Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 2 juin 2020, n° 17/04929

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, ch. soc. -sect. a, 2 juin 2020, n° 17/04929
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 17/04929
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Vienne, 24 septembre 2017, N° 17/00065
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

PS

N° RG 17/04929 – N° Portalis DBVM-V-B7B-JIGE

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP JANOT & ASSOCIES

la SCP THOIZET & ASSOCIES

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 02 JUIN 2020

Appel d’une décision (N° RG 17/00065)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VIENNE

en date du 25 septembre 2017

suivant déclaration d’appel du 23 Octobre 2017

APPELANTE :

Madame Y X

née le […] à SAINTE-COLOMBE

de nationalité Française

[…]

[…]

représentée par Me Pierre JANOT de la SCP JANOT & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2017/012158 du 15/12/2017 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de GRENOBLE)

INTIMEE :

SAS DECLERCK TRAITEUR

[…]

[…]

représentée par Me Jacques THOIZET de la SCP THOIZET & ASSOCIES, avocat au barreau de VIENNE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Philippe SIVAN, Conseiller Faisant Fonction de Président,

Mme Valéry CHARBONNIER, Conseiller,

Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 14 Janvier 2020,

Madame Valéry CHARBONNIER, chargée du rapport, assistée de Madame Sophie ROCHARD, Greffier, a entendu les parties en leurs conclusions, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile.

Puis l’affaire a été mise en délibéré au 10 Mars 2020, délibéré prorogé au17 mars 2020 puis prorogé à la date de ce jour en raison de l’état d’urgence sanitaire.

L’arrêt a été rendu le 02 juin 2020.

Exposé du litige :

Mme X a été embauchée par la Société Declerck Traiteur à compter de septembre 1989, en qualité de serveuse et maître d’hôtel.

Le 30 mars 2017, elle a saisi le conseil des prud’hommes de Vienne aux fins de requalification de son contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et de voir juger qu’elle avait été licenciée sans cause réelle et sérieuse et obtenir les indemnités afférentes outre différentes demandes de rappels de salaire.

Par jugement du 25 septembre 2017 le conseil des prud’hommes de Vienne, a :

' requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein ;

' condamné la SAS Declerck Traiteur, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Madame Y X les sommes de :

' 17.307,21 € au titre de rappel de salaire ;

' 2.356,95 € au titre d’indemnité de requali’cation ;

' l 73,72 € au titre des congés payés afférents ;

' 891,16 € au titre des heures supplémentaires ;

' 89,12 € au titre des congés payés afférents ;

' 2 356,95 € au titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la

médecine du travail ;

' 2 000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

' débouté Madame Y X du surplus de ses demandes ;

' condamné la SAS Declerck Traiteur, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens.

La décision a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception le 27 septembre 2017.

Mme X a interjeté appel de cette décision le 23 octobre 2017.

Par conclusions N° 2 en date du 12 décembre 2019, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme X demande à la cour d’appel de :

à titre principal,

' infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que son contrat de travail n’avait pas été rompu,

statuant à nouveau,

' dire et juger que la Société Declerck Traiteur a rompu son contrat de travail le 17 juin 2015

' dire et juger que la rupture de son contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

En conséquence,

' condamner la Société Declerck Traiteur à lui verser les sommes suivantes :

' 2.356,95 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

' 235,69 € au titre des congés payés afférents,

' 16.891,47 € au titre de l’indemnité de licenciement,

' 57.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

' Enjoindre à la société Declerck Traiteur d’établir une attestation Pôle Emploi ensuite de la rupture de son contrat de travail intervenue le 17 juin 2015,

' 5.361,71 € nets à titre de rappel de salaire au titre du maintien de rémunération à 90 % pendant l’arrêt maladie du 26 juin au 26 décembre 2015

' 536,17 € nets de congés payés afférents

' 2.780,27 € nets à titre de rappel de salaire au titre du maintien de rémunération à 70 % du 27 décembre 2015 au 27 juin 2016.

' 278,03 € nets de congés payés afférents

à titre subsidiaire,

' prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la Société Declerck Traiteur

En conséquence,

' condamner la Société Declerck Traiteur à lui verser les sommes suivantes :

' 5.361,71 € nets à titre de rappel de salaire au titre du maintien de rémunération à 90 % pendant l’arrêt maladie du 26 juin au 26 décembre 2015

' 536,17 € nets de congés payés afférents

' 14.202,30 € nets de rappel de salaire au titre du maintien de la rémunération à 70 % pendant l’arrêt maladie du 27 décembre 2015 au 18 juin 2018

' 4.713,90 € nets de congés payés afférents

' 16.498,65 € à titre de rappel de salaire du 18 juin 2018 au 18 juin 2020

' 1.649,86 € de congés payés afférents

' 22.382,22 € au titre de l’indemnité de licenciement (somme arrêtée au 1er février 2020 à actualiser au jour du prononcé de l’arrêt)

' dire et juger inapplicable le plafond fixé par l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité

' en conséquence,

' condamner la Société Declerck Traiteur à lui verser la somme de 57.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En tout état de cause,

' confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la Société Declerck Traiteur à lui verser la somme de 891,16 € au titre des heures supplémentaires et 89,12 € de congés payés afférents

' confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la Société Declerck Traiteur n’avait pas respecté les dispositions relatives à la médecine du travail

' infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes de rappel de salaire au titre des majorations pour heures de nuit et de ses demandes indemnitaires au titre du travail dissimulé et de l’exécution déloyale du contrat de travail et sur le quantum des sommes allouées à titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la médecine du travail

Statuant à nouveau,

' condamner la Société Declerck Traiteur à lui verser les sommes suivantes :

' 658,94 € au titre des majorations pour heures de nuit, outre celle de 65,89 € de congés payés afférents.

