Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 5, 12 décembre 2013, n° 11/23212

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5

ARRÊT DU 12 DÉCEMBRE 2013

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 11/23212

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 octobre 2011 – Tribunal de Commerce de BOBIGNY – 1ère CHAMBRE – RG n° 2010F01096

APPELANTES

SAS SOCHAPE exerçant sous l’enseigne SOS CINTRES BOUCHET, représentée par son Président en exercice et tous représentants légaux, domiciliés audit siège en cette qualité

Ayant son siège social

[Adresse 1]

[Adresse 1]

SAS SOCIÉTÉ NATIONALE D’EXTRUSION ET D’INJECTION DES PLASTIQUES – SNEIP- représentée par son Président en exercice et tous représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

Ayant son siège social

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentées par Me Catherine BELFAYOL BROQUET de la SCP IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P42

Représentées par Me Corinne CHAMPAGNER KATZ, plaidant pour la SCP CCK Avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque C 1864

INTIMÉE

SARL FIORENSA

Ayant son siège social

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING – DURAND – LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Représentée par Me Philippe LEONARD, avocat au barreau de PARIS, toque E1526

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 03 octobre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente

Madame Valérie MICHEL-AMSELLEM, Conseillère chargée d’instruire l’affaire

Monsieur Olivier DOUVRELEUR, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Denise FINSAC

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY, Greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS ET PROCÉDURE

La société Sochape qui exerce, depuis 1981, une activité de création et de distribution de cintres et d’emballages sous l’enseigne « SOS Cintres » s’approvisionne principalement auprès de la société SNEIP, qui exerce une activité de fabrication de cintres depuis 1981.

Les sociétés Sochape et SNEIP sont présidées par M. [V], et emploient un total approximatif de 80 salariés en France pour réaliser un chiffre d’affaires d’environ 17 millions d’euros.

La société Fiorensa a été constituée le 6 octobre 2009, et immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny le 13 octobre 2009. Elle a pour activité le commerce de gros, l’importation, l’exportation et le négoce de tous produits manufacturés, notamment de cintres, et elle est cogérée par M. [N], ancien salarié de la société Sochape, dont il est devenu directeur commercial, puis associé après rachat de 10 % des parts de M. [V] en 2000.

M. [N] et les sociétés Sochape et SNEIP ont cessé leurs relations en février 2009.

Soutenant qu’elle était victime d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme de la part de la société Fiorensa, la société Sochape l’a fait assigner devant le tribunal de commerce de Bobigny. La société SNEIP est alors intervenue volontairement, en formulant les mêmes reproches à l’encontre de la société Fiorensa.

Par jugement en date du 25 octobre 2011, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Bobigny a :

— déclaré la SAS SNEIP recevable en son intervention volontaire ;

— débouté la SAS Sochape de l’ensemble de ses demandes ;

— débouté la SAS SNEIP de l’ensemble de ses demandes,

— débouté la SARL Fiorensa de sa demande de dommages et intérêts,

— condamné la SAS Sochape et la SAS SNEIP à payer in solidum à la SARL Fiorensa la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Vu l’appel interjeté le 28 décembre 2011 par les sociétés Sochape et SNEIP contre cette décision

Vu les dernières conclusions signifiées le 11 septembre 2013 par les sociétés Sochape et SNEIP, par lesquelles il est demandé à la cour de :

— infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Bobigny en date du 25 octobre 2011 ;

Et statuant à nouveau :

— dire et juger que la société Fiorensa a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Sochape :

' en reprenant et en imitant dans son catalogue les caractéristiques du catalogue de la société Sochape,

' en reproduisant dans son catalogue et ses bons de commande des photographies des cintres de la société Sochape,

' en présentant et commercialisant des cintres identiques aux cintres de la société Sochape,

' en reprenant, à l’identique ou de manière quasi identique, les références de la société Sochape afin de désigner des produits identiques ;

' en reprenant, à l’identique ou de manière quasi identique, les dimensions et le colisage des produits de la société Sochape pour désigner les produits identiques ;

— dire et juger que la société Fiorensa a commis des actes de parasitisme au préjudice de la société Sochape, en profitant des investissements réalisés par celle-ci, ainsi que de la notoriété de la présentation de ses produits ;

