Cour d'appel de Lyon, 8ème chambre, 17 novembre 2021, n° 21/02575

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Lyon, 8e ch., 17 nov. 2021, n° 21/02575
Juridiction : Cour d'appel de Lyon
Numéro(s) : 21/02575
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Lyon, 28 mars 2021, N° 21/00114
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

N° RG 21/02575

N° Portalis DBVX-V-B7F-NQLG

Décision du

Président du TJ de LYON

Référé

du 29 mars 2021

RG : 21/00114

X

X

C/

S.A.R.L. MILU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

8e chambre

ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2021

APPELANTS :

M. Z-B X

[…]

[…]

Mme Y-A X

[…]

[…]

Représentés par Me Jérôme ORSI de la SELARL VERNE BORDET ORSI TETREAU, avocat au barreau de LYON, toque : 680

INTIMÉE :

S.A.R.L. MILU

[…]

[…]

Représentée par Me Ludivine LEBLANC, avocat au barreau de LYON, toque : 1388

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 05 Octobre 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 05 Octobre 2021

Date de mise à disposition : 17 Novembre 2021

Audience présidée par Karen STELLA, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de William BOUKADIA, greffier.

Composition de la Cour lors du délibéré :

— Karen STELLA, président

— Véronique MASSON-BESSOU, conseiller

— Anne-Y ESPARBÈS, magistrat de permanence,

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Karen STELLA, faisant fonction de président qui est empêché, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Par acte du 15 janvier 2019, les époux X, particuliers et retraités, ont consenti à la SARL MILU un bail à usage commercial d’une durée de 9 ans portant sur un local de 266 m2 situé […], moyennant un loyer annuel de 37'240 euros hors charges, soit 3'943,55 euros mensuel. La société preneuse y exerce une activité récréative de loisirs «'live escape game'».

Avant l’entrée dans les lieux de la société MILU, des travaux ont été réalisés dans le local, objet du bail, par les bailleurs, puis par les preneurs afin de l’adapter à l’activité d’escape gaming. Le principe et la manière dont les travaux ont été réalisés font l’objet de contestations. En effet, des désordres relatifs à la présence d’humidité ont été constatés par les parties. Par ordonnance du 16 novembre 2020, le président du tribunal judiciaire de LYON a fait droit à une demande d’expertise sollicitée par les preneurs du bail par acte du 21 juillet 2020.

Les locataires ont suspendu le paiement des loyers à compter du mois d’avril 2020, concomitamment aux fermetures administratives liées à l’épidémie de Covid-19. Les bailleurs ont accepté, durant le premier confinement, une suspension des loyers du mois d’avril et de mai 2020 ainsi qu’un échelonnement de ces derniers à hauteur de 25% sur les mois de juin, juillet, août et septembre 2020.

Par exploit d’huissier du 22 juillet 2020, les bailleurs ont fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire à hauteur de 11'830,65 euros au titre des loyers et charges impayés.

Par acte du 16 décembre 2020, les mêmes ont assigné en référé les locataires par devant le président du tribunal judiciaire de LYON afin de':

• Constater la résiliation du bail commercial pour défaut de paiement des causes du commandement de payer ;

• Voir autoriser leur expulsion sous astreinte ;

• Les voir condamner à leur payer la somme provisionnelle de 38'942,42 euros au titre des loyers et charges arrêtée au mois de décembre 2020, outre une indemnité d’occupation d’un montant équivalent aux loyers et charges jusqu’à la libération effective des lieux ;

• Les voir condamner au paiement de 2'000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions, les demandeurs ont porté leur demande principale à la somme de 52'198,37 euros.

Par ordonnance du 29 mars 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de LYON a':

• Rejeté les demandes formées par Z-B et Y-A X en application de l’article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020';

• Condamné Z-B et Y-A X aux dépens ;

• Laissé à la charge de chacune des parties leurs frais irrépétibles

Le juge a en substance constaté que les défendeurs invoquaient l’article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire qui prévoit notamment que :

À compter du 17 octobre 2020, les personnes qui exercent une activité affectée par une mesure de police administrative ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesures financières ni encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non paiement des loyers commerciaux ;

Toute clause résolutoire prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou du retard de paiement des loyers ou charges est réputée non écrite ;

Ces dispositions s’appliquent aux loyers et charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police administrative ;

Les procédures d’exécution pour le paiement de loyers et charges exigibles sont suspendues jusqu’à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter de la date à laquelle l’activité cesse d’être affectée par une mesure de police administrative.

