Cour d'appel de Papeete, Chambre sociale, 16 février 2012, n° 11/00419

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Papeete, ch. soc., 16 févr. 2012, n° 11/00419
Juridiction : Cour d'appel de Papeete
Numéro(s) : 11/00419
Décision précédente : Tribunal du travail de Papeete, 24 juillet 2011

Sur les parties

Texte intégral

N° 63

RG 419/SOC/11


Copie exécutoire délivrée à Me Poullet-Osier

le 20.02.2012.

Copie authentique délivrée à Me Hermann- Auclair le 20.02.2012.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D’APPEL DE PAPEETE

Chambre Sociale

Audience du 16 février 2012

Madame Catherine TEHEIURA, conseillère à la Cour d’Appel de Papeete, assistée de Madame Maeva G-H, greffier ;

En audience publique tenue au Palais de Justice ;

A prononcé l’arrêt dont la teneur suit :

Entre :

La Sa Polybois, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Papeete sous le numéro 703 B, dont le siège social est sis XXX – XXX

Appelante par déclaration d’appel reçue au greffe du Tribunal du Travail de Papeete sous le numéro 09/00230 avec transmission de dossier le 2 août 2011, déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’Appel le même jour, sous le numéro de rôle 419/SOC/11, ensuite d’un jugement du tribunal du travail de Papeete rendu le 25 juillet 2011 ;

Représentée par Me Olivier HERRMANN-AUCLAIR, avocat au barreau de Papeete ;

d’une part ;

Et :

Monsieur A X, né le XXX à XXX

Intimé ;

Représenté par Me Jérôme POULLET-OSIER, avocat au barreau de Papeete ;

d’autre part ;

La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 15 décembre 2011, devant M. SELMES, président de chambre, Mme TEHEIURA et M. RIPOLL, conseillers, assistés de Mme G-H, greffier, le prononcé de l’arrêt ayant été renvoyé à la date de ce jour ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

A R R E T,

Par acte sous seing privé du 27 février 2006, A X a été engagé à compter du 27 février 2006 par la SA POLYBOIS en qualité de responsable technico-commercial moyennant un salaire mensuel forfaitaire, une rémunération variable et le remboursement de frais.

Le contrat de travail contenait une clause de non-concurrence ainsi rédigée':

«Compte-tenu de la nature de ses fonctions, et des informations confidentielles dont il dispose, M. X s’engage, en cas de rupture du contrat de travail, quelque soit le motif et l’imputabilité de cette rupture, y compris pendant la période d’essai':

— à ne pas entrer au service d’une société concurrente,

— à ne pas s’intéresser directement ou indirectement à toute activité pouvant concurrencer celle de la société POLYBOIS en particulier l’importation à TAHITI et MOOREA ou l’exportation sur TAHITI et MOOREA de produits identiques ou similaires à ceux distribués par la société POLYBOIS.

Cette interdiction de concurrence est applicable pendant une durée de neuf mois et elle est limitée à TAHITI et MOOREA.

Cette clause s’appliquera à compter du jour du départ effectif de M. X de la société POLYBOIS.

1 – Contrepartie financière

En contrepartie de cette obligation de non concurrence, M. X perçoit en sus de sa rémunération forfaitaire, la somme mensuelle de 20'000 CFP.

2 – Clause pénale

En cas de violation de la clause, M. X sera automatiquement redevable d’une somme fixée forfaitairement et dès à présent à 2'000'000 CFP'.

Cette somme devra être versée à la société POLYBOIS pour chaque infraction constatée'.'»

Par lettre du 22 avril 2009, A X a été convoqué à un entretien préalable devant avoir lieu le 29 avril 2009 et a fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre du 7 mai 2009, la société POLYBOIS l’a licencié pour fautes graves en lui reprochant de':

— «avoir passé une commande de bois inconsidérée, coûteuse, et invendable sur TAHITI»';

— avoir «cédé une quantité considérable de bois à un prix dérisoire au cours du mois de décembre 2008»';

— «avoir minoré les prix de revient des marchandises usinées à la scierie» ;

— ne pas avoir respecté ses obligations contractuelles.