' 14.000 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé.

' 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la médecine du

travail

' 27.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

' 2.561,68 € nets à titre de rappel de salaire du 26 juin au 26 décembre 2015

' 256,17 € nets de congés payés afférents

' 11.254,75 € nets du 27 décembre 2015 au 31 janvier 2018,

' 1.125,47 € nets de congés payés afférents,

Y ajoutant,

' condamner la société Declerck Traiteur à lui verser en cause d’appel, la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

' condamner la Société Declerck Traiteur aux entiers dépens de l’instance

Par conclusions N°2 en date du 31 décembre 2019, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Declerck Traiteur demande à la cour d’appel de :

' Constater qu’elle ne conteste pas l’existence d’un contrat à durée indéterminée ;

' Constater que ce contrat n’a pas été rompu mais qu’il est seulement suspendu par des arrêts de travail ininterrompus depuis le 23 juin 2015 ;

' Prendre acte qu’elle ne conteste pas être redevable de la somme de 14.854,01 € à titre de salaire au titre de la requalification de la relation de travail à temps plein ;

' Prendre acte qu’elle ne conteste pas être redevable de la somme de 128,20 € au titre des heures supplémentaires ;

' Prendre acte de ce qu’elle ne conteste pas être redevable d’un maintien de salaire à hauteur de 90 % du salaire de 2.099,11 € bruts après déduction des indemnités journalières versées pendant les 6 premiers mois suivant l’arrêt de travail du 23 juin 2015 ;

' Prendre acte de ce qu’elle ne conteste pas être redevable d’un maintien de salaire à hauteur de 75 % du salaire de 2.099,11 € bruts après déduction des indemnités journalières versées au-delà du 23 décembre 2015 ;

' Débouter Madame X du surplus de ses demandes.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 janvier 2020 et l’affaire a été fixée à plaider le 7 janvier 2020. Suite à au mouvement de grève des avocats, les parties ont sollicité conjointement à la cour le renvoi de l’affaire à une audience ultérieure. L’affaire a été renvoyée pour être plaidée le 14 janvier 2020.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

SUR QUOI :

I/ Sur l’exécution du contrat de travail :

Sur la demande au titre des heures supplémentaires :

Le droit applicable :

S’agissant des heures supplémentaires, conformément à l’article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; la durée légale du travail, constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l’article L 3121-22 du code du travail, les heures supplémentaires devant se décompter par semaine civile.

Par application de l’article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, le juge formant sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande.

Ainsi, si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient aussi à ce dernier de fournir préalablement des éléments suffisamment précis de nature à étayer sa demande et à permettre également à l’employeur d’y répondre.

Une fois constatée l’existence d’heures supplémentaires, le juge est souverain pour évaluer l’importance des heures effectuées et fixer le montant du rappel de salaire qui en résulte sans qu’il soit nécessaire de préciser le détail du calcul appliqué.

Par ailleurs, l’absence d’autorisation donnée par l’employeur au salarié pour effectuer des heures supplémentaires est indifférente dès lors que les heures supplémentaires ont été rendues nécessaires par les tâches confiées au salarié.

Les moyens des parties :

Mme X soutient avoir réalisé de nombreuses heures de travail supplémentaires et non rémunérées en intégralité, les heures figurant sur ses bulletins de salaire ne correspondant pas à son temps de travail effectif et réel.

La SAS Declerck Traiteur mentionne qu’aucune demande à ce titre n’a été faite avant la saisine du conseil des prud’hommes et conteste le quantum des heures supplémentaires réclamées par la salariée mais reconnaît devoir à Mme X la somme de 128,20 €.

Sur ce :

Au soutien de sa demande, Mme X verse aux débats :

' un tableau récapitulatif des heures supplémentaires rédigé par ses soins pour les mois de mars, septembre et décembre 2014 et janvier et juin 2015

' le bulletin de salaire du mois d’août 2014, septembre 2014 et décembre 2014 faisant apparaître des primes exceptionnelles de montants variables

' l’attestation de Madame A B, serveuse extra de la SAS Declerck Traiteur de 2008 à juin 2010 qui indique que « ses heures supplémentaires étaient parfois camouflées en primes exceptionnelles »

' l’attestation de Madame C D serveuse extra de la SAS Declerck Traiteur pendant plusieurs années qui indique que les conditions de travail dans cette entreprise étaient déplorables pour les salariés extra et qu’ils devaient travailler sans limite d’heures voire sans contrat de travail

' l’attestation de Madame E F qui a fait quelques extras chez la SAS Declerck Traiteur au cours de l’année 2011 et décrit des conditions de travail très rudes avec des employés bien stressés sous pression, sans contrat de travail, avec des heures de nuit non rémunérées.