— dire et juger que la société Fiorensa a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la SNEIP, en commercialisant des cintres identiques aux cintres fabriqués par la SNEIP ;

— dire et juger que la société Fiorensa a commis des actes de parasitisme au préjudice de la société SNEIP, en profitant des investissements réalisés par celle-ci ;

— dire et juger que la société Fiorensa a délibérément cherché à créer une confusion dans l’esprit de la clientèle entre les entités et les produits des sociétés SNEIP, Sochape et Fiorensa, mettant la clientèle dans l’impossibilité de faire la différence entre les entités et les produits ;

— débouter la société Fiorensa de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

En conséquence,

— condamner la société Fiorensa à verser à la société Sochape la somme de 336 783,85 €, sauf à parfaire, en réparation du préjudice subi du fait des agissements déloyaux et parasitaires de la société Fiorensa.

— condamner la société Fiorensa à verser à la SNEIP la somme de 318 680,91 €, sauf à parfaire, en réparation du préjudice subi du fait des agissements déloyaux et parasitaires de la société Fiorensa.

En conséquence,

— faire interdiction à la société Fiorensa ainsi qu’à l’ensemble de leurs filiales, établissements secondaires, succursales, usines, sous-traitants, grossistes, détaillants, franchisés, et autres revendeurs, d’imprimer et de diffuser le catalogue litigieux, et ce, sous astreinte de 2 500 €, par infraction constatée et par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de la décision à intervenir, la Cour se réservant le droit de liquider l’astreinte directement ;

— ordonner à la société Fiorensa de rappeler l’ensemble des catalogues litigieux qui pourraient avoir été remis à des agents commerciaux ou des revendeurs ;

— ordonner la destruction de tous les exemplaires des catalogues litigieux et ce, tant au siège social de la société Fiorensa, qu’au sein de l’ensemble de ses filiales, établissements secondaires, succursales, usines, sous-traitants, grossistes, agents commerciaux, détaillants, franchisés et autres revendeurs, aux frais avancés par la société Fiorensa sur simple présentation de devis ;

— ordonner à la société Fiorensa de retirer et supprimer l’ensemble des contenus accessibles sur son site internet aux adresses et représentant les caractéristiques du catalogue de la société Sochape, en particuliers les pictogrammes, et les références des produits de la société Sochape, et ce sous astreinte de 2 500 € par infraction constatée et par jour de retard à compter de la date de signification de la décision à intervenir, la cour se réservant la liquidation de l’astreinte ;

— ordonner la publication de l’intégralité du dispositif de l’arrêt à intervenir, ainsi que d’extraits de la motivation de ce jugement au choix des appelantes :

' dans cinq journaux ou publications au choix des appelantes et aux frais avancés supportés par la société Fiorensa sur simple présentation des devis, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 10 000 € HT, soit la somme totale de 50 000 € HT.

' en français et en anglais, sur la partie immédiatement accessible de la page d’accueil du site accessible aux adresses et , ou à toute autre adresse qui pourrait leur être substituée, respectivement dans les parties française et anglaise dudit site, en caractères de taille 12, de couleur noire sur fond blanc, sur une surface égale à au moins 50% de la page d’accueil, dans la partie supérieure de celle-ci dans un encadré parfaitement visible comportant en titre l’intitulé 'Publication judiciaire', et ce pendant une durée de trois mois à compter de la signification du jugement à intervenir, dans un délai de 5 jours à compter de ladite signification, le tout sous astreinte de 2 000 € par infraction constatée et par jour de retard, la cour se réservant la liquidation de l’astreinte.

— condamner la société Fiorensa à verser à la société Sochape et à la SNEIP la somme de 15 000 € chacune, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en première instance et 15 000 € pour les frais exposés en cause d’appel ;

— condamner la société Fiorensa à rembourser les frais des opérations de constat sur requête engagés par la société Sochape, d’un montant de 1 000 € ; ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

À titre liminaire, les appelantes font valoir que la demande de la société Fiorensa relative à la prétendue nullité de l’assignation signifiée le 8 juillet 2010 est irrecevable.

