Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 5, 12 février 2015, n° 13/05679

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 ch. 5, 12 févr. 2015, n° 13/05679
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 13/05679
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 28 février 2013, N° 2011083155
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 15 novembre 2022
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Texte intégral

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5

ARRET DU 12 FEVRIER 2015

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 13/05679 (absorbant 13/08229)

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Mars 2013 – Tribunal de Commerce de PARIS – 15ème chambre – RG n° 2011083155

APPELANTES

SA UNION FINANCIERE DE FRANCE BANQUE

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 2]

prise en la personne de son Président du Conseil d’Administration et Directeur Général domicilié en cette qualité audit siège

SAS UFIFRANCE PATRIMOINE

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 2]

prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège

Représentées par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Assistées de Me Eric PERES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0259

INTIMEES

SARL GROUPE VAILLANCE CONSEIL

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1]

prise en la personne de son Gérant domicilié en cette qualité audit siège

SARL VAILLANCE COURTAGE

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1]

prise en la personne de son Gérant domicilié en cette qualité audit siège

Représentées par et assistées de Me Kevin ZEGLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0626

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Novembre 2014, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président, et Monsieur Olivier DOUVRELEUR, Conseiller, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente de chambre

Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président

Monsieur Olivier DOUVRELEUR, Conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Bruno REITZER

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président, aux lieu et place de Madame Colette PERRIN, Présidente de chambre, empêchée, et par Monsieur Bruno REITZER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

Faits et procédure

Les sociétés Groupe Vaillance Conseil (ci-après société GVC) et Vaillance Courtage (ci-après société VC) sont des sociétés de courtage spécialisées, notamment, dans la distribution de contrats d’assurance vie par l’intermédiaire de mandataires indépendants avec lesquels elles signent des contrats de mandataires d’assurance.

En 2009 et 2010, plusieurs de leurs mandataires ont mis fin à leur mandat et ont été embauchés, en qualité de salarié, par la société Union Financière de France Banque (ci-après société UFF) et sa filiale Ufifrance Patrimoine (ci-après société UFI). Estimant que ces mandataires démarchaient leur clientèle, alors qu’ils étaient tenus par une clause de non démarchage durant les deux années suivant leur départ, les sociétés GVC et VC ont fait procéder, sur autorisation du président du tribunal de commerce, à un constat d’huissier dans les locaux de la société UFI, d’où il est ressorti que le ficher client d’un de ces mandataires comprenait les noms de 12 de leurs propres clients.

Par exploit du 22 novembre 2011, les sociétés GVC et VC ont assigné les sociétés UFF et UFI devant le tribunal de commerce de Paris en demandant leur condamnation pour concurrence déloyale.

Par jugement rendu le 1er mars 2013, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :

— débouté les sociétés GVC et VC de leur demande relative au débauchage ;

— condamné les sociétés UFF et UFI à payer in solidum les sociétés GVC et VC la somme de 45 000 € au titre de la complicité de concurrence déloyale ;

— ordonné l’anatocisme des intérêts à compter de la date de l’assignation soit le 22 novembre 2011 ;

— débouté les sociétés GVC et VC de leur demande d’expertise ;

— condamné les sociétés UFF et UFI à payer in solidum aux sociétés GVC et VC la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu l’appel interjeté par les sociétés UFF et UFI le 20 mars 2013 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par les sociétés UFF et UFI le 29 octobre 2014, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

I. ' Sur la concurrence déloyale :

A titre principal :

— confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a relevé l’absence de débauchage déloyal et l’absence de désorganisation des sociétés GVC et VC ;

— plus généralement constater l’absence d’actes de concurrence déloyale perpétrés par les sociétés UFF et UFI ;

— débouter les sociétés GVC et VC de toutes leurs demandes ;

A titre subsidiaire :

Si par extraordinaire la Cour venait à considérer que les sociétés UFF et UFI se sont rendues coupables d’actes de concurrence déloyale,