Sur ce fondement, le juge des référés en a déduit que l’instance pendante devant lui ne pouvait prospérer puisque l’activité de live escape game était visée par l’obligation de fermeture depuis le mois d’octobre 2020 et l’était toujours au jour de son ordonnance.

Appel a été interjeté par les bailleurs, les époux X, par déclaration électronique le 12 avril 2021 à l’encontre de toutes les dispositions de l’ordonnance en intimant la SARL MILU.

Dans ses dernières conclusions d’appelant notifiées par voie électronique le 9 juin 2021, les époux X demandent à la Cour de':

Vu les articles 834 et 835 du ode de procédure civile,

• Infirmer l’ordonnance de référé du 29 mars 2021 en ce qu’elle a rejeté leurs demandes en ce qui concerne le paiement des loyers et charges courantes,

Statuant à nouveau,

• Condamner à titre provisionnel la société MILU à leur régler la somme de 28'642,86 euros TTC correspondant aux arriérés de loyers et charges dus par le preneur en exécution des stipulations du bail commercial conclu entre les parties le 15 janvier 2019,

• Débouter la société MILU de toute demande de report ou délais de paiement que celle-ci serait tentée d’élever en cause d’appel,

Dans tous les cas,

• Condamner la société MILU à leur verser la somme de 3'500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

• Condamner la même à prendre en charge les entiers dépens de l’instance «'sic'» distraits au profit de maître Jérôme ORSI, Avocat sur son affirmation de droit,

• Rejeter toute demande contraire plus ample.

Selon les appelants, le juge des référés a fait une lecture erronée de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 puisque cet article s’applique à compter du 17 octobre 2020.

Ce dispositif n’a pas pour vocation d’intégrer les périodes antérieures, mais est cantonné dans le temps. Seuls les loyers échus après la date d’entrée en vigueur de cet article ne peuvent faire l’objet d’une action de la part des bailleurs.

S’agissant des échéances antérieures à cette loi, ce sont les dispositions de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 qui sont applicables. Toutefois, le dispositif mis en place ne permet pas un report infini de l’exigibilité des loyers.

Il n’y a pas d’articulation entre les différentes périodes protectrices. Les loyers et charges dont les échéances sont intervenues entre le 12 mars et le 10 septembre 2020 sont pleinement exigibles puisque l’assignation en paiement a été signifiée le 16 décembre 2020.

Seuls les loyers et charges échus après le 17 octobre 2020 ne seront pas «'dus'» et ce jusqu’à l’expiration de la nouvelle période de protection.

La Cour devra faire une application distributive des périodes pour lesquelles le paiement des loyers est sollicité.

Les autres arguments des preneurs visant à ne pas payer les loyers seront rejetés :

Ce n’est pas parce que la clientèle a dû porter un masque et que le nombre de personne sur le plateau a été limité que le preneur au bail doit suspendre le paiement des loyers.

Le preneur justifie en outre le non-paiement de ses loyers par le manquement du bailleur à son obligation de bonne foi, alors même qu’il lui a octroyé un lissage des loyers lors de la première période de confinement. Le bailleur n’était pas tenu d’accepter la suspension des loyers, voire la renonciation à ces derniers lors de la sortie du premier confinement.

Le preneur invoque une exception d’inexécution en raison de l’état du local qui fait l’objet de

désordres et de contestations ce qui ne relève pas de la compétence du juge des référés.

Enfin le preneur invoque «'la perte de la chose louée'»'du fait de l’impossibilité d’ouvrir les locaux au public en raison de la crise sanitaire et de l’insalubrité des locaux. Or les bailleurs ne peuvent être tenus responsables de cette inexploitation. De plus, l’activité d’espace game a pu reprendre entre les deux confinements. La responsabilité des bailleurs dans la survenance des désordres liées aux remontées capillaires n’est pas démontrée': elle fait encore l’objet d’une expertise judiciaire devant le tribunal judiciaire, ce qui ne relève pas de la compétence du juge des référés. Enfin, les preneurs n’ont pas démontré avoir été dans l’impossibilité absolue d’exploiter leur fonds de commerce justifiant une suspension du paiement des loyers.