Les pièces ainsi produites par Mme X constituent des éléments suffisamment précis qui sont de nature à étayer l’allégation de la salariée selon laquelle elle a réalisé des heures supplémentaires et à permettre à l’employeur d’y répondre.

La SAS Declerck Traiteur verse aux débats des décomptes intitulés « contrat de vacation » précisant le nom du client, le lieu de la vacation, le nom du maître d’hôtel (qui pouvait être Mme X elle-même) et des différents salariés intervenant avec le nombre d’heures effectuées, la date, l’heure de départ et d’arrivée de chaque salarié.

Il y a lieu, toutefois, de préciser que le seul fait que Mme X n’ait pas réclamé le paiement de ses heures supplémentaires avant la saisine du conseil des prud’hommes ne la prive pas de ce droit, et de constater que les fiches produites, si elles sont systématiquement signées par l’employeur et le maître d’hôtel, ne le sont pas systématiquement par Mme X. Ces décomptes ne sont donc pas suffisamment probants pour remettre totalement en cause la demande formulée au titre des heures supplémentaires.

Il convient, par conséquent, de réformer le jugement déféré sur le quantum et, en considération des éléments de preuve susvisés, d’évaluer les heures supplémentaires effectuées par la salariée et non rémunérées à la somme de 450 € outre 45 € de congés payés afférents.

Sur la demande au titre du travail dissimulé :

Le droit applicable :

Il résulte des dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

'1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

'2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

'3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L’article L. 8223-1 du code du travail dispose qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Pour allouer une indemnité pour travail dissimulé, les juges du fond doivent rechercher le caractère intentionnel de la dissimulation.

Ce caractère intentionnel ne peut résulter du seul défaut de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie ni se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite.

Cette indemnité forfaitaire n’est exigible qu’en cas de rupture de la relation de travail. Elle est due quelle que soit la qualification de la rupture, y compris en cas de rupture d’un commun accord.

Cette indemnité est cumulable avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture du contrat de travail, y compris l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ou l’indemnité de mise à la retraite.

Les moyens des parties :

Mme X soutient qu’elle a réalisé de nombreuses heures de travail non-rémunérées, que les heures mentionnées sur les bulletins de salaire ne correspondent pas au temps de travail effectif réalisé par elle et que l’intention de dissimuler les heures réellement réalisées résulte du versement par l’employeur de primes exceptionnelles visant à compenser le non-paiement des heures supplémentaires à titre de salaire.

La SAS Declerck Traiteur fait valoir que cette intention coupable de dissimulation n’est ni démontrée ni établie.

Sur ce,

Mme X ne démontre pas que le versement de primes exceptionnelles par son employeur était effectué avec l’intention de compenser le non-paiement des heures supplémentaires. Échouant ainsi à démontrer le caractère intentionnel de la dissimulation d’heures supplémentaires, Mme X sera déboutée de sa demande au titre du travail dissimulé.

Sur la demande de rappel de salaire au titre des heures de nuit :

Le droit applicable :

Aux termes de l’article L.3122-39, L.3122-34 et L. 3122-35 du code du travail, les travailleurs de nuit bénéficient de contreparties au titre des périodes de nuit pendant lesquelles ils sont employés sous forme de repos compensateur et le cas échéant sous forme de compensation salariale, ils ne peuvent travailler au delà de 8 heures et la durée hebdomadaire de travail des travailleurs de nuit calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives ne peut dépasser 40 heures.

Il résulte des dispositions de la convention collective nationale de la pâtisserie 1984 que les travailleurs de nuit bénéficient de contreparties spécifiques et notamment de majorations, les heures effectuées entre 21 heures et 24 heures et entre 4 heures et 6 heures donnant droit à une majoration de salaire de 25 % et celles effectuées entre 24 heures et 4 heures à une majoration de 50 % ;

Les moyens des parties :

Mme X soutient avoir réalisé de nombreuses heures de nuit qui n’ont pas donné lieu aux majorations prévues par l’article 28 de la convention collective et verse aux débats un tableau récapitulatif rectifié.

La SAS Declerck Traiteur fait valoir pour sa part que la salariée n’indique pas selon quels horaires elle a travaillé mais seulement le nombre d’heures de nuit et leur répartition entre heures majorées à

25 % et heures majorées à 50 % ne permettant pas une vérification.

Sur ce,

L’employeur qui se borne à critiquer la précision du tableau récapitulatif de la salariée sans apporter aucun élément permettant de déterminer les heures de nuit effectivement réalisées par Mme X sera condamné à lui verser la somme de 658,94 € outre 65,89 € au titre des congés payés afférents par voie de réformation du jugement déféré.