— débouter les sociétés GVC et VC :

'a/ de leur demande principale de condamnation au paiement des sommes suivantes :

'700 000 euros au titre des dommages-intérêts pour « commissions manquées en l’année 2010 » ;

'1 250 000 euros au titre des « commissions futures » ;

'b/ de leur demande subsidiaire de condamnation fondée sur le rapport de la société C.S.D. au paiement d’une somme de 816 713 € à titre de dommages-intérêts ;

'c/ de leur demande infiniment subsidiaire d’expertise destinée à évaluer leur préjudice et la perte de commissions actuelles et futures, la Cour n’ayant pas à pallier la carence des demanderesses dans l’administration de la preuve ;

— constater que les sociétés GVC et VC ne rapportent pas la preuve d’un quelconque préjudice certain au titre de la prétendue désorganisation de leur entreprise ;

— les débouter de leurs demandes de dommages-intérêts fixées à 200 000 € pour chacune ;

A titre très subsidiaire :

Si par extraordinaire, la Cour venait à nommer un expert, mettre les frais d’expertise à la charge des sociétés GVC et VC. ;

' Sur la complicité de concurrence déloyale :

A titre principal :

— réformer la décision entreprise en ce qu’elle a considéré que les sociétés UFF et UFI se sont rendues coupables de complicité de détournement de clientèle et les ont condamnées avec exécution provisoire au paiement d’une somme de 49 000 € à ce titre ;

A titre subsidiaire :

— réformer la décision entreprise en ce qu’elle a alloué une somme de 49 000 € à titre de complicité de concurrence déloyale en l’absence de toute preuve d’un quelconque préjudice ;

III. ' En tout état de cause :

— réformer la décision entreprise en ce qu’elle a alloué une somme de 50 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner in solidum les sociétés GVC et VC à verser à chacune des concluantes la somme de 10 000 € pour procédure abusive et celle de 20 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les appelantes exposent que la société UFF a été créée en 1971 et qu’elle a pour filiale la société UFI, créée en 1968, laquelle exerce l’activité de conseil en gestion de patrimoine à travers un réseau d’environ 800 salariés.

Elles contestent s’être livrées au « débauchage massif et déloyal » que leur reprochent les intimées. Elles indiquent avoir recruté, entre novembre 2009 et octobre 2010, sept anciens mandataires des sociétés GVC et VC, mais récusent toute déloyauté dans ces embauches. Elles rappellent que ces mandataires pouvaient mettre fin au mandat à leur convenance, et qu’ils n’étaient liés par aucune clause de non concurrence. Elles soulignent qu’on ne saurait leur reprocher d’avoir mis en place une « prime de cooptation » ' consistant à attribuer la somme de 1 000 euros à leur salarié présentant un candidat intégrant la société UFI -, cette méthode n’étant ni illicite, ni déloyale. Elles font valoir qu’en toute hypothèse, il n’est résulté du départ de ces mandataires aucune désorganisation des sociétés GVC et VC, lesquelles ne prouvent pas qu’elles se sont trouvées dans l’impossibilité de recruter d’autres mandataires.

Les appelantes contestent également le détournement de clientèle que leur reprochent les société GVC et VC et elles rappellent que le seul fait que des clients aient suivi dans une nouvelle société le mandataire avec lequel ils étaient en contact n’est pas en soi déloyal. Elles rappellent que deux des anciens mandataires qu’elles ont recrutés ont été assignés par les sociétés GVC et VC devant le tribunal de grande instance de Créteil pour avoir, notamment, démarché et détourné leur clientèle et que le tribunal a jugé que la preuve n’en était pas rapportée.

A titre subsidiaire, les appelantes contestent le montant des sommes qui leur sont réclamées par les intimées. Elles font valoir que les sept mandataires que la société UFI avait recrutés n’avaient qu’une très faible ancienneté au sein des sociétés GVC et VC, lesquelles ne recouraient à des mandataires que dans le cadre de contrats à durée déterminée de très courte durée. Elles demandent à la Cour de rejeter la demande d’expertise formée à titre subsidiaire par les sociétés intimées.