Sur le fond, elles soutiennent que la société Fiorensa a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à leur encontre :

' S’agissant de Sochape :

Elles affirment qu’il existe un risque de confusion entre les produits et les entités économiques du fait de la société Fiorensa laquelle a repris les caractéristiques principales du catalogue de la société Sochape, a reproduit des photographies de ses cintres sur son catalogue et sur ses bons de commande, ainsi que les références de cette dernière, de même que le colisage et les dimensions de la société Sochape, et en commercialisant les mêmes cintres.

Elles soutiennent également que la société Fiorensa a profité des investissements de la société Sochape et de la notoriété de la présentation des produits.

' S’agissant de la société SNEIP :

Les appelantes exposent qu’il existe un risque de confusion résultant de la copie par la société Fiorensa des cintres fabriqués par la société SNEIP, et soutiennent que la société Fiorensa a profité des investissements de celle-ci en s’appropriant la valeur économique créée par cette dernière.

Vu les dernières conclusions signifiées le 3 juillet 2013 par la société Fiorensa, par lesquelles il est demandé à la cour de :

— constater la nullité de l’assignation de la société Sochape ;

En conséquence,

— débouter les sociétés Sochape et SNEIP de leurs demandes,

— condamner solidairement les sociétés Sochape et SNEIP à payer à la société Fiorensa la somme de 15 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,

Subsidiairement,

— confirmer le jugement en ce que celui-ci a déclaré les sociétés Sochape et SNEIP mal fondées en leurs demandes,

— infirmer le jugement en ce que celui-ci a débouté la société Fiorensa de sa demande en paiement de la somme de 100 000 € au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

— condamner solidairement les sociétés Sochape et SNEIP à payer à la société Fiorensa la somme de 100 000 € au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

— condamner solidairement les sociétés Sochape et SNEIP à payer à la société Fiorensa la somme de 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’intimée oppose que l’assignation du 8 juillet 2010 est nulle, dès lors qu’elle n’a pas été délivrée quinze jours au moins avant la date de l’audience, et que cette nullité peut être opposée en tout état de cause.

A titre subsidiaire, la société Fiorensa soutient que les demandes des appelantes sont mal fondées. Elle fait valoir qu’elle n’a commis aucune faute et que ses contradictrices ne rapportent pas la preuve de ce qu’elles affirment.

Elle ajoute que la comparaison des catalogues des sociétés Sochape et Fiorensa ne permet pas de constater une imitation de nature à entretenir une confusion entre ces entités. Elle précise à ce sujet que son catalogue est une création purement personnelle.

L’intimée fait enfin valoir que les préjudices revendiqués par les appelantes sont fantaisistes ou purement hypothétiques, et ne reposent sur aucun élément sérieux.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la validité de l’assignation

Il n’est pas contesté que l’assignation a été délivrée quatorze jours avant la date de l’audience du tribunal de commerce, alors que l’article 856 du code de procédure civile précise que le délai entre l’assignation et l’audience doit être au moins de quinze jours. Ce grief qui porte sur une irrégularité de fond peut être invoqué en tout état de cause. Mais seules affectent la validité d’un acte de procédure, indépendamment du grief qu’elles ont pu causer, les irrégularités de fond limitativement énumérées à l’article 117 du nouveau code de procédure civile.

Or, en l’espèce, la société Fiorensa ne démontre nullement que l’irrégularité de l’assignation, qui lui a été délivrée quatorze jours avant la date d’audience au lieu de quinze, lui ait causé un préjudice. La Cour relève sur ce point que si la première audience a eu lieu le 22 juillet 2010, il résulte du jugement que la société Fiorensa a signifié ses dernières conclusions le 3 février 2011, soit plus de six mois après cette audience et qu’elle a donc disposé du temps nécessaire pour préparer utilement sa défense, laquelle a d’ailleurs abouti à un rejet des prétentions des sociétés Sochape et SNEIP par le tribunal.

Sur le fond

Les sociétés Sochape et SNEIP font valoir que les actes de concurrence déloyale ont consisté en quatre comportements qui sont la reprise des caractéristiques principales du catalogue de la société Sochape, la reprise dans ce catalogue et les bons de commandes de photographies de cintres qu’elle commercialise, la reprise de ses propres références, la reprise du colisage et des dimensions offertes par elle et enfin la commercialisation des mêmes cintres.