Par jugement rendu le 25 juillet 2011, le tribunal du travail de Papeete a':

— dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et abusif ;

— alloué à A X :

* la somme de 7'528'144 FCP, à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* la somme de 1'000 000 FCP, à titre d’indemnité pour licenciement abusif,

* la somme de 500'000 FCP, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la nullité de la clause de non-concurrence,

* la somme de 110'000 FCP, au titre des frais irrépétibles ;

— rejeté la demande en paiement de rappels de salaires formée par A X';

— mis les dépens à la charge de la SA POLYBOIS.

Par déclaration faite au greffe du tribunal du travail de Papeete le 2 août 2011, la SA POLYBOIS a relevé appel de cette décision afin d’en obtenir l’infirmation.

Elle demande à la cour de :

— dire le licenciement fondé sur une faute grave ;

— rejeter les prétentions de A X';

— lui allouer la somme de 440'000 FCP, sur le fondement de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.

Elle soutient qu’au mois de juillet 2008, A X lui a proposé de commander à la société BFB Exotique, dont le gérant était son oncle, 227 plateaux de chêne et hévéa en lui faisant croire que plusieurs clients étaient intéressés ; que le produit était nouveau pour elle ; que 198 plateaux n’ont jamais été vendus et que son préjudice financier s’élève à la somme de 10'000'000 FCP ; qu’elle n’a eu connaissance des faits fautifs qu’en avril 2009 au moment de la vérification des stocks et que le tribunal du travail a retenu à tort la prescription ; que A X «a cédé une quantité considérable de bois à un prix dérisoire au cours du mois de décembre 2008»'; qu’il a menti en indiquant qu’il s’agissait «d’encombrants» et qu’il a vendu le lot de bois à un prix inférieur à son prix de revient ; qu’il a agi sans en informer la direction et sans respecter les procédures de contrôle en vigueur dans l’entreprise ; que le «lot de bois n’était pas du bois déclassé puisqu’il a été finalement vendu au PIC ROUGE pour être utilisé sur un chantier» et qu’elle n’a été en mesure d’apprécier l’ampleur et la réalité du comportement de A X que lorsqu’elle a reçu le rapport du commissaire aux comptes daté du 4 avril 2009.

Elle ajoute que A X établissait les factures en n’intégrant pas ou en sous-estimant le coût d’usinage, ce qui permettait de minimiser le prix de revient ; qu’ «il gonflait ainsi artificiellement ses marges et percevait des commissions importantes qui n’étaient pas dues» ; qu’il est responsable d’ «un manque à gagner pour la société étant donné que les frais d’usinage n’étaient pas répercutés aux clients» ; que «les premières estimations ont fait apparaître une perte’de 5.193.645 FCP’pour le seul premier semestre 2008'» et que, «selon les premières investigations, les manipulations s’élèvent’à près de» 8'000'000 FCP ; qu’en outre, A X ne lui a jamais soumis le moindre projet en matière de stratégie commerciale ; qu’ «aucun objectif de vente n’a été donné à son équipe» ; qu’il a été défaillant en ce qui concerne «l’analyse des résultats commerciaux de l’entreprise avec les vendeurs et la proposition d’actions à mener sur le terrain» ; qu’ «il ne suivait pas non plus la réalisation du chiffre d’affaires de chaque vendeur, ni ne les informait des nouveaux produits» ; qu'«il n’a pas organisé les tournées du commercial itinérant ni ne l’a accompagné auprès des clients ou suivi les comptes rendus hebdomadaires» et qu’ «il n’a fait aucune animation de la surface de vente» ; qu’elle n’a «pas voulu le débarquer de la société dans le cadre d’un projet de rachat d’une entreprise en Nouvelle Calédonie» ; qu’il était, au contraire, très intéressé par le poste à responsabilités proposé dans ce cadre-là et qu’il n’a subi ni préjudice moral, ni préjudice professionnel, d’autant qu’il ne possédait que 3 ans d’ancienneté ; qu’il a perçu une contrepartie financière au titre de la clause de non-concurrence ; qu’il n’a pas respecté celle-ci en créant une entreprise de menuiserie qui importe du bois ainsi qu’une société dont l’activité est le négoce du bois et qu’il a accepté oralement la modification de son mode de rémunération.

A X demande que l’affaire soit jugée sur pièces et que le jugement attaqué soit confirmé.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 novembre 2011.

