Cour d'appel de Papeete, 25 septembre 2014, n° 12/00608

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Papeete, 25 sept. 2014, n° 12/00608
Juridiction : Cour d'appel de Papeete
Numéro(s) : 12/00608
Décision précédente : Tribunal de première instance de Papeete, 12 août 2012, N° 710;10/00936

Sur les parties

Texte intégral

N° 598

RLI


Copie exécutoire

délivrée à :

— Me Abgrall,

le 14.10.2014.

Copie authentique

délivrée à :

— Me Malgras,

le 14.10.2014.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D’APPEL DE PAPEETE

Chambre Civile

Audience du 25 septembre 2014

RG 12/00608 ;

Décision déférée à la Cour : jugement n° 710 rg 10/00936 du Tribunal civil de première instance de Papeete en date du 13 août 2012 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 26 octobre 2012 ;

Appelant :

Monsieur H Z, notaire, demeurant XXX, XXX

Représenté par Me Benoît MALGRAS, avocat au barreau de Papeete ;

Intimés :

Monsieur A Y, né le XXX à XXX, employé de XXX – XXX, XXX

Monsieur L, S Y, né le XXX à XXX, XXX ;

Représentés par Me Patrick ABGRALL, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 11 avril 2014 ;

Composition de la Cour :

La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 3 juillet 2014, devant M. BLASER, président de chambre, Mme X et Mme N-O, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme P-Q ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé publiquement ce jour par M. BLASER, président, en présence de Mme P-Q, greffier, lesquels ont signé la minute.

A R R E T,

LES FAITS ET LA PROCEDURE :

Pour une meilleure compréhension du litige soumis à la cour, il convient de rappeler les dispositions légales qui sont à l’origine de la présente procédure.

Les articles 921 et suivants du Code Civil traitent des droits des héritiers réservataires en cas de libéralité consentie de son vivant par leur auteur, lorsqu’ils estiment que leur réserve a été entamée.

L’ article 924 du Code Civil permet aux héritiers réservataires de solliciter la réduction d’ une libéralité qui excède la quotité disponible ; dans ce cas le gratifié doit indemniser les héritiers réservataires lésés.

Selon l’ article 924-4 du Code Civil, après discussion préalable des biens du débiteur de l’indemnité en réduction, et en cas d’insolvabilité de ce dernier, les héritiers réservataires peuvent exercer l’action en réduction ou revendication contre les tiers détenteurs des immeubles faisant partie des libéralités et aliénés par le gratifié. L’action est exercée de la même manière que contre les gratifiés eux-mêmes et suivant l’ordre des dates des aliénations, en commençant par la plus récente.

Si le gratifié est insolvable, l’héritier réservataire peut agir contre les tiers détenteurs des immeubles ayant fait l’objet de la libéralité, et aliénés par le gratifié.

Cependant, cet article contient, dans son alinéa 2, la disposition suivante :

Lorsque, au jour de la donation ou postérieurement, le donateur et tous les héritiers réservataires présomptifs ont consenti à l’aliénation du bien donné, aucun héritier réservataire’ne peut exercer l’action contre les tiers détenteurs.'

Il est fréquent que les notaires fassent signer aux héritiers présomptifs du vendeur une renonciation au droit qui leur est offert par ce texte afin de protéger l’acquéreur de toute action future en revendication.

En l’espèce :

D E épouse Y a trois fils, A, L et J Y.

En 1990 elle a fait donation à son fils J de la nue propriété d’ un immeuble qui lui appartenait en propre à MOOREA.

Courant 2007 D E épouse Y et J Y ont décidé de vendre cet immeuble, par les soins de Me Z.

Le notaire a demandé à A et L Y, en leur qualité d’héritiers réservataires présomptifs, d’intervenir à l’acte, en application du second alinéa de l’article 924-4 du Code Civil, afin de renoncer par avance à toute action en réduction contre l’acquéreur, afin de protéger celui-ci de toute action en réduction en nature sur le bien vendu.

Dans cette optique, le 27 avril 2007, Me Z a adressé à A et L Y une télécopie afin de leur demander de signer rapidement le document nécessaire; parallèlement, il leur adressait une autre télécopie (7 mai 2007), aux termes de laquelle il informait A et L Y que leurs parents lui avaient indiqué leur intention de partager la moitié du prix de vente revenant à D E épouse Y entre leurs trois enfants, de sorte que A et L Y recevraient, chacun, XXX.