Sur le catalogue

La comparaison des catalogues diffusés par les sociétés Sochape et Fiorensa permet de constater que celui de la société intimée reprend de nombreuses caractéristiques de celui de la société Fiorensa.

En effet, les pages de sommaire des deux catalogues sont élaborées sur un même modèle de mise en pages, les différentes catégories de produits étant présentées dans des bandes de couleurs dont plusieurs sont semblables ou approchantes et les caractères de même police étant imprimés en blanc. Les intitulés des rubriques et sous-rubriques sont, en outre, presque les mêmes (cintres classiques, cintres bois et métal, cintres luxe, cintres lingerie, pour la société Sochape – cintres classiques, cintres métal, cintres bois, cintres givrés, cintres lingeries, pour la société Fiorensa). Par ailleurs, figurent en bas de page du catalogue de la société Fiorensa des pictogrammes qui sont exactement les mêmes que ceux du catalogue de la société Sochape pour représenter l’épaisseur du cintre, la hauteur du crochet, la caractéristique de recyclabilité et la possibilité d’y ajouter un logo, ces pictogrammes sont, de plus, de la même façon, imprimés en blanc dans un rectangle de couleur, bleu pour la société Sochape, marron pour la société Fiorensa.

Dans les pages intérieures des catalogues, les cintres classiques sont présentés de façon identique, par une photo surmontée d’une bande jaune pâle à l’intérieur de laquelle sont inscrites les références, dans une police de caractère identique. Chaque modèle étant accompagné des quatre pictogrammes sus mentionnés. Les cintres lingeries sont identiquement présentés sur un fond rose pour la société Sochape et rouge pour la société Fiorensa, les références apparaissant de la même façon dans une bande colorée rose et accompagnées des mêmes pictogrammes. Les pages séparant les catégories de modèles sont de la même façon imprimées sur un fond coloré, l’énoncé du modèle apparaissant dans un rectangle noir en caractères blancs, dans une même typographie, et le rectangle étant accompagné d’arabesques. Enfin, dans les deux catalogues, la page 4 comporte une photo en plan rapproché de cintres translucides dans un ton de dominante rouge.

Cet ensemble de ressemblances donne aux deux catalogues une apparence de proximité indéniable, les différences que comporte celui de la société Fiorensa et soulignées par elle n’apparaissant que comme la déclinaison des particularités du catalogue de la société Sochape. Le fait que l’arabesque soit utilisée dans la figuration de certaines marques et que le pictogramme du caractère recyclable soit la reprise de celui communément utilisé pour cette expression ne sont pas de nature à induire que les ressemblances précitées seraient causées par la banalité des particularités reprises.

Enfin, les différents catalogues de produits concurrents, diffusés par les sociétés Faplast, Sahsan, Midi cintres, ou Plastinova, permettent de constater que ceux-ci ne sont jamais présentés de manière semblable à celle adoptée par la société Sochape et reprise par la société Fiorensa, ce qui démontre que les ressemblances ainsi relevées ne sont nullement le fruit d’une contrainte liée à la nature des produits concernés, ou une habitude adoptée par ce secteur économique.

Ces ressemblances multiples sont de nature à induire auprès du public, quand bien-même ne serait-il constitué que de professionnels, un risque de confusion entre les deux sociétés ou de méprise sur des liens éventuels existant entre elles, la réputation de la société Sochape bénéficiant ainsi à la société Fiorensa.

Outre la ressemblance formelle des catalogues, il résulte des pièces produites que le bon de commande de la société Fiorensa utilise parmi les photos de cintres présentés celle d’un des modèles de la société Sochape. Contrairement à ce que soutient la société Fiorensa, il est établi par un courrier électronique du 20 mai 2010, que ce bon de commande de la société Fiorensa a été transmis à la société Sochape par l’un de ses clients. Par ailleurs, il importe peu que l’inscription « SOS Cintres » n’apparaisse qu’en agrandissant la photo présentée à 2400 %, dès lors que cette utilisation d’une photo du produit vendu par sa concurrente pour vendre son propre produit constitue un acte déloyal tant vis-à-vis de cette concurrente que vis-à-vis de ses clients.