Sur la demande au titre du non-respect des règles relatives à la médecine du travail :

Le droit applicable :

Aux termes de l’article R. 4624-10 du code du travail, le salarié bénéficie d’un examen médical avant l’embauche ou, au plus tard, avant l’expiration de la période d’essai par le médecin du travail. Les salariés sont soumis à une surveillance médicale renforcée en application des dispositions de l’article R. 4624-19 du code du travail (notamment les salariés qui viennent de changer de type d’activité ou d’entrer en France, pendant une période de dix-huit mois à compter de leur nouvelle affectation). La finalité de cet examen, définie par l’article R4624-11 est notamment de s’assurer que le salarié est médicalement apte au poste proposé ;

Même si la déclaration préalable à l’embauche vaut demande de visite médicale d’embauche, l’employeur doit s’assurer de la réalisation de cette visite.

Selon l’article R.4624-16 du code du travail, le salarié bénéficie d’examens médicaux périodiques, au moins tous les vingt-quatre mois, par le médecin du travail, en vue de s’assurer du maintien de son aptitude médicale au poste de travail occupé. Le premier de ces examens a lieu dans les vingt-quatre mois qui suivent l’examen d’embauche.

Les moyens des parties :

Mme X soutient qu’en 25 ans d’exercice, elle n’a jamais rencontré le médecin du travail et aurait d’autant plus dû bénéficier d’une protection particulière dans la mesure où elle travaillait de nuit. Elle fait valoir que le médecin du travail aurait pu préconiser des restrictions à certaines tâches utiles pour la préservation de sa santé.

La SAS Declerck Traiteur ne nie pas qu’elle ne s’est pas assurée de l’effectivité de l’organisation de visites médicales mais fait valoir pour autant que la surveillance particulière appliquée aux travailleurs de nuit ne pouvait lui être applicable puisqu’elle n’était pas « travailleur de nuit » au sens de la convention collective. Elle soutient qu’en l’absence de démonstration d’un préjudice particulier elle sollicite que la demande de dommages et intérêts soit réduite à la somme de 1.000 €.

Sur ce,

Compte tenu du caractère particulièrement contraignant du travail effectué par la salariée pendant plus de 25 ans y compris la nuit, Mme X a été privée de la possibilité de voir apprécier la conformité de son poste de travail par la médecine du travail et a été ainsi privée de la protection particulière ouverte aux travailleurs de nuit. Le jugement déféré, qui lui a alloué 2.356,95 € à titre de dommages et intérêts de ce chef, sera en conséquence confirmé.

Sur la demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail :

Le droit applicable :

Aux termes des dispositions de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L’employeur est tenu d’exécuter le contrat de travail de bonne foi. Il doit en respecter les dispositions et fournir au salarié le travail prévu et les moyens nécessaires à son exécution en le payant le salaire convenu. Le salarié doit s’abstenir de tout acte contraire à l’intérêt de l’entreprise et de commettre un acte moralement ou pénalement répréhensible à l’égard de l’entreprise. Il lui est notamment interdit d’abuser de ses fonctions pour s’octroyer un avantage particulier.

Les moyens des parties :

Mme X soutient que son employeur n’a eu de cesse de violer les règles du droit du travail, négligeant ainsi sa salariée et son intégrité physique. Elle fait valoir qu’elle a subi de multiples préjudices du fait des manquements commis par l’employeur au cours de la relation contractuelle.

' Un préjudice financier important lié au non-paiement du complément de salaire pendant les périodes de suspension de son contrat de travail, la perte d’indemnités journalières auprès de la Caisse de Sécurité Sociale et de Pôle Emploi devant être intégrée dans ce préjudice puisque en ne payant pas les heures supplémentaires et heures de nuit au taux majoré, le taux journalier a été complètement faussé outre le manque à gagner lié aux cotisations de retraite erronées.

' Le défaut de formation due au titre du droit individuel à la formation (DIF) : elle soutient ne pas avoir été informée de l’existence d’heures de formation sur le certificat de travail remis par la société conformément aux dispositions des articles L.6323-1 et suivants du code du travail, ce qui cause nécessairement un préjudice qu’il conviendra de prendre en compte dans le cadre de son indemnisation.

' Le non-respect des repos journaliers de 11 heures et hebdomadaires et les cadences imposées par l’employeur étaient très difficiles à tenir.

' La privation des garanties conventionnelles comme la prévoyance ou le maintien de salaire, éléments qui lui auraient permis d’envisager plus sereinement l’avenir en se concentrant essentiellement sur sa lutte contre sa maladie.

La SAS Declerck Traiteur fait valoir que Mme X n’a jamais développé le moindre grief à l’encontre de son employeur au cours de l’exécution de son contrat de travail, qu’elle ne peut être tenue pour responsable de la maladie subie par Mme X et seule la médecine du travail sera en mesure de dire si elle sera inapte à occuper l’emploi qu’elle occupait précédemment.

Sur ce,

Mme X qui ne démontre pas l’existence d’un lien de causalité entre sa maladie et le comportement de l’employeur durant l’exécution du contrat de travail, ni l’existence d’un préjudice particulier non compensé par la présente décision comme la réalisation d’heures supplémentaires non rémunérées ou le non-respect des dispositions des règles relatives à la médecine du travail, sera par conséquent déboutée de sa demande à ce titre par voie de confirmation du jugement déféré.