A et L Y ont signé le document sollicité le 7 mai 2007, et la vente a eu lieu.

S’étonnant de ne pas recevoir ces fonds, A et L Y ont demandé des explications au notaire, qui a répondu que finalement leur mère avait décidé de ne pas leur donner une partie du prix de vente de sorte que l’intégralité de ce prix a été versé à D E épouse Y et à son fils F J Y.

La procédure :

A et L Y ont assigné Me Z devant le Tribunal de Première Instance afin de faire juger que le notaire avait commis une faute engageant sa responsabilité, en ne les informant pas de leurs droits sur l’ immeuble, sur les conséquences de leur renonciation, et en leur faisant la promesse d’une gratification afin d’obtenir leur consentement , et afin que leur soit allouée, à titre de dommages et intérêts, la somme promise par leur mère.

Me Z a contesté avoir commis une faute, rappelant qu’il n’avait aucun moyen de savoir que D E épouse Y ne donnerait pas suite au projet de partage, et encore moins de l’y contraindre ; il estime que A et L Y ont signé l’acte en toute connaissance de cause et qu’ils n’ont subi aucun préjudice.

Par jugement du 13 août 2012 le Tribunal de Première Instance de PAPEETE a condamné Me Z à payer à chacun des demandeurs, A et L Y, XXX de dommages et intérêts et 200 000 FCFP sur le fondement de l’article 407 du code de procédure civile de Polynésie française.

Pour statuer ainsi, le Tribunal a relevé que le notaire n’avait pas expliqué à A et L Y les conséquences de leur renonciation, et encore moins le fait que D E épouse Y n’avait pris l’engagement ferme de répartir le prix de vente.

Ainsi, pour le Tribunal, Me Z a entretenu une confusion qui a conduit A et L Y à signer cette renonciation en échange d’une partie du prix, de sorte que le notaire a manqué à son obligation de conseil.

Le Tribunal a estimé que le préjudice de A et L Y était égal à la somme espérée, puisque leur signature n’avait été accordée que sur la base de cette promesse, et que le notaire n’avait pas réparti les fonds reçus de l’acquéreur comme il l’avait faussement indiqué aux demandeurs.

Me Z a relevé appel de ce jugement.

LES MOYENS DES PARTIES DEVANT LA COUR :

Me Z maintient qu’il n’a commis aucune faute, et que A et L Y n’ont subi aucun préjudice.

Il sollicite la réformation du jugement déféré, le rejet des demandes de A et L Y et 500 000 FCFP de dommages et intérêts, outre 300 000 FCFP pour frais et honoraires non compris dans les dépens pour chacune des deux instances.

Il rappelle que l’intention de D E épouse Y et de son mari de partager le prix de vente n’a jamais été concrétisée et qu’elle ne concernait d’ ailleurs pas J Y.

Il ajoute qu’il n’avait aucun moyen de faire exécuter cette promesse verbale, d’autant que D E épouse Y a décidé de renoncer à cette gratification en raison même du comportement insultant de ses fils et du chantage qu’ils avaient exercé sur elle pour accepter de donner leur consentement.

Il estime que la procuration qu’il a fait signer à A et L Y était très claire sur leurs droits au regard de l’article 924-4 du Code Civil et qu’ils l’ont signée en toute connaissance de cause.

Par ailleurs il fait valoir que le préjudice allégué par A et L Y ne peut être du montant de la somme espérée, et que ce préjudice est purement hypothétique.

Subsidiairement il estime que le préjudice n’est en réalité qu’une perte de chance.

A et L Y sollicitent la confirmation du jugement déféré, et 300 000 FCFP supplémentaires pour frais et honoraires.

Ils affirment que le notaire s’est contenté de recopier le texte de l’article 924-4 du Code Civil sans leur expliquer sa portée et ses conséquences.

Ils indiquent que le notaire ne leur a rien dit de leurs droits en qualité d’héritiers réservataires, manquant ainsi à son devoir de conseil, et que c’est devant leur réticence à signer l’acte qu’il leur a fait part de l’intention de leur mère de partager sa part du prix de vente entre ses trois enfants.

Selon eux le notaire aurait dû demander l’accord écrit des vendeurs pour la répartition du prix ; en ne le faisant pas, il a permis à leurs mère de ne pas y donner suite et a ainsi manqué « aux devoirs de sa charge consistant à donner corps aux engagements de ses clients, déterminants du consentement donné par les concluants à la vente envisagée ».