Enfin les appelants fait remarquer que le preneur au bail ne justifie pas du versement des aides accordées par l’Etat.

L’appelant abandonne sa demande de résiliation du bail, mais sollicite à titre provisionnel le paiement de 28'642,86 euros TTC comprenant tous les loyers échus avant le 17 octobre 2020, date d’entrée en vigueur de la loi du 14 novembre 2020, ainsi que le paiement de la taxe foncière de l’année 2019 qui s’élève à 1'038 euros TTC.

Ils demandent également le rejet de toute demande de report ou de délai puisqu’aucun élément financier sérieux n’a été produit par le preneur. Celui-ci a pu exploiter un minimum son activité en 2020 et il a perçu des aides financières ce qui n’est pas le cas des bailleurs qui sont des particuliers à la retraite et qui ont déjà fait des efforts d’échelonnements des loyers.

Dans ses dernières conclusions d’intimée notifiées par voie électronique le 21 juillet 2021, la SARL MILU demande à la Cour de':

Vu l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020,

Vu les articles 834 et 835 du code de procédure civile,

Vu les articles 1104, 1217, 1218 et 1210, 1720, 1722 du code civil,

Vu l’article L 145-41 du code de commerce,

Vu l’article 1343-5 du code civil,

A titre principal,

• Confirmer l’ordonnance entreprise dans toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire,

• Dire et juger qu’il existe une contestation sérieuse faisant obstacle à la compétence de la juridiction saisie et qu’il y a n’y a lieu à référé sur la demande de condamnation au paiement des arriérés de loyers,

En conséquence,

• Débouter Monsieur et Madame Z-B X de l’intégralité de leurs demandes dirigées à son encontre,

• Condamner Monsieur et Madame Z-B X à lui verser la somme de 3'000 au titre des frais irrépétibles,

• Condamenr Monsieur et Madame Z-B X aux dépens de l’instance

«'sic'»distraits au profit de Me Ludivine LEBLANC, Avocat sur son affirmation de droit,

A titre infiniment subsidiaire,

• Ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire,

• Reporter dans la limite d’un délai de 2 ans les somme dues par la SARL MILU aux époux X.

A l’appui de ses demandes, l’intimée fait valoir que les dispositions de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ont pour objet d’interdire pour un temps toute mesure susceptible d’affecter la pérennité de la relation contractuelle entre le bailleur et les entreprises visées par le texte afin de leur laisser le temps de retrouver une activité normale.

Le commandement de payer du 22 juillet 2020 visant la clause résolutoire n’a pas indiqué le décompte des loyers dont le paiement était demandé. Il semblerait que ce soit ceux courant à compter de mars 2020, étant donné que le preneur était à jour avant cette date. Or, durant cette période, l’activité de la société locataire était affectée par les mesures sanitaires. Aucune sanction ne peut prospérer au titre des loyers susvisés étant donné que la protection offerte par les textes court du 12 mars 2020 jusqu’à deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 1er août 2021.

La pandémie de Covid-19 est un événement de force majeure qui a privé la SARL MILU de pouvoir réaliser son chiffre d’affaire ce qui justifie qu’elle soit exonérée du paiement des loyers.En application de l’article 1722 du code civil, elle doit également être dispensée du paiement des loyers en raison de la perte temporaire de la chose louée.

L’article 1104 du code civil, relatif à la bonne foi contractuelle, s’oppose à ce que le bailleur exige le paiement des loyers alors qu’il sait que les lieux ne sont pas exploitables. Le contrat est sans cause parce que le bailleur n’a pas exécuté son obligation de délivrance conforme.

Enfin, en vertu du principe d’exception d’inexécution, le preneur est fondé à refuser d’exécuter son obligation de payer le loyer dès lors que le bailleur n’a pas satisfait à son obligation de délivrance conforme’en raison de l’interdiction d’ouverture et en raison de l’insalubrité des locaux qui font l’objet d’une procédure d’expertise judiciaire.

S’agissant des arriérés locatifs': la SARL MILU n’a pas payé la taxe foncière de 2019 car elle concernait aussi le local adjacent à celui loué ce dont elle n’avait pas à répondre. L’appelant fait état de nombreuses contestations sur le montant des factures d’électricité et d’eau. En revanche, il reconnaît que le montant des loyers impayés d’avril à octobre 2020 s’élève à 28'642,86 euros mais entend se prévaloir de l’exception d’inexécution pour justifier son refus de régler.

