Cour d'appel de Paris, Pôle 2 chambre 1, 6 mai 2015, n° 13/05638

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 2 ch. 1, 6 mai 2015, n° 13/05638
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 13/05638
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 5 février 2013, N° 11/10655
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 15 novembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 1

ARRÊT DU 06 MAI 2015

(n° 243 , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 13/05638

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Février 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 11/10655

APPELANTS

Monsieur [R] [L]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Ayant pour avocat plaidant Me Antoine GARNON, avocat au barreau de STRASBOURG

SCA ACOLYANCE Société coopérative agricole venant aux droits de la société COHESIS, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Ayant pour avocat plaidant Me Antoine GARNON, avocat au barreau de STRASBOURG

SAS COHESIS DISTRIBUTION Agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Ayant pour avocat plaidant Me Antoine GARNON, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIME

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT

[Adresse 3]

[Localité 3]

Représenté par Me Laurent GARRABOS de la SELAS BERNET CASTAGNET WANTZ ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0490

Ayant pour avocat plaidant Me SPINELLI Jérémy, avocat au barreau de Paris, P490

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 Mars 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jacques BICHARD, Président de chambre

Madame Sylvie MAUNAND, Conseillère (rapporteur)

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Elodie PEREIRA

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Elodie PEREIRA, greffier.

Entre le 30 novembre 1987 et le 7 mars 1988, la Coopérative agricole de l’arrondissement de Reims (CAAR) aux droits de laquelle vient la coopérative COHESIS a procédé à l’importation de pois protéagineux en provenance de Grande Bretagne et des Pays Bas pour une somme globale de 5.733 078 francs suivant 80 déclarations comme relevant de la position tarifaire 'autres que ceux destinés à l’ensemencement’ et bénéficiant à ce titre d’aides communautaires.

Estimant que les pois importés par la CAAR étaient en réalité destinés à l’ensemencement et à ce titre ne bénéficiaient pas d’aides communautaires, l’administration des douanes a fait citer, le 11 août 1994, M.[L] et divers autres prévenus devant le tribunal correctionnel de Reims pour fausse déclaration d’espèces à l’importation ayant pour but ou effet d’obtenir en tout ou partie un avantage, délit d’ 'importation sans déclaration de marchandises prohibées’ . La CAAR devenue la société COHESIS a été citée en qualité de civilement responsable.

Le 6 février 1996, le tribunal correctionnel de Reims a constaté la nullité de la procédure qui lui était soumise par la Direction générale des douanes au motif que ' l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 ne saurait s’appliquer à des poursuites engagées postérieurement au 1er janvier 1993", le tribunal estimant que cet article précise seulement que la loi ne fait pas obstacle à la poursuite des infractions c’est-à-dire au jugement des actions introduites avant le 1er janvier 1993.

Par arrêt du 5 mai 1999, la Cour d’appel de Reims a confirmé cette décision au motif que ' l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 laquelle a, entre autre, fait sortir du champ d’application du code des douanes, les importations et exportations de marchandises en provenance ou à destination des Etats membres de la communauté européenne en ce qu’il a prévu que les autres dispositions de celles ci ne faisaient pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures, n’a envisagé que l’hypothèse de poursuites en cours à la date de cette entrée en vigueur’ et que ' les dispositions de l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 ne peuvent utilement être invoquées au soutien de poursuites engagées plus de dix huit mois après l’entrée en vigueur de la loi dont s’agit'.

Suivant arrêt du 18 octobre 2000, la Cour de cassation a cassé l’arrêt déféré au motif que la date d’engagement des poursuites est sans incidence sur l’application de la loi du 17 juillet 1992.

Saisie sur renvoi, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 14 novembre 2001, a jugé que ladite loi était applicable au litige et a déclaré M.[L] coupable du délit réputé 'importation sans déclaration de marchandises prohibées’ et de la contravention douanière de fausse déclaration et l’a condamné solidairement avec la CAAR et les autres prévenus à une amende de 1.911.026 francs soit 291.334,03 euros et une somme d’égal montant pour tenir lieu de confiscation.