Il aurait même dû, selon eux, les informer du caractère aléatoire de la promesse, de les aviser du revirement de leur mère pour leur permettre de former opposition au paiement, ou même séquestrer les fonds.

Ils en déduisent que Me Z a commis une faute lourde engageant sa responsabilité professionnelle.

MOTIFS DE L’ARRET :

La recevabilité de l’appel n’est pas discutée.

Sur l’existence d’une faute du notaire :

* sur l’obligation de conseil lors de la mise en 'uvre de l’article 924-4 du Code Civil :

Le fait de faire signer aux héritiers réservataires présomptifs une renonciation à tout recours contre l’acquéreur d’un bien ayant fait l’objet d’une donation ne constitue pas une faute, mais une faculté offerte par la loi.

Encore faut il que les héritiers sachent à quoi ils renoncent expressément.

L’acte dont la signature a été sollicitée était une procuration de chaque frère donnée au notaire, afin que celui-ci puisse :

— intervenir à la vente consentie par D E épouse Y et J Y '.

— exposer que les biens vendus ont fait l’objet d’une donation entre vifs par D E épouse Y à J Y, vendeur

En conséquence en sa qualité, comme monsieur F Y susnommé de présomptif héritier réservataire de madame D E épouse Y

Prendre connaissance dudit acte ;

Donner son consentement pur et simple à la vente projetée dans les termes de l’ article 924-4 deuxième alinéa du Code Civil , afin que l’ action en réduction ou revendication instituée par le premier alinéa du même article ne puisse être exercée contre l’acquéreur ou les tiers détenteurs des biens immobiliers vendus et que ceux-ci obtiennent la propriété incommutable desdits biens ; ceci à la condition expresse que l’ensemble des héritiers réservataires y aient renoncé. Aux effets ci-dessus, passer et signer tous actes, élire domicile, substituer et généralement faire le nécessaire'"

Le texte de la procuration a été adressée à A et L Y par télécopie du 27 avril 2007 ; le notaire ne peut pas sérieusement prétendre que les intéressés ont pu comprendre ce qui leur était demandé, tant la formulation de l’acte est incomplète et obscure, de sorte qu’il est vain de prétendre que A et L Y ont signé en toute connaissance de cause une renonciation à une partie de leurs droits.

L’article 924-4 est lui-même d’une lecture difficile surtout pour des non juristes. De plus seul le second alinéa de l’article figure dans l’acte, le notaire n’ayant pas jugé utile de leur faire connaître la teneur des textes précédents qui seuls permettent d’en comprendre la portée.

Me Z ne prétend pas avoir convoqué A et L Y et leur avoir expliqué les termes obscurs de ce texte et les conséquences de leur accord pour la vente et leur renonciation à tout recours contre le tiers détenteur de l’immeuble.

Il a ainsi manqué à son devoir d’information et de conseil comme l’a dit le premier juge.

*sur les manquements allégués s’agissant de l’offre de gratification de D E épouse Y :

Me Z a seulement fait part à A et L Y, par télécopie, d’une conversation qu’il avait eue avec D E épouse Y et son mari (qui n’avait pas de droit sur le bien vendu) indiquant leur intention de partager la moitié du prix (en fait la part de D E) entre ses trois fils.

Le notaire n’avait nullement l’obligation de faire matérialiser cette « intention » par un acte signé, dont il fait remarquer à juste titre que D E épouse Y aurait pu immédiatement le révoquer.

Il n’avait nullement le pouvoir d’exiger une telle signature, ni de refuser de verser le prix et encore moins de le séquestrer comme le suggèrent les deux frères.

A et L Y ne peuvent donc pas sérieusement soutenir que la faute du notaire les a privés du droit de prendre des mesures conservatoires ; en effet , A et L Y ne disposaient pas d’un principe de créance leur permettant de telles mesures.

Contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, Me Z n’a pas commis de faute en ne prévoyant « aucune convention entre les parties pour s’assurer que le prix serait bien réparti entre les trois frères ».

*sur le préjudice résultant des manquements au devoir de conseil :

Me Z, même s’il a seulement informé A et L Y du projet de donation de leur mère en leur faveur, aurait dû les prévenir du caractère précaire de la proposition de leur mère et même si une véritable donation avait été consentie, de son caractère révocable, comme le soutient Me Z.