II/ Sur la rupture du contrat de travail :

Sur le licenciement de Mme X :

Le droit applicable :

En vertu des dispositions des articles L. 1245-1 et L. 1245-5 du code du travail, l’employeur, qui, à l’expiration d’un contrat de travail à durée déterminée ultérieurement requalifié en contrat à durée

indéterminée, ne fournit plus de travail et ne paie plus les salaires, est responsable de la rupture qui s’analyse en un licenciement et qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture sans que le salarié puisse exiger, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, sa réintégration dans l’entreprise.

Les moyens des parties :

Mme X soutient que malgré l’absence de contrat écrit, elle occupait un emploi à caractère durable et permanent au sein de la SAS Declerck Traiteur depuis 1989 en qualité de serveuse/maître d’hôtel en contrat à durée indéterminée. Elle fait valoir que l’employeur qui ne considérait pas la salariée comme en contrat à durée indéterminée, n’éditait plus de bulletin de salaire depuis 21 mois, (de juin 2015 à mars 2017) lorsqu’elle a saisi le conseil des prud’hommes et que le bulletin de paie de juin 2015 comportait le paiement de l’indemnité de précarité due à tout salarié en contrat à durée déterminée en fin de contrat démontrant la rupture du contrat de travail par l’employeur.

La SAS Declerck Traiteur, qui ne conteste désormais plus l’existence d’un contrat à durée indéterminée à temps plein en l’absence de contrat de travail écrit, conteste l’existence d’une rupture de ce contrat de travail, faisant valoir que Mme X ne verse aux débats aucun document de rupture, aucun certificat de travail mentionnant que le contrat a pris fin, aucune attestation destinée à Pôle Emploi, aucun solde de tout compte mentionnant une rupture en juin 2015 comme elle le prétend. Elle fait valoir que si elle a cessé de fournir du travail à Mme X c’est tout simplement parce qu’elle est en arrêt de travail sans discontinuer depuis le 23 juin 2015 et mentionne que la salariée effectuait des prestations de travail auprès d’autres traiteurs, cumulant des périodes d’intense activité.

Sur ce,

Il y a lieu au préalable de constater que l’employeur ayant reconnu être lié à la salariée pour une durée indéterminée à temps plein faute de contrat écrit, il convient de dire que les parties étaient liées par un contrat à durée indéterminée.

Il résulte de l’examen des bulletins de salaire de la salariée pour toute l’année 2015 que Mme X percevait tous les mois une indemnité de précarité en qualité de serveur en extra et une indemnité de précarité en qualité de maître d’hôtel et qu’elle a reçu de septembre 2001 à juin 2015 des certificats travail de la SAS Declerck Traiteur qui se comportait manifestement comme un employeur à durée déterminée.

En revanche, il ressort également des éléments du débat, que Mme X a bien été placée en arrêt de travail le 23 juin 2015 sans discontinuer jusqu’au 23 avril 2017, l’employeur ne pouvant lui fournir de travail et son contrat à durée indéterminée étant par conséquent suspendu du fait de son impossibilité de travailler. Mme X ne pouvait par conséquent reprocher à son employeur de ne pas lui avoir fourni de travail pendant cette période avec l’intention manifeste de mettre fin à son contrat de travail.

En outre Mme X, a toujours mentionné sur ses arrêts travail, y compris de juin 2015 à 2018, la SAS Declerck Traiteur comme son employeur, caractérisant la poursuite de son contrat de travail.

Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a considéré que le contrat de travail à durée indéterminée de Mme X n’avait pas été rompu par l’employeur

Sur la demande au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Le droit applicable :

Sur le fondement de l’article 1184 du code civil, il relève du pouvoir souverain des juges du fond d’apprécier si l’inexécution de certaines des dispositions résultant d’un contrat synallagmatique présentent une gravité suffisante pour en justifier la résiliation. La résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet au jour où le juge la prononce, dès lors qu’à cette date le salarié est toujours au service de son employeur. Dans l’hypothèse où la résiliation judiciaire est justifiée, celle-ci produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Les moyens des parties :

Mme X soutient que si le contrat de travail n’a pas été rompu par l’employeur, il y a lieu compte tenu des multiples manquements commis par celui-ci, de résilier le contrat de travail à ses torts. Elle fait valoir que son employeur l’a maintenu volontairement dans une situation de précarité, devant répondre aux sollicitations de l’employeur sans jamais être fixée sur son avenir au sein de la société alors qu’elle occupait un emploi durable et permanent durant 25 années, sans jamais bénéficier de la visite du médecin du travail ni de l’application des dispositions de la convention collective s’agissant du maintien de son salaire durant ses arrêts de travail et en n’ayant plus sa qualité de salariée dans l’entreprise à compter du mois de juin 2015, l’employeur ne lui fournissant plus de bulletin de salaire.

Mme X sollicite par ailleurs la réparation intégrale de son préjudice au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la non applicabilité du plafond fixé par l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité.