Le 5 février 2003, la Cour de cassation a cassé cet arrêt au motif que la parole n’avait pas été donnée en dernier au prévenu et à son avocat.

Par arrêt du 6 juillet 2006, la Cour d’appel de Paris a déclaré M.[L] coupable du délit d’importation sans déclaration de marchandises prohibées et de déclaration d’origine inexacte et l’a condamné solidairement avec les autres prévenus et la société COHESIS à une amende de 291.334,03 euros et une somme égale pour tenir lieu de confiscation.

Par arrêt du 19 septembre 2007, la Cour de cassation a rejeté les pourvois des prévenus au motif notamment que ' les demandeurs ne sauraient faire un grief de ce que l’arrêt n’a pas écarté, comme contraire au principe de l’application rétroactive de la peine plus légère, l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992, selon lequel les dispositions de cette loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures, dès lors qu’en l’espèce la modification apportée par la loi du 17 juillet 1992 n’a eu d’incidence que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l’octroi de l’aide aux pois protéagineux et de leur origine et non sur l’existence de l’infraction ou la gravité des sanctions. ' ;

M.[L] a saisi le Comité des droits de l’homme estimant que cette décision constituait une violation du paragraphe 1er de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Par constatations du 21 octobre 2010, le Comité a conclu que les faits qui lui étaient présentés faisaient apparaître une violation de l’article 15 et a préconisé que la France fournisse un recours utile et une indemnisation appropriée.

M.[L] et la société COHESIS ont fait assigner en responsabilité et indemnisation l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 6 février 2013, les a déboutés de leurs demandes et condamnés à payer chacun la somme de 500 euros à l’agent judiciaire de l’Etat.

M [L] et la société ACOLYANCE venant aux droits de la société COHESIS, appelants, par conclusions du 28 février 2014, demandent à la Cour de rétracter l’ordonnance du conseiller de la mise en état du 17 septembre 2013 et de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité développée par les écrits distincts et motivés du 28 mai et 30 août 2013, d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner l’agent judiciaire de l’Etat à payer à M.[L] la somme de 100.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation et une somme identique à la société ACOLYANCE à compter de la demande de restitution du 12 septembre 2008, de dire que les intérêts seront capitalisés, ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir et de condamner l’intimé à leur payer la somme de 25.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’agent judiciaire de l’Etat, par conclusions déposées le 28 octobre 2014, souhaite voir débouter les appelants de leur demande de rétractation de l’ordonnance du conseiller de la mise en état, confirmer la décision entreprise et condamner chacun des appelants à lui

verser la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le ministère public, par avis du 28 janvier 2014 régulièrement communiqué aux parties, conclut à la confirmation du jugement entrepris.

SUR CE, LA COUR

Sur la demande relative à l’ordonnance de mise en état et à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité :

Considérant que M [L] sollicite la rétractation de l’ordonnance du conseiller de la mise en état du 17 septembre 2013 ayant rejeté sa demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité qu’il a déposée;

Considérant que l’article 126-6 du code de procédure civile dispose que ' le refus de transmettre la question dessaisit la juridiction du moyen tiré de la question prioritaire de constitutionnalité. Toutefois, lorsque ce refus a été exclusivement motivé par la constatation que la disposition législative contestée n’était pas applicable au litige ou à la procédure en cause, la juridiction peut, si elle entend, à l’occasion de l’affaire faire application de cette disposition, rétracter ce refus et transmettre la question.' ;

Considérant que le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 110 de la loi n°92-667 du 17 juillet 1992 a été motivé par le fait que cette disposition n’était pas applicable au litige dès lors que la procédure n’avait pas pour objet de déterminer si M.[L] et la société ACOLYANCE s’étaient rendus coupables d’infractions douanières à la disposition précitée mais avait pour but de statuer sur une éventuelle responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire ;

Considérant que la disposition précitée n’a pas d’effet sur la solution du litige au regard de la responsabilité de l’Etat ;

Considérant dès lors que la cour n’entend pas rétracter l’ordonnance du conseiller de la mise en état ;