A supposer même que A et L Y aient compris la portée de leur renonciation, et dans la mesure où ils ne pouvaient pas savoir que la promesse de leur mère n’était pas matérialisée par un acte notarié, il est manifeste, ainsi qu’ils le reconnaissent, que sans la certitude de recevoir une partie du prix ils auraient refusé de signer une renonciation à leurs droits.

En ne les avisant pas du caractère incertain de cette promesse, Me Z a encore manqué à son obligation de conseil et a causé à A et L Y un préjudice moral qui est constitué, non pas par la perte de la donation attendue, mais par l’espoir déçu de recevoir une somme importante .

Sur ce point le jugement déféré doit être réformé.

Ainsi qu’il a été dit ci-dessus, A et L Y n’ont pas été suffisamment informés des conséquences de leur renonciation aux droits qu’ils tenaient de l’article 924-4 du Code Civil.

Il convient de rappeler que lorsqu’un héritier réservataire est lésé, il peut se faire indemniser en obtenant la réduction des libéralités, en exerçant son droit à une indemnité « en valeur » d’abord sur l’ensemble des biens du donateur (article 922 et 923 du Code Civil) puis contre le gratifié, soit en l’espèce J Y et enfin, et seulement si le gratifié est insolvable, contre le tiers détenteur de l’immeuble.

L’article 924-4 du Code Civil est donc le dernier recours de l’héritier réservataire lésé.

En raison du manquement de Me Z à son obligation de conseil s’agissant de la mise en 'uvre de l’article 924-4 du Code Civil, A et L Y sont seulement privés de la faculté qui leur aurait été ouverte, après le décès de leur mère, de réclamer une indemnisation de leur préjudice à l’acquéreur de l’immeuble.

Il convient de rappeler ici que l’action que l’héritier réservataire lésé peut entreprendre contre l’acquéreur ou le tiers détenteur ne peut être mise en 'uvre que sous de nombreuses conditions ; c’est ainsi qu’elle ne peut être engagée :

— qu’après l’ouverture de la succession du donateur , soit en l’espèce dans de nombreuses années, D E épouse Y n’ étant âgée que de 66 ans au moment de la vente ;

— qu’après inventaire complet de l’ensemble de sa succession ;

— si la preuve est rapportée que les libéralités excèdent la quotité disponible ;

— si l’héritier lésé n’a pas de recours sur la succession elle-même ;

— si l’héritier lésé n’a plus de recours contre les bénéficiaires de la libéralité, ceux-ci étant insolvables.

Il s’ensuit que le préjudice qu’ont subi A et L Y résulte du fait qu’en raison de leur renonciation, ils ne pourront pas exercer de recours contre l’acquéreur une fois épuisées toutes les autres possibilités, dans la mesure où leur réserve serait entamée, ce qui à ce jour ne repose que sur des affirmations et ne pourra être vérifié qu’au décès de leur mère.

Ce préjudice est donc hypothétique et constitue pour A et L Y une simple perte de chance d’exercer dans le futur un recours tout aussi hypothétique, dans le cas où leur réserve aurait été entamée.

Cette perte de chance, ajoutée au préjudice moral justifie que la cour alloue à chacun d’entre eux 500 000 FCFP de dommages et intérêts toutes causes de préjudices confondues.

Sur les frais et honoraires :

Il convient d’allouer à A et L Y 200 000 FCFP au titre de l’article 407 du code de procédure civile de Polynésie française pour la procédure d’appel.

Les dépens sont à la charge de Me Z.

PAR MOTIFS, LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a dit que Me Z a commis une faute en manquant à son obligation de conseil et l’a condamné à réparer le préjudice de A et L Y et à leur payer 200 000 FCFP sur le fondement de l’article 407 du code de procédure civile de Polynésie française.

Le réformant sur le montant des dommages et intérêts ;

Condamne Me Z à payer à chaque intimé , A Y et L Y, 500 000 FCFP de dommages et intérêts toutes causes de préjudices confondues ;

Condamne Me Z à payer, ensemble, à A et L Y, 200 000 FCFP sur le fondement de l’article 407 du code de procédure civile de Polynésie française pour la procédure d’appel, en plus de la somme allouée en première instance ;

Condamne Me Z aux dépens.

Prononcé à Papeete, le 25 septembre 2014.

Le Greffier, Le Président,

signé : M. P-Q signé : R. BLASER

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