Enfin, sur le fondement des articles L 145-41 du code de commerce et 1343-5 du code civil, l’intimé la SARL MILU sollicite subsidiairement le report des sommes dues dans la limite de 2 ans et ce, d’autant qu’une procédure d’expertise judiciaire est en cours.

Pour l’exposé des moyens développés par les parties, il sera fait référence conformément à l’article 455 du code de procédure civile à leurs écritures déposées et débattues à l’audience du 5 octobre 2021 à 9 heures.

A l’audience, les parties ont pu faire leurs observations et ou/déposer ou adresser leurs dossiers respectifs. Puis, l’affaire a été mise en délibéré au 17 novembre 2021.

MOTIFS

A titre liminaire, les demandes des parties tendant à voir la Cour «'constater'» ou «'dire et juger'» ne constituant pas des prétentions au sens des articles 4,5,31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n’y a pas lieu de statuer sur celles-ci.

La Cour constate que les appelants renoncent, dans leurs dernières écritures, à la résiliation du bail liant les parties et aux conséquences induites en terme d’expulsion et de provision pour indemnité d’occupation en limitant leur demande au paiement d’une provision sur le montant des loyers et charges impayés.

Sur les provisions demandées au titre de la dette locative

L’article 835, alinéa 2, du code de procédure dispose que dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut être accordé une provision au créancier, pour l’arriéré des loyers et charges et postérieurement à la date de résiliation du bail par l’effet de la clause résolutoire, le preneur n’est plus débiteur d’un loyer mais d’une indemnité d’occupation.

Le montant de la provision allouée en référé n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Suivant la mesure générale applicable à tous les baux commerciaux prévue par l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus et à l’adaptation des procédures durant la période d’urgence sanitaire, la période juridiquement protégée est du 12 mars 2020 au 23 juin 2020.

Les dispositions de l’ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020, relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité ainsi que de l’article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 ont pour effet de neutraliser les effets juridiques du non-paiement ou du retard dans le paiement des loyers et charges des baux commerciaux, pour les entreprises éligibles, affectées par une mesure de police administrative en raison de l’épidémie de Covid-19.

L’ordonnance 2020-316, ne concerne que les personnes éligibles au fonds de solidarité et les entreprises déjà en procédure collective. La neutralisation des effets du non-paiement ou du retard dans le paiement des loyers concerne les loyers dont l’échéance de paiement est intervenue entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation du premier état d’urgence sanitaire, soit le 10 septembre 2020.

S’agissant de la loi du 14 novembre 2020, la neutralisation des effets du non-paiement ou du retard dans le paiement des loyers concerne les loyers dont l’échéance est intervenue entre le 17 octobre 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l’activité a cessé d’être affectée par une mesure de police administrative en raison de la crise sanitaire. Cette loi n’a pas vocation à être appliquée de manière rétroactive.

Les deux mécanismes de protection étant indépendants l’un de l’autre, c’est à tort que le juge des référés a considéré que l’instance ne pouvait prospérer au motif que l’activité de live escape game était visée par une obligation de fermeture administrative au moment où il a statué. C’est également à tort que l’intimée soutient que le mécanisme de protection offert par le législateur neutralise toute action pour non-paiement des loyers dont l’échéance serait intervenue entre le 12 mars 2021 et l’expiration d’un délai de deux mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 1er août 2021.

En effet, entre ces deux mécanismes de protection, c’est-à-dire à partir du 11 septembre 2020 et jusqu’au 16 octobre 2020, les preneurs des baux commerciaux ne bénéficiaient d’aucune mesure de protection particulière. Durant cette période correspondant à la reprise progressive de l’activité

économique, le bailleur retrouvait la pleine efficacité des poursuites en paiement.

En tout état de cause, la suspension des loyers n’a jamais été prévue par les textes sauf pour les toutes petites entreprises éligibles au fonds de solidarité à condition que le preneur démontre remplir les conditions de ce texte.Or, en l’espèce, la Cour constate que la société locataire ne démontre pas être éligible aux mécanismes de protection instaurés par l’ordonnance 2020-316 dont les dispositions protectrices ont vocation à s’appliquer aux seules entreprises exerçant une activité économique susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ou celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure collective.