Sur la responsabilité de l’Etat :

Considérant qu’aux termes de l’article L 141-1 du Code de l’organisation judiciaire

' l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice.' ;

Considérant que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ;

Considérant que l’appelant estime que la Cour de cassation a commis une faute lourde en rendant l’arrêt du 19 septembre 2007, l’interprétation faite par celle-ci de l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 étant contraire au droit de l’Union européenne et à l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques;

* sur la violation du droit de l’Union européenne :

Considérant que l’agent judiciaire de l’Etat dénie toute possibilité à M [L] de prétendre que la Cour de cassation a méconnu le droit communautaire dès lors que sa critique porte sur le contenu même de la décision de cette dernière et tend à critiquer le bien-fondé de l’arrêt ;

Considérant toutefois que si l’autorité qui s’attache à la chose jugée s’oppose à la mise en jeu de la responsabilité dans les cas où la faute lourde résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette dernière serait devenue définitive, la responsabilité de l’Etat peut cependant être engagée dans le cas où ce contenu est entaché d’une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers;

Considérant qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que le principe selon lequel les Etats membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est également applicable lorsque la violation en cause découle d’une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi ;

Considérant que, dans ce cas, pour que la violation en cause découle d’une telle décision, le juge national compétent doit, en tenant compte de la spécificité de la fonction juridictionnelle, rechercher si cette violation présente un caractère manifeste ;

Considérant dès lors qu’il appartient à la présente juridiction d’examiner la décision de la Cour de cassation du 19 septembre 2007 au regard de ces prescriptions ;

Considérant que la discussion élevée devant la Cour de cassation a porté sur l’application de l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 qui prévoit que ' les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures’ ;

Considérant que l’article 111 de la loi crée un article 2 bis dans le code des douanes qui énonce que sans préjudice de dérogations particulières, le présent code ne s’applique pas:

— à l’entrée sur le territoire douanier de marchandises communautaires ;

— à la sortie du territoire douanier de marchandises communautaires à destination des autres Etats membres de la Communauté européenne.' ;

Considérant que, par ailleurs, l’article 112-1 du code pénal prescrit que 'seuls sont punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.' ;

Considérant que la discussion porte sur l’application de ces dispositions au litige dès lors que les pois importés par la CCAR de novembre 1987 à mars 1988 étaient en réalité destinés à l’ensemencement, catégorie qui ne bénéficiait pas de l’aide réservée aux pois non destinés à l’ensemencement et que l’administration des douanes a donc poursuivi M.[L] pour fausse déclaration d’espèce ayant pour but ou pour effet d’obtenir un avantage quelconque attaché à l’importation ;

Considérant que la prévention retenue à l’encontre de M.[L] visait expressément le délit d’importation sans déclaration de marchandises prohibées et la contravention douanière de 1ère classe de déclaration d’origine inexacte, infractions prévues et réprimées par les articles 410, 426-4, 435, 414, 399, 382, 404 à 407 du code des douanes, 750 du code de procédure pénale et les règlements CEE n°1431/82 et 2036/82 du conseil et 3540/85 de la commission ;

Considérant qu’il est soutenu par les appelants que l’incrimination ayant disparu, ils ne pouvaient plus être poursuivis par application du principe de rétroactivité in mitius que la Cour de cassation a refusé d’appliquer ;

Considérant que la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises à partir de 1996 que le principe de la rétroactivité in mitius ne s’appliquait pas à la loi du 17 juillet 1992 ; que, dans l’arrêt du 19 septembre 2007, elle s’est prononcée comme suit :

' les demandeurs ne sauraient faire un grief de ce que l’arrêt n’a pas écarté comme contraire au principe de l’application rétroactive de la peine plus légère, l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992, selon lequel les dispositions de cette loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures dès lors qu’en l’espèce, la modification apportée par la loi du 17 juillet 1992 n’a eu d’incidence que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l’octroi de l’aide aux pois oléagineux et de leur origine et non sur l’existence de l’infraction ou la gravité des sanctions.' ;

Considérant que le conseiller rapporteur a indiqué :