La comparaison des produits présentés sur les catalogues permet de constater que les cintres référencés B, BE, NAAD, G, S, CAPG , CAPM, AM, TR, CHARM et CHARM P, par la société Fiorensa sont exactement identiques à ceux commercialisés sous les mêmes références par la société Sochape. Il convient à cet égard de distinguer certaines références qui apparaissent communes à tous les fabricants ou distributeurs de cintres, de celles qui ne le sont pas. Ainsi les initiales A ou AM, AB, B, CAP (cintre à pince) et S ou S38 désignent des modèles similaires dans les catalogues des sociétés France Emball, HF emballages, Carton Flash, Sahsan. En revanche, les références BE, CAPG, CAPM ou CHARM ne sont utlisés que par la société Fiorensa. Ces reprises de références, alors qu’ainsi qu’il a été précédemment relevé, le catalogue de la société Fiorensa comporte de nombreuses similitudes de nature à entrainer un risque de confusion entre les produits offerts par les deux sociétés, ajoutent à ce risque et constituent un acte déloyal.

Enfin, si les catalogues produits aux débats permettent de constater qu’ainsi que le font observer les sociétés Sochape et SNEIP les dimensions et le colisage des cintres de la société Fiorensa sont semblables à ceux de la société Sochape, ces similitudes, qui ne sont pas contestées, portent néanmoins sur un élément accessoire et ne sauraient entraîner une confusion dans l’esprit du public.

Sur la commercialisation de cintres identiques

Ainsi que le soutiennent les sociétés Sochape et SNEIP, une entreprise qui commercialise un produit pour lequel elle ne détient pas de droit privatif peut engager une action en responsabilité pour concurrence déloyale contre un concurrent qui commercialiserait un produit identique ou semblable au sien. Cependant, une telle action ne saurait être fondée, si la mise en 'uvre d’un comportement déloyal de ce concurrent n’est pas démontrée. En effet, la mise sur le marché de produits semblables ou identiques à ceux qui y sont déjà proposés n’est, lorsque ceux-ci ne sont pas protégés par des droits de propriété, qu’une manifestation du libre jeu de la concurrence et n’est pas susceptible à elle seule de constituer un comportement prohibé.

En l’espèce, les sociétés Sochape et SNEIP reprochent à la société Fiorensa d’avoir commercialisé des cintres identiques à ceux vendus par elles sous les références PM 38, FBL 45 BE 41, AU 40, GV, et « pince-jupe ». Cependant, comme l’a relevé à juste titre le tribunal, il résulte des pièces produites que les modèles ainsi visés sont repris par de nombreux autres fabricants, telles les sociétés Mainetti, Erum et Langaplast et les photos produites par les sociétés Sochape et SNEIP ne permettent pas de constater les nombreuses différences qu’elles invoquent entre leurs produits et ceux de leurs concurrents.

Ainsi, le fait de vendre des modèles de cintres identiques ne peut être constitutif à lui seul d’un acte de concurrence déloyale au détriment des sociétés Sochape et SNEIP. En revanche, le fait de vendre des modèles identiques au moyen d’un catalogue qui, par ses similarités avec celui de la société Sochape, ne peut qu’induire un risque de confusion ou une méprise sur l’existence de liens entre les sociétés concernées, dans l’esprit du public, quand bien même serait-il constitué de professionnels, constitue un comportement constitutif de concurrence déloyale.

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la société Fiorensa par les actes relevés ci-dessus qui sont de nature à induire dans l’esprit du public une confusion entre les sociétés ou une méprise sur l’existence de liens économiques entre elles, s’est placée dans son sillage pour bénéficier, sans rien débourser, de sa réputation, qui n’est pas contestée, ainsi que de ses investissements, et a, de ce fait, commis une faute constitutive de concurrence déloyale par parasitisme.

Sur ce point, l’attestation produite par la société Fiorensa du salarié de la société Bruce qui indique avoir « organisé » la présentation et le graphisme du catalogue en s’inspirant de plusieurs catalogues « sans pour autant en référer à la société Fiorensa » qui ne serait pas intervenue dans sa conception ne saurait être invoquée par elle pour s’exonérer de sa responsabilité. En effet, quand bien même ces indications seraient-elles exactes, la société Fiorensa ne pouvait pas ignorer les multiples ressemblances des catalogues et il lui appartenait de faire modifier la maquette ou le projet qui lui a nécessairement été soumis.

