Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 2, 2 décembre 2016, n° 16/04867

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRET DU 02 DECEMBRE 2016

(n°213, 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 16/04867

Décision déférée à la Cour : jugement du 14 janvier 2016 – Tribunal de grande instance de PARIS – 3e chambre 4e section – RG n°15/12850

APPELANT

M. A H dit A X

Né le XXX à XXX

De nationalité française

Exerçant la profession d’architecte

XXX

Représenté par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque L 0056

Assisté de Me Steeve MONTAGNE plaidant pour la SCP ALAIN LEVY, avocat au barreau de PARIS, toque P 126

INTIMEE

S.A.S. FRANCE PIERRE 2

XXX

XXX

94190 VILLENEUVE-SAINT-GEORGES

Immatriculée au rcs de Créteil sous le XXX

Représentée par Me Carole LAPORTE, avocat au barreau de PARIS, toque A 0986

Assistée de Me Jean COURRECH plaidant pour la SCP COURRECH & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR : Après rapport oral, l’affaire a été débattue le 19 octobre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Colette PERRIN, Présidente

Mme Y Z, Conseillère

Mme C D, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Colette PERRIN, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

Vu les articles 455 et 954 du code de procédure civile,

Vu le jugement contradictoire rendu le 14 janvier 2016 par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l’appel interjeté le 23 février 2016 par monsieur A H dit A X,

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 septembre 2016 par lesquelles monsieur A X demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 janvier 2016, d’interdire à la société France Pierre 2 et à ses éventuels commettants la démolition du bâtiment de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Essonne sis 32, avenue de la Concorde à Vigneux-sur-Seine (91270), et de condamner la société France Pierre 2 à lui verser la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d’appel et de première instance, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2016 par lesquelles la société France Pierre 2 demande à la cour de débouter monsieur X de l’ensemble de ses demandes, et de condamner ce dernier au paiement d’une somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil,

Vu l’ordonnance de clôture du 29 septembre 2016 ;

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement dont appel et aux dernières écritures des parties ;

Considérant qu’il suffit de rappeler que monsieur A X est architecte urbaniste et qu’il a notamment conçu et réalisé l’ensemble dit des 'Briques Rouges’ situé dans le quartier de la Pate d’Oie à Vigneux-sur-Seine (91), lequel a été édifié entre 1963 et 1967 ; Qu’il est également l’architecte d’un centre de sécurité sociale pour la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de l’Essonne édifié en 1971 à Vigneux-sur-Seine, immeuble sur lequel une fresque murale en céramique, réalisée par l’artiste A F est scellée à l’extérieur ;

Que la CPAM, qui souhaiterait quitter lesdits locaux les a promis à la vente à la société de droit privé France Pierre 2 qui s’est portée également acquéreur de la parcelle voisine appartenant à la commune de Vigneux-sur-Seine ;

Que le 18 juin 2015, un permis de démolir et de construire sur les deux parcelles, a été délivré à la société France Pierre 2 afin de réaliser un immeuble R+6 comprenant 172 logements, et 5 surfaces de commerce pour une surface totale de 9872 m2 ;

Que par ordonnance du 8 septembre 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a renvoyé les parties devant le juge du fond et, en tant que de besoin et jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue, a enjoint à la société France Pierre 2 de ne pas procéder à la démolition de l’immeuble de la CPAM construit par monsieur A X ;

Considérant que le jugement dont appel a débouté Monsieur X de ses demandes et l’a condamné à verser à la société France Pierre 2 la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

Considérant que monsieur X, qui indique à titre liminaire, d’une part, qu’il a été acté par le juge des référés que la société France Pierre 2 ne contestait plus le caractère original de son oeuvre et donc sa qualité d’auteur (sic) et d’autre part, qu’il n’entendait en aucun cas prétendre à l’intangibilité absolue de son oeuvre, conteste la décision des premiers juges en faisant valoir en substance que le bâtiment de la CPAM fait partie de l’ensemble dit des 'Briques Rouges’ qui a reçu le label Patrimoine du 20e siècle en 2008 même si les caractéristiques architecturales des immeubles et du bâtiment en cause différent ; que le bâtiment est aussi classé à l’inventaire général du patrimoine depuis 2012 et présente une originalité incontestable, d’autant qu’il se distingue par une fresque murale en céramique de l’artiste japonais A F décédé en 1982, et qu’il s’agit donc d’une oeuvre unique qui présente un intérêt architectural et historique , attesté par sa propre renommée, qu’il convient de préserver ; que la démolition envisagée, qui s’inscrit dans le cadre d 'une opération spéculative privée, n’est justifiée par aucun intérêt légitime et constitue au contraire une atteinte disproportionnée au droit moral qu’il détient sur son oeuvre alors que le bâtiment pourrait être adapté dans le cadre du projet de construction de la société France Pierre 2 par une solution alternative qu’il propose ;