La SAS Declerck Traiteur conteste l’ancienneté de la salariée soutenant qu’elle n’a travaillé que ponctuellement pour la société en 1989, 1990, 1992 et 1996 et qu’elle a cessé toute activité de mai 2000 à septembre 2001 et de juillet 2002 à octobre 2002 et ne conclut pas sur la demande de résiliation judiciaire.

Sur ce,

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Eu égard au comportement de l’employeur qui n’a pas fait bénéficier la salariée de la protection due à celle-ci au titre d’un contrat à durée indéterminée notamment dans le cadre de la médecine du travail, ne lui a plus fourni de bulletin de salaire pendant sa période d’arrêt travail à compter du mois de juin 2015, n’a admis l’existence d’un contrat à durée indéterminée que lors de la procédure prud’homale, n’a pas respecté la convention collective de la pâtisserie sur le maintien du salaire dans le cadre des arrêts de travail, ayant pour conséquence de maintenir la salariée dans une situation de précarité, il convient de retenir que la SAS Declerck Traiteur a commis des manquements d’une telle gravité, qu’elle fonde la résiliation judiciaire à ses torts exclusifs qui produira les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse au jour du prononcé du présent arrêt.

Sur les demandes indemnitaires et salariales de Mme X :

La SAS Declerck Traiteur, qui ne s’oppose pas au paiement du complément du maintien de salaire à hauteur de 90 % pendant les six premiers mois et 75 % au-delà, conteste cependant le calcul fondé sur le montant du salaire après requalification du contrat de travail à temps plein. Elle précise également que la salariée étant reconnue en invalidité depuis le 28 mai 2018, le complément de salaire revendiqué ne peut aller au-delà de cette date.

Il convient de condamner la SAS Declerck Traiteur à payer à Mme X les sommes suivantes :

' en application de l’article 44-1 de la convention collective nationale de la pâtisserie, au titre du maintien de la rémunération pendant l’arrêt maladie du 26 juin au 26 décembre 2015 à 90 %, un

rappel de salaire à hauteur de 5361,71 € nets outre 536,17 € de congés payés afférents

' en application de l’article 4-1 de la convention collective nationale de la pâtisserie, au titre du maintien de la rémunération à 70 % pendant l’arrêt maladie du 27 décembre 2015 au 18 juin 2018, à un rappel de salaire à hauteur de 14 202,30 € nets outre 1420,23 € de congés payés afférents

' la somme de 4.713,90 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 471,39 € de congés payés afférents

' la somme de 23.011,24 € à titre d’indemnité légale de licenciement fixé à la date du présent arrêt

Sur la conventionnalité de l’article L. 1235-3 du code du travail :

L’article 24 de la Charte sociale européenne prévoit que :

En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître :

a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;

b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

L’article 8 de la Convention n° 158 sur le licenciement de 1982 de l’Organisation internationale du travail (OIT) dispose que :

1. Un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement injustifiée aura le droit de recourir contre cette mesure devant un organisme impartial tel qu’un tribunal, un tribunal du travail, une commission d’arbitrage ou un arbitre.

2. Dans les cas où le licenciement aura été autorisé par une autorité compétente, l’application du paragraphe 1 du présent article pourra être adaptée en conséquence conformément à la législation et à la pratique nationales.

3. Un travailleur pourra être considéré comme ayant renoncé à exercer son droit de recourir contre le licenciement s’il ne l’a pas fait dans un délai raisonnable.

Par ailleurs, l’article 10 de la même convention prévoit que :

Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

En droit interne, l’article L. 1235-3 du code du travail prévoit que :

Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés

dans le tableau ci-dessous.

En cas de licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés,

les montants minimaux fixés ci-dessous sont applicables, par dérogation, à ceux fixés à l’alinéa précédent :

Enfin, l’article L. 1235-3-1 du même code édicte que :

L’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d’une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3

et L. 1153-4 ;

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L.1134-4 ;

4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;

5° Un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l’exercice de son mandat ;

6° Un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L.1225-71 et L. 1226-13.

L’indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

Il est de principe que, par application de l’article 5 de la Déclaration de 1789, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, que la faculté d’agir en responsabilité met en 'uvre cette exigence constitutionnelle mais que, toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée (voir par exemple questions préjudicielles de constitutionnalité 2010-2 du 11 juin 2010 et 2010-8 du 18 juin 2010).

Au terme de sa décision du 21 mars 2018 (2018-761), le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail précitées n’étaient pas contraires à la Constitution aux motifs qu’en fixant un référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le législateur avait entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat de travail et avait ainsi

poursuivi un objectif d’intérêt général, qu’il ressortait des travaux préparatoires de la loi que ces montants avaient été déterminés en fonction des « moyennes constatées » des indemnisations accordées par les juridictions, que ces maximums n’étaient pas applicables lorsque le licenciement était entaché d’une nullité résultant de la violation d’une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, d’un licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice, d’une atteinte à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de la dénonciation de crimes et délits, de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé ou des protections dont bénéficient certains salariés, que la dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute, résultant des maximums prévus par les dispositions contestées, n’instituait pas des restrictions disproportionnées par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi, que le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, moduler l’indemnité maximale due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse dès lors qu’il retenait, pour cette modulation, des critères présentant un lien avec le préjudice subi, qu’il en était ainsi du critère de l’ancienneté dans l’entreprise, que d’autre part, le principe d’égalité n’imposant pas au législateur de traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes, il n’était pas tenu, de fixer un barème prenant en compte l’ensemble des critères déterminant le préjudice subi par le salarié licencié, qu’en revanche, il appartenait au juge, dans les bornes de ce barème, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il fixait le montant de l’indemnité due par l’employeur et que, dès lors, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées ne méconnaissait pas le principe d’égalité devant la loi.