En ce qui concerne la demande subsidiaire des sociétés GVC et VC pour « complicité de concurrence déloyale », à laquelle le tribunal a fait droit, les société UFF et UFI soutiennent, d’une part, qu’il n’est pas établi que les mandataires aient violé la clause de non-démarchage contenue dans leur mandat et, d’autre part, qu’elles ont procédé aux recrutements en cause après s’être assurées que les intéressés étaient libres de toute clause de non concurrence.

Vu les dernières conclusions signifiées par les sociétés GVC et VC le 19 octobre 2014, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

— d’infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau de :

* dire et juger que les agissements des sociétés UFF et UFI sont constitutifs d’une concurrence déloyale ayant désorganisé les sociétés GVC et VC ;

A titre principal :

— condamner les sociétés UFF et UFI, in solidum, à payer à la société GVC la somme de 200 000 euros au titre du débauchage des mandataires et de la désorganisation provoquée ;

— condamner les sociétés UFF et UFI, in solidum, à payer à la société VC la somme de 200 000 euros au titre du débauchage des mandataires et de la désorganisation provoquée ;

— condamner les sociétés UFF et UFI, in solidum, à payer aux sociétés GVC et VC la somme de 2 350 000 euros au titre des pertes de commissions ;

Subsidiairement :

— retenir les montants avancés par le Cabinet CSD et condamner les sociétés UFF et UFI, in solidum, à payer aux sociétés GVC et VC la somme de 816 713 euros ;

A titre infiniment subsidiaire :

Si la Cour estime devoir nommer un expert judiciaire au titre de la fixation du préjudice :

— nommer tel expert judiciaire qu’il plaira à la Cour avec pour mission d’évaluer le préjudice subi par les sociétés GVC et VC au titre des pertes de commissions du fait des actes de concurrence déloyale des sociétés UFF et UFI et plus particulièrement :

'se faire communiquer des parties tout document, information ou pièce que l’expert jugera utile à l’accomplissement de sa mission ;

'procéder à toutes constatations ;

'répertorier l’ensemble des mandataires en relation commerciales avec les sociétés GVC et VC depuis 2007 jusqu’à la date du jugement ;

'procéder au chiffrage du chiffre d’affaires réalisé par Messieurs [F] [A], [W] [I], [C] [X], [P] [M], [R] [T], Madame [Z] [V] et Madame [H] [K] lorsqu’ils étaient liés avec les sociétés GVC et VC, pour chacune des années 2007, 2008, 2009, et 2010 ;

'procéder au chiffrage du chiffre d’affaires réalisé par les autres mandataires au titre des années 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011 ;

'donner tout élément d’appréciation à la Cour afin de permettre l’évaluation du chiffrage de la perte de commissions du fait du débauchage des mandataires par les sociétés UFF et UFI.

'dire que l’expert judiciaire devra rendre son rapport dans les quatre mois suivant sa nomination ;

'dire que l’ensemble des frais d’expertise seront pris en charge par les sociétés UFF et UFI ;

En tout état de cause :

— confirmer la condamnation des sociétés UFF et UFI, in solidum, paiement de la somme de 50 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— condamner les UFF et UFI à payer aux sociétés GVC et VC la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel ;

A supposer, par extraordinaire, que la Cour considère que les sociétés UFF et UFI n’ont pas commis de concurrence déloyale à l’égard des sociétés GVC et VC, il conviendra alors de les condamner, tout comme l’ont fait les premiers juges, sur le fondement de la complicité de détournement de clientèle ;

Dans cette hypothèse, il est demandé à la Cour de :

— condamner les sociétés UFF et UFI à payer aux sociétés GVC et VC la somme de 200 000 euros au titre de la complicité d’agissements déloyaux ;

— condamner les sociétés UFF et UFI, in solidum, à payer aux sociétés GVC et VC la somme de 50 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— dire et juger que toutes les condamnations prononcées porteront intérêts au taux d’intérêt légal, avec anatocisme, à compter de la date d’assignation.

