navires ([I] et [Z]), expressément mentionnés au paragraphe 3.2.1 et 3.2.3 de l’offre de reprise, a été envisagé sans changement de propriétaire, si bien qu’ils ont été légitimement traités par prétérition dans l’analyse des actifs de la SCOP Seafrance exposée dans cette offre. En effet, la SCOP Seafrance n’était pas propriétaire des navires. Elle en disposait seulement à titre précaire en vertu d’accords contractuels conclus avec des sociétés du groupe Eurotunnel, tandis que le [I] et le [Z], renommés, ont été utilisés après la liquidation judiciaire de la SCOP Seafrance, sur le lien transmanche, en vertu de droits conférés aux sociétés du groupe DFDS, d’abord par des contrats d’affrètement coque nue, puis en toute propriété, après échéance du terme de la clause d’inaliénabilité.

La cour doit estimer, par conséquent, que ces navires qui, dans l’attente de leur acquisition en propriété, ont fait l’objet d’une transmission indirecte au groupe DFDS analogue à celle dont avait bénéficié la SCOP Seafrance au moyen de contrats d’affrètement coque nue, n’étaient pas détenus en propre par la SCOP Seafrance au moment du transfert au groupe DFDS. Ce n’est pas parce que la mise à disposition de la SCOP Seafrance n’avait pas pris la forme d’un transfert d’actifs en propriété que le dispositif juridique adopté par les groupes Eurotunnel et DFDS est incompatible avec un transfert d’actif significatif au sens de l’article L.1224-1 du code du travail. En effet, il s’impose en l’espèce que, dès le 2 juillet 2015, l’entité économique exploitée par la SCOP France à titre exclusivement de prestataire de service pour le groupe Eurotunnel n’existait plus, à cause de la perte non compensée de l’usage des navires qui en étaient les moyens d’exploitation nécessaires. Dans ces conditions, la circonstance que le groupe DFDS utilise deux des mêmes navires pour l’activité de transport de passagers sur le lien transmanche ne peut donc pas s’analyser en la poursuite de l’activité d’une entité économique autonome de la SCOP Seafrance.

En outre, les parties sont contraires sur le fait de savoir si le personnel était ou non affecté à un navire et si l’activité était, de ce fait, organisée par navire.

Cependant, dès lors que compte tenu de l’activité considérée, à savoir le transport de passagers sur le lien transmanche, il est d’ores-et-déjà établi que nul élément d’actif significatif de cette activité n’a été transféré au groupe DFDS, il doit en être déduit, peu important l’éventuelle affectation par navire du personnel ' d’ailleurs non démontrée en l’état par les appelants – que les conditions d’application de l’article L.1224-1 du code du travail ne sont pas réunies.

Il convient de préciser que s’agissant de la reprise indiquée dans l’offre de reprise et portant sur 282 emplois, selon un processus de recrutement manifestement incompatible avec les dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail, l’ordre public qui leur est attaché interdit de tirer toute conséquence non seulement des mentions de l’offre prétendant s’y soumettre mais encore des transactions intervenues dans le cadre du dispositif de sortie de crise.

Par conséquent, contrairement à ce que soutiennent le liquidateur ès qualités et l’AGS, au regard de la situation d’ensemble, les conditions d’application de l’article L.1224-1 du code du travail n’étaient pas réunies au 2 juillet 2015.

Il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté le liquidateur ès qualités et l’AGS de leurs demandes.

Ce jugement ayant exactement statué par ailleurs, il sera entièrement confirmé.

En équité, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure aux sociétés DFDS.

Le liquidateur ès qualités sera condamné aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris ;

Déboute M. [C] en qualité de liquidateur de la SCOP Seafrance et l’AGS de leurs demandes ;

Déboute les sociétés DFDS A/S et DFDS Seaways de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [C] en qualité de liquidateur judiciaire de la SCOP Seafrance aux dépens d’appel.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

[Y] [G]

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 17 novembre 2022, n° 20/04158