' Sur le fond, il convient de rappeler que, dans le but de mettre en oeuvre la directive CE 91/680 prescrivant la suppression des taxes et contrôles douaniers à compter du 1 er janvier 1993, l’article 111 de la loi du 17 juillet 1992 dispose que le code des douanes ne trouve plus à s’appliquer à l’entrée des marchandises communautaires. Cependant l’article 110 précise ' les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures’ C’est en vertu de ce texte que de nombreux arrêts ont approuvé des condamnations prononcées postérieurement au 1er janvier 1993 pour des importations ou exportations sans déclaration ou ont au contraire censuré des décisions de relaxe.

Le moyen soutient que l’article 110 qui constitue une dérogation au principe de l’application immédiate des lois pénales plus douces est contraire à l’article 112-1 du code pénal qui ne prévoit pas de dérogation, au droit communautaire et à l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Il convient de rappeler que la Cour de justice a, dans un arrêt du 3 mai 2005 jugé pour la première fois que le principe de 'l’application rétroactive de la peine plus légère’ constitue un principe général du droit communautaire. La formulation utilisée par la Cour pour énoncer ce principe est similaire à celle qui figure à l’article 15 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques . Or nous jugeons que cet article ne s’applique qu’aux peines et non aux incriminations. Cette jurisprudence a suscité la critique d’une partie de la doctrine qui fait valoir que le principe doit s’appliquer a fortiori où la loi ne se contente pas d’atténuer les sanctions mais fait disparaître l’incrimination. Dans l’arrêt Berlusconi, la Cour de justice a d’ailleurs énoncé le principe à l’occasion d’une affaire dans laquelle la modification ne concernait pas seulement les peines mais également les conditions d’engagement des poursuites ainsi que les règles de connexité et de prescription.

Dans le cas où la chambre estimerait que le principe énoncé tant par l’article 15 du Pacte que par la Cour de justice ne concerne pas seulement les hypothèses dans lesquelles la sanction est plus légère mais également celles dans lesquelles l’incrimination a disparu, elle devra se demander si cette hypothèse est celle de la présente affaire.

À cet égard, il faut souligner que l’article 31 paragraphe 1 du règlement 3540/85 de la Commission du 5 décembre 1985 destiné à mettre en oeuvre le règlement n°1431/82 précité prévoyant l’aide aux pois énonçait que ' les Etats membres instaurent un régime de contrôle douanier ou de contrôle administratif présentant des garanties équivalentes qui est appliqué dès la mise en libre pratique dans la Communauté des produits visés à l’article 1er du règlement (CEE) n°1431/82 ( parmi lesquels figurent les pois autres que les pois chiche) jusqu’à ce que ces produits aient atteint l’une des destinations suivantes :

— qu’ils aient été effectivement utilisés pour une des utilisations visées à l’article 9 sans bénéficier de l’aide,

— qu’ils aient été réexportés vers des pays tiers'.

Cependant le paragraphe 2 du même article disposait que :

' ne sont pas soumis au paragraphe visé au paragraphe 1 les produits qui ont été présentés en l’état dans des emballages neufs d’un contenu égal ou inférieur à 12,5 kilogrammes même en mélange avec d’autres graines.'

Dès lors qu’ils étaient conditionnés dans de tels emballages, les pois provenant d’autres Etats membres n’étaient donc soumis à aucun contrôle résultant de la réglementation communautaire. Or dans la présente affaire, l’arrêt constate que les produits étaient présentés dans des sacs de 12,5kgs. En revanche, le code des douanes dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juillet 1992 permettait un contrôle. La question se pose dès lors de savoir si le principe de rétroactivité in mitius s’applique à des dispositions qui régissent les contrôles et non la substance des infractions.

Par ailleurs, il convient de souligner que, selon l’article 65 A bis du code des douanes, 'au titre des dispositions dérogatoires de l’article 2bis, l’administration des douanes est habilitée à contrôler la quantité, la qualité des marquages, les emballages, la destination ou l’utilisation des marchandises ayant le statut national ou communautaire pour lesquelles un avantage quelconque est alloué par le fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA)est sollicité'. Or il résulte de la lecture du règlement n°1431/82 que l’aide aux pois relève de la politique agricole commune.