Les intimées exposent que le montant des commissions versées par la société GVC à ses mandataires a brutalement chuté de 2009 à 2010, passant de 186 866 € à 14 131 €, traduisant ainsi un arrêt brutal de la production de nouveaux contrats. Elles rappellent que si leurs mandataires n’étaient pas soumis à une clause de non concurrence, il leur était contractuellement interdit, en cas de rupture, de démarcher ou de traiter pendant une durée de deux ans leur ancienne clientèle. Elles font valoir que d’octobre 2009 à octobre 2010, sept de leurs mandataires ont rompu brutalement et sans préavis leur mandat et ont immédiatement été embauchés en qualité de salariés par les sociétés UFF et UFI.

Elles soutiennent que les sociétés UFF et UFI se sont ainsi livrées à un débauchage déloyal, lié à la mise en place d’une prime de cooptation et aux sollicitations agressives dont les mandataires ont été l’objet. Elles font valoir que, de surcroît, ces sociétés ne pouvaient ignorer que les mandataires qu’elles ont recrutés étaient tenus par des clauses de non démarchage et que, par ailleurs, certains de ces mandataires ont détourné la clientèle avant même d’être embauchés par les sociétés UFF et UFI.

En ce qui concerne le préjudice qu’elles estiment avoir subi, les sociétés GVC et VC font valoir qu’il a consisté, d’une part, dans la désorganisation résultant du débauchage massif auquel se seraient livrées les sociétés UFF et UFI ' au titre duquel elles réclament, chacune, la somme de 200 000 euros – et, d’autre part, dans la perte de commissions qu’elles évaluent au montant de 2 350 000 euros. Subsidiairement, elles demandent à la Cour de retenir le chiffrage figurant dans le rapport qu’a établi à leur demande le cabinet CSD et très subsidiairement d’ordonner une expertise.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur le débauchage « massif et déloyal » reproché aux société UFF

Considérant qu’il n’est pas contesté que sept mandataires des sociétés GVC et VC ont, en 2009 et 2010, démissionné de leurs fonctions et ont été embauchés par la société UFI ; que ces mandataires n’étaient tenus par aucune clause de non concurrence et qu’il leur était donc loisible de rejoindre à leur convenance, en qualité de mandataire ou de salarié, un concurrent de leur ancien mandant ;

Considérant que les sociétés GVC et VC soutiennent que ces embauches ont un caractère déloyal en ce que les sociétés UFF et UFI avaient mis en place un système dit de « prime de cooptation » et que leurs mandataires avaient été l’objet de sollicitations agressives ;

Considérant, s’agissant de la « prime de cooptation », que les sociétés UFF et UFI indiquent que ce dispositif consiste à attribuer une prime de 1 000 euros à leurs salariés qui présenteraient un candidat intégrant la société UFI ; que les sociétés GVC et VC leur reprochent d’avoir ainsi mis en place "de manière insistante, un tel système afin de piller [leur] force de vente" ;

Mais considérant qu’il ressort du dossier que deux mandataires des sociétés GVC et VC ont été approchés par des salariés de la société UFI désireux de percevoir cette prime (attestations de MM. [M] et [O] ' pièces n° 16 et 17 produites par les intimées) ; que cette seule constatation ne suffit pas à établir que la « prime de cooptation » mise en place par les sociétés UFF et UFI avait constitué un procédé déloyal de débauchage ; qu’il n’en irait autrement que s’il était démontré que ce dispositif avait été spécialement voué au débauchage des mandataires des sociétés GVC et VC, mais que tel n’est pas le cas ;