Que la société France Pierre 2 réplique, également en substance, qu’aucun intérêt collectif n’interdit la démolition du bâtiment en cause, le bâtiment de la CPAM n’appartenant pas à l’ensemble des 'Briques rouges’ et n’étant pas classé monument historique, ni inscrit, de sorte qu’il ne bénéficie donc pas de protection au titre du patrimoine culturel ; que l’opération de démolition envisagée poursuit un but légitime, le bâtiment étant vétuste, inadapté et non adaptable alors que l’opération de construction envisage la création de 172 logements d’habitation et de locaux commerciaux ; que la demande d’interdiction sollicitée par monsieur X conduirait en conséquence à restreindre de manière injustifiée son droit de propriété;

Considérant ceci exposé, qu’il n’est pas contesté que l’immeuble litigieux, situé XXX dans le quartier de la Pate d’Oie à Vigneux-sur-Seine (91) est une oeuvre de l’esprit conçue par monsieur A X en qualité d’architecte, pas plus que l’intimée ne conteste devant la cour le caractère original de l’oeuvre réalisée par monsieur X au sens du droit d’auteur tel que défini par le code de la propriété intellectuelle et la jurisprudence applicable en la matière;

Considérant qu’il n’est pas davantage contesté que la mairie de Vigneux-sur-Seine a délivré à la société France Pierre 2, le 18 juin 2015, un permis de construire 172 logements et 5 surfaces commerciales sur les parcelles AR 240 et AR 241 et que cette dernière accueille le bâtiment dont monsieur X est l’auteur, ni que ce permis de construire vaut permis de démolir ;

Considérant que la vocation utilitaire d’un bâtiment conçu par un architecte interdit à celui-ci de prétendre imposer une intangibilité absolue de son oeuvre, à laquelle son propriétaire ou acquéreur est en droit d’apporter des modifications lorsque se révèle la nécessité de l’adapter à des besoins nouveaux ; qu’il importe néanmoins, pour préserver l’équilibre entre les prérogatives de l’auteur et celles du propriétaire ou du futur acquéreur, que ces modifications n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire et ne soient pas disproportionnées au but poursuivi ;

Considérant que la démolition doit ainsi intervenir dans un délai suffisant pour que le public ait eu le temps de découvrir l’oeuvre et que la décision de démolir doit être justifiée par un intérêt légitime et ne pas s’apparenter à un abus du droit de propriété ;

Considérant en l’espèce, qu’il résulte des pièces versées aux débats que le quartier des 'Briques Rouges de Vigneux sur Seine également conçu par monsieur X, constitue un ensemble de bâtiments collectifs à usage d’habitation édifiés entre 1963 et 1967, notamment en briques et meulières, comprenant de quatre à neuf étages ; que le bâtiment litigieux, de forme rectangulaire et blanche, a été édifié en 1971 en béton, et comprend un rez-de- chaussée sur sous-sol ; que la cour constate au vu de la pièce n°20 produite par l’intimée et constituée d’une vue aérienne, que le bâtiment à démolir est situé, certes dans le même quartier mais dans un îlot distinct de l’ensemble des 'Briques Rouges 'proprement dit ; que c’est donc à juste titre que le tribunal a considéré que le label Patrimoine du 20e siècle, qui au demeurant est sans incidence juridique, vise les 'Briques Rouges’ à Vigneux sur Seine mais non pas l’immeuble de la CPAM objet du présent litige, ce qui n’est nullement contredit par les pièces produites par l’appelant ;

Considérant, par ailleurs, que le référencement du bâtiment à l’Inventaire général du patrimoine culturel de Vigneux sur Seine n’est pas plus de nature à empêcher la démolition de l’oeuvre concernée ; qu’enfin, monsieur X n’a pas qualité pour défendre l’intégrité de la fresque murale en céramique scellée sur l’extérieur du bâtiment, et réalisée par un tiers ;