Cependant l’article 65ABis n’a été créé que par une loi du 10 février 1994 soit postérieurement aux faits. ';

Considérant qu’il résulte de ces énonciations que la Cour de cassation connaissait la décision de la Cour de justice de l’union européenne relative au principe de la rétroactivité in mitius ainsi que l’article 15 du pacte international relatif aux droits civils et politiques; qu’elle savait que la formulation de la Cour de justice était similaire à celle figurant à l’article 15 du pacte ; qu’elle n’ignorait pas que ses arrêts antérieurs n’étaient pas dans la ligne de cette jurisprudence et à ce texte et que sa position était critiquée par la doctrine ; qu’il était clairement indiqué par le rapporteur que dans cet arrêt, la cour n’avait pas seulement étendu le principe in mitius au cas où la modification portait sur la sanction plus légère mais aux conditions de l’engagement des poursuites, à la connexité et à la prescription ; qu’il s’ensuivait qu’elle avait une interprétation extensive de ce principe ;

Considérant que l’analyse faite par le rapporteur informait clairement la chambre de ce que si le litige se situait dans l’hypothèse où l’incrimination avait disparu, l’article 15 du pacte et le droit communautaire devaient s’appliquer ; que ne pas suivre la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne telle que posée dans l’arrêt Berlusconi reviendrait à violer le droit communautaire ;

Considérant que la Cour de Cassation a statué en disant que la loi du 17 juillet 1992 ne portait que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l’octroi de l’aide aux pois oléagineux laissant à penser que ce texte n’avait ni supprimé l’infraction ni eu d’effet sur les peines de sorte que le principe de rétroactivité in mitius n’avait pas à s’appliquer ;

Considérant pourtant qu’elle n’ignorait pas que l’article 111 de cette loi qui a inséré l’article 2 bis dans le code des douanes, disposait que ce code ne s’appliquait plus à l’entrée des marchandises communautaires ; qu’elle savait que le contrôle douanier institué par le règlement 3540/85 de la Commission et 1432/82 n’existait donc plus au jour de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 1992 et que le contrôle douanier prévu par la loi du 10 février 1994 qui a introduit l’article 65ABis dans le code des douanes n’est entré en vigueur qu’à cette date soit postérieurement aux faits, objets de la procédure, ainsi que l’a souligné le rapporteur ;

Considérant que même si l’élément matériel de l’infraction pouvait avoir subsisté, l’élément légal avait disparu à la suite de la loi du 17 juillet 1992 ;

Considérant que la Cour de cassation qui disposait de toutes les informations nécessaires à l’appréciation du litige et qui avait connaissance de ce que l’incrimination en cause avait été supprimée, a délibérément fait le choix de ne pas appliquer le principe communautaire en recourant à une motivation dont elle n’ignorait pas qu’elle n’était ni pertinente ni appropriée;

Considérant qu’il en résulte que cette violation manifeste de la règle de droit communautaire qui avait pour objet de conférer des droits aux particuliers par la Cour de cassation a causé un préjudice à M.[L] qui s’est vu condamné à une peine qui, si celle-ci n’avait pas existé, n’aurait pas été prononcée ; qu’un tel manquement de la part de la plus haute juridiction appelée à dire le droit est constitutive d’une faute lourde relevant de l’article L 141-1 du code de l’organisation judiciaire ;

* sur la violation de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques:

Considérant que le Comité des droits de l’homme a été établi en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; qu’en vertu de l’article 2 de ce pacte, les Etats qui y sont parties, s’engagent à :

— a) garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;

b) garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative ou toute autorité compétente selon la législation de l’Etat statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel;

c) garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu comme justifié ;

Considérant qu’en vertu de l’article 2 du protocole facultatif ratifié également par la France, ' tout particulier qui prétend être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé les recours internes disponibles peut présenter une communication écrite au Comité qui l’examine’ ;

Considérant que, dans ce cadre, M [L] a saisi le Comité sur le fondement de l’article 15 du pacte qui a rendu son avis ;