Considérant, s’agissant des sollicitations agressives dont auraient été l’objet les mandataires des sociétés GVC et VC, que celles-ci affirment que les recruteurs des sociétés UFF et UFI ont fréquemment appelé leurs mandataires pour tenter de les débaucher, jusqu’à se livrer à du « harcèlement permanent » ; qu’à l’appui de cette allégation, elles produisent les attestations de M. [O], déjà cité, qui dit avoir rencontré en juin 2010 un collaborateur de la société UFI pour une proposition d’embauche (pièce n° 17) et de M. [Y] qui dit avoir reçu, le 25 janvier 2010, un appel téléphonique de ce même collaborateur (pièce n° 22) ;

Mais considérant que ces deux seules prises de contact ne sauraient être considérées comme constituant les manoeuvres déloyales de harcèlement que les sociétés GVC et VC reprochent aux sociétés UFF et UFI ; qu’au demeurant, ni M. [O] ni M. [Y] n’ont, après ces contacts, démissionné de leur mandat ; que s’agissant des sept mandataires recrutés en octobre 2009 et octobre 2010 par les sociétés UFF et UFI, les sociétés GVC et VC ne donnent aucune indication qui démontrerait que ce débauchage a été déloyal ;

Considérant qu’ainsi, les sociétés GVC et VC ne démontrent pas la réalité du débauchage déloyal qu’elles reprochent aux sociétés UFF et UFI ; que, de surcroît, si elles allèguent la baisse de leur chiffre d’affaires pour les années 2009 et 2010, elles n’apportent aucun argument ni élément de preuve établissant que les départs de sept de leurs mandataires ont entraîné, comme elles le prétendent, une désorganisation de leur entreprise et qu’elles auraient été dans l’impossibilité de suppléer à ces départs ;

Sur le détournement de clientèle

Considérant que les sociétés GVC et VC reprochent aux sociétés UFF et UFI d’avoir entrepris de détourner leur clientèle, malgré les clauses de non-démarchage figurant dans les contrats de leurs mandataires ; qu’elles font valoir que les sociétés UFF et UFI ne pouvaient ignorer l’existence de ces clauses de non-démarchage et qu’en toute hypothèse, il leur appartenait de s’assurer que les personnes qu’elles embauchaient étaient libres de tout engagement ; qu’elles soutiennent que leur clientèle a été détournée, dans certains cas, avant la résiliation des mandats et, dans d’autres cas, après cette résiliation ;

Sur les détournements de clientèle reprochés avant la résiliation de certains contrats de mandat

Considérant que les sociétés GVC et VC soutiennent que lorsque les sociétés UFF et UFI recrutaient l’un de leurs mandataires, elles demandaient à celui-ci de rester en place quelques mois afin de détourner la clientèle avant de résilier le mandat ; qu’elles prétendent que tel a été le cas lors du recrutement de M. [X] et de M. [T] ;

Considérant, s’agissant de M. [X], que les sociétés GVC et VC affirment que celui-ci, qui avait rompu son mandat le 11 septembre 2010, avait démarché des clients pour le compte de la société UFI avant même d’être embauché par elle le 13 septembre 2010 ; qu’elles produisent l’attestation d’un client, M. [D], qui indique avoir rencontré le 1er juin 2010 M. [X] qui lui aurait remis une carte de visite sur laquelle figurait la mention manuscrite de son adresse électronique au sein de la société UFI (pièce n° 54 produite par les intimés) ;

Mais considérant que ce même reproche a été formé contre M. [X] dans le cadre de l’action en responsabilité engagée contre lui par la société VC devant le tribunal de grande instance de Paris pour rupture fautive du mandat et déloyauté ; que par jugement du 25 avril 2013, le tribunal a débouté la société VC de ses demandes (pièce UFF n° 31) ; qu’il a constaté, notamment, que M. [X] soutenait que la mention manuscrite de son adresse électronique professionnelle ne figurait pas sur sa carte de visite lorsqu’il l’avait remise au client le 1er juin 2010, mais qu’il l’avait ajoutée ultérieurement, après son embauche par la société UFI, avec laquelle, au demeurant, les pourparlers en vue de cette embauche n’avaient commencé qu’à partir du 25 juillet 2010 ; que le tribunal a jugé que dans ces conditions « les éléments apportés par la société VC ne permettent pas d’établir un défaut de loyauté de M. [X]. De plus, la société VC n’apporte pas la preuve d’avoir subi une perte de clientèle (…) » ; que les sociétés GVC et VC n’apportent dans le cadre de la présente instance aucun élément nouveau qui pourrait conduire la Cour à apprécier différemment les faits qu’elles allèguent ;