Motifs de la décision :

Sur la recevabilité de l’appel :

La recevabilité de l’appel n’est pas discutée et aucun élément de la procédure ne permet à la cour d’en relever d’office l’irrégularité.

Sur le rappel de commissions :

A X ne formule en appel aucune prétention au titre d’un rappel de salaires.

Le jugement attaqué sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté sa demande en paiement de commissions s’élevant à la somme de 2'231'309 FCP.

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, reproche à A X quatre comportements fautifs dont il convient d’apprécier la gravité.

Par ailleurs, l’employeur s’étant placé sur le terrain disciplinaire, il convient de rappeler qu’il lui appartient de rapporter la preuve de l’existence d’une faute grave et que, selon les dispositions de l’article 34 de la délibération n° 91-2 AT du 16 janvier 1991': «aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales».

* Sur la commande de bois :

Il résulte des pièces versées aux débats et des écritures de la SA POLYBOIS (lettre de licenciement et conclusions) que celle-ci a eu connaissance de la commande litigieuse au mois de juillet 2008 puisqu’à cette époque, A X lui a demandé de passer cette commande qui a fait l’objet d’un règlement rapide.

En sa qualité d’employeur, elle ne pouvait ignorer que les produits achetés étaient nouveaux pour l’entreprise et qu’il existait donc un risque financier.

Par ailleurs, A X l’a informée de l’évolution de la commande lors des réunions des 29 septembre 2008, 17 novembre 2008 et 8 décembre 2008 et elle savait que la vente du bois posait des difficultés dans la mesure où, le 17 novembre 2008, elle voulait «relancer les clients potentiels pour ce produit».

Enfin, elle n’établit aucunement que A X lui aurait menti, ce qui lui aurait interdit de se rendre compte de l’ampleur de son préjudice avant le mois d’avril 2009.

Dans ces conditions, le fait relatif à la commande de bois était connu de l’employeur plus de deux mois avant le 22 avril 2009, date de convocation à l’entretien préalable à un licenciement et il ne pouvait justifier des poursuites disciplinaires.

* sur la vente de bois à un prix dérisoire :

Le tribunal du travail a relevé à juste titre que ce fait était connu de l’employeur dès le mois de décembre 2008.

En effet, dans la lettre de licenciement et dans ses écritures d’appel, la SA POLYBOIS précise qu’elle a convoqué A X à «un entretien informel qui s’était tenu le 9 décembre 2008'» lorsqu’il lui a été rapporté que le salarié avait «cédé une quantité considérable de bois à un prix dérisoire».

Dans un constat d’huissier du 23 avril 2009, E F affirme, sans être sérieusement contredit sur ce point par l’appelante, que «quelques temps après avoir emporté ce stock de bois, une responsable de la société POLYBOIS est venue voir ce stock de bois… que cette responsable ne l’a pas informé vouloir reprendre ce stock de bois».

Par ailleurs, ainsi que le soulignent pertinemment les premiers juges, la lettre du commissaire aux comptes du 4 avril 2009, dont se prévaut l’appelante, est intervenue opportunément au moment où A X avait refusé une affectation en Nouvelle-Calédonie, où des congés lui étaient imposés et où il avait saisi un avocat pour défendre ses intérêts.

Enfin, il n’est pas contesté que la plainte adressée au mois d’avril 2009 au procureur de la république a été classée sans suite.

Dans ces conditions, le fait relatif à la vente de bois était connu de l’employeur plus de deux mois avant le 22 avril 2009, date de convocation à l’entretien préalable à un licenciement et il ne pouvait justifier des poursuites disciplinaires.

* sur la minoration des prix de revient et la majoration des marges :

A la lecture des pièces versées aux débats qui sont identiques à celles produites devant le tribunal du travail, il ressort que celui-ci a analysé de façon précise, sérieuse et exacte les faits de la cause et qu’ils leur ont appliqué les principes juridiques adéquats.

C’est donc par des motifs pertinents tant en fait qu’en droit et exempts d’insuffisance ou de contradiction, que la cour adopte purement et simplement, qu’il a estimé non établi le fait reproché à A X d’avoir sous-évalué le prix de revient des marchandises pour faire «apparaître une marge commerciale bien supérieure à la réalité» (plainte du 10 juin 2009) et percevoir des commissions sur marge injustifiées.