Considérant que l’article 15 dispose que : ' Nul ne sera condamné pour des actions ou des omissions qui ne constitueraient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera pas infligé une peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier.' ;

Considérant que les constatations du Comité sont les suivantes :

' S’agissant du grief tiré de l’article 15 paragraphe 1 du Pacte, le Comité note que selon la citation à prévenu fournie par l’auteur, les faits commis entre novembre 1987 et mars 1988 étaient constitutifs du délit d’importation sans déclaration de marchandises prohibées et d’une contravention douanière de 1ère classe, prévus et punis par les articles 410, 426-4, 435, 414, 399, 382, 404 à 407 du code des douanes, 750 du code de procédure pénale et les règlements CEE n°1431/82 et 2036/82 du conseil et 3540/85 de la Commission. Le Comité note, comme l’a soulevé l’auteur, que ces dispositions ne trouvent plus à s’appliquer depuis le 1er janvier 1993 soit la date d’entrée en vigueur du régime prévu par la loi du 17 juillet 1992. Il note en outre que les poursuites pénales contre l’auteur sur la base de ces infractions ont été engagées 18 mois après l’entrée en vigueur de ce régime, soit le 1er août 1994. Le Comité constate que ces données ne sont pas contestées par l’Etat partie. Il s’agit donc bien ici de la disparition d’une infraction et de ses peines puisque les actes reprochés par l’Etat partie ne constituent plus des actes délictueux depuis le 1er janvier 1993. La loi du 17 juillet 1992 vise donc bien un régime portant sur des infractions et les peines s’y rattachant et non sur de simples procédures de contrôle telles que l’a affirmé l’Etat partie.

S’agissant du champ d’application de l’article 15 paragraphe 1 du Pacte, le Comité considère qu’il ne saurait être interprété de manière restrictive ; que, si cette disposition vise le principe de rétroactivité d’une loi prévoyant une peine plus légère, elle doit être entendue comme visant a fortiori une loi prévoyant une suppression de peine pour un acte qui ne constitue plus une infraction. Il convient en outre de citer l’article 112-4 du code pénal français qui prévoit que la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus de caractère d’une infraction pénale.

Le Comité conclut que le principe de la rétroactivité de la peine plus légère, à savoir en l’espèce, l’absence de toute peine, trouve à s’appliquer en l’espèce ; que par conséquent l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 viole le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce de l’article 15 du Pacte .

Le Comité des Droits de l’Homme , agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l’article 15 paragraphe 1 du Pacte.

Conformément au paragraphe 3) de l’article 2 du pacte, l’Etat partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile y compris une indemnisation appropriée. L’Etat partie est, en outre, tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Etant donné qu’en adhérant au protocole facultatif, l’Etat partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir dans un délai de 180 jours , des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations.'

Considérant qu’il s’en déduit que la violation de l’article 15 a été dénoncée par le Comité des droits de l’homme ;

Considérant que l’article 1 du protocole facultatif des droits de l’homme dispose que 'tout Etat partie au pacte qui devient partie au présent protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner les communications des particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation par cet Etat partie de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte’ ;

Considérant que l’article 28 du pacte prévoit la composition du Comité sans mentionner qu’il s’agit d’une juridiction ;

Considérant qu’en l’état, nonobstant le fait que la Cour européenne ait parlé dans une de ces décisions de la jurisprudence du Comité, il ne peut être retenu que les constatations du Comité constituent une décision juridictionnelle ayant valeur contraignante pour les Etats auxquels elles sont adressées ;

Considérant que la présente Cour doit donc examiner si le service public de la justice a commis une faute lourde en ne respectant pas l’article 15 du Pacte ;

Considérant que les énonciations relatives à la violation du principe de droit communautaire développées précédemment sont transposables à celle de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; que la démonstration susvisée permet de retenir une violation de cet article par la Cour de cassation de nature à constituer une faute lourde telle que prévue à l’article L 141-1 du code de l’organisation judiciaire ;

Sur le préjudice :