Elle ne démontre pas plus être éligible aux mécanismes de protection instaurés par loi du 14 novembre 2020 dont les dispositions protectrices ont vocation à s’appliquer aux entreprises exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative justifiant de seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires ainsi que du seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative.

Comme l’a fait observer à juste titre le conseil des appelants, il convient de faire une application distributive des périodes pour lesquelles le paiement des loyers est sollicité.

Au jour où le juge des référés a statué, le 29 mars 2021, le bailleur pouvait prétendre au paiement des loyers échus entre avril 2020 et octobre 2020 avant le 17 octobre 2020, date d’entrée en vigueur du second mécanisme de protection. Il ressort du bail commercial conclu entre les parties que le loyer est exigible par avance au plus tard le 5 de chaque mois.

La locataire et les bailleurs s’accordent dans leurs dernières conclusions sur le montant de 28 642,86 euros TTC qui correspondrait aux arriérés de loyers et charges dus ce qui doit conduire au rejet du moyen de l’intimée selon lequel le commandement de payer n’aurait pas détaillé les loyers et charges impayés.

En réalité, cette somme correspondant à sept mois de loyers et charges TTC augmentée de la somme de 1038 euros au titre de la taxe foncière 2019 qui est contestée par la locataire.

Ainsi, le 29 mars 2021, le bailleur était en droit d’exiger le paiement de 3'943,55 TTC x 7 = 27'604,55 euros.

S’agissant du paiement de la taxe foncière de 2019 d’un montant de 1038 euros adressée le 17 février 2020 par les bailleurs, son montant fait l’objet d’une contestation sérieuse quant à son dû. La demande la concernant est irrecevable à titre de provision.

S’agissant de l’exception d’inexécution invoquée par le preneur du fait des fermetures administratives successives imposées en raison de la crise sanitaire au titre de la force majeure ou de la perte de chose temporaire de la chose louée, il doit être relevé que ce fait n’est pas imputable aux bailleurs et que la société MILU n’a à aucun moment justifié qu’elle n’avait pas pu obtenir les prêts garantis par l’Etat ou l’aide du fonds de solidarité ce qui lui aurait permis de payer ces loyers. A défaut de démontrer une absence de capacité financière pour exécuter son obligation de paiement du loyer, l’exception d’inexécution ne peut constituer une contestation sérieuse.

S’agissant de l’exception d’inexécution et de la perte de la chose louée invoquées par le preneur du fait de l’insalubrité des locaux donnés en bail en raison de la présence d’humidité, la faute du bailleur dans la survenance des désordres allégués n’est pas établie. Une procédure d’expertise judiciaire est encore pendante devant le tribunal judiciaire de LYON afin de déterminer les causes et les responsabilités dans la survenance de ces désordres. Par ailleurs, alors que ces difficultés étaient connues depuis fin 2019, la société preneuse a attendu le 21 juillet 2020 pour assigner en

référé-expertise alors qu’elle avait déjà été destinataire d’une lettre recommandée avec accusé de réception au titre du paiement du loyer de juillet comprenant étalement des loyers précédents et ce en date du 30 juin 2020 pour un montant avoisinant les 13 000 euros. L’expert judiciaire dans sa note n°2 (pièce 37 de la société MILU) n’a pas recommandé la fermeture des lieux. La contestation soulevée n’est en conséquence pas suffisamment sérieuse pour faire échec à la demande de provision.

Il est soutenu enfin que le commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré de mauvaise foi.

La délivrance de mauvaise foi du commandement de payer s’apprécie à la date de délivrance de cet acte. Elle peut également résulter d’agissements fautifs de la part du bailleur durant une période contemporaine de celle-ci. Il est soutenu que les bailleurs ont agi de mauvaise foi alors qu’en réalité, lors du premier confinement, ils ont fait preuve d’une souplesse importante en proposant d’étaler les loyers d’avril et mai 2020 sur quatre mois sans jamais avoir eu connaissance si la société MILU a obtenu ou s’est vu refuser des aides d’Etat ou un prêt garanti par l’Etat. La mauvaise foi des bailleurs n’est donc pas établie.

La Cour infirme l’ordonnance déférée sur la demande de provision au titre des loyers et charges impayés d’avril à octobre 2020 inclus et statuant à nouveau sur ce point, condamne la SARL MILU à payer aux consorts X la somme provisionnelle, non sérieusement contestable à hauteur de 27'604,55 euros.