Considérant, s’agissant de M. [R] [T], que les sociétés GVC et VC affirment que celui-ci, qui avait rompu son mandat le 4 novembre 2009, aurait été embauché par la société UFI à compter, non du 30 novembre 2009 comme celle-ci le prétend, mais dès le mois de septembre 2009 ; qu’elles s’appuient sur le curriculum vitae de M. [T] figurant sur le site « cadremploi.fr », dans lequel l’intéressé déclare avoir occupé les fonctions d’attaché en gestion de patrimoine à l’Union Financière de France de septembre 2009 à septembre 2010 (pièce n° 56 produite par les intimés) ;

Mais considérant que la société UFI soutient néanmoins n’avoir embauché M. [T] qu’à compter du 30 novembre 2009, sans que les sociétés GVC et VC n’apportent aucun élément propre à démontrer la fausseté de cette affirmation ; que si la mention sur le CV diffusé sur internet par M. [T], selon laquelle il aurait travaillé pour la société UFI à partir de septembre 2009, constitue dès lors une anomalie, dont on ne peut dire si elle résulte d’une inadvertance, on ne saurait, comme le font les sociétés GVC et VC, en déduire de ce seul fait que M. [T] « a selon toute vraisemblance » détourné leur clientèle au profit des sociétés UFF et UFI ;

Sur les détournements de clientèle reprochés après la résiliation de certains contrats de mandat

Considérant que les sociétés GVC et VC soutiennent qu’après avoir résilié leur mandat, M. [A] et Mme [V], dune part, et M. [I], d’autre part, ont détourné leur clientèle au profit des sociétés UFF et UFI ;

Sur les détournements de clientèle reprochés à M. [A] et Mme [V]

Considérant que les sociétés GVC et VC soutiennent que M. [A] et Mme [V] ont, dès la rupture de leur mandat, entrepris de détourner leur clientèle en violation de leur obligation de non-démarchage ; qu’elles s’appuient sur les attestations de deux de leurs clients et sur le fait qu’elles auraient enregistré, après le départ des intéressés, un taux « anormalement élevé » d’annulations ou réductions de contrats décidées par leurs clients ;

Considérant que ces mêmes reproches ont été formulés contre M. [A] et Mme [V] dans le cadre de l’action en responsabilité que la société VC a engagée contre eux devant le tribunal de grande instance de Créteil pour rupture fautive de leur mandat et violation de leur obligation de non-démarchage ; que par jugement du 24 octobre 2011 (pièce n° 15 produite par les sociétés UFF et UFI), le tribunal a débouté la société UFI de sa demande de ce chef, en jugeant que les attestations produites étaient dénuées de valeur probante et que le seul fait que des clients aient mis fin à leur contrat ne démontrait pas qu’ils aient pris cette décision à la suite d’un démarchage de M. [A] et Mme [V] ou sous leur influence ; que sur ce point, le jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 27 juin 2013 (pièce n° 32 produite par les sociétés UFF et UFI) ;