Dès lors, la validité du plafonnement des indemnités de licenciement ne peut être remise en cause en considération du principe constitutionnel du droit à réparation intégral du préjudice.

Il n’est pas contesté que la Convention n°158 sur le licenciement de 1982 de l’OIT est applicable directement en droit interne.

Concernant la Charte sociale européenne, si celle-ci prévoit en sa partie I que les parties reconnaissent comme objectif d’une politique qu’elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur le plan national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l’exercice effectif de droits et principes limitativement énumérés, dont le droit pour tous les travailleurs à une protection en cas de licenciement, elle stipule en sa partie II que les parties s’engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et paragraphes 1 à 31, dont le droit pour les travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. La partie III de ladite convention énonce que chacune des parties s’engage :

a) à considérer la partie I de la Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;

b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte: articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;

c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d’articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu’elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés.

Enfin, conformément à la partie III, la France s’est considérée comme liée par l’article 24 précité.

Il ressort des dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne, dont la France s’est considérée comme liée, que ses stipulations n’ont pas pour objet de régir exclusivement les relations entre les États puisqu’elles emportent reconnaissance du principe du droit du salarié licencié sans motif valable à une indemnité adéquate et que la mise en oeuvre de ce principe, dans l’ordre juridique

nationale, ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers. Dès lors, ces dispositions sont d’effet direct en droit interne.

Il est constant que par une décision du 8 septembre 2016, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a estimé que la législation finnoise qui prévoyait un plafonnement des indemnités de licenciement n’était pas conforme à l’article 24 de la charte sur l’indemnisation.

Cependant, il convient de relever que les conclusions du CEDS sont dépourvues de tout effet contraignant en droit interne. En effet, conformément à la procédure de contrôle prévue par la partie IV de la Charte, telle qu’amendée par le Protocole de Turin de 1991, le CEDS émet des conclusions, sur la base des rapports transmis par les parties contractantes, portant d’un point de vue juridique sur la conformité des législations, réglementations et pratiques nationales avec le contenu des obligations découlant de la Charte pour les parties contractantes concernées. Par ailleurs, en application de la procédure de réclamations collectives prévue par le Protocole additionnel à la Charte de 1995, il présente des conclusions sur le point de savoir si la partie contractante mise en cause a ou non assuré d’une manière satisfaisante l’application de la disposition de la Charte visée par la réclamation. En revanche, il ne constitue pas un organe juridictionnel dont les conclusions s’imposent aux juridictions nationales.

Dès lors, il ne peut être tiré argument de ces seules conclusions pour soutenir que, de plein droit, le plafonnement des indemnités de licenciement prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail est contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne.

Le manuel de rédaction des instruments de l’OIT énonce que les termes utilisés dans certaines conventions octroient aux Membres une discrétion dans la détermination des mesures qui doivent être prises en exigeant que ces mesures soient «adéquates», «convenables», «appropriées», «pertinentes», «adaptées», «compatibles», «satisfaisantes», ou encore «suffisantes» (§ 150). Ce même manuel précise en son annexe 7 que le qualificatif «adéquat(e)(s)» est généralement traduit en anglais par le mot «adequate» et qu’en français, ce terme est souvent employé dans le sens d'«approprié».

En français, le qualificatif « adéquat », qui provient du latin « adaequatus » (de « adaequare », rendre égal), se définit comme ce qui correspond parfaitement à son objet, qui est approprié ou adapté et a comme synonyme les qualificatifs « adapté, approprié, convenable, propre… » alors que le qualificatif « intégral » (du latin « integralis »: entier) se définit comme ce qui ne fait l’objet d’aucune restriction ou d’aucune coupure et comprend comme synonyme les qualificatifs « complet, entier, global ou total ».

Il se déduit ainsi du choix de l’emploi du qualificatif « adéquat » plutôt que du qualificatif « intégral » et des précisions apportées par le manuel de rédaction des instruments de l’OIT que la Charte sociale européenne et la Convention (n° 158) sur le licenciement de 1982 de l’OIT ne prévoient pas le droit à réparation intégrale du préjudice subi à l’issue d’un licenciement injustifié.

D’autre part, il ne ressort ni de la lettre ni de l’économie générale des deux instruments internationaux précités que l’indemnisation adéquate du préjudice subi doit également revêtir un caractère dissuasif. En effet, il en résulte qu’ils prévoient le droit pour le salarié, qui estime être victime d’un licenciement injustifié, à un recours et au versement d’une indemnité adéquate sans qu’il puisse s’en déduire qu’une telle indemnité devrait également être dissuasive. Par ailleurs, à supposer le contraire, une indemnité, pour être suffisamment dissuasive, devrait être d’un montant significatif et s’avérer ainsi parfois inappropriée en considération du préjudice subi par le salarié. De surcroît, les dispositions de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, qui permettent de déroger au plafonnement des indemnités en cas de licenciement nul, qui prévoient le paiement d’une indemnité forfaitaire, voire assurent le maintien du salaire pendant la période de protection, assurent une protection suffisante contre les licenciements abusifs.