* sur le préjudice subi par M.[L] :

Considérant que celui-ci a été l’objet d’une procédure pénale, ayant entraîné le prononcé de sept décisions successives ; que cela a abouti finalement à sa condamnation et subséquemment à l’inscription à son casier judiciaire de celle-ci alors qu’une telle condamnation n’aurait pas dû intervenir ;

Considérant qu’il a subi ensuite des procédures destinées à l’exécution de cette condamnation ;

Considérant que le préjudice moral en résultant est apprécié à la somme de 15.000 euros; que, s’agissant de dommages intérêts fixés par la présente cour, cette somme ne saurait donner lieu à l’octroi d’intérêts à compter de l’assignation et que la capitalisation n’est accordée que sous réserve que les conditions de l’article 1154 du code civil soient remplies;

* sur le préjudice de la société ACOLYANCE venant aux droits de la société COHESIS;

Considérant que cette société justifie qu’elle a dans le cadre de l’exécution de la décision de la Cour d’appel devenue définitive par l’effet du rejet du pourvoi en cassation, versé à l’administration des douanes, la somme de 100.000 euros ; que cette somme, eu égard à la condamnation qui a été prononcée, ne sera pas restituée à cette société dès lors que la condamnation n’est pas mise à néant ; qu’il convient donc de condamner l’agent judiciaire de l’Etat à verser la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice ainsi subi ; que s’agissant de dommages intérêts fixés par la présente décision, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande en paiement d’intérêts à compter de la demande de restitution ;

Considérant que la société COHESIS justifie qu’elle a dû assumer la charge des honoraires d’avocat dans le cadre des diverses instances pénales ; qu’il est produit des notes d’honoraires et des factures émanant des divers avocats à la procédure ; que seules peuvent être prises en compte, celles adressées à la coopérative agricole de Reims ou à la société COHESIS ; que celles relatives à ABC AGRO BRIE CHAMPAGNE sont écartées dès lors que cette société n’apparaît pas dans la procédure ; qu’au regard de ces éléments et après conversion des sommes versées en francs, la somme allouée de ce chef est de 167.089 euros;

Considérant que la société COHESIS a du fait de cette procédure, vu son fonctionnement affecté ce qui justifie l’allocation d’une somme de 2.000 euros en réparation du préjudice moral subi ;

Considérant que l’agent judiciaire de l’Etat est donc condamné à régler ces sommes à la société ACOLYANCE venant aux droits de la société COHESIS ;

Considérant que l’équité commande de faire droit à la demande de M.[L] et de la société ACOLYANCE sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; que l’intimé est condamné à leur verser la somme visée de ce chef au dispositif de la présente décision ;

Considérant que le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif, l’exécution provisoire de la présente décision n’a pas lieu d’être prononcée ;

Considérant que l’agent judiciaire de l’Etat, succombant, ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles et doit supporter les entiers dépens de l’instance ;

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande de rétractation de l’ordonnance du conseiller de la mise en état;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Dit que la Cour de cassation a commis une violation du droit communautaire et de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques constitutive d’une faute lourde au sens de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire ;

Condamne l’Agent judiciaire de l’Etat à payer :

— à M [L], la somme de 15.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

— à la société ACOLYANCE venant aux droits de la société COHESIS :

* 100.000 euros en réparation du préjudice résultant du défaut de restitution de la somme versée aux douanes en exécution de la décision définitive de condamnation;

* 167.089 euros au titre des honoraires d’avocat ;

* 2.000 euros au titre de son préjudice moral ;

— dit que ces sommes porteront intérêts à compter de la présente décision et que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l’article 1154 du code civil ;

Condamne l’Agent judiciaire de l’Etat à payer à M.[L] et à la société ACOLYANCE la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

Rejette toutes les autres demandes de M.[L] et de la société ACOLYANCE ;

Rejette la demande de l’Agent judiciaire de l’Etat au titre des frais irrépétibles ;

Condamne l’Agent judiciaire de l’Etat aux entiers dépens de l’instance.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel de Paris, Pôle 2 chambre 1, 6 mai 2015, n° 13/05638