Il convient, en conséquence, de réformer le jugement et dans la mesure où un préjudice commercial s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale, d’examiner l’étendue des préjudices invoqués par les sociétés Sochape et SNEIP.

Sur les préjudices

Le préjudice de la société Sochape

La société Sochape démontre avoir investi 41 860 euros pour la réalisation du catalogue 2008. Elle est bien fondée à demander à la société Fiorensa un montant équivalent à titre de réparation dès lors que, du fait de cette dernière, cet investissement a été réalisé en pure perte. En revanche, elle ne démontre pas avoir engagé des investissements pour la réalisation des cintres qu’elle commercialise et qu’elle acquiert auprès de la société SNEIP.

Elle démontre par ailleurs avoir connu une perte de chiffre d’affaires à concurrence de 292 825,73 euros entre 2009 et 2010. Cependant, la concurrence déloyale de la société Fiorensa ne saurait être la seule cause de cette perte, alors qu’il est démontré par celle-ci que le secteur textile a connu une baisse de 15% au cours de l’année 2009. Dans ces circonstances, il convient de fixer le préjudice subi à ce titre à la somme de 249 000 euros, qui résulte du calcule suivant [292 825,73 ' (292 825,73 X 15 %)].

En revanche, la société Fiorensa ne formule aucune demande relative au préjudice de dépréciation de son support publicitaire ou du préjudice moral qu’elle invoque, sans les démontrer. Elle ne justifie pas non plus avoir subi un préjudice relatif au temps passé par ses salariés pour faire valoir ses droits et qui ne serait pas indemnisé par la somme qui lui sera allouée ci-dessous en application de l’article 700 du code de procédure civile.

En conséquence, le préjudice subi est fixé à la somme de 290 860 euros (soit 41 860 + 249000).

Sur le préjudice de la société SNEIP

Les agissements ci-dessus relevés ont causé à la société SNEIP un préjudice d’amoindrissement du retour sur les investissements réalisés par elle pour les moules des cintres que la société Fiorensa a copiés et commercialisés, sous la même référence et grâce au catalogue sus-mentionné. Cependant, la société SNEIP ne saurait revendiquer le remboursement de la totalité du prix de ces moules, puisqu’il n’est pas contesté qu’elle a néanmoins vendu à la société Sochape des cintres réalisés grâce à ces moules. Elle n’explique pas la raison pour laquelle il conviendrait de distinguer entre les références pour lesquelles la société SNEIP soutient avoir été copiée et les autres, pour lesquelles elle évalue son préjudice à 5 % des investissements réalisés entre les années 2000 et 2009. Par ailleurs, ainsi que le fait observer la société Fiorensa, sans être contredite, les factures produites étant datées des années 2002 et 2003, les investissements ainsi réalisés étaient déjà amortis à la date où la société Fiorensa a copié les modèles.

En conséquence, et au regard des éléments comptables ainsi produits, il convient de fixer le préjudice commercial de la société SNEIP, dont les ventes ont nécessairement été amoindries du fait de la concurrence déloyale de la société Fiorensa, à la somme de 50 000 euros.

Enfin, de même que la société Sochape, la société SNEIP ne justifie pas avoir subi un préjudice relatif au temps passé par ses salariés pour faire valoir ses droits et qui ne serait pas indemnisé par la somme qui lui sera allouée dans les développements qui suivent en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur les mesures accessoires

Afin d’assurer l’efficacité économique de la présente décision, il convient d’enjoindre à la société Fiorensa de cesser toute diffusion du catalogue litigieux, sur quelque support que ce soit, y compris sur tout site internet sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé le délai de 48 heures suivant la signification du présent arrêt.