Considérant qu’il a été dit que l’immeuble litigieux, destiné à la CPAM de l’Essonne, a été édifié en 1971 de sorte que la démolition envisagée intervient dans un délai suffisant après sa construction pour que le public ait pu accéder à l’oeuvre ; qu’il suffit par ailleurs de constater, sans entrer dans l’argumentation précise des parties sur la nature spéculativeou non de l’opération de rénovation urbaine envisagée, que la démolition du bâtiment doit intervenir dans le cadre d’une opération d’aménagement du quartier de la Croix Blanche pour laquelle la mairie de Vigneux sur Seine a autorisé la cession du terrain d’assiette du projet à la société France Pierre 2 et que, selon promesse de vente en date du 29 mai 2013, la CPAM s’est engagée à vendre l’immeuble situé sur un terrain voisin à la même société France Pierre 2 ;

Considérant que le projet prévoit la création de 172 logements d’habitation et de locaux commerciaux, l’offre de logement ne permettant plus, selon la dernière convention signée entre l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) et notamment la commune de Vigneux sur Seine, la Communauté d’agglomération de Sénart Val de Seine, le conseil général de L’Essonne et l’Etat, laquelle est produite en pièce n° 11 par l’intimée, 'de répondre aux attentes et besoins des habitants, tant en termes de diversification du parcours résidentiel que de qualité du cadre de vie', 'les dysfonctionnements urbains propres au quartier de la Croix Blanche participant au sentiment de, dépréciation voire d’insécurité que peuvent ressentir les habitants à l’égard de leur environnement quotidien’ ;

Qu’il résulte, d’autre part, d’un rapport de la SOCOTEC en date du 24 août 2015, que l’appelant ne saurait utilement qualifier de complaisant au seul motif qu’il est postérieur à l’assignation en référé, que, outre le fait que le bâtiment de la CPAM présente des désordres au niveau de la fresque murale de A F, celui-ci présente des désordres en infrastructure tels des problèmes d’isolation thermique et acoustique et d’accessibilité aux personnes handicapées, et est en outre amianté, ce qui est confirmé par un rapport de repérage de la société Batis Controles Services du 27 octobre 2015 ; que le bâtiment n’est donc manifestement pas utilisable en l’état;

Considérant qu’il s’ensuit que la décision de procéder à la démolition de cet immeuble, conséquence notamment du permis de construire et de démolir accordé par la mairie de Vigneux sur Seine le 18 juin 2015 et transmis à la préfecture de l’Essonne dans les conditions prévues à l’article L 2131-2 du code général des collectivités territoriales, que monsieur X n’a pas au demeurant contesté, répond à un motif légitime d’intérêt général, proportionné au regard du droit moral de l’architecte et ne procède pas d’un abus de droit du propriétaire ou du futur acquéreur, ni même d’un comportement fautif ;

Considérant enfin que le projet alternatif de monsieur X visant à conserver le bâtiment en l’adaptant selon une note de 'faisabilités de capacités des parcelles 240 et 241, Vigneux sur Seine’ qu’il verse aux débats, d’une part exposerait les occupants du bâtiment maintenu en l’état aux risques ci-dessus indiqués puisqu’il n’est pas fait mention d’une quelconque rénovation dans l’étude, et d’autre part ne répond pas aux objectifs recherchés par le projet de construction de 172 logements, monsieur X reconnaissant lui-même que le bâtiment pourrait être adapté pour accueillir une partie seulement du projet de la société France Pierre 2 alors que l’existence d’un but légitime de la société France Pierre 2 à rénover le quartier a été reconnu ; que, par ailleurs, l’intimée n’est pas contredite lorsqu’elle indique que la proposition de monsieur X, qui n’a fait l’objet d’aucun certificat d’urbanisme pré-opérationnel, est irréalisable eu égard aux règles d’urbanisme et en l’état du simple croquis versé aux débats ; qu’enfin, le contrat de ville de la commune de Vigneux sur Seine auquel fait encore référence l’appelant ne s’oppose pas aux autorisations d’urbanisme ;

Considérant dans ces conditions que le jugement doit être confirmé en ce qu’il a débouté monsieur A X de sa demande visant à interdire à la société France Pierre 2 'et à ses éventuels commettants’ la démolition du bâtiment de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Essonne sis 32, avenue de la Concorde à Vigneux-sur-Seine (91) ;

Sur les autres demandes

Considérant que monsieur A X, partie perdante, supportera la charge des entiers dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Considérant, en revanche, qu’aucune considération d’équité ne justifie l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au présent litige.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties le 14 janvier 2016 par le tribunal de grande instance de Paris.

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Condamne monsieur A X aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

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