En outre, il ne peut être soutenu que l’établissement d’un barème et le plafonnement des indemnités allouées en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, permettraient à l’employeur de «budgétiser» le coût d’un licenciement et de prévoir ainsi, en connaissance de cause, les conséquences financières de la violation de la loi. En effet, avant même l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l’article L. 1235-3 du code du travail, le principe comptable de prudence imposait à l’employeur qui procédait à un licenciement de provisionner le risque d’un éventuel contentieux prud’hommal. Une telle opération comptable s’opérait à l’époque en considération de la jurisprudence habituelle des juges du fond, c’est à dire du barème officieux de ces derniers.

Enfin, s’il est certain que, pour les salariés d’une faible ancienneté, le plafonnement des indemnités allouées en application du barème précité est de nature à entraîner une indemnisation insuffisante, il ne peut en être déduit que, de plein droit, cette indemnisation est inadéquate.

En effet, le préjudice subi doit être apprécié de manière concrète en tenant compte des conséquences morales du licenciement et de son impact financier notamment, sans que cette liste soit exhaustive, en considération d’une période de chômage plus ou moins longue, de la baisse de revenus, de l’allongement du temps de trajet pour se rendre sur un nouveau lieu de travail, de la nécessité de déménager, d’une situation de handicap ou encore des charges de famille…. Prétendre que, de plein droit, l’indemnité serait inadéquate pour les faibles anciennetés reviendrait ainsi, de manière indirecte, à apprécier le préjudice subi de manière abstraite sur la seule base de la durée de la relation de travail, sans s’attacher aux autres éléments constitutifs du préjudice sus-visés.

Dès lors, il ne peut être soutenu que l’établissement d’un barème et le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est contraire, par principe, au droit à une indemnité adéquate garantie par la Charte sociale européenne et la Convention n° 158 sur le licenciement de l’OIT. Le caractère adéquat de la réparation allouée au salarié devant être apprécié de manière concrète en considération de son préjudice et pourra ainsi conduire, au cas par cas, à déroger au principe du plafonnement des indemnités de licenciement.

Dans le cas d’espèce, Mme X justifie, par le versement de ses bulletins de salaire, qu’elle a travaillé pour la SAS Declerck Traiteur depuis septembre 1989 et donc qu’elle bénéficie d’une ancienneté de 30 ans. Elle percevait un salaire mensuel moyen de 2.356,95 € et est en arrêt maladie depuis 2015. L’application du tableau prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail conduit à l’allocation d’une indemnité d’un montant maximal de 20 mois de salaires.

En l’état des éléments précités, il apparaît que la somme de 47.139 € soit 20 mois de salaires est de nature à assurer à Mme X la réparation adéquate de son préjudice dans le cadre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il y a lieu, par conséquent, de condamner la SAS Declerck Traiteur à lui verser à ce titre la somme de 47.139 € soit 20 mois de salaires.

III/ Sur les demandes accessoires :

Il convient de condamner la SAS Declerck Traiteur partie perdante, aux entiers dépens et à la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE Mme X recevable en son appel,

INFIRME le jugement déféré excepté :

— en ce qu’il a débouté Mme X de :

' sa demande au titre du travail dissimulé

' sa demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur

— en ce qu’il a condamné la SAS Declerck Traiteur à payer à Madame Y X les sommes de:

' 2 .356,95 € au titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la médecine du travail ;

' 2 000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y Ajoutant:

ORDONNE la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS Declerck Traiteur à compter du présent arrêt,

CONDAMNE la SAS Declerck Traiteur à payer à Mme X les sommes suivantes :

' 450 € au titre des heures supplémentaires non rémunérées outre 45 € au titre des congés payés y afférents

' 658,94 € au titre des majorations pour heures de nuit outre 65,89 € au titre des congés payés y afférents

' 5.361,71 € nets à titre de rappel de salaire outre 536,17 € de congés payés afférents au titre du maintien de rémunération à 90 % pendant l’arrêt maladie du 26 juin au 26 décembre 2015

' 14.202,30 € nets à titre de rappel de salaire outre 1420,23 € de congés payés afférents au titre du maintien de rémunération à 70 % pendant l’arrêt maladie du 27 décembre 2015 au 18 juin 2018

' 4.713,90 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 471,39 € de congés payés afférents

' 23.011,24 € à titre d’indemnité légale de licenciement fixé à la date du présent arrêt

' 47.139 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la SAS Declerck Traiteur à payer à Mme X la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

CONDAMNE la SAS Declerck Traiteur aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame CHARBONNIER, Conseiller, pour le président empêché, et par Madame ROCHARD, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE CONSEILLER



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Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 2 juin 2020, n° 17/04929