Compte tenu de la confusion entretenue par la société Fiorensa sur des liens de droit ou d’intérêt qu’elle aurait pu nouer avec les sociétés Sochape et SNEIP, il convient d’informer la clientèle de la concurrence déloyale qu’elle a mis en 'uvre à ce sujet. À cet effet, il sera enjoint à la société Fiorensa de publier le dispositif du présent arrêt, ainsi que d’extraits de la motivation que les sociétés Sochape et SNEIP pourront déterminer,

— dans deux journaux ou publications de leur choix aux frais avancés supportés par la société Fiorensa, sur présentation des devis justificatifs, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 7 000 euros, soit la somme totale de 14 000 euros;

— en français et en anglais, sur la partie immédiatement accessible de la page d’accueil du site accessible aux adresses et , ou à toute autre adresse qui pourrait leur être substituée, respectivement dans les parties française et anglaise dudit site, en caractères de taille 12, de couleur noire sur fond blanc, sur une surface égale à au moins 50 % de la page d’accueil, dans la partie supérieure de celle-ci dans un encadré parfaitement visible comportant en titre l’intitulé 'Publication judiciaire', et ce pendant une durée de deux mois à compter de la signification de l’arrêt dans un délai de 8 jours à compter de ladite signification, le tout sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard.

Il n’y a, par ailleurs, pas lieu pour la Cour de se réserver la liquidation des astreintes.

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Fiorensa

Au regard de ce qui précède, il est établi que la procédure engagée conte la société Fiorensa n’est pas abusive et sa demande de dommages-intérêts qu’elle présente à ce titre doit être rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés Sochape et SNEIP la totalité des frais irrépétibles engagés par elles pour faire valoir leurs droits et la société Fiorensa sera condamnée à leur verser, en application de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes globales de 10 000 euros pour les frais de l’instance d’appel et de 5 000 euros pour les frais de première instance. Elle sera aussi condamnée à leur rembourser la somme de 1 000 euros, exposée pour la réalisation du constat sur requête.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

REJETTE la demande de constater la nullité de l’assignation délivrée par la société Sochape ;

INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu’il a déclaré recevable l’intervention volontaire de la société SNEIP et débouté la société Fiorensa de sa demande de dommages-intérêts;

Statuant à nouveau,

DIT que la société Fiorensa a commis des actes de concurrence déloyale par parasitisme au préjudice des sociétés Sochape et SNEIP ;

CONDAMNE la société Fiorensa à payer à la société Sochape la somme de 290 860 euros à titre de dommages-intérêts ;

CONDAMNE la société Fiorensa à payer à la société SNEIP la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

ENJOINT à la société Fiorensa de cesser toute diffusion du catalogue litigieux, sur quelque support que ce soit, y compris sur tout site internet, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé le délai de 48 heures suivant la signification du présent arrêt.

ENJOINT à la société Fiorensa de publier le dispositif du présent arrêt, ainsi que d’extraits de la motivation que les sociétés Sochape et SNEIP pourront déterminer,

— dans deux journaux ou publications de leur choix aux frais avancés supportés par la société Fiorensa, sur présentation des devis justificatifs, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 7 000 euros, soit la somme totale de 14 000 euros;

— en français et en anglais, sur la partie immédiatement accessible de la page d’accueil du site accessible aux adresses et , ou à toute autre adresse qui pourrait leur être substituée, respectivement dans les parties française et anglaise dudit site, en caractères de taille 12, de couleur noire sur fond blanc, sur une surface égale à au moins 50 % de la page d’accueil, dans la partie supérieure de celle-ci dans un encadré parfaitement visible comportant en titre l’intitulé 'Publication judiciaire', et ce pendant une durée de deux mois à compter de la signification de l’arrêt dans un délai de 8 jours à compter de ladite signification, le tout sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard ;

REJETTE toutes les demandes de la société Fiorensa ;

CONDAMNE la société Fiorensa à verser aux sociétés Sochape et SNEIP, les sommes globales de 10 000 euros pour les frais de l’instance d’appel et de 5 000 euros pour les frais de première instance en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Fiorensa à verser aux sociétés Sochape et SNEIP la somme globale de 1 000 euros, exposée par elles pour la réalisation du constat sur requête.

REJETTE toute demande autre, plus ample, ou contraire des parties ;

CONDAMNE la société Fiorensa aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

E. DAMAREY C. PERRIN

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 5, 12 décembre 2013, n° 11/23212