Ils ont notamment considéré que :

— «une pratique commerciale courante dans l’entreprise consiste à offrir la découpe au client, ce qui amène un surcoût de fabrication non revendu» ;

— «la base de calcul des prix de revient n’apparaît dans aucun document salarial contractuel, et n’a, moins encore, fait l’objet d’encadrement préalable par la directrice générale».

Enfin, il n’est pas contesté que la plainte adressée au mois de juin 2009 au procureur de la République et intéressant les prix de revient et les marges a été classée sans suite

* sur le défaut de respect des obligations contractuelles :

Les deux seules attestations particulièrement imprécises de C D et de Y Z ne sont pas susceptibles d’établir les fautes contractuelles nombreuses et de caractère particulièrement général reprochées par la SA POLYBOIS à A X, et ce d’autant que celui-ci a été jugé capable d’occuper un poste de responsabilité en Nouvelle-Calédonie et qu’il n’avait jamais fait l’objet d’une quelconque sanction.

Dans ces conditions, le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu’il a dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

Sur l’indemnisation du licenciement :

L’article 14-1 de la délibération n° 91-2 AT du 16 janvier 1991 dispose que lorsque le licenciement est prononcé en l’absence de motif réel et sérieux, il est octroyé «au salarié ayant douze mois d’ancienneté dans l’entreprise une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois précédant la rupture sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité» de licenciement.

Compte-tenu du salaire, de l’ancienneté et des circonstances du licenciement, la somme de 7'528'144 FCP allouée à A X par le tribunal du travail doit être confirmée.

Sur le caractère abusif du licenciement :

L’article 11 de la délibération n° 91-2 AT du 16 janvier 1991 dispose que : «la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée’ouvre droit à des dommages-intérêts, si elle est abusive».

Il appartient au salarié qui se prévaut d’un licenciement abusif d’établir l’existence d’un préjudice distinct de celui résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’un comportement fautif de l’employeur dans les circonstances entourant le licenciement.

En l’espèce, la rupture du contrat de travail est intervenue dans des conditions particulièrement éprouvantes pour A X.

En effet, l’employeur n’a pas hésité :

— le 10 mars 2009, à annoncer à l’ensemble du personnel le nom du remplaçant de A X, alors que celui-ci se trouvait en vacances et qu’il n’avait pas accepté de partir en Nouvelle-Calédonie ;

— le 23 mars 2009, à imposer à A X de prendre les congés payés acquis ;

— au mois d’avril 2009, à déposer plainte contre le salarié.

Le préjudice résultant de cette attitude vexatoire et humiliante a été équitablement indemnisé par le tribunal du travail qui a alloué à A X la somme de 1'000'000 FCP.

Sur la clause de non-concurrence :

Le versement d’une contrepartie financière à la clause de non-concurrence, qui est lié à une obligation mise à la charge du salarié après la rupture du contrat de travail, ne saurait intervenir avant cette rupture.

En l’espèce, l’article 13 du contrat du 27 février 2006 prévoit une contrepartie financière à la clause de non-concurrence payable pendant l’exécution de la prestation de travail.

La clause de non-concurrence doit donc être annulée et la SA POLYBOIS ne peut s’en prévaloir.

Si la présence d’une telle clause dans un contrat de travail cause nécessairement un préjudice au salarié, il n’en demeure pas moins que A X a retrouvé rapidement une activité en rapport avec le bois.

Le tribunal du travail a donc équitablement évalué à la somme de 500'000 FCP le montant du préjudice résultant de la nullité de la clause de non-concurrence.

Le jugement attaqué doit, en conséquence, être confirmé en toutes ses dispositions.

La partie qui succombe doit supporter les dépens.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière sociale et en dernier ressort ;

Déclare l’appel recevable ;

Confirme le jugement rendu le 25 juillet 2011 par le tribunal du travail de Papeete en toutes ses dispositions ;

Dit que la SA POLYBOIS supportera les dépens d’appel.

Prononcé à Papeete, le 16 février 2012.

Le Greffier, P. le Président empêché,

signé : M. G-H signé : C. TEHEIURA

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