Considérant que les sociétés GVC et VC n’apportent dans le cadre de la présente instance aucun élément nouveau qui pourrait conduire la Cour à apprécier différemment les faits qu’elles allèguent ; qu’il convient, en particulier, de relever que l’auteur d’une des deux attestations indique que M. [A] et Mme [V] lui ont fait souscrire un contrat auprès de la société VC le 30 octobre 2009 (attestation de Mme [N] [L] ' pièce n° 2 produite par les sociétés GVC et VC) ; que comme l’a observé le tribunal, cette assertion est peu vraisemblable puisque les intéressés avaient quitté la société UFI le 21 octobre précédent ; que de surcroît, l’auteur de cette même attestation déclare que M. [A] et Mme [V] l’auraient contacté téléphoniquement le 16 décembre 2009 pour lui dire qu’ils exerceraient prochainement dans un autre cabinet et qu’ils lui proposeraient d’autres solutions patrimoniales ; qu’à supposer que ces propos aient été tenus, ils ne sauraient, comme l’a jugé la Cour, constituer un acte de démarchage ; que s’agissant de la deuxième attestation produite par les sociétés GVC et VC (attestation de Mme [S] – pièce n° 18), outre qu’elle n’est pas établie dans les formes légales, force est de constater qu’elle ne contient aucune information pertinente puisque son auteur dit avoir été démarché, à une date non précisée, par Mme [V] qui se serait faussement présentée comme agissant en qualité de mandataire de la société VC ;

Sur les détournements de clientèle reprochés à M. [I]

Considérant qu’il est constant que M. [I] a résilié le 6 mai 2010 les mandats qui le liaient aux société GVC et VC et qu’il a été embauché par la société UFI le 10 mai 2010 ;

Considérant que les sociétés GVC et VC produisent la copie d’un courrier (pièce n° 3) en date du 31 mai 2010 adressé par M. [I] à l’un des clients qu’il avait prospecté pour leur compte, M. [E] [G] ; que dans ce courrier, M. [I] fait part de son embauche par la société UFF dans les termes suivants : « Je tenais à vous adresser ce courrier afin de vous informer personnellement de mon évolution de carrière. En effet, depuis notre dernier contact, j’ai intégré, en tant que conseiller, l’Union Financière de France, première banque spécialisée dans le conseil en gestion de patrimoine et filiale du groupe Aviva ('). C’est pourquoi, je me permets de reprendre contact avec vous et vous rencontrerais volontiers pour vous présenter plus longuement mon métier, ma société (…) » ;

Considérant que les sociétés GVC et VC exposent qu’ayant eu connaissance de courrier, elles ont, sur autorisation donnée par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris, fait procéder à un constat d’huissier dans les locaux de la société UFF (pièce n° 7 produite par les sociétés GVC et VC) ; qu’il est ressorti de ce constat que le portefeuille de clients de M. [I] comportait 21 clients, dont 12 étaient aussi clients des sociétés GVC et VC ;

Considérant que les sociétés GVC et VC en concluent que le détournement de leur clientèle par M. [I] au profit des sociétés UFF et UFI a ainsi été « judiciairement constaté et démontré » ;

Mais considérant qu’il ne ressort pas du dossier que tel est le cas ; que si les constatations de l’huissier ont été faites sur autorisation judiciaire, les conséquences à en tirer sur le plan d’une éventuelle responsabilité de M. [I] et des sociétés appelantes n’ont, d’après les éléments fournis à la Cour, fait l’objet d’aucune décision de justice, contrairement à ce que prétendent les intimées ; qu’en revanche, il est établi qu’à la suite du constat d’huissier, les sociétés GVC et VC ont assigné M. [I] devant le tribunal de grande instance de Paris en réclamant sa condamnation au paiement de la somme de 100 000 euros pour avoir détourné sa clientèle ; que si les sociétés UFF et UFI ont versé aux débats une copie de cette assignation (pièce n° 12), les sociétés GVC et VC n’évoquent pas cette action dans leurs écritures et ne fournissent donc à la Cour aucune indication sur les suites qui ont été donnée à l’assignation qu’elles ont délivrée ;