Sur la demande de suspension des effets de la clause résolutoire et de report de paiement

En l’état de l’abandon des demandes des bailleurs s’agissant du constat de la résiliation du bail, la demande de suspension des effets de la clause résolutoire est devenue sans objet.

En revanche, s’agissant du paiement de la provision, la SARL MILU oppose une demande de report de paiement sur deux ans.

L’article 1343-5 du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années le paiement des sommes dues.

L’octroi des délais ou de report de paiement autorisé par l’article 1343-5 du code civil, n’est nullement conditionné par la seule existence d’une situation économique obérée de celui qui les demande, mais relève du pouvoir discrétionnaire du juge qui par décision spéciale et motivée tient compte de la situation du débiteur mais également des besoins du créancier.

La société MILU sollicite le délai maximum de 2 ans pour le report du paiement de la dette compte tenu de l’impossibilité alléguée d’exploiter les lieux pour une durée actuellement indéterminée, la mesure d’expertise judiciaire qui est en cours ayant pour objectif d’établir un compte entre les parties.

Elle n’a toutefois, alors qu’elle n’a pas contesté avoir ouvert entre le 23 juin et le 10 octobre 2020. effectué aucun versement de loyer même partiellement. Elle ne fournit aucun élément comptable et financier et ne prouve pas qu’elle n’a pas pu obtenir de prêt garantie par l’Etat qui aurait pu lui permettre d’honorer ses loyers. Elle se borne à fournir une preuve constituée à soi-même soit un tableau de chiffres (pièce 29 de la société MILU) qui n’a en soi aucune valeur probante tout en se gardant de communiquer ses comptes bancaires durant la période concernée.

Le fait que son franchiseur lui ait ordonné de fermer l’établissement au public le 1er juin 2021 n’est pas un élément suffisant à défaut de l’avoir actualisé pour l’audience du 5 octobre 2021.

Il appartient à tout débiteur, surtout s’il sollicite le délai maximum du report de dette, de justifier

pleinement et en toute transparence du bien-fondé de sa demande.

S’agissant de la demande de report sollicitée par la locataire, la Cour la rejette.

Sur les demandes accessoires

L’article 491, alinéa 2, du code de procédure civile dispose que le juge statuant en référé statue sur les dépens. L’article 696 dudit code précise que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

La partie perdante devant être condamnée aux dépens, par application de l’article 696 du code de procédure civile, la Cour infirme l’ordonnance déférée, la demande de provision des époux X étant accueillie en appel au contraire de la demande de report de paiement formée par la SARL MILU qui est par conséquent la partie perdante. Statuant à nouveau, la Cour condamne la SARL MILU aux dépens de première instance et d’appel.

La Cour autorise Maître Jérome ORSI qui en a fait la demande expresse à recouvrer les dépens dont il a été fait l’avance sans recevoir provision dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

En équité, la Cour condamne le SARL MILU à payer aux consorts X la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La Cour déboute la SARL MILU de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant dans les limites de l’appel déterminées par les dernières écritures des parties,

• Infirme l’ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de LYON le 29 mars 2021 sur le rejet de la demande de provision des époux X et sur les dépens de première instance,

Statuant à nouveau,

• Déclare irrecevable la demande de paiement de la provision au titre de la taxe foncière de 2019 formulée par des consorts X,

• Condamne à titre provisionnel la société MILU à régler aux consorts X la somme de 27'604,55 TTC euros correspondant aux arriérés de loyers et charges dus par le preneur pour les mois d’avril 2020 à octobre 2020 inclus en exécution du bail commercial conclu entre les parties.

• Dit que la demande de suspension des effets de la clause résolutoire est sans objet,

• Déboute la société MILU de sa demande de report de paiement,

• Condamne la même aux entiers dépens de première instance et d’appel,

• Autorise Maître Jérôme ORSI à recouvrer les dépens dont il a été fait l’avance sans recevoir

provision dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,

• Condamne la société MILU à payer aux consorts X la somme de 3'000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• Déboute la SARL MILU de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

LE GREFFIER Karen STELLA, CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT



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Cour d'appel de Lyon, 8ème chambre, 17 novembre 2021, n° 21/02575