Considérant qu’il convient donc de déterminer si les éléments fournis à la Cour établissent le détournement de clientèle reproché aux sociétés UFF et UFI ; qu’à cet égard, il convient de constater que la seule présence dans le fichier clients de M. [I] de 12 anciens clients des sociétés GVC et VC ne suffit pas à démontrer que ceux-ci ont été démarchés par l’intéressé ; que celui-ci n’étant pas dans la cause, aucune explication n’a été fournie quant aux circonstances dans lesquelles ces personnes ont figuré dans ce fichier ; que les sociétés UFF et UFI soutiennent, sans être contredites par les sociétés GVC et VC, qu’aucun transfert de contrat n’a été opéré et que ces 11 personnes sont restées clients des sociétés GVC et VC ; que M. [G], destinataire du courrier produit par les sociétés, s’il a « mis en réduction » le contrat qu’il avait souscrit par l’intermédiaire de la société GVC, est resté client de celle-ci ; que dès lors, si à l’évidence des incertitudes demeurent sur les circonstances dans lesquelles des clients des sociétés GVC et VC ont figuré dans le fichier tenu par M. [I], les seuls éléments portés à la connaissance de la Cour n’établissent pas que les sociétés UFF et UFI auraient fautivement détourné la clientèle précédemment apportée aux sociétés GVC et VC par M. [I] en sa qualité de mandataire ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces constatations que les sociétés GVC et VC n’établissent pas que les sociétés UFF et UFI auraient fautivement détourné leur clientèle ;

Sur la demande subsidiaire de condamnation pour complicité de détournement de clientèle

Considérant qu’à titre subsidiaire, les sociétés GVC et VC soutiennent que les sociétés UFF et UFI se sont rendues complices des agissements déloyaux des salariés qu’elles ont recrutés et demandent leur condamnation « sur le fondement de la complicité de détournement de clientèle » ;

Mais considérant que la Cour a jugé que les agissements reprochés aux anciens mandataires mis en cause par les sociétés GVC et VC n’étaient pas établis, pas plus qu’il n’était établi que les sociétés UFF et UFI se seraient livrées à des actes de constitutifs de concurrence déloyale ; que les sociétés GVC et VC seront donc déboutées de leur demande, faute de démontrer que les sociétés UFF et UFI auraient commis une faute à leur égard ; que le jugement sera en conséquence infirmé dans toutes ses dispositions, y compris dans celles relatives à la condamnation des sociétés UFF et UFI au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Sur la demande de condamnation pour procédure abusive

Considérant que si les sociétés GVC et VC se sont méprises sur l’étendue de ses droits et qu’elle succombe en cause d’appel, il ne résulte pas du dossier qu’elle aurait agi abusivement contre les sociétés UFF et UFI, leurs demandes ayant, de surcroît, été partiellement accueillies en première instance ; qu’en conséquence, la demande de condamnation pour procédure abusive formée contre elles par les sociétés UFF et UFI sera rejetée ;

Sur les frais irrépétibles

Considérant qu’au de l’ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés UFF et UFI la totalité des frais irrépétibles qu’elles ont engagés et les sociétés GVC et VC seront condamnées in solidum à leur verser la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME le jugement déféré dans toutes ses dispositions, y compris en ce qu’il a condamné in solidum les sociétés Union Financière de France Banque et Ufifrance Patrimoine à payer aux sociétés Groupe Vaillance Conseil et Vaillance Courtage la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

DEBOUTE les sociétés Groupe Vaillance Conseil et Vaillance Courtage de leur demande de condamnation des sociétés Union Financière de France Banque et Ufifrance Patrimoine pour concurrence déloyale par débauchage de leurs mandataires et détournement de leur clientèle ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Vaillance Conseil et Vaillance Courtage à payer aux sociétés Union Financière de France Banque et Ufifrance Patrimoine somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;

CONDAMNE les sociétés Vaillance Conseil et Vaillance Courtage dépens de première instance et d’appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le GreffierLe Président,

pour La Présidente de chambre empêchée

B. REITZERP. BIROLLEAU

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 5, 12 février 2015